Chapitre 30 : D'un mélange délavé
[Pas présent dans le chapitre non plus, mais je l'ai sous le coude, alors... voici l'illustration dédiée à Guerlain !]
La maison était silencieuse, à l'exception peut-être des échos lointains d'une émission de cuisine.
Sidoine traversa la maison sur la pointe des pieds, à la suite de Jahia qui s'était composé une assurance qu'il enviait. Elle se retourna pour intimer à son ami :
- Dépêche-toi de filer.
Sidoine opina vigoureusement et s'engagea dans le couloir après avoir manqué de trébucher sur la dernière marche des escaliers. Jahia leva les yeux au ciel et le rappela, avant de pousser la porte pour pénétrer dans le salon :
- Tu fais gaffe, hein ? Tu nous refais pas le même coup que la dernière fois.
Jahia avait accepté de le couvrir, à condition qu'il laisse un mot à l'attention de ses parents. Il n'était pas question qu'ils alertent tout le département pour une fugue qui n'en était pas vraiment une.
- Merci, murmura Sidoine.
Jahia saluait déjà ses parents d'une voix enjouée, volontairement forte pour couvrir le gémissement de la porte d'entrée. Avant de la refermer derrière lui, Sidoine entendit tout juste son amie entamer une conversation avec sa mère :
- Ma mère voulait vous ramener des gâteaux pour les cours de soutien que vous avez donnés à mon frère. Vous êtes plutôt noix de coco ou nature ? Ceux de ma mère sont vraiment...
La porte coupa Sidoine de la suite et il resta un moment la main pressée contre le battant. Il était en colère, assez pour ne pas revenir sur sa décision. Il avait besoin d'air, besoin de s'éloigner de ce cadre étouffant.
C'était curieux, mais il avait lui-même créé des cases et l'idée d'être enfermé dans l'une d'elles, plus littérale que celles qu'il avait façonnées, lui faisait horreur.
Sidoine se retourna pour contempler la vue étriquée de la ruelle, à moitié engloutie par la pluie. Le temps semblait s'accorder à son humeur. Il n'y avait pas d'orages, pas de violents éclats, mais une pluie battante.
Sidoine fendit le rideau liquide d'une main, avant de s'y inviter et de disparaître dans la nuit.
***
La grille du petit parc grinça lorsque Sidoine la poussa. Il ne força pas l'entrée, mais au milieu des installations de jeu, les mêmes que celles de son enfance, délavées par l'eau, il s'apparentait à un spectre. Il se mouvait lentement, à la manière d'une apparition dans la nuit. Si un enfant avait eu le malheur de croiser sa route à une heure aussi tardive, il aurait eu la peur de sa vie.
Sidoine ressemblait trait pour trait à ce fantôme éploré, esseulé.
Il s'apparentait à un amoureux désenchanté, qui avait laissé tomber les fragments d'un cœur brisé.
Sidoine avançait sans se presser, au milieu de ses pensées qui se déversaient à ses pieds.
Si bien que lorsqu'il arriva en haut du petit talus qui surplombait le cours gonflé de l'Ehn, il ne savait plus quelle raison donner à cette errance torturée.
Sidoine se figea avant d'aviser la descente brutale qui le mènerait jusqu'au bord de l'eau. Comme s'il n'en avait pas eu assez, avec les gouttes odorantes qui dévalaient son visage. Il était si vide, incapable de s'expliquer ses propres gestes, incapable aussi de justifier sa douleur, qu'il ressentait le besoin de s'approcher encore un peu de l'endroit où Achille avait disparu.
Avant d'esquisser un premier pas, entre la terre glissante, les touffes d'herbe misérables, et les racines, Sidoine s'abîma dans ses pensées. Il songea au coup de son oncle, à la manière dont il l'avait empoigné, à l'intervention tardive d'Achille, au silence de ses parents, à ce qu'il devait en tirer, lui. Deux ans auparavant, il s'était plié à la violence de son oncle parce qu'il ne pensait pas qu'il puisse exister une autre issue. Où en était-il, à présent ? Avait-il avancé, ne serait-ce que d'en pas ? Sidoine pressentait surtout que le cours de ses réflexions était aussi confus que les remous de l'eau, deux mètres plus bas. Et au moins aussi cruelles.
