15 avril 1563
Le venin de vampires est une drogue très puissante. Elle vous rend accro dès la première morsure. Elle annihile toute résistance, toute volonté de lutter. Elle vous transporte dans un état second de béatitude, qui vous fait oublier ce qui est en train de vous arriver. Qu'une créature démoniaque est en train de se nourrir de votre sang, de votre âme. Nous autres, vampires, aimons en effet nous sustenter de vos pêchés. Le sang n'en est que le véhicule. Plus votre âme est noire, plus votre sang est délicieux. C'est pourquoi certains vampires aiment prolonger votre agonie. Hella en est le parfait exemple.
Hella m'avait maintenu en vie pendant dix jours. Dix longues journées, où mon quotidien était fait d'illusions, de voluptés irréelles. Plus elle se nourrissait, plus j'en redemandais. Une dépendance, un cercle vicieux qui me conduisit à ma perte. A ma mort. Elle fut rapide, sans souffrance. Comme si je m'évanouissais dans le néant. Ce n'est que lorsque le sang d'Hella se déversa dans mes entrailles, que mon calvaire débuta. Si le venin était délicieux pour un humain en pleine santé, il était un poison pour un mourant. Il me consuma de l'intérieur. Ma gorge, puis mes entrailles. Il détruisait tout, anéantissant la moindre parcelle de vie. Mon corps se tordait, sous l'effet des supplices qu'il subissait. Un avant-goût de ce qui m'attendait aux Enfers, je suppose. Je finis par m'évanouir, terrassé par la douleur.
Quand je me réveillai, les flammes infernales avaient asséché mon palais. J'avais soif. Terriblement soif. Je me redressai lentement, ma tête semblant vouloir exploser. La lumière, le bruit, tout m'était insupportable. Le pire fut le cliquetis du verrou qui s'ouvrit. Je plaquai mes deux mains sur les oreilles, une grimace déformant mon visage. Hella fit alors son apparition, accompagnée d'une jeune fille. Cette dernière avait les mains liées et semblait complètement perdue. Hella la poussa au sol, sans ménagement.
- Tu es enfin réveillé, mon ange ! Devine ce que je t'ai rapporté ?
Un sourire de satisfaction s'étala sur son visage. Elle se pencha vers moi, dégagea l'une de mes mains et chuchota.
- Je l'ai ramassée dans les bas-fonds de la ville. Elle était seule. Sûrement une orpheline, elle ne manquera à personne. Le repas est servi, régale-toi !
Je ne l'écoutai déjà plus, obnubilé par une pulsation qui envahissait mon cerveau. Plus rien ne comptait si ce n'est ce bruit régulier, hypnotique. Je me levai et me rapprochai lentement de la fille. Elle recula jusqu'au mur, affolée.
- Monseigneur, je vous en prie. Ne me faites pas de mal.
Je voyais ses lèvres bouger, devinai ce qu'elle disait, mais les mots ne m'atteignaient pas. Seul son cou gracile avait toute mon attention. Je m'accroupis devant elle. Elle se débattit avec force, mais je réussis à la maintenir contre la pierre glacée. Elle cria, me semble-t-il, quand d'un geste vif, je déchirai son corsage. Sa poitrine menue était mise à nue. Fusse un temps j'aurais englouti avec plaisir son téton rosé, mais ce jour-là, ce n'était pas ce qui m'intéressait. La pulsation devint plus forte, plus rapide. Ce fut là que je le perçus. Le sang. A travers sa peau. Chaque veine, chaque tracé bleuté attirait mon regard, attisait mon appétit.
Avec lenteur, je me penchais sur elle, respirant son parfum. Un parfum suave. Ce n'est que bien plus tard que je compris que c'était celui de la peur. Ma langue caressa sa peau d'ivoire. Elle sanglotait, mais je n'en avais cure. Mes lèvres frôlèrent son épiderme. Une douleur soudaine transperça ma gencive supérieure. Mes canines se mirent à grandir. Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent et elle poussa un cri suraigu. Son hurlement vrilla mes tympans. La douleur vive m'incita à calmer au plus vite ma faim. D'un geste brusque, je perforais son cou. Sa plainte s'étouffa aussitôt.
Le sang s'écoula lentement entre mes lèvres. Je soupirai de plaisir quand il atteignit ma gorge enflammée. J'aspirai, j'avalai, je dégustai. Le liquide vital me remplissait d'une douce chaleur. Il calma cette soif que je croyais inextinguible. Doucement, le corps entre mes bras se fit plus lourd. Ses bras retombèrent, sa tête pencha sur le côté. Et je continuai. Son torse s'affaissa, sa respiration s'amenuisa jusqu'à n'être plus qu'un léger souffle. Mais je continuai. Les battements de son cœur ralentirent.
Quand je fus enfin repu, c'était comme si la vie coulait de nouveau dans mes veines. Je me sentais fort, plein de vigueur, presque euphorique. Je m'assis sur mes pieds et poussa un soupir de satisfaction. J'avais presque envie de rire, tellement je me sentais bien. Je baissai alors les yeux et croisai son regard.
Mon sang se glaça instantanément. Ses yeux grands ouverts reflétaient la mort. La panique me prit à la gorge. Je passais la main sur mon visage. Il était couvert de sang. De son sang. Je l'avais tué. La pulsation qui m'obsédait quelques secondes plus tôt avait disparu. Son âme était partie. Il ne restait plus qu'une enveloppe de chair, avachie sur le sol. Un haut-le-cœur me secoua les entrailles, mais rien ne sortit. Je reculais, fuyant l'horreur du spectacle. Mon dos heurta avec violence le pied de la table.
Hella apparut alors et se pencha sur le cadavre. Elle poussa un soupir d'exaspération.
- Tu aurais pu m'en laisser un peu !
Elle se redressa, posa ses mains sur ses hanches, tout en continuant à observer la pauvre enfant que je venais de massacrer.
- On la balancera dans le fleuve tout à l'heure. Le courant et les poissons se chargeront du reste.
J'étais horrifié. Par ce que j'avais fait, mais aussi par le détachement dont elle faisait preuve. Hella se tourna alors vers moi et fit une moue en se rapprochant.
- Oh mon pauvre petit ! Il ne faut pas te mettre dans un état pareil !
Elle passa une main sur mon visage, récoltant des larmes que je n'avais même pas senti couler. Puis elle me tira vers elle et colla ma tête sur sa poitrine, avant de caresser tendrement mes cheveux.
- C'est dans l'ordre des choses. Il faudra t'y habituer. Nous nous nourrissons du sang des hommes. Il en va de notre survie. Grâce à eux, nous continuons d'exister tandis que les autres créatures terrestres dépérissent et meurent.
Ses gestes, au lieu de me rassurer, me rendaient encore plus malade. Je n'avais pas été un saint durant ma vie, mais jamais je n'avais tué, ni même blesser quelqu'un. Qu'étais-je en train de devenir ? Mes mains ensanglantées tremblaient. Mes larmes coulaient sans que je puisse les arrêter. Je me dégoûtais. J'étais un monstre. Mon âme se déchirait. Satan l'avait fait sienne au moment même où j'avais accepté le pacte d'Hella.
Madescente en enfer débutait. Elle allait être longue et douloureuse. Parseméed'épreuves, de quelques éclaircies, mais surtout de noirceur.
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