Chapitre 4 : Le porte clé


Le Pandémonium semblait se situer à des milliers de kilomètres de là, et pourtant Magnus termina sa course effrénée en l'atteignant à peine quelques minutes après s'être enfui de cette ruelle où il avait croisé l'homme qui ressemblait tant à son Alexander disparu. Déverrouillant inconsciemment la porte de l'entrée des artistes avec sa magie, le Grand Sorcier de Brooklyn traversa la salle au pas de course, les larmes ravageant son visage à la peau caramel et le cœur au bord des lèvres. Il se dirigea jusqu'aux toilettes et s'y enferma en claquant la porte, ne maîtrisant plus aucun de ses gestes. Ses mains tremblaient et ses jambes flageolantes menaçaient de céder à tout instant. Les larmes lui brouillaient la vue et ses sanglots déchiraient sa gorge alors le tourbillon de souvenirs et de pensées qui l'assaillait lui donnait la nausée. Titubant jusqu'à l'un des lavabos, l'immortel s'appuya dessus et s'aspergea les mains, les avants-bras, le cou et le visage d'eau fraîche pour essayer de réguler la chaleur montante provoquée par le stress qui lui donnait la désagréable impression de se trouver en plein milieu d'un sauna. Alors qu'il prenait appuie sur le rebord de la faillance du lavabo, l'immortel laissa échapper un sanglot douloureux, suivit d'un autre, et d'un suivant encore après lui. Bientôt, le sorcier aux yeux dorés de chat se retrouva les épaules trésautantes, les larmes ruisselant sur ses joues, et le corps secoué par la force des émotions contradictoires qu'il ressentait. Des centaines de questions sans réponses tournaient à vide dans son esprit, l'empêchant de penser correctement et se disputant la première place dans son cœur. La guerre entre réalité et illusion, entre espoir et déchéance, se faisait violente et ravageuse dans son âme. Alec s'était trouvé là, vivant, devant lui. Il lui avait parlé. Sa voix n'avait pas changé, comme le refrain d'une chanson qui vous revient subitement en mémoire et vous transporte dans un nouveau monde empli de douce nostalgie. Mais le doute subsistait encore : était-ce réellement arrivé ? Avait-il été réellement là ? Ou alors cet homme n'était-il qu'une pâle imitation de son époux, un inconnu parmi tant d'autres qui lui ressemblait simplement ? Magnus ne put retenir un gémissement confus et désespéré à cette simple hypothèse et il ne put s'empêcher de sursauter violemment lorsque quelques coups furent frappés à la porte.

- Magnus ? Appela la voix inquiète de Ragnor de l'autre côté du montant. Ouvre-moi, s'il te plait. Je t'ai vu débouler comme si tu avais Edom a tes trousses et tu t'es enfermé sans un mot...Magnus, ne m'oblige pas à utiliser ma magie.

Reniflant piteusement comme un petit garçon, le Grand Sorcier de Brooklyn déverrouilla la porte et laissa son père entrer en trombe pour s'assurer qu'il allait bien. Pourtant, lorsque l'immortel à la peau verte vit l'état catastrophé et perdu de son fils, il ne put que le prendre dans ses bras comme lorsqu'il était enfant. Dans des gestes précautionneux, Ragnor guida son cadet jusqu'à la salle principal et l'installa sur l'un des tabourets du bar en caressant ses épis sombres pour l'apaiser. Magnus, soupirant autant de soulagement que de peine, nicha son visage dans les longs cheveux blanc de son aîné qui continua de le bercer contre lui comme si de rien était. Lorsque le plus vieux lui demanda ce qu'il lui était arrivé, le descendant d'Asmodée sanglota en bredouillant quelques paroles incompréhensibles sur le déroulement des événements que Ragnor tenta de déchiffrer et de comprendre tant bien que mal. Pourtant, au bout du compte, l'Indonésien arrive à se calmer, lentement mais sûrement, et à reprendre le cours de son histoire avec plus de clarté et de détail, en commençant par le souvenir qui lui était revenu en mémoire jusqu'à sa fuite précipitée lorsque la panique de la situation avait finit par le rattraper. L'ancien Grand Sorcier de Londres écouta attentivement sans mot dire, digérant chaque information sans laisser transparaître une quelconque réaction. Pourtant, Magnus savait que ce n'était pas parce qu'il ne le croyait pas, au contraire, il se laissait juste le temps de choisir ses mots avec soin pour lui faire part de son avis. Ce qu'il fit, justement, après quelques minutes de silence.

- S'il t'a réellement bousculé, ce n'est ni une énergie souvenir, ni un fantôme, affirma le sorcier cornus. Pour autant, ça ne veut pas dire qu'il s'agit véritablement d'Alec, il peut tout aussi bien s'agir de n'importe qui ayant des traits similaires ou même d'un charme. Peut-être que quelqu'un essaie de te faire du mal en utilisant le souvenir d'Alec. D'autant plus que c'est le cinquantième anniversaire de sa mort cette année.