Deux fois plus mortelles.
Sidoine avança d'un premier pas prudent et enfonça sa basket dans la terre collante. Il y trouva une prise solide et écarta le bras pour rétablir son équilibre. La pente s'ouvrait sous ses pieds, inoffensive la plupart du temps, mais son talon dérapa sur l'herbe détrempée. La boue accéléra la chute de Sidoine qui écarta les doigts pour se rattraper. Il glissa sur le côté, les mains enfoncées dans la terre molle, jusqu'en bas du talus. Une pierre incrustée dans le sol conclut douloureusement sa chute en heurtant son genou.
Cloué à terre, Sidoine grinça des dents pour taire un gémissement. L'Ehn remontait jusqu'à ses pieds que le garçon étendit, le dos pressé contre la végétation écrasée par sa descente brutale.
- Merde.
Sidoine contempla le cours de la rivière. Ses jambes étaient immergées jusqu'à mi-tibia, englouties par la faim vorace de l'Ehn. Il se souvint d'Achille et de lui, au même endroit, baignés par la lumière dorée du crépuscule.
- T'es sûr que tu veux pas venir ?
- Nan, merci.
Sidoine mima un frisson et Achille arqua un sourcil en réponse. Il tenait ses cheveux un peu plus courts. Ses mèches brunes lui chatouillaient les épaules. Il les avait laissés pousser pendant l'hiver, prétextant que cela le réchauffait, là où ceux de Sidoine arboraient une coupe approximative. Vestige d'une coupe ratée, racontait-il, à qui voulait bien l'entendre. Déjà à l'époque, Achille avait su que c'était un mensonge.
Mars était déjà là et après un hiver particulièrement doux, les températures plus que clémentes le ravissaient. Il avait sauté sur l'occasion de proposer à Sidoine une sortie au bord de la rivière, dans un lieu qu'il disait secret. Avant que son ami ne remarque qu'il l'avait trompé - cet endroit n'avait rien d'inconnu, bien que les adolescents préférassent les berges plus douces, plus ensoleillées, un peu plus loin - Achille lui avait pris la main pour l'aider à descendre la pente brutale.
Achille, sans une once de pudeur, avait délacé ses chaussures pour progresser dans l'eau. Sur cette portion bien reconnaissable, la profondeur restait minime. Cependant, l'adolescent savait que quelques pas plus loin, la nature avait créé l'un de ses pièges, en toute innocence. La terre se retirait pour s'ouvrir sur un, voire deux mètres lorsque les précipitations gonflaient le cours de l'Ehn. On racontait qu'une fillette s'y était naguère noyée.
- Tu ne sais pas nager ?
- Si, rétorqua Sidoine, piqué au vif. Bien sûr que je sais nager, qu'est-ce que tu crois ? J'ai fait de la natation. Y'a même pas assez de profondeur pour ça !
- Alors viens, tu risques rien. Promis, j'essaie pas de te couler.
Sidoine leva les yeux au ciel. Avec quelques dizaines de centimètres d'eau à peine, il n'y croyait pas une seule seconde. De plus, il était sans doute meilleur nageur que l'autre adolescent.
Achille l'éclaboussa et l'eau fraîche, piquante, remit les idées de Sidoine en place. Il protesta, pour la forme, et menaça Achille de s'en aller s'il s'acharnait à le tourmenter. En deux vastes enjambées, celui qui avait fait des pieds et des mains pour devenir son ami l'avait rejoint. Sidoine était installé sur un pan surélevé de la berge inconfortable, car sillonnée de rochers, et baissa ses yeux vers Achille. La haute taille de ce dernier lui conférait un avantage certain, et une source de vexation pour Sidoine.
- Tiens, t'es plus grand.
- Ferme-la, tu veux ?
