6. A la fumée des ramens
Deux bols de ramen ornaient la table du restaurant Matsuraiken avant que le fils repose son tablier pour profiter de sa propre œuvre. Qui, admettons, avait quand même level up quant au bouillon.
"On prend les améliorations qu'on peut, tu sais."
"Effectivement, je te vannais plus tôt. Attends, y'a vraiment pas un chat?"
"Non, mon daron veut gérer tout ce soir. Ce qui veut dire que si tu veux, on peut quitter le restaurant en lui même, notamment ton tabouret chéri désigné depuis octobre d'il y a deux ans, et aller graille plutôt dans ma chambre. Ça te dit?"
Yoshida hocha la tête, perdu dans des pensées.
"Bon sang, ça fait déjà deux ans que je vois ta tête tous les jours," conclut-il alors qu'ils montaient l'escalier, repas en main.
Manier un bol, un portable, des clés, et des couverts avec une main et en avoir une autre pour ouvrir la porte de sa chambre était une compétence que Takuya avait eu la joie de développer au fil du temps.
"Bah oui, enfin, presque tous les jours. Dimanche dernier, c'est l'une des seules fois où tu m'as pas rendu visite," commença t-il, le multifonction, en s'asseyant sur sa chaise d'ordi grinçante. "ça m'a fait bizarre."
"Je t'ai manqué?" tenta de piquer Taisei, imitant le comportement que Nakamura avait eu à son égard.
"Évidemment."
La chaleur de neurones qui grillent revint d'un coup hanter l'invité, sur le cul alors qu'il était techniquement sur le lit du blond qui avait commencé à déguster son bol.
Une vague de souvenirs, de réalisations, et autres secousses de son petit status quo était prête à le déstabiliser, et à le faire bugger pendant un moment.
Rien n'avait la même saveur; mais même ça était différent, car le bouillon de volaille n'était pas à charge du fait qu'être si proche de son meilleur ami lui causait toutes sortes de réflexions entre lui et lui-même.
Quand Takuya s'était montré présent, dans la remise, et avait initié ce contact, c'était minime, dans la grande échelle des choses. Pourtant, l'effet qui l'avait fait se réveiller du mauvais pied, être maladroit le matin, à bout de nerf cet après-midi, et, enfin, complétement à l'ouest ce soir, s'était révélé là-bas aussi.
"Bordel de merde."
"Eh, tes opinions, tu peux les mettre sur TripAdvisor si tu veux te plaindre."
"Non. Merde. Désolé."
"C'est rien. Mais vraiment, mange un peu, j'aime pas te voir tout patraque comme ça."
"Tu parles comme un daron, ça me tue."
"Et toi t'as les mêmes couleurs qu'un type aux portes de la mort, alors ressaisis-toi. Et puis c'est qui qui peut citer les répliques de séries B d'avant le déluge, hein?"
Tout était sens dessus dessous. Déjà, dans la chambre en elle-même, car l'ordre était quelque chose de très étranger à son interlocuteur, mais aussi dans son esprit. Le bordélique - presque nommable en tant qu'anarcho-rangeur, était visible sous un nouveau jour pour son ami qui commençait enfin son casse-croûte.
Ce n'était pas une toute nouvelle vision; à la place, dans ses tripes, Yoshida savait que cette opinion, cette lumière, cet angle était dormant depuis longtemps, mais que, par force de déni, le voile de l'ignorance ne venait que de se faire jarter. Jarter bien, bien loin, tellement qu'il n'y avait plus de marche arrière.
Le grincement de la chaise du cuisinier réveilla le brun, qui mangeait sans demander son reste.
"T'es bien loquace, aujourd'hui." commenta celui qui, à peine debout, alla s'asseoir sur son propre lit, côte à côte, puis s'allonger en horizontal sur la largeur de son lit, la tête frôlant le mur. "T'as même pas défendu tes séries sénégalaises plus vieilles que nous deux réunis, t'es malade?"
"Fait gaffe!"
