Chapitre 8

Ça va ?

Je m'inquiète beaucoup pour toi.

Holy...

Réponds s'il te plaît.

Adrian regarda son téléphone pour la millionième fois de la soirée. Mais Holy n'avait toujours pas répondu à ses messages. Il se mordit la lèvre, dépité et terriblement inquiet pour son ami. Le geste lui arracha cependant une grimace de douleur. Une bonne partie de son visage n'était que souffrance malgré la glace et la pommade qu'il avait appliquées dessus un peu plus tôt.

— Adrian, faut que tu manges.

Isaïah se planta devant lui, un plateau dans les mains. Adrian leva un regard morose vers son meilleur ami. Son téléphone toujours serré entre ses doigts, il ne se sentait pas la force de se lever du lit et encore moins d'avaler quoi que ce soit. Il fit tout de même des efforts pour se redresser sur son séant, mais n'esquissa aucun geste pour prendre le plateau.

— Merci Isa, mais j'ai pas faim.

— Je sais, mais faut que t'avales un truc. Tu dois prendre des forces pour cicatriser plus vite.

Isaïah posa le plateau sur la table de chevet et s'installa à ses côtés. Il n'ajouta rien, mais Adrian ressentait toute sa rage contenue. Poings et lèvres serrées, son meilleur ami irradiait d'une colère noire.

— Cet espèce de connard... gronda-t-il soudain. Cette fois, ça va trop loin ! Quand ma mère sera revenue de voyage, tu dois tout lui dire, OK ? Tu ne peux pas laisser passer ça !

Adrian secoua aussitôt la tête avec plus de force que nécessaire. Le geste envoya de nouvelles décharges de souffrance dans tout son corps, mais il ne lâcha aucune plainte. Il ne voulait surtout pas impliquer Ethel Scaveau dans toute cette histoire. C'était la numéro 2 de La Nouvelle-Orléans et une avocate au bras très long, mais ferait-elle vraiment le poids face à l'Alpha Suprême ? Adrian ne supportait pas l'idée qu'Isaïah perde, lui aussi, sa mère.

— Ça va aller, OK ? Pas besoin d'impliquer les adultes. Je vais bien.

— Non, ça ne va pas du tout ! s'écria Isaïah avec colère. Ton frère est un putain de malade. Il t'a encore défoncé la gueule juste pour le plaisir, Adrian ! C'est de la violence sur mineur !

— S'il te plaît, Isa. N'en parle pas à ta mère. Promets-moi de ne rien lui dire, s'il te plaît.

Ses yeux se firent suppliants, tandis que son corps tremblait malgré lui. Adrian se sentait lâche et pitoyable, mais il préférait largement supporter la violence d'Anthony au quotidien plutôt que de contrarier l'Alpha. S'il osait mêler la justice à toute cette histoire, son père le tuerait.

Isaïah dut voir la terreur dans ses yeux, car il accepta de lâcher l'affaire. Il souffla cependant un bon coup pour marquer sa rage et sa frustration, avant de planter un regard à la fois furieux et désolé dans celui, désormais en larmes, d'Adrian.

— Je ne sais pas quoi faire d'autre pour t'aider, murmura-t-il avec amertume. Je voudrais tellement t'aider, Ad ! Ça me tue de te voir comme ça. Anthony devrait payer pour tout ce qu'il te fait subir. Et ton père... ton père... les parents sont censés protéger leurs enfants, merde !

Adrian se jeta dans les bras de son ami pour toute réponse. Avec Isaïah, ils n'étaient pas du tout tactiles et encore moins du genre à se faire des câlins, mais ce soir, il avait besoin d'affection et de réconfort. Et Isaïah était la seule personne pour qui il comptait vraiment. Adrian se serra très fort contre lui en reniflant comme un enfant.

— Ça va aller. Je sais pas comment, mais on va trouver un moyen de te sortir de là, OK ? jura son meilleur ami. En attendant, tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux, Ad.

Ce dernier acquiesça. Il se sentait un peu mieux et s'empressa d'essuyer ses joues humides, horriblement gêné par sa petite crise de larmes. Il accepta ensuite de manger, mais la seule chose qu'il réussit à avaler fut le gâteau que Holy avait spécialement préparé pour lui.

Repenser à ce dernier lui pinça aussitôt le cœur. Holy parti, Adrian avait voulu le rattraper, mais il était resté figé sur place comme un imbécile. Il n'avait repris ses esprits qu'au bout de plusieurs minutes ? heures ? Il ne savait plus, mais le soleil était déjà très bas dans le ciel lorsque son corps réussit enfin à bouger. Adrian avait récupéré son gâteau et sa fleur de lune, avant de courir se réfugier chez Isaïah, délaissant Anthony, toujours prostré au sol.

Adrian reprit une bouchée de gâteau. C'était fondant et moelleux. Un peu sucré, mais délicieux.

Holy...

Adrian revit ses grands yeux remplis de détresse avant qu'il ne s'enfuie. Il semblait complètement horrifié par ce qu'il avait fait à Anthony. Et Adrian se sentit mal. Très mal. Il aurait dû agir, faire quelque chose pour le rassurer ! Il aurait dû le remercier et lui dire que... pour lui, il n'avait rien d'un monstre. Qu'au contraire, Adrian n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi doux et gentil, d'aussi magnifique et... et voilà qu'il se mettait de nouveau à délirer !

Ses joues encore douloureuses le chauffèrent aussitôt et Adrian s'empressa de détourner la tête en espérant très fort qu'Isaïah n'ait rien remarqué. Il poussa un petit soupir et vérifia à nouveau ses messages, mais toujours aucun signe de Holy.

Holy...

— Isa ? demanda soudain Adrian, le ton hésitant.

— Ouais ?

— Comment... comment tu sais que... que t'es amoureux de Naomi Hell ? Je veux dire, comment tu peux être sûr que tes sentiments sont réels ? Et que c'est pas à cause d'un envoûtement, de ses pouvoirs magiques... ou je sais pas.

Sa question fut suivie d'un petit moment de flottement. Isaïah le dévisageait désormais avec surprise. Il ne s'attendait clairement pas à un tel changement de sujet. Il ne se fit cependant pas prier pour saisir la perche tendue. L'occasion de cuisiner Adrian était trop belle !

— Ahah ! Il y a vraiment une fille qui te plaît ! s'écria-t-il, ravi. Et c'est une sorcière c'est ça ?

Les pensées d'Adrian dérivèrent aussitôt vers Holy et il rougit comme une tomate bien mûre.

— Non ! Je... Je demande juste comme ça !

— Mais oui, bien sûr ! Et moi je suis un Rougarou (1) !

— N'importe quoi !

Isaïah ricana, ravi de son petit effet et Adrian lui donna un léger coup d'épaule en guise de représailles. Ils échangèrent un regard complice avant de pouffer de rire. L'atmosphère se détendit aussitôt. La preuve : Isaïah prit le temps de savourer sa part de gâteau, bien décidé à le faire mariner un peu. Il s'essuya ensuite méticuleusement la bouche et les mains, rictus aux lèvres.

— Et donc ce délicieux gâteau... c'est ta nana secrète qui l'a préparé ?

Adrian lui flanqua un nouveau coup dans les côtes pour toute réponse.

— Arrête de dire des bêtises et crache