Chapitre 34 : D'un irréprochable accord

[J'ai un petit souci avec mon scan. Je ne peux donc pas vous proposer l'illustration en entière et en bonne qualité. Je me rattrape en vous donnant ce petit aperçu d'une illustration. Vous avez reconnu le personnage ?]

/!\  Vous retrouverez, dans la deuxième partie du chapitre, une scène à caractère sexuel. Pour ceux qui me lisent déjà, à titre de comparaison, c'est sensiblement moins explicite. Cependant, si vous êtes vraiment sensibles à ce genre de contenu, je vous encourage à poursuivre votre lecture au segment suivant. Si vous avez besoin que je vous résume le contenu du chapitre, outre son dosage en citron, je le ferai avec plaisir. Bonne lecture aux autres :) /!\

— C'est l'idée la plus merdique que t'as jamais eue.

Louie faisait face à la porte d'entrée de la famille de Swann. Elle savait que l'initiative déplairait à sa sœur, mais Ivanie ne s'était pas autant débattue que ce qu'elle s'était imaginé.

— Il est encore temps de faire demi-tour, dit Louie, l'air de rien.

Ivanie lui adressa un regard aigu. Elle essayait de tester sa détermination et cet air faussement innocent lui ressemblait bien. Pourtant, la plus jeune des deux sœurs ravala la remarque acerbe qu'elle brûlait de prononcer. Elle avait réfléchi, au cours de cette longue semaine d'exil chez elle, et il lui avait fallu affronter tout ce qu'elle détestait, à commencer par la solitude.

Si Louie avait craint que cela ne rende sa sœur plus amère qu'elle ne l'était déjà, Ivanie en avait tiré quelques leçons. Des résolutions s'étaient profilées et elles avaient renoué le dialogue, tout doucement.

— Vraiment ? ironisa Ivanie.

— Non.

— Attends !

Ivanie eut tout juste le temps de s'écrier. Louie avait déjà pressé la sonnette, un sourire triomphant aux lèvres.

— T'es diabolique.

— Je croyais que tu avais peur de rien... chantonna Louie.

Une injure lui répondit, cassante. Elle savait bien que ce n'était pas vrai.

L'attente s'éternisa et Ivanie se prit à espérer que la maison soit vide. Louie avait pris soin de vérifier leur emploi du temps. Swann devait être chez elle et il n'y avait pas de raison pour que cela ne soit pas le cas. Secrètement, Louie avait même échangé des messages avec l'adolescente, sans rien trahir du projet d'Ivanie.

Finalement, on tourna la clé dans la serrure et la porte s'ouvrit. Une femme en fauteuil roulant apparut. Il devait s'agir de la mère de Swann et Ivanie glissa un regard sur sa beauté pure. Sa progéniture devait tenir ses traits abrupts et marqués de son paternel. Une odeur de fleur d'oranger, mélangée à quelque chose de plus sucré et délicat encore, monta aux narines d'Ivanie.

— Bonjour, dit la femme, avec un net accent. Vous... Vous êtes des amies de Swann ?

Elle prêtait davantage attention à Louie. Ivanie passait presque inaperçue, dans son dos, et elle en était presque heureuse. La petite taille de sa sœur ne lui permettait pas de disparaître dans son ombre, mais si on la négligeait, c'était surtout parce que Louie était venu l'avant-veille, après avoir interrogé sa légitime à chercher l'amitié de Swann après ce qu'elle avait subi.

La femme appela Swann et s'éclipsa avec la discrétion qui semblait la caractériser. Ce fut l'adolescente qui apparut, avec un panache qu'Ivanie ne lui connaissait pas. Elle se demanda si cette semaine sans sa présence, sans les railleries, avait été libératrice. La figure de Swann se décomposa lorsque son regard passa de Louie à celle qu'elle cachait, tant bien que mal. Ivanie crut qu'elle allait leur refermer le battant au visage. L'expédition, la seule dont ses parents l'avaient autorisée, s'achèverait sur cette note.