- Personne n'aurait d'intérêt à faire ça, contra Magnus en secouant la tête, séchant ses larmes pour se servir un verre de whisky et se remettre de ses émotions. Et je n'ai pas senti d'énergie démoniaque sur le moment, ce n'est pas un change forme et il n'y a aucune nécromancie là dessous...Papa, c'était lui, il faut que tu me crois...Je t'en prie, tu dois me croire, c'était Alexander...Mon Alexander...

Le britannique soupira doucement avant de plonger ses yeux noisettes dans ceux, dorés, de son cadet, avant d'acquiescer avec lenteur, signe qu'il acceptait de le croire. L'asiatique poussa un profond soupir de soulagement et lui accorda un petit sourire triste en finissant son verre d'alcool avec une petite grimace. Secouant la tête pour se remettre les idées en place, le plus jeune demanda à son père ce qu'ils allaient faire, maintenant qu'ils avaient la possible certitude qu'Alec était revenu, par une quelconque manière. Ils discutèrent tous deux un long moment, avant de se décider à chercher sa piste dès le lendemain avec une rune de traçage. Magnus accepta, à la seule condition de ne rien dire à Max et à Rafael, du moins le temps qu'ils puissent faire la lumière sur le possible providentiel retour du noiraud parmi eux. Une fois leurs violon accordés, père et fils se mirent au travail pour préparer l'ouverture du club le soir même. Après tout, les caisses d'alcool n'allaient pas se ranger d'elles même et même s'ils usaient de leurs magies respectives pour aller plus vite, tous deux appréciaient de pouvoir travailler en bavardant comme autrefois. Surtout qu'avec les récents chamboulements, ils en avaient plus que besoin. Ragnor et Magnus trièrent donc les différentes caisses d'alcool pour type de boissons et le plus vieux s'en alla ouvrir la réserve pour tout y stocker. Ils avaient fait en sorte, notamment pour éviter les vols et les effractions de Créatures Obscures éméchées, de ne jamais l'ouvrir à l'aide de la magie. Or, le sorcier cornus réalisa qu'il avait oublié son double des clés chez lui. Il se retourna pour demander son exemplaire à Magnus qui fouilla ses poches avant de se figer.

- Je...Je ne l'ai pas...Je ne comprends pas, je l'avais pourtant en quittant la maison ce midi ! Oh non, elle a dû tomber pendant que je revenais ici...

- Sans clé, on ne va pas s'en sortir. Je vais aller chercher mon trousseau chez moi, et on changera les serrures en priant pour que personne ne vienne voler la réserve jusqu'à demain. Attends- moi ici et commence à vérifier qu'on a rien oublier d'autre pour ce soir, je reviens vite.

- D'accord, à tout de...., commença-t-il avant de se faire interrompre par plusieurs coups portés à l'entrée principale du club, celle réservée au public,...suite.

- Qu'est-ce que c'est, encore ? Râla gentiment Ragnor en s'y dirigeant.

L'immortel à la peau verte ouvrit à leur visiteur imprévu et sentit un immense vertige le prendre de court. Il du se retenir à la poignée alors que ses yeux restaient figés sur l'homme face à lui. Une peau de lait parfaite, ses cheveux noirs mi-long attachés en queue de cheval et toujours ses grands yeux bleus cobalts qui semblaient détailler le monde avec compassion et curiosité, sans jugement et avec toute l'acceptance et toute la compréhension possible. Alec. Ragnor déglutit difficilement et ne put empêcher ses larmes de noyer ses yeux noisettes. Il les combattit avec véhémence en essayant de ne rien laisser paraître et se força à afficher un sourire de convenance alors qu'il se réfréner de toutes ses forces pour ne pas porter ses mains au visage du noiraud et lui palper les joues pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Face à lui, Alec, ou tout du moins l'homme qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau, lui sourit gentiment et même avec une certaine hésitation dans le regard.

- Bonjour, je suis vraiment désolé de vous déranger mais je crois que vous avez perdu ça, s'amusa-t-il quelque peu en lui tendant une unique clé accrochée à un porte clé rouge où était inscrit Pandémonium en lettres noires incurvées. J'ai bousculé quelqu'un tout à l'heure qui est parti dans cette direction et...Enfin j'ai cru bon de vous le ramener.

- ...Très gentil..., arriva à articuler Ragnor par il ne savait quel miracle. Vous...Vous êtes...

- Matt, sourit le noiraud alors que son vis à vis récupérait la clé. Matthew, en fait, mais tout le monde m'appelle Matt.

- Je vois. Matt...Entrez, je vous en prie, l'invita-t-il en s'écartant pour le laisser passer.