- T'as froid ?
- Non. Je... Oui, j'ai froid.
- Tu es tout rouge, Sidoine. Tu mens.
L'intéressé passa le dos de sa main sur ses joues. Il maudit sa peau réactive pour s'embraser sans raison.
Achille retira son t-shirt d'un geste souple et le jeta plus loin, sur un rocher plus ou moins plat. Il apparut torse nu et Sidoine croassa :
- Tu essaies de me faire quoi ?
- J'essaie de te séduire, bien sûr.
Sidoine eut toutes les peines du monde à rétorquer :
- Je déteste ce genre de gars.
Achille sourit plus largement. Il ne s'était pas dévêtu pour exhiber la ligne fine de ses muscles. L'athlétisme avait modelé son corps sans que cela soit disgracieux, sans que sa peau ne soit déformée, distendue par les muscles. Sidoine sentit son regard voyager, malgré lui, sur les épaules, sur les pectoraux, en passant par les clavicules. Ce regard lui glaça le sang et son cœur cogna les parois de sa poitrine.
- Il fait bon, je t'assure.
- J'ai pas envie de me déshabiller, trancha Sidoine.
Achille ne comprenait pas la limite soudaine, imprévisible, que l'autre venait d'ériger. Lui qui avait toujours été si observateur, si regardant, si attentif aussi, était aveuglé. Perdu dans la douceur de ce début de printemps, heureux d'avoir pu convaincre Sidoine de le suivre. Ils s'étaient rapprochés, au cours de l'hiver, si naturellement qu'Achille s'était mis à espérer tout son soûl. Sidoine n'avait pas fui, comme tous les autres, il l'avait laissé l'apprivoiser comme un animal un peu craintif, peu habitué au contact humain, et Achille avait été séduit. Irrémédiablement séduit.
- Viens juste mettre tes pieds dans l'eau. Tu l'as jamais fait ?
- N-Non, ma mère ne voulait pas.
Le sourire éclatant d'Achille vacilla. Il pensa à sa propre mère, qui avait tempêté la veille, à tel point que son fils avait dû s'enfermer dans sa chambre. Il y avait recueilli toutes les atrocités que sa génitrice était capable de prononcer lorsqu'elle n'obtenait pas ce qu'elle voulait.
Achille balaya d'un battement de cils ces funestes pensées. Il n'était pas question de se laisser ternir le moral. Ce jour-là plus que jamais, l'adolescent avait besoin d'être aimé, ne serait-ce qu'un peu. Pas autant qu'il dépendait des autres, mais au moins assez pour effacer l'indifférence de sa génitrice.
Il attrapa le poignet de Sidoine et il sourit comme il n'aurait plus l'occasion de le faire avant un long moment. Achille l'entraîna dans l'eau qui les éclaboussa tous les deux.
- Lâche-moi, balbutia Sidoine, d'une voix blanche.
Achille se retourna pour découvrir le visage blême de son ami.
- Qu'est-ce que tu as ?
Achille réduisit à néant le peu d'espace qui les séparait encore. Il confondit la réaction de Sidoine avec de la peur, et sa colère croissante avec un simple agacement. Il avait déjà vu son ami serrer le poing comme pour étrangler de ses doigts le fléau d'une rage féroce, mais ce n'était rien. Ce qui s'apprêtait à sourdre serait mémorable.
- Tu devrais pas me toucher.
- On fait rien de mal, argua Achille, sans comprendre. Il t'arrive quoi ?
Il leva sa main libre et, avant qu'elle n'effleure la joue mouchetée de taches de rousseur, traversée par une larme, Sidoine la claqua de sa paume. Il avait pris conscience de leur proximité et cette main qui l'approchait ne servirait qu'à le condamner. Un éclat de colère le faucha, avec une rudesse qui lui coupa le souffle.
Achille ouvrit la bouche, peut-être pour s'excuser, mais Sidoine fut plus vif :
- Lâche-moi !
