25 juin 1565


Cela faisait un mois qu'Elisabeth occupait mes jours. Un mois où elle s'offrait sans retenue. La jeune vierge était devenue une amante aguerrie. Nous avions abandonné les entraves, si ce n'est lors de nos étreintes fiévreuses. Elle ne cherchait pas à fuir, satisfaite de partager ma couche et mes conversations. Ce soir, je l'observais encore. Epuisée par mes assauts répétés, elle s'était endormie. Mes yeux se délectaient de la courbe de son bassin. De la douce vallée de sa taille. De l'arrondi de son épaule. Au clair de lune, sa peau blanche était encore plus lumineuse. Seules les marques rougies laissées par mes mains dénotaient. J'aurais aimé laisser vagabonder mes doigts mais je devais me raisonner. Je lui en demandais déjà beaucoup. Et elle acceptait toujours, quel que soit l'appétit que je voulais satisfaire.

Pourtant, ce n'était point suffisant. Mon âme pécheresse réclamait sa part de perdition. Elle avait besoin de s'égarer dans un tourment de passions bien plus malsaines. Chaque nuit, je la quittai pour trouver refuge auprès de la maîtresse de maison. Hella continuait de me séduire, comme la flamme de la bougie attire inexorablement le papillon de nuit. Son aura lugubre me tentait, m'aveuglait. A chacune de mes visites nocturnes, son sourire de satisfaction me frappait au cœur, mettant en exergue ma faiblesse.

 Pourtant, je revenais, encore et encore. Je ne pouvais lutter. Hella était un délicieux professeur. Son enseignement égarait mon esprit dans l'ivresse des sens, chaque fois un peu plus. Par elle, je découvrais ce que mon corps recelait comme mystères et voluptés inavouables. J'appris à donner du plaisir, à le retenir, à l'en priver pour mieux le faire exploser tel un torrent de feu liquide qui vous consume corps et âme.

Ce soir encore, j'abandonnai Elisabeth dans les bras de Morphée. Qu'il la berce et veille sur elle, tandis que j'allais me perdre dans ceux d'une autre. Sans un bruit, je quittai la chambre, fermant à double tour derrière moi. Tel une ombre, je glissai dans les couloirs pour rejoindre ma maîtresse. Hella m'attendait allongée sur son lit, avec pour seul habit une plume d'autruche fichée dans son chignon et un éventail.

- Entre donc, Achille. Elisabeth s'est enfin endormie ?

Hella prenait toujours un malin plaisir à me rappeler ma traîtrise. Elle en riait même parfois, me demandant ce qu'une petite vierge pouvait bien m'offrir pour être encore en vie. Je ne lui répondais pas car c'était inutile. J'avais vite compris qu'elle n'en avait pas besoin. Hella savait lire les âmes. Elle devinait vos plus lourds secrets, vos pensées les plus viles. Elle était capable de les retourner contre vous, pour vous mettre au supplice, jour après jour.

Avant même que je ne le comprenne, elle avait su que je m'étais naïvement attaché à Elisabeth. Elle en jouait pour me rabaisser et garder son emprise sur moi. Je ne voulais affronter l'horrible vérité. Celle où j'allais devoir choisir par quelle mort je la ferais succomber.

- Approche donc.

Refusant d'obéir à son ordre, je restai prostré, appuyé contre la porte. Mon corps me hurlait de me jeter à ses pieds, de les embrasser, de les lécher. Mais mon esprit tentait une énième bravade.

- Tu sais que j'aime te voir résister. Ma victoire n'en sera que meilleure.

- Et si pour une fois je ne venais pas. Et si pour une fois j'étais là simplement te dire que j'en avais assez.

Hella se mit à rire à gorge déployée.

- Ne sois pas sot, Achille. Toi et moi sommes liés par le sang. Tu m'appartiens, que tu le veuilles ou non. Je t'ai créé. Tu me dois obéissance.

Mes muscles se tendirent à ces paroles. J'avais beau lutté, sa voix suffisait à réduire à néant ma résistance. Je me maudissais. Je maudissais ma faiblesse, mes pulsions. Hella descendit du lit et vint à ma rencontre. Je n'osais la regarder, de peur que ma volonté ne s'étiole.

- Pourquoi tentes-tu de me fuir, Achille ? Est-ce à cause de ton orgueil blessé ou est-ce à cause d'elle ?

Aucune réponse claire ne me parvint. Je ne voulais pas qu'elle puisse avoir un tel pouvoir sur moi. J'étais certes atteint dans ma fierté masculine, mais pas seulement. Je m'en voulais pour Elisabeth. Je m'en voulais de la tromper chaque nuit. Je m'en voulais de l'avoir attiré dans ce monde obscur.

Hella posa les mains sur moi et mon corps frissonna. Ses doigts remontèrent jusqu'à mes épaules, caressèrent amoureusement ma nuque. Ils me tirèrent vers elle et m'obligèrent à croiser son regard bleu azur, qui me transperça aussitôt l'âme. Sans que je puisse me rebeller, mes jambes cédèrent et je me retrouvai agenouillé devant elle. Ses mains s'enfouirent dans ma chevelure, tirant, cajolant. Mes lèvres me piquaient, sentant sa poitrine si proche. Mes poings serrés me faisaient souffrir. Son souffle glacé me brûlait la peau. Je le refusais si fort, mais le désirais si ardemment.

Puis soudain, le vide. Hella s'était reculée, emportant tout avec elle. Mon désir, ma résistance, mon âme, mes sens.

- Va. Ce soir, je ne peux rien pour toi.

Je restai un instant, interdit. Elle me repoussait. Après m'avoir tenté, elle ne voulait plus de moi. Pour la première fois, je ne savais comment réagir. Je tendis malgré moi la main vers elle. Elle fit un autre pas en arrière. Le message était limpide. J'avais envie de hurler ma frustration. J'avais envie de tout briser, de lui faire du mal. Mais je n'en fis rien. Hella gagnait encore une fois. Elle me bannissait.

Etait-ce par jalousie ? Etait-ce par vanité ? Je lui avais résisté une fois de trop. Ou peut-être jouait-elle à un nouveau jeu dont j'étais le pion et la récompense malgré moi. Peu importait. J'étais perdu entre l'envie de m'avilir une nouvelle fois pour elle, et celle de partir. Par orgueil, je choisis la deuxième option. Avec rage, je claquais la porte derrière moi, je rejoignais ma chambre et m'y engouffrais.

Elisabeth dormait toujours paisiblement. Mon sang bouillonnait. Je suffoquais. Ce besoin de la posséder, de participer à ses jeux malsains. Hella me rendait fou, complètement fou. Un instant, je pensais réveiller Elisabeth et la prendre de force. Juste pour ne plus avoir cette hargne qui me vrillait les entrailles. Mais je résistais. Elle ne pouvait pas payer pour ce que j'avais fait. Pour ce que j'étais. Pourquoi Hella ? Pourquoi m'infliger une telle torture ? Je m'effondrai contre la porte en chêne, prenant ma tête entre mes mains.

Mes yeux se mirent à picoter. Ma gorge se serra. J'avais envie de pleurer comme une nfant car je commençai à comprendre. Elle me posait un ultimatum. Elisabeth ou elle. L'innocence ou la perversion. Le bien ou le mal. Il était temps que je choisisse. Il était temps d'être pleinement ce que je suis, ou renoncer et mourir.

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