— Tu es venue chercher tes cours ? s'enquit Swann, d'une vois un peu grinçante.

— Non.

— Je ne vois pas en quoi je peux t'être utile, dans ce cas.

Le regard de Swann accrocha la silhouette de Louie et elle hésita un bref instant. Ivanie doutait, elle aussi, au point elle faillit laisser filer sa chance.

— J'ai des choses à terminer, éluda Swann, avant de refermer la porte sur elle.

Ivanie avait allongé le bras pour bloquer le battant. Elle avait un peu bousculé sa sœur qui s'écarta d'un bond. Dans un souffle heurté, Ivanie retint Swann :

— Attends !

Elle ne pouvait pas balayer d'un revers de la main une initiative qui lui coûtait tant. Ivanie n'était pas certaine qu'elle supporterait un refus aussi net.

— Je sais que je suis sûrement pas la personne que t'as envie de voir, mais...

— Tu es la dernière personne que j'ai envie de voir, Ivanie.

Elle essuya le coup dans une grimace. Une mèche de ses cheveux bruns, que bien des camarades jalousaient, lui obscurcissait la vision. Elle réussit toutefois à articuler, délogeant un mot qu'elle avait depuis longtemps coincé en travers de la gorge :

— Pardon.

Swann rouvrit la porte, très doucement, pour éviter qu'Ivanie imagine qu'elle lui offrait sa rédemption. Car, en croisant le regard suave de Louie, Swann sut que c'était de cela dont il était question. Ivanie était venue chercher sa rédemption. Ses excuses étaient honnêtes.

— Je te demande pas de me pardonner, mais je voulais juste... Ouais, te présenter mes excuses. C'était injuste. Je crois que tu me rappelais juste trop la fille que j'étais. Toi, au moins, tu as le mérite d'être plus forte qu'elle l'était. Je l'ai pas supporté.

Louie détourna le regard pour cacher pudiquement ses yeux brillants. Il y avait une émotion dans la voix d'Ivanie, une de celles qu'elle avait trop longtemps enterrées. Ivanie grimaça encore, parce qu'elle s'était habituée à ses mensonges, à cette figure inatteignable qu'elle avait dressée. L'honnêteté réclamait plus de courage.

— On parlera de pardon plus tard, avança soudain Swann. Je vais juste profiter encore d'une semaine de calme et...

— Bien sûr !

Un silence s'installa et Ivanie ne sut le combler. Elle tenta un sourire, qui ressemblait davantage à une grimace, et aucune parole ne lui parut appropriée, alors elle salua Swann, la remercia de l'avoir écoutée, et se retourna pour retrouver sa prison pour encore une longue semaine. La peine n'était pas chère payée, finalement.

Louie contempla Swann avec une quasi-déférence. Elle ne tenta aucun geste, rien, mais ne put cacher sa stupéfaction lorsque l'adolescente rappela Ivanie :

— Attends !

Swann planta son regard dans celui de la reine déchue. Elle espéra qu'elle verrait, dans ses yeux, le reflet de celle qu'elle était devenue. De celle qu'elle était en train de devenir. Elle lâcha, en décomposant chaque syllabe :

— Tâche de ne pas oublier.

***

La semaine touchait à sa fin.

Sidoine avait goûté à un calme tout relatif, en l'absence de Simon et d'Ivanie. Achille soutenait que leur retour ne ferait pas grand bruit. Sidoine, dans son naturel pessimiste, n'en était pas si sûr. Il avait aimé ce retour à la normale, il avait aimé se reposer sur ses petites habitudes. Elles étaient moins envahissantes qu'avant et il s'était imaginé, pour la première fois, libre des cases qui l'emprisonnaient.

Car c'était bien cela. Il y fourrait son entourage, voire de parfaits inconnus, mais au fond, il s'était piégé dans ce mécanisme de survie.

Il faudrait davantage de temps à Sidoine pour s'en débarrasser tout à fait. Il lui faudrait soigner les conséquences léguées par les dérives de son oncle et la victime commençait doucement à l'imaginer. C'était le premier pas vers la reconnaissance de son statut de victime, un premier pas vers la guérison.

