Chapitre 1

Une nouvelle fois le téléphone sonna. Nous étions au beau milieu de la nuit. Il était trois heures du matin. Elle maudissait déjà son interlocuteur. Néanmoins, elle décrocha.

— Allô ?

— Madame Esteves ?

— Elle-même, bougonna-t-elle.

— Ici le gérant du club Le Santiago. J'ai ici un ami à vous qui m'a dit de vous contacter. Il est venu passer la soirée et a oublié...

— De vous payer ? Oui, je connais la chanson. Donnez-moi votre adresse, j'arrive.

Dès qu'elle eut récupéré celle-ci sur un petit bloc-notes posé sur sa table de nuit, elle repoussa sa couverture et se leva en grommelant. Voilà déjà quatre ans qu'elle sortait avec Bastien et les choses allaient de mal en pis. Au début, il se contentait de quelques beuveries entre copains. Au fur et à mesure du temps, il avait même le culot d'inviter des femmes à se joindre à lui. Et il pensait que Lyanda l'ignorait. Mais elle n'était pas naïve. Seulement triste et désœuvrée. Avec un manque total d'estime personnelle de surcroît. Ce n'était pas la première fois qu'elle tombait sur un de ces bad boys. Et cela finissait irrémédiablement de la même façon. Ils la quittaient pour des filles plus aguichantes et affriolantes. Car oui, elle n'était ni l'un ni l'autre. Âgée de 26 ans, elle venait de terminer ses études universitaires en archéologie avec brio, mais sa vie sentimentale était, elle, un véritable fiasco.

Elle avait pourtant vu de nombreux psychologues... Cependant, le verrou qui ancrait sa mémoire sur ce qu'elle avait vécu dans son enfance était bien trop solide. Impossible de s'en souvenir. Elle avait eu des parents... ordinaires, c'était le mot. Elle n'était pas vraiment le centre de leur attention, mais elle n'ignorait que beaucoup d'enfants vivaient bien pire alors elle s'était fait une raison. Peut-être à tort. C'était bien le problème, son dernier psychologue lui avait dit qu'elle avait tendance à tout accepter trop passivement. Il fallait qu'elle se reprenne, elle en avait conscience. Et tout le monde le lui répétait.

Andreas, son meilleur, et seul ami, avait tenté de la reconnecter au monde. La plupart du temps, il la traînait dans des vernissages puisqu'il était féru d'art. Elle était réservée, timide et complètement agoraphobe. Pourtant, elle tenait tellement à cette amitié que là aussi elle gardait le silence. Il lui demandait souvent de se rebeller et surtout de quitter Bastien qui, très clairement, ne la méritait pas.

Mais comment pouvait-elle savoir, elle, qu'il n'était pas fait pour elle ? Qui était-elle pour en juger ? Elle avait toujours été une moins que rien. D'ailleurs, elle ne parvenait même pas à décrocher un boulot. Alors que, pendant ses études, elle avait été très douée. Mais c'était un monde de requins. Elle l'avait su et avait quand même voulu se lancer dans cette branche.

Elle pensait qu'elle n'était pas capable de se construire une place dans ce milieu, mais c'était sans compter sur Bastien et ses remarques incessantes sur son manque de talent. Andreas était un ami formidable qui ne cessait de lui remonter le moral encore et encore, toujours sans la juger malgré les années qui passaient et où elle restait accrochée au bras de Bastien. Il respectait ses choix et restait présent pour elle quoi qu'il arrive. Alors elle se comportait de même et prenait sur elle pour être toujours là pour lui, du moins autant que son petit ami le lui autorisait.

Arrivée au bar, elle se dirigea vers le comptoir.

— Bonsoir, je suis venue chercher...

Cependant, elle n'eut pas le temps de terminer qu'elle entendit des bruits de verre brisé. L'homme qui lui faisait face semblait sur le point d'imploser.

— Débarrassez-moi de lui. Et vite.

Elle se serait bien excusée, mais à quoi bon ? Les dégâts étaient faits. Elle prit donc la direction du boucan dans un coin du bar et vit Bastien, là, sur une banquette, à moitié débraillé, une bouteille en main, une femme à ses côtés qui l'embrassait langoureusement. C'était trop. Même pour elle, c'était trop. Elle se racla donc fortement la gorge, ce qui les interrompit. Son pathétique petit ami se redressa et ne prit même pas le soin de rougir de ce qui venait de se passer. Au lieu de quoi, il la regarda durement.

— T'es venue gâcher la fête, petit cœur ?

— Tu n'imagines même pas à quel point ! répliqua Lyanda en croisant ses bras. Qui est ton amie ? Tu me présentes ?

— Personne... C'est personne. Bébé, tu sais bien qu'il n'y a que toi qui comptes à mes yeux ! Tu es la reine de mon cœur !

Son « escorte » semblait outrée par ses propos et elle le gifla avant de s'en aller, plus ou moins dignement puisqu'elle trébucha en essayant de rejoindre la porte du pub. Lyanda s'en désintéressa très rapidement, elle sentait la colère bouillir en elle. Depuis bien trop longtemps, elle subissait ses affres. Il était temps qu'elle s'affranchisse de cette relation nocive et suffocante. Elle devait en trouver le courage. Pourtant, à le voir là en train de la supplier, son cœur flanchait.

— Tu peux laisser ta bouteille ? lui demanda-t-elle à la place.