Son avant-bras heurta la gorge d'Achille qui, déséquilibré, tituba. Il recula d'un pas avant que Sidoine ne le pousse avec une force inouïe.
La terre se dérobait sous ses pieds. Il n'y avait plus que l'eau, dans le piège naturel façonné par l'Ehn.
Et elle s'ouvrit pour engloutir Achille dans un cri avorté.
Sidoine revint à lui dans un grand frisson. Durant de longues minutes, des périodes de lucidité avaient succédé à des instants de quasi-absence. Autour de lui, la pluie n'avait pas cessé.
- Sidoine !
L'intéressé sursauta. Il se redressa et se retourna pour découvrir, sur le haut de la butte, la silhouette familière d'Achille. C'était la deuxième fois qu'il se présentait ainsi, à peine moins spontanément.
- J'ai reçu ton message.
Sidoine ne se rappelait pas le lui avoir envoyé. Il avait indiqué un lieu, ses doigts transis par le froid après qu'il avait retiré la terre de ses mains dans l'eau glacée de l'Ehn.
Achille descendit la pente avec plus de talent que lui. La lumière d'un réverbère ruisselait jusqu'à eux et traversait les entrelacs des branches nues. En se penchant sur Sidoine, Achille vit dans quel état il se trouvait. Une goutte de sueur dévala sa colonne vertébrale malgré le froid mordant. Il s'humecta les lèvres et dut s'accorder quelques instants de réflexion avant de demander :
- Est-ce que t'arrives à te lever ou...
Il ne préférait pas imaginer les autres possibilités. Il pouvait traîner Sidoine hors de la rivière, au mieux, mais il ne parviendrait pas à gravir la butte dans le sens inverse.
Sidoine étendit ses jambes, planta ses doigts dans la terre gorgée d'eau, et attrapa la main qu'Achille lui tendit. Lentement, il réussit à se remettre debout, à moitié appuyé contre l'adolescent pour ne pas perdre l'équilibre. Ses muscles ankylosés peinaient à supporter son propre poids et il grimaça.
- Tu es blessé ?
Sidoine secoua la tête. Il y avait bien son genou qui criait grâce, mais Achille n'avait pas besoin de le savoir. Il écoperait d'un bel hématome et l'aventure se solderait sur cet échec un peu amer.
Plutôt que de déverser toutes les excuses qui lui venaient en tête, Sidoine se surprit à articuler :
- Je... Je me souviens. La dernière fois que... que je suis venu. Tu sais, avant...
- Je sais.
La pluie estompait la silhouette toute proche d'Achille. Au loin, lorsqu'il s'était présenté en haut du talus, Sidoine avait peiné à reconnaître sa forme éthérée, quasi spectrale.
- Tu n'as pas dû comprendre, ajouta Sidoine, très rapidement, dans un rire sec.
- Non.
- Tu... Tu as compris maintenant.
- L'essentiel.
Sidoine avait baissé la tête. Jahia savait, Achille également. Il avait fallu d'une seule journée pour raturer un silence de plus de deux ans. S'il avait su que cela serait si simple...
S'il avait su que cela serait si insoutenable...
- Je t'ai fait peur, dit Achille. Je suis désolé, tu sais. Tout ce temps, j'ai cru que je t'avais fait fuir.
Ce jour-là, alors que l'eau l'avalait, plus tumultueuse dans ce lambeau de l'Ehn, dans un grand remous, Achille avait vu ses espoirs réduits à néant.
- Après ça, je n'ai plus jamais été en colère, expliqua Sidoine.
- Tu l'étais encore, le contredit Achille. Tu as appris à l'enfermer et... ça a jamais été une solution.
- Je sais.
Sidoine sourit tristement. Achille passa sa main contre son crâne pour essorer l'humidité de ses cheveux dans un geste plein de tendresse. Il soupira avant de dessiner un sourire, presque aussi lumineux que ceux qu'il esquissait, auparavant.
- Tes cheveux ont poussé depuis.
- Mon oncle les a rasés, au début du deuxième séjour. C'était à la Toussaint de la troisième.