Sidoine avait tâché de chasser ces pensées. La nuit était tombée et les avait surpris, Achille et lui, alors qu'ils déambulaient dans les rues d'Obernai. Ils avaient pris une glace, juste pour narguer les touristes qui se réchauffaient autour d'un vin chaud. Décembre pointait le bout de son nez et les marchés de Noël alsaciens commençaient à s'installer, à Strasbourg, et partout dans la région.

Finalement, les premiers flocons de l'année étaient tombés sur le sol déjà gelé. Les doigts de Sidoine s'étaient engourdis, mais il n'avait pu s'empêcher de contempler le spectacle. Achille avait enfoncé ses mains dans ses poches pour admirer le ballet presque lascif des larmes qui s'étaient échouées jusqu'à lui.

Il n'avait pas tardé à inviter Sidoine chez lui. Il avait prétexté une occasion à fêter, à savoir une semaine de relative normalité. Dans la vie d'adolescents, c'était pour le moins inhabituel, surtout que les échos des récents événements au lycée n'avaient laissé personne indemne. Au sein d'un établissement scolaire, la chute d'un seul maillon redéfinissait l'ordre des choses, emportait avec lui des dizaines et des dizaines d'autres. Toute une hiérarchie était à revoir et si la métaphore pouvait paraître exagérée, elle n'était pas si éloignée de la réalité. Sidoine n'était pas dupe, si l'issue n'avait pas été dramatique, ou du moins cruelle, pour cette fois, le schéma se reproduirait. Ils n'étaient pas les premiers, ils ne seraient pas les derniers.

Achille avait également prétexté la nécessité de réchauffer Sidoine. Il n'était pas tombé malade la dernière fois, si ce n'était une légère fièvre, mais il ne valait mieux pas jouer avec le feu. L'excuse n'avait pas pris, mais Sidoine s'était assis sur le bord du lit d'Achille, comme la dernière fois, et ils avaient discuté. Jusqu'à ce que la nuit soit complète, jusqu'à ce qu'ils se sentent vraiment mieux, l'un et l'autre.

Achille était installé prudemment sur la chaise de son petit bureau. Il avait établi une distance presque réglementaire entre Sidoine et lui. Celle-ci lui sembla d'autant plus nécessaire après ce qu'il s'entendit prononcer, de but en blanc :

— Tu voulais rester ?

— Rester dormir ?

— À condition que tu préviennes ta mère, précisa Achille, l'œil suspicieux.

Sidoine leva les yeux au ciel. L'autre n'était pas sûr qu'il aurait pris la peine de l'avertir s'il n'avait pas insisté pour qu'il le fasse. Sidoine rédigea un bref message sous la vigilance d'Achille. Il avait obtenu son accord presque trop rapidement et il s'était imaginé que le Sidoine acceptait son offre seulement pour aller à l'encontre de l'autorité de sa mère.

— Le bourreau est satisfait ?

— Il n'y a pas de risques qu'elle...

— Je crois qu'elle oserait pas.

Sidoine lança son téléphone à l'autre bout du lit et s'allongea de tout son long dans un long soupir.

— Elle m'a cuisiné mes plats préférés toute la semaine. Elle a rien dit quand je lui ai annoncé que j'avais foiré mon contrôle de maths. Elle a même rien dit quand je lui ai donné ma note de sport pour le cycle qu'on vient de finir.

— Elle essaie de se faire pardonner, tu crois ?

— Elle essaie de se faire pardonner, acquiesça Sidoine, gravement.

Le menton posé sur sa paume, une jambe repliée contre lui, Achille étudiait les expressions de Sidoine. Il semblait pensif, comme s'il hésitait à passer l'éponge.

— Tu ferais quoi, toi, à ma place ? demanda-t-il.

— Difficile à dire. Ma mère ne se serait pas donné tant de mal.