Le plus jeune sembla un instant surpris avant de pénétrer avec curiosité dans le club. Il sembla s'émerveiller de l'espace immense que l'endroit représentait et Magnus, encore assis sur son tabouret de bar, se figea en voyant son époux entrer dans son club. Avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche ou avoir la moindre réaction, Ragnor se dirigea vers lui en parlant un peu plus fort que d'habitude et avec insistance.

- Magnus, voici Matt...Il est gentiment venu rapporter les clés de la réserve.

- Matt...répéta l'Indonésien sous le choc. Enchanté...

- Ravis ! Oh mais c'est vous que j'ai bousculé ! Je suis vraiment désolé, je devais me rendre autre part et en faisant demi-tour je ne vous avez pas vu...Vous n'avez rien au moins ? Vous êtes partis tellement vite, j'ai cru vous avoir blessé...

- Je...Non ça va, je...J'avais oublié que je devais venir préparer le club, bredouilla Magnus qui ne savait pas d'où lui venait la force d'aligner un mot après l'autre. Ça n'avait rien de personnel...Je m'appelle Magnus...Magnus Lightwood-Bane-Fell...

- Matthew Rey, mais je préfère Matt.

- Pourquoi se contenter de Matt quand Matthew est si beau..., chuchota l'Indonésien en se souvenant d'avoir dit la même chose à son amant dans leurs jeunes années.

Face à lui, le plus jeune gloussa mais accepta de se faire appeler par son nom complet. Magnus aperçut au loins son père, débordant d'émotion, quitter discrètement le Pandémonium en lui accordant un clin d'œil complice, laissant les deux hommes entre eux et peut-être même la magie opérer entre eux. Matt explora la salle et quelques mèches de ses cheveux mi-long lui tombèrent devant les yeux et sur les joues, et l'asiatique se surprit à penser qu'il serait magnifique avec de la neige tombant autour de lui. Malheureusement, ce fut ce qui se produisit au même moment. Parfois, le sorcier perdait le contrôle, chaque fois lorsque ses souvenirs et émotions concernant Alec prenaient le dessus, ce qui était le cas actuellement. Il lâcha un cri de stupeur et Matt leva simplement les yeux au ciel pour s'émerveiller de la neige qui lui tombait dessus. L'Indonésien sentit son sang le quitter lorsqu'il réalisa que le noiraud pouvait effectivement voir les effets de sa magie.

- Je...Je suis désolé je...

- Oh ce n'est rien, le rassura son cadet en revenant s'installer à ses côtés. J'ai déjà vu pire que ça.

- Mais tu peux..., commença Magnus sans être sûr de comprendre.

- J'ai la Seconde Vue, expliqua Matt en haussant les épaules. Je ne l'ai pas perdu en grandissant. Je suis un...un Terrestre, c'est ça le terme ? Alors quand je vous ai vu me suivre, j'ai cru que j'allais avoir des problèmes. Mais en fait non. Pourquoi m'avoir suivi d'ailleurs ?

L'asiatique, qui venait de nouveau perdre l'usage de la parole, déglutit difficilement en secouant la tête. Heureusement, Matt ne sembla pas s'en formaliser et continua sur sa lancée, expliquant qu'il n'était jamais venu au Pandémonium de jour, juste une seule fois, le soir de ses vingt et un an, avec famille et amis, mais Magnus n'écoutait déjà plus. Le descendant d'Asmodée était concentré sur les traits fins du plus jeune, identique à ceux d'Alec mais avec, tout de même, quelques différences, subtiles mais bien présentes. Il pouvait noter, déjà, l'absence de runes dans son cou et sur ses bras, ainsi que sa peau complètement vierge de cicatrices de ses combats passés. Même ses mains n'avaient plus cet aspect calleux et pourtant réconfortant qu'il avait obtenu au fil des ans à force de tirer à l'arc, jour après jour. Il était Alec, sans tout ce qui faisait de lui son précieux Chasseur d'Ombre. Il était Matt, rien de plus. Et pourtant c'était la meilleure chose qui ait pu leur arriver à tous deux. Le silence entre eux revint peu à peu et une certaine gêne creusa un fossé déjà existant. Matt patienta encore quelques minutes avant de soupirer en se relevant.

- Bon, et bien...Je pense que je vais y aller, je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité et puis vous devez avoir du boulot alors je...

- Reste..., supplia Magnus dans un souffle en posant une main baguée sur celle, parfaite, de son cadet. S'il te plait...

Envolé le premier vouvoiement de convenance, l'immortel transpirait la crainte de voir le noiraud disparaître de nouveau de sa vie. Et puis, après tout, Ragnor n'était pas encore revenu. Matt sourit encore en hochant la tête.

- D'accord je reste...Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Demanda-t-il avec un clin d'oeil qui fit fondre quelque peu Magnus qui avait l'impression d'être dans un rêve.

- J'ai une idée, assura le plus vieux en tendant sa main vers lui. Tu vas adorer.




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