— Mais... Bébé, je n'ai pas fini de la boire. Viens prendre un verre avec moi.

— Non, merci, répondit Lyanda en grimaçant. Il est tard et j'aimerais retourner me coucher, si cela ne te dérange pas.

Il ricana et but une nouvelle gorgée avant de lui lancer à la figure :

— Tu vois, c'est pour ça que je dois trouver d'autres amies pour m'amuser. Tu n'es absolument pas drôle, Lyanda. Avec toi, tout ce que je fais c'est mal.

— Parce que c'est mal ! répliqua-t-elle, cinglante. Tu es irrespectueux, alcoolique et infidèle. Tu ne t'en caches même plus ! J'ai honte de toi !

Elle s'attendait à ce que sa pique suivante lui brise un petit peu davantage le cœur, mais elle fut sauvée par le gérant du pub qui s'approcha avec son appareil à carte bancaire.

— Excusez-moi, m'dame. Ça fera trois cent vingt-huit livres sterling.

Elle lança un regard noir à Bastien, ayant envie de l'insulter. Il savait très bien qu'elle avait des difficultés financières et pourtant il la poussait à payer ses frasques encore et toujours.

— Tu as intérêt à me rembourser jusqu'à la dernière livre ! le menaça-t-elle.

— Oh ! Ça va. Tu sais très bien que tu es une femme entretenue, pas besoin de te comporter comme un grippe-sou.

Elle n'avait qu'une envie : le gifler pour ses propos dégradants. C'est vrai qu'elle n'avait jamais été à proprement parler une femme indépendante. Mais elle se donnait du mal pour se détacher des griffes de son oppresseur. Alors se voir rabaissée de la sorte lui causait du mal. Elle retint ses larmes de couler sur son visage au prix d'un gros effort et tendit sa carte au commerçant, espérant que la facture allait passer. Oui, elle était peut-être une femme entretenue, mais Bastien ne lui donnait que peu d'argent. Il ne voulait pas qu'elle puisse se libérer de ses chaînes et elle avait à peine assez pour couvrir ses propres dépenses mensuelles. Elle croisa les doigts en tapant son code et attendit nerveusement. Lorsque le ticket sortit, elle ne put retenir un soupir de soulagement.

— Maintenant, emmenez-le loin de là ! ordonna le gérant.

Elle prit le bras de Bastien et le traîna vers la sortie, songeant qu'elle allait avoir besoin d'aide. Une fois qu'elle eut laissé l'ivrogne sur la chaussée, elle se saisit de son téléphone et appela le seul ami qu'elle avait jamais eu. Andreas répondit à la deuxième sonnerie.

— Salut petit chat ! Que me vaut l'honneur de ce réveil un peu trop matinal ?

Passant une main sur son front, elle se força à sortir les mots qui lui faisaient outrageusement honte.

— Bastien a encore picolé et je ne pense pas avoir la force de le ramener toute seule.

— N'en dis pas plus, j'arrive.

Lorsqu'elle se tourna vers Bastien, elle vit que cet ivrogne était en train de dormir sur le trottoir. Elle s'assit donc non loin et patienta. Au bout de vingt minutes, elle vit un Hummer d'occasion entièrement retapé arriver et elle se leva.

— Tu aurais une bouteille d'eau ? demanda-t-elle à son ami une fois qu'il l'eut étreinte.

Il acquiesça et la lui donna. Elle la déboucha et renversa son contenu sur le visage de son petit ami qui se réveilla en sursaut.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Ton chauffeur est arrivé. Et je te préviens, tu passeras la nuit et ensuite tu prépareras tes bagages. Je veux que tu déménages !

Ce salaud se releva avec un sourire goguenard, la regardant de haut.

— Et pourquoi je ferais ça ? J'ai tout payé, tu te rappelles. Tu n'as même pas les moyens de te payer plus qu'une chambre étudiante.

Le coup avait porté. Et il avait fait mal. Très mal. Oui, elle n'avait pas de sous. Non seulement ses parents ne couraient pas sur l'or, mais ils ne prenaient que rarement la peine de l'aider. À son dernier anniversaire, ils lui avaient offert des torchons. Oui, oui. Et oui, elle ne savait pas où aller, elle baissa les yeux lorsqu'elle entendit son ami répondre à sa place.

— Elle viendra chez moi.

— Dans ton petit appart ? se moqua Bastien.

— Elle y sera toujours mieux qu'avec toi, enfoiré. Tu me répugnes.

Lyanda avait envie de l'embrasser. Mais d'abord, elle devait mettre fin à cette relation toxique. Elle releva donc les yeux pour lui faire face. Elle redoutait que son bégaiement, pourtant perdu grâce à des séances d'orthophoniste, ne réapparaisse. C'était ce qui arrivait quand elle était dans une situation très déstabilisante.

— Ça suffit, Bastien. Laisse-le. Cette histoire ne concerne que nous.

— Alors pourquoi as-tu rameuté ton petit clébard ?

Elle sentit une larme dévaler son visage, mais elle fit tout pour rester digne et lança un regard éloquent à Andreas.

— Tu peux nous laisser seuls une minute s'il te plaît ?

— D'accord. Mais si tu as besoin de moi, je serai à quelques pas.

— Merci.

— Alors, tu avais besoin d'une nounou pourrompre avec moi ?reprit Bastien.

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