5 avril 1563

A travers les brumes de mon esprit, des cliquetis me parvenaient. Celui de sabots battant le pavé. Etait-ce l'attelage qui me menait jusqu'en enfer ? Car assurément, ma vie de débauche ne pouvait me conduire ailleurs. Même les limbes auraient été trop douces. J'avais maintes fois commis le pêché de luxure, perverti de nombreux cœurs. Je pensais avoir le temps d'expier mes pêchés quand je me serais marié. Mais Dieu n'était point miséricordieux. Il avait envoyé une créature pour me mener à ma damnation éternelle. Ce que je ne savais pas alors, c'est que cette condamnation se ferait sur Terre, parmi les mortels, et qu'elle noircirait encore davantage mon âme.

Les sensations me revinrent, petit à petit. D'abord, le sifflement poussif de ma respiration. Puis, cette douleur lancinante que se diffusait dans chaque cellule de mon corps. Enfin, le goût de sang dans ma bouche. Je soupirai, lâchai un râle de douleur. J'avais terriblement mal. Tous mes muscles étaient tétanisés. Quelqu'un m'attrapa alors par les cheveux et tira ma tête en arrière. J'avais beau lutté pour les ouvrir, mes paupières demeuraient obstinément closes.

- Repose-toi encore un peu, mon ange, susurra une voix mielleuse à mon oreille. J'ai besoin que tu récupères tout à fait pour pouvoir assouvir mon appétit.

Mon sang se glaça. Je ne voulais pas. J'avais peur. Je tentais de me débattre vainement. La morsure du métal sur mes poignets me tira un autre cri de souffrance. Une main caressa mes cheveux, tendrement.

- Inutile de t'abimer davantage. Je t'ai solidement attaché. Tu ne pourras pas t'enfuir.

Je voulus pousser un hurlement, cracher ma rage. Mais mon corps me faisait défaut. Je ne pus qu'expulser une plainte, pâle reflet de mon état d'esprit. Me voilà condamné à un éternel supplice, aux mains d'une créature au visage angélique. Elle m'avait berné, comme j'avais fourvoyé tant de fois les femmes. Dieu avait un sens de l'humour particulièrement tordu.

Il me fallut plusieurs heures pour pouvoir enfin ouvrir les yeux. Tout était encore flou. Mélange informe de pierres sombres. Un cachot sans doute. Lentement, ma vue devint plus claire. Je pus constater alors que mon châtiment était loin d'être fini. Non seulement je n'étais pas mort, mais la créature était encore là. Assise en tailleur, en train de m'observer, un sourire machiavélique sur les lèvres. La panique commença à enserrer ma gorge, mais je la refreinai. Il me fallait garder l'esprit vif. Il me fallait comprendre.

- Pourquoi ? soufflai-je d'une voix éraillée.

Hella se pencha vers moi pour planter son regard dans le mien. Le bleu parfait de ses yeux se teinta d'un violet profond.

- Pourquoi es-tu encore en vie ? Parce que j'ai la fâcheuse tendance à jouer avec la nourriture. Et Parce que tu me plais. Le goût de ton sang me plait.

- Mais quel genre de créature êtes-vous donc ?

- On nous a donné de nombreux noms mais qu'importe ce que je suis. Cela ne changera en rien ton destin.

- Qu'allez-vous faire de moi ?

La créature se mit à quatre pattes et se dirigea vers moi, tel un félin parti à la chasse. Tout son être transpira la malveillance. Ma respiration accéléra au fur et à mesure qu'elle se rapprochait.

- Je vais continuer à me nourrir de toi. Encore et encore. Jusqu'à l'agonie. Ton agonie. Et là, je déciderais ce que je ferais de toi.

Ses mots bloquèrent dans ma gorge toute protestation. La panique envahit mon esprit. J'allais vivre l'enfer sur Terre, avant d'être plongé dans les noirceurs de la Géhenne pour l'éternité. Son regard me pénétra, pétrifia mon corps et mon âme. Lentement, elle s'avança entre mes jambes, frôla du bout des doigts la peau nue de mon torse.