"T'inquiète, je connais tout comme ma poche. Quand t'auras fini, viens t'allonger aussi. Fais comme chez toi."
Sans même faire attention, le "finir" se métamorphosa en "rusher pour avoir les mains libres et aller s'allonger" en un rien de temps. Takuya, qui était plus vif qu'on ne lui laissait paraître, avait été attentif - et appréciatif, intimement - de cette initiative.
"Comme si c'était pas déjà ma deuxième baraque." Il s'allongea.
"Et voilà le travail. T'es qué-blo."
"Je peux te qué-blo les côtes et me barrer, tu sais," s'amusa un Yoshida qui essayait de se réajuster à sa position, même si dès que son bras toucha le flanc de son camarade, il semblait satisfait, et impossible à déguerpir.
"Tu fais quelque trois centimètres de moins que moi, tu risques rien, minus." ricana un Muramatsu précis. "Et puis, tu traînes tellement chez moi que y'a sûrement l'empreinte de ton cul dans mon matelas."
"Je squatte pas tant que ça, t'exagères!"
"T'as littéralement un bonnet de soie attitré ici, pour les fois où tu restes trop tard."
Le brun, dont le soin de l'afro était primordiale, s'avoua vaincu, et flatté, car il remarqua que ledit bonnet était une des seules choses à l'abri du capharnaüm de la chambre. Un répit au milieu d'un champ de bataille, presque.
"En parlant de ça," constata l'hôte, regardant par la fenêtre, "il se fait tard."
"Il est quoi, 21 heures? C'est dans ces eaux-là que Nakamura s'est fait la malle, l'autre jour."
Une sorte de soupir fut la réaction au nom énoncé. Un réflexe, promis.
"Et vous avez fait combien de tours?"
"Pas plus de deux, ou trois, je sais plus," mâcha Yoshida, qui avait la tête pas du tout focus sur ses escapades avec la prodige.
Du moins, pas les aventures à deux roues. Les joutes verbales, quant à elles...
"Elle était au bout de sa vie en un rien de temps, mais elle a kiffé."
"Vous avez fait quoi après?" était, s'il était honnête, la question dont Takuya voulait le moins entendre la réponse.
Malgré tout, c'était sorti tout seul.
"On a discuté un peu. Mais vraiment, vers 21 heures, c'était plié."
"Et moi, je vaux la peine que tu restes jusqu'à pas d'heures?"
"Tu l'as dit! T'as beau vivre dans un bazar sans nom, je serais prêt à m'endormir ici-bas."
"Avec le dos en compote?"
"Avec le dos en compote."
"Sans ton précieux bonnet protecteur?"
"Ok, t'abuses, mais tes bras sont presque aussi confortables."
"Hein?"
"Hein?"
Le blond, qui s'était levé pour récupérer l'accessoire de nuit, avait été stoppé net par l'intervention du brun. En d'autre termes, il était rouge pivoine, et ne savait pas si son pote en menait plus large. Un coup d'œil vers l'arrière, alors qu'il retournait vers son lit depuis son bureau avec l'artéfact, ne solidifiait que plus ses émotions. Son meilleur pote de ce qui semblait être toujours, blotti-là... Rien de plus attendrissant.
Après tout, chacun voit midi (ou neuf heures du soir) à sa porte, et dans le cas présent, la porte était un motard à l'humeur adoucie.
"Faut quand même qu'on se mette dans le bon sens, on est pas Shiota, on va se péter le dos sur trente ans."
"Dans trente ans, on sera toujours potes, non?" bredouilla d'un ton moins habile qu'il ne l'espérait le jeune qui se pivotait d'une position allongée biscornue à une position allongée biscornue, mais avec une flexion moins bancale.
"On sera toujours ensemble, oui." rassura t-il.
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Voilà le sixième chapitre! La première moitié de la soirée de nos deux compères, toujours aussi agréables (et drôles) à écrire. J'espère qu'il vous a plu, n'hésitez pas à commenter vos avis :) Rendez vous la semaine prochaine, samedi 17 février à 19h (utc+1) pour la suite.
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