Achille nota surtout qu'ils se connaissaient déjà, à cette époque, au moins de vue. Il avait été surpris par cette coupe militaire qui aiguisait les traits de Sidoine. Il n'avait pas compris, deux ans auparavant, que cette extravagance capillaire n'avait rien d'un délire entre amis. Il avait approché Sidoine, sans profiter de son rôle d'aîné qui l'élevait à un rang d'inatteignable aux yeux des collégiens, et l'histoire avait pu débuter. Pour s'achever tout de suite après.
- Tu es toujours aussi petit, souffla Achille.
Il trahissait un soulagement que Sidoine devinait. Le froid l'engourdissait et, cette fois, son frisson ne fut pas forcé. Il porta tout de même sa main au visage d'Achille pour essuyer une goutte qui suivait le trajet d'une larme.
- J'ai cru que tu pleurais.
Le geste troubla profondément Achille qui peina à déglutir. Il fronça les sourcils, trempa sa figure d'une neutralité qu'il maîtrisait presque sur le bout des doigts. L'adolescent d'autrefois avait appris à se prémunir du mal qu'on pouvait lui faire. Ainsi, il observa une rigueur digne de Sidoine, avec une logique qui se traduisit par une succession de phrases courtes :
- Tu es trempé. Il faut te mettre au sec. Tu es capable de marcher ? On va aller chez moi.
Sidoine opina et ils contournèrent la butte pour rejoindre le petit parc à un endroit où la pente était plus douce.
Achille absorba tous les tremblements de Sidoine.
***
La tête de Sidoine dodelinait de droite à gauche lorsqu'il réalisa qu'ils étaient parvenus à destination. La chambre d'Achille était identique à l'image qu'il en avait gardée. Là où Sidoine brillait par une passivité qui ne lui ressemblait pas, à l'inverse, Achille paraissait céder à la panique.
La lumière du plafond jaillit, éblouit Sidoine et révéla l'état déplorable de ses habits. Son pantalon était rigidifié par la boue et le garçon était trempé jusqu'à l'os. Le premier réflexe d'Achille fut de mettre le chauffage, de pester contre le radiateur, désespérément froid, et de se tourner vers Sidoine pour déplorer :
- Je suis désolé, ça va chauffer. Il faut juste attendre que ça fonctionne. En attendant, assieds-toi.
- Je vais salir tes draps, objecta Sidoine.
Achille leva les yeux au ciel et pinça les lèvres. Les vêtements de Sidoine gouttaient au sol.
- Tu... Il faudrait que tu te déshabilles, avança Achille, avec une nette maladresse. T'es pas obligé de le faire ici. Enfin, on a une salle de bain. Tu peux prendre une douche si tu veux, ça sera sûrement plus rapide que le radiateur, mais...
Il s'était noyé dans des explications incohérentes et s'interrompit de sa propre initiative en se frottant la nuque. Sidoine l'avait rarement vu aussi mal à l'aise. Il retira d'abord sa veste, qu'il tendit à Achille. Celui-ci détourna le regard et Sidoine entreprit de déboutonner sa chemise. Ses doigts, engourdis, ne répondaient pas et il jura à mi-voix.
- Tu m'autorises ?
Achille s'était approché. Il obtint l'assentiment de Sidoine et termina de retirer la chemise. La peau nue apparut et Achille se fit violence pour que ses gestes demeurent parfaitement dénués de curiosité. Il retira le pantalon de Sidoine sans geste brusque et s'écarta dès qu'il eut achevé sa participation, après avoir séché l'eau qui avait collé le tissu à sa peau à l'aide d'une serviette abandonnée à son retour. En évitant le regard de Sidoine, en fuyant avec attention le contact de leurs peaux, il chassa les résidus laissés par la pluie.
Autant de larmes.
- Je te dégoûte ?
L'épuisement de Sidoine, qui lui ôtait toute combativité, s'était retiré un bref instant. Cette question n'avait rien d'accessoire. Achille le comprit en un regard :
- Non ! Pourquoi tu... J'ai vraiment l'air dégoûté ? Je veux pas que tu crois que je profite de la situation.