Achille força un rire sans joie. Sa génitrice n'aurait pas assumé l'erreur, incapable de supporter l'idée d'être faillible. Il n'avait plus de contact avec elle depuis qu'elle s'était évanouie dans la nature et s'il lui arrivait de regretter, de nourrir l'ambition de retrouver sa trace, il finissait toujours par abandonner l'idée. Certaines choses n'étaient pas faites pour changer. Sa mère à lui en faisait partie. Il lui devait suffisamment de peines pour ne pas rappeler son souvenir.

— Je sais pas si j'arriverai un jour à lui pardonner, poursuivit Sidoine, à mi-voix. Je l'aime quand même, malgré ça. Je sais pas non plus si elle le mérite. Elle... Quand on en a parlé, elle a... Je l'ai jamais vue comme ça. Elle a pleuré toute la nuit. Je crois qu'elle voulait juste ne rien voir, qu'elle a été dépassée. Le départ de mon père a été une catastrophe pour elle et je crois qu'elle avait peur de ne pas être suffisante pour moi, de ne pas être une bonne mère. Elle a toujours admiré mon... mon oncle. Il lui a promis de me guérir et elle a marché. Il lui a dit que je ne serais jamais heureux si je restais le même et c'était impensable pour elle.

Ce n'était pas cela, le pire. Il y avait eu la suite, ces années de silence. Lorsque Sidoine était revenu du premier séjour chez son oncle, sa mère avait agi comme s'il revenait de banales vacances. Il en était allé de même pour le second séjour. Louise avait camouflé sa culpabilité dans des faux-semblants. Elle avait cherché à se convaincre que tout allait bien, qu'elle avait agi pour le mieux, et son grand frère, ce modèle vivant, l'avait encouragée. Elle ne lui avait pas demandé de se taire, mais lorsqu'il avait abordé le sujet la première fois, après avoir été privé de téléphone durant une grande partie du séjour, elle avait eu un mouvement de recul d'une rare violence. Elle avait eu l'air dépassée et peinée à la fois, et surtout, elle avait jeté sur Sidoine un regard qu'il ne lui connaissait pas. Alors, il s'était tu. Il avait obéi à son oncle et avait voulu fourrer son homosexualité dans l'une de ses cases et l'oublier.

Il l'avait voulu de toutes ses forces. Non sans se douter qu'il ne tiendrait pas toute une vie et que, au fond, son oncle n'avait rien changé. Sauf peut-être son estime de lui, la nature pessimiste de Sidoine, et la colère. La colère qu'il avait maquillée en haine et qui avait traversé ces deux années à ses côtés.

— On en a pas beaucoup reparlé depuis. J'y arrive pas vraiment et elle... Je crois qu'elle non plus.

Sidoine s'humecta les lèvres. Il n'avait pas envie d'en parler, d'admettre qu'il n'était pas certain qu'il réussirait à surmonter ce que son oncle lui avait fait subir. Les injures et la violence, des mots, des gestes.

Sidoine croisa le regard d'Achille. L'accrocha. Le silence s'étiola, s'éternisa un interminable instant. Sidoine paraissait abandonné entre les draps et Achille se leva pour réduire la distance qui les éloignait. Il s'assit sur le bord du lit et il effleura le haut du front du garçon du bout du pouce, avant d'enfoncer ses doigts à la racine de ses cheveux. Sidoine ferma les yeux de plaisir. Un frisson dévala la base de son crâne jusqu'à ses orteils.

La main de Sidoine glissa du poignet d'Achille, où le point orange s'étalait, jusqu'à l'intérieur de son bras. De là, il parcourut le torse de l'adolescent et s'arrima derrière sa nuque pour l'attirer vers lui. Achille se courba en deux pour atteindre les lèvres de l'autre. Le baiser fut un peu joueur, puis grave, et à nouveau mutin. La bouche de Sidoine chercha celle d'Achille qui le fuyait, puis le cherchait à nouveau. Le jeu enflamma finalement celui qui l'avait initié. Il dut retenir un gémissement tout bas, lorsque Sidoine laissa retomber sa main sur le haut de sa cuisse.