- Inutile d'avoir peur. Ce qui t'attend n'est que pure extase. Tu me laisseras faire. Tu aimeras ça. Et tu en redemanderas.

Hella s'assit sur moi. Je me reculai contre la paroi. Ses mains s'insinuèrent sous ma chemise. J'avais la nausée. Sa langue glissa sur ma clavicule. Je retins un haut-le-cœur. Son corps se plaqua contre le mien. Ses seins s'écrasèrent contre ma poitrine. Son souffle glacé me fit frissonner. Lentement, sa bouche remonta sur ma gorge. Mon esprit me hurlait de bouger, mais je demeurais inerte, complètement paralysé.

Ses lèvres caressaient. Ses dents mordillaient. Sa langue léchait chaque centimètre de peau. Sa voix se fit rauque. Elle ondulait des hanches. Et malgré moi, mon corps répondit à son appel. Sentant ma réaction charnelle, Hella rit et continua de se frotter à moi de plus belle. J'eus envie de mourir. Je me sentis trahi, humilié. C'est alors qu'elle me mordit. Avec la même avidité que la première fois. J'enrayai un cri de panique, tentai de me débattre. Sans succès. Comprenant qu'il n'y avait rien à faire, j'arrêtai de lutter. J'étais voué à mourir. Il me fallait l'accepter.

Alors que je commençai à me détendre, je sentis une euphorie nouvelle me cueillir. Plus la créature buvait mon sang, plus je me sentais enivré. Non pas comme l'alcool, mais bien pire. Je me sentais partir, flotter. Me fondre dans le néant. Je ne ressentais plus rien, à part cette extase immense. Une ivresse douce, infinie. Le vide ne me fit plus peur. L'enfer me sembla soudain acceptable. Si tel était mon châtiment, j'en voulais encore et encore.

Lorsque je m'éveillai de cet état second, j'étais toujours lié. Ma chemise, à moitié déchirée, était couverte de sang. Mes souvenirs refluèrent aussitôt. Une nausée m'envahit et je déversais sur le sol toute la bile que contenait mon ventre. Je me faisais horreur. Je me dégoûtais. Comment avais-je pu laisser ce démon boire mon sang une nouvelle fois ? Et surtout, pourquoi mon corps avait-il réagi ? Pourquoi s'était-il laissé berné une nouvelle fois ? j'étais un être faible. Mon esprit était corrompu et Hella en tirait parti.

Elle revint à la charge encore et encore. Et je la laissai faire. Encore et encore. Je prenais même du plaisir à ce qu'elle me torture de la sorte. Si bien qu'elle me libéra. J'étais devenu son obligé. J'étais devenu dépendant de son bon vouloir. Mais plus le temps passait, plus je m'affaiblissais. Bientôt, je ne fus plus capable de me tenir debout. Bientôt, je ne fus plus capable de lever les yeux vers elle.

Ce jour-là, je sus que c'était le dernier jour de mon existence. Quand elle franchit la porte, je ne bougeai pas. Elle se pencha vers moi et me sourit avec tendresse.

- Aujourd'hui tu vas mourir. Mais je te laisse le choix. Tu peux mourir et rester à mes côtés pour l'éternité, ou te retrouver dans les flammes de l'enfer.

Pourmon plus grand malheur, je choisis l'éternité. Alors que je rendais mon derniersouffle, Hella me tendit son poignet ensanglanté et me chuchota un« bois » à peine audible. Son sang franchit la barrière de meslèvres, s'insinua dans ma gorge, s'infiltra dans tout mon corps. La douleur futterrible, intense. Je convulsai, j'écumai. J'eus l'impression qu'un brasiergéant avaient pris possession de mes entrailles. Durant de longues minutes, moncalvaire se prolongea. Je me tordis de douleur, incapable de parler. Enfin,épuisé, je sombrai, dans le néant. 

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