Achille se racla la gorge, se détacha de Sidoine pour éclaircir ses idées. Il ne pouvait pas admettre, sur le ton de la conversation, son désir. Il piocha des vêtements pour la nuit et les confia à Sidoine. Son regard croisa le sien et y resta solidement arrimé. Il aurait pu évoquer bien des banalités pour meubler ce silence, mais une vérité crue lui échappa :
- Ton oncle avait raison sur un point et sur un seul.
Les yeux de Sidoine s'arrondirent. Il semblait avoir reçu un coup en pleine poitrine.
- Au sujet du regard que je porte sur toi. Y'a jamais eu de dégoût, y'a jamais eu autre chose que ça.
- Un regard...
- Un regard amoureux.
Sidoine prit une inspiration confuse. Achille venait de lui porter un deuxième coup.
Il le mena jusqu'à la salle de bain et prit le temps de lui expliquer le fonctionnement singulier de la douche, démonstration à l'appui, pour obtenir de l'eau chaude.
- Je te laisse pour... le reste. Je reviens.
Achille s'effaça sans demander son reste et Sidoine prit une douche rapide. L'eau bouillante brûla sa peau et évacua la saleté qui semblait le recouvrir de la tête au pied. Encore un peu hébété, les vapeurs moites le glissèrent dans une torpeur bienvenue. Il ne réfléchissait plus à toute allure et la panique se retirait enfin.
Achille employa ces quelques minutes à intimer à son cœur d'apaiser son cours endiablé et à chasser une excitation traîtresse qui n'aurait jamais dû s'inviter. Pas ce soir. Ce fut à son tour de disposer de la salle de bain et il se contenta d'enfiler des habits secs et confortables pour la nuit. Lorsqu'il pénétra à nouveau dans sa chambre, il découvrit que Sidoine avait outrepassé une politesse bien ancrée pour se glisser sous les draps. Il semblait dormir, les yeux clos, dans une position presque enfantine.
Sidoine ouvrit un œil, puis le second. Pelotonné sous les couvertures, son visage reprenait quelques couleurs. Assis sur le bord du lit, Achille avait enfilé un vêtement sec dans la précipitation et contemplait les traits tendus de Sidoine, l'épuisement qui grignotait sa lucidité, et il fut soulagé. Soulagé parce qu'il aurait pu imaginer pire issue que celle-ci.
- Achille ?
- Oui ?
- Embrasse-moi.
D'abord, les cheveux d'Achille effleurèrent le visage de Sidoine en une caresse subtile. Il se pencha sur lui, demeura figé à un fil de ses lèvres, vit l'attention, l'urgence, grandir, pour y offrir un terme grandiose.
Les lèvres de Sidoine étaient froides sous le baiser qu'Achille lui donna. Il l'embrassa en espérant que plus jamais Sidoine ne craigne de dégoûter qui que ce soit.
Il l'embrassa exactement de la même façon qu'il avait pour habitude de le contempler.
Un très long chapitre qui est, de fait, difficile à résumer.
Je vous propose (enfin) le flashback qui a entraîné le départ d'Achille et... et qui a contribué à faire de Sidoine ce qu'il est aujourd'hui. Achille a eu un geste malheureux, il n'a pas compris la réticence de Sidoine et le résultat est là. J'espère que ce court flashback vous a plu.
On arrive bientôt à la fin du roman et ça me fait tout bizarre. J'ajouterai bien des chapitres pour faire durer le plaisir aha. J'ai eu du mal à les quitter, personnellement, mais je ne sais pas ce qu'il en est de vous. Peut-être avez-vous hâte de vous débarrassez d'eux aha ! J'avoue que ça me ferait quand même mal au coeur, mais c'est possible. En tout cas, dans six chapitres, il faudrait dire au revoir à Sidoine, Achille, et tous les autres... Seulement un au revoir, j'espère !
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