2. Les tours de terrain, sur bécane

"T'es à l'heure."

"On n'peut en attendre moins de moi! J'en ai tellement rêvé, tu sais, c'est dans tant de films ce genre de trucs, et l'adrénaline, ça m'attire. Les jeux de simulations que Yukiko m'a présenté sont sympas, mais y'a pas le vent dans les cheveux, l'air dans le visage..."

"Pendant qu'on parle de ça, tient." Taisei lança aisément le casque de moto à sa congénère. Rio, elle, eut du mal à l'appréhender.

"Woah, ça pèse une tonne ce truc! T'es sûr que ça va m'aller?"

"Oui. Et tu vas voir avec. J'ai pas envie de me voir accuser d'un quelconque accident. Je veux pas un accident à ma charge. Capiche, la tête brûlée?"

"Oui, oui. Mais attends, toi, tu portes un casque?"

"Evidemment." il mâcha après s'être baissé, ramassant son dû derrière son véhicule. "Ton casque à toi, c'est celui de Takuya."

"Oh donc lui, Takuyanounet, il a des tours de motos gratos?"

"Évidemment!" s'indigna Taiseiounet. "C'est mon pote."

"Et moi, je suis pas ta pote?"

Là résidait bien le problème. L'air romantique, la musique neuneu qui jouait quand des bras féminins s'entreprenaient par derrière à un ventre, la tête se reposant sur l'épaule du conducteur, la slow motion, la désobéissance crasse à toute règle de sécurité primaire établie... C'était clairement gênant. Même pas, c'était carrément hors-propos.

Un charognard comme Maehara ou un obsédé du collé-serré comme Okajima trouveraient leur bonheur en ayant une blondasse à leur côté, mais Taisei n'y trouvait clairement pas son compte. Qu'est-ce qu'on allait en dire... Il connaissait mieux que personne, car jonché sur sa place du coin gauche du fond de la classe de troisième E, que ses camarades raffolaient de potins, et avec une energumène (même pas humaine) comme Monsieur Koro ajouté, ça irait de bon train.

"Avec des cons comme ça, on est pas sorti de l'auberge."

"De quoi? La classe A? Tu sais bien qu'on leur a maravé la gueule. Si tu veux qu'on parle de ce pugilat... Mais moi, j'ai pas la tête à ça."

"Tu change vraiment de vocabulaire comme pas permis. C'est assez impressionnant."

"N'en attends pas moins de moi."

Les deux s'étaient approchés de la moto, et Nakamura s'était éprise de regarder ses alentours. Le terrain vague de Yoshida Motors, terrain de jeu du Yoshida fils, en somme. De nuit, ça avait une atmosphère... chill.

"J'avais dit d'arrêter les anglicismes!" pesta Yoshida, squatté à côté de sa bécane, vérifiant ça ou cela.

"Je rêve ou tu me reluque?"

"Avec la tenue que t'as, difficile. Et même pas, je regardais si t'étais bien couverte. C'est marrant, les jupes de gyaru qui volent au vent au gré du moteur, mais s'écorcher la jambe à sang car on a chuté peau contre goudron s'éloigne plutôt bien de la définition du fun."

"Tu vois! Tu fais des anglicismes aussi. Je déteins sur toi~"

"Comment t'as fait un tilde à l'oral?"

"Je sais pas, les gens mettent ça quand quelqu'un dit quelque chose de badass dans une fanfiction."

"Et voilà que ça empire... Tu nous fais la Fuwa numéro deux, en plus. J'applaudis d'avoir laissé tes baskets à la mode chez toi, car elles auraient été fichues et bonnes pour le placard."

"Tu vois, tu me sous-estimes!"

"C'est surtout que Kukuya m'avait fait le coup à l'époque, une des premières fois qu'on avait roulé avec lui dans mon dos. J'en avais entendu parler en long et en travers, de ses sneakers irréparables."

"Pleine de boue et de crasse, j'imagine? Car toi, tu y vas pas de main morte, ça m'étonnerai pas que tu me dégueulasse mon outfit."

"Oui. Je les lui avais re-offertes pour son anniversaire suivant, mais bon..."

"Mais si j'avais pas ramené de froc, Yoshida, t'aurais fait comment?" testa l'adolescente, remarquant que depuis deux ou trois de ses répliques cinglantes et hilarantes le jeune homme avait le rouge aux joues.

"Tu aurais congédié ta pauvre collègue? A rentrer dans le froid, la nuit, le désarroi, seule à affronter le danger, le vent, les pigeons de l'avenue du parc qui sont clairement violents?" s'enfonça t-elle.

"Non." coupa Yoshida, enfin propulsé à nouveau sur ses jambes. "Je t'en aurais prêté un."

"Le froc de Takuyaounet?"

"On peut dire ça."

Le visage de Rio s'illumina d'une lumière machiavélique qui lui était propre, à elle et à Karma, dans des situations... Pour le moins adéquates.

Ils firent un premier tour de terrain, progressif car, c'est déjà expliqué plus tôt, Yoshida comptait finir l'année, ou ne serait-ce que cette nuit, sans sang sur les mains. Déjà qu'il avait dû faire face au mucus, et à la chrysalide, de l'autre poulpe...

"Woaw, c'est aussi trépidant que je l'imaginais. Pas étonnant que tu sois accro, Yoshida!" Rio était sans voix, et posait une main sur l'épaule de l'autre qui faisait face à la descente d'adrénaline, et avait éteint le moteur. Sinon, les dialogues de cette fanfic seraient obstrués de BRRRR et VROOOO et personne ne veut ça.

"On refait un coup?"

Le second tour, agrémenté de pic de vitesse et de virages, était plus que ça pour les deux qui étaient à bord; pour Taisei, c'était une démonstration de ses skills (et voilà qu'il s'y met), et l'aveu qu'une autre personne prenait autant de plaisir que lui dans une chose qui lui était si chère renchérissait ses émotions déjà décuplées.

Pour Rio, c'était le renouveau, l'air frais, la liberté, et l'impression que l'odeur d'assouplissant du gilet de celui auquel elle s'accrochait plus ou moins assidument (ou même, plutôt fortement, quand il mettait les bouchées doubles) allait lui coller à la peau jusqu'à l'université.

"Wow, wow, c'est génial, j'en suis presque, euh..." Étourdie. Vraiment très étourdie. Une néophyte et des virages vertigineux, ça ne fait pas bon feu, ou long ménage, ou l'inverse.

"Nakamura! C'est bon, on arrête." Encore une fois, inutile de répéter, mais il coupa le moteur, miséricorde de nous épargner de superbes onomatopées. "Allons nous faire autre chose, tu veux?"

Et l'autre chose, et l'endroit où ils allaient le faire, furent instinctivement désignés par Nakamura qui, titubant, se raccrocha à une assise de fortune dans un coin du terrain. Yoshida vint à sa rencontre.

"Ok, ok. La terre à Nakamura, j'écoute. Rio ne répond plus."


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