Leurs souffles se mêlèrent et ils apprirent la patience, à quel point l'attente pouvait se révéler délicieuse.

Les sourcils de Sidoine se froncèrent et il recouvra son sérieux. La rigidité de sa position, le pli qui traversait son front, son air tourmenté qui fendit sa figure, rien de tout cela n'échappa à l'attention d'Achille.

— Dis-moi.

— Je... Je ne sais pas si...

La langue fourcha et il secoua la tête avant de se redresser. Il ne pouvait pas juste éviter le sujet qui lui était venu à l'esprit. Achille le vit lutter quelques secondes, puis fermer les yeux pour tempérer sa nervosité. Lorsqu'il les rouvrit, il put prendre la parole :

— Parmi tout ce que mon oncle a fait, il y a quelque chose... Quelque chose comme... je ne sais pas, une initiation. C'était à la fin de mon deuxième séjour. Mon oncle voulait s'assurer que c'était fini, toute cette... déviance pour moi. Qu'il avait réussi et que cette phase m'était passée.

Achille dut se faire violence pour ne pas tiquer au terme « déviance ». Il se demanda s'il était arrivé à Sidoine d'y croire, de penser que son oncle puisse avoir raison de lui faire endurer de tels traitements. L'idée avait forcément dû l'effleurer et elle était insupportable.

— Mon oncle a ramené une fille. Je sais pas s'il l'a payé pour passer la nuit avec moi, mais...

— Il t'a forcé à avoir des rapports avec elle ?

— J'étais persuadé que j'étais guéri, à la fin. J'avais aucun désir pour elle, mais à ce moment-là, j'avais pas l'impression de me forcer. Mon oncle m'a félicité, il m'a dit qu'il était fier de moi, que j'étais enfin un homme et... et j'ai pu rentrer chez moi. J'étais tellement soulagé que j'ai pas pensé au reste, à la suite.

Sidoine avait fui le regard d'Achille et eut un mouvement de recul lorsqu'il vit l'expression de pur effroi qui allongeait son visage. Il lui semblait même que l'adolescent s'était écarté de lui.

— Je... Je savais pas que c'était... qu'il avait pu... Merde, Sidoine, c'est grave. C'était grave de toute façon, mais il t'a forcé à... Tu pourrais porter plainte, je sais pas !

Sidoine n'avait jamais étudié cette possibilité, mais lorsqu'Achille l'évoqua, il sut qu'il ne pourrait pas. Que s'il devait se reconstruire, il ne suivrait pas cette procédure. Cette pensée l'effleura une seconde et Sidoine remarqua qu'Achille allait lui échapper, qu'il se relevait. Il attrapa son poignet et le retint :

— Non, t'en vas pas ! J'ai pas envie que ça me définisse, d'accord ? Je te l'ai dit parce que j'y ai pensé, c'est tout, mais...

Achille semblait dévasté. Il avait failli fuir sans savoir s'il le faisait pour Sidoine ou pour lui-même. Il porta sa main au visage du garçon et passa son pouce sur l'une de ses joues.

— Un jour, articula Sidoine, je te raconterai. Tout. Je te dirai tout.

Achille avait compris les grandes lignes et il ne réclamait pas davantage. Sidoine, lui, devinait que ces aveux l'aideraient, plus que porter plainte, et que cette évolution-là serait personnelle. Il se déciderait à parler lorsqu'il en aura la force. Pour le moment, il n'avait pas envie de penser à la fierté de son oncle, le lendemain de cette initiation grotesque. Il avait envie de se réapproprier son corps et s'assurer que le contact d'Achille était tout, sauf malsain. Un an et demi auparavant, Sidoine avait été incapable de le comprendre.

— Tu peux me toucher, compléta-t-il alors, très vite.

— Tu sais que j'allais te proposer de dormir sur le canapé ? sourit un peu gauchement Achille.

Et Sidoine savait qu'il n'aurait pas hésité à le faire. Il guida la main d'Achille jusqu'à son visage et l'incita à redessiner ses traits, comme il l'aurait fait armé d'un crayon. Très lentement, avec l'application propre aux artistes.

— Personne ne me force, assura Sidoine.

Les doigts d'Achille traversèrent les pommettes, effleurèrent le nez, le front, puis redescendirent pour souligner, de la pulpe de son pouce, l'ombre appétissante qui s'étalait sous la bouche de Sidoine.

— Est-ce que je peux... te dessiner encore ?

Sidoine hocha la tête, mais plutôt que de s'éloigner pour s'emparer de son carnet à croquis pour y achever l'œuvre qu'il avait commencée la dernière fois, ou peut-être en commencer une autre, Achille referma ses bras sur Sidoine.

Il l'embrassa, longuement, et sa bouche suivit le même chemin emprunté par ses mains. Elle s'attarda sur son œil, sur le grain de beauté qui soulignait son regard. Sidoine fut bouleversé par la tendresse de ces gestes et il emmêla ses doigts dans les cheveux d'Achille. Il trouva l'audace de guider sa bouche à la frontière de son pull, là où sa gorge apparaissait. Le souffle brûlant ricocha contre son épiderme et une voix grave s'éleva :

— Tu n'as plus froid ?

— N-Non. J'ai... J'ai plutôt chaud.

Les lèvres d'Achille se déposèrent sur sa gorge. Il goûta la peau délicate, d'une finesse telle que le chemin de quelques veines apparaissait. Sidoine referma ses doigts sur les cheveux d'Achille et rejeta le visage en arrière. Il avait ouvert de grands yeux d'halluciné, secoué par l'écho d'un désir qu'il s'était interdit de ressentir.

La bouche d'Achille remonta jusqu'à son oreille. Il embrassa la zone juste en dessous et y déversa quelques mots :

— Moi aussi, j'ai chaud, Sidoine.

Sidoine haleta sous le regard d'Achille qui lui retira son pull, très lentement, pour dévoiler chaque fragment de peau à sa vue et pour s'en délecter. Sidoine avait envie de parler, de dire à Achille qu'il avait peur, qu'il avait appris à haïr ce désir. Et surtout, il voulait l'implorer de poursuivre, de ne surtout pas arrêter, car il était certain de mourir s'ils mettaient un terme à cette découverte. Il fut incapable de s'exprimer, alors il espéra que son corps traduirait tout ce qu'il ne disait pas.

Achille n'eut de cesse de lui prouver la pureté absolue de leur envie.

Il s'écarta de Sidoine pour admirer sa peau claire et l'essaim doré qui la constellait. Achille entreprit d'embrasser chaque tache qui mouillait l'épiderme de Sidoine. Sa bouche descendit le long de son épaule et il ne se pressa pas. Pas à un seul moment. Il rendit la brûlure plus ardente encore et sa main s'égara dans son dos. Il dévala sa colonne vertébrale en une caresse à peine esquissée. Sidoine creusa les reins et prit une grande inspiration. Comme s'il avait oublié de respirer, tout ce temps.

— Je... J'arrive pas à comprendre comment j'ai pu... comment j'ai pu tant haïr te désirer, balbutia Sidoine.

Ces mots troublèrent suffisamment Achille pour que l'autre puisse s'armer d'audace. Il le soulagea de son pull à son tour et il dévoila la peau hâlée. La bouche de Sidoine s'assécha. Avec une lenteur savante, plus insoutenable encore que celle imposée par Achille, il apprivoisa les muscles qui glissèrent sous sa main. Sa peau était comme de la soie, ou peut-être du satin, et Sidoine se sentait suffoquer. Il y avait le dessin des tatouages qui l'invitait au voyage, à la découverte, et il ne désirait rien tant que s'égarer sur les lignes qui se chevauchaient. Il croisa le regard d'Achille qui posa sa main contre son ventre pour l'inciter à s'allonger.

Le garçon le laissa recouvrir son corps du sien.

Achille nicha son visage dans le creux du cou de Sidoine et y inspira son odeur. Il devait calmer la tension, il le devait absolument. Il était certain que Sidoine avait senti la roideur de son sexe contre son ventre et une part d'Achille se sentait coupable. Coupable que son désir ne soit pas plus discret, car il n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'il puisse être réciproque. Sidoine esquissa un mouvement, sous le corps d'Achille, et il lui coupa le souffle. Un mouvement lascif, suggestif, qui lui arracha un gémissement sourd.

Achille encadra le visage de Sidoine entre ses mains et ses cheveux caressèrent le front du garçon.

— Doucement, je...

— Tu es pas un héros, hasarda Sidoine.

— Ouais, quelque chose comme ça.

Ils prirent leur temps. Achille finit par soulager Sidoine de son pantalon et, plutôt que de s'attarder sur l'excitation, aussi nette que la sienne, il se pencha pour embrassa l'intérieur du genou. L'hématome, souvenir de la chute de Sidoine quelques jours plus tôt, arborait plusieurs nuances de violet. Les doigts d'Achille voyagèrent du genou à la cuisse en une invitation, en une demande, alors que son regard osait cheminer jusqu'à découvrir chaque parcelle de ce corps.

Sidoine fit alors basculer Achille sous son corps. Il n'était pas sûr que ses gestes soient les bons et chaque initiative était suivie par un instant de battement, comme s'il attendait l'assentiment de son amant. Ils échangèrent ainsi de premières caresses, de premiers soupirs. Sidoine plaqua sa paume sur sa bouche lorsqu'Achille referma ses doigts sur sa verge. Achille rejeta son visage en arrière lorsque Sidoine pressa sa main sur son torse en s'asseyant à califourchon sur ses hanches. Ils quémandèrent des baisers, d'autres caresses, un ultime abandon, lorsqu'ils se livrèrent l'un à l'autre. Un soupir au bord des lèvres, au creux d'un langage où les corps se répondaient.

Chaque mouvement était audace, chaque son une récompense, chaque regard une découverte.

Achille vint s'abreuver aux lèvres de Sidoine, goûter à sa bouche pour y exprimer la naissance de la volupté. Celle qu'il sentait rugir là, au creux de ses reins. Là où les gestes manquèrent d'assurance, ils sourirent, parfois graves, presque solennels, parfois gagnés par la grandeur du moment.

Leurs ombres se mêlèrent dans la quasi-obscurité de la chambre. Ce fut grandiose.

Sidoine perdit son souffle, pressa son front contre l'épaule d'Achille, emporté par l'extase, par le baiser qui accompagna sa chute.

Ils reposèrent finalement l'un contre l'autre, enlacés comme s'ils ne formaient qu'un corps. L'entrelacs de membres ne permettait pas d'affirmer où s'arrêtait un corps, où débutait l'autre. Ils s'étaient apaisés, l'un et l'autre. Ils avaient scellé une promesse dans l'obscurité de la chambre. Le silence y était revenu, un peu moite, encore comblé par les échos des soupirs. Par l'allégresse, par la tendresse.

Sidoine rendit ses couleurs à Achille.

Achille sublima les siennes.

Un très long chapitre, mais pour la bonne cause, n'est-ce pas ?

La scène à caractère sexuel reste assez peu explicite vis-à-vis de ce que j'ai l'habitude d'écrire, mais je voulais me concentrer sur l'idée qu'ils s'apprivoisent plutôt que sur le reste. Je ne trouvais pas intéressant de trop creuser le côté explicite, ça ne collait pas aux personnages à mon sens. J'espère que ce compromis vous aura plu. 

Plus que deux parties. Le dernier chapitre et l'épilogue. Des idées pour la fin ? Comment aimeriez-vous que je boucle ce roman ? En gardant en tête que je ne suis pas du tout fin idéale / parfaite / un poil stéréotypée. Oubliez les demandes en mariage sous un soleil couchant bien kitsch (ça se sent que je ne suis pas trop romance à la base ? :p) Plus sérieusement, proposez vos idées !

Je vous dis à très très bientôt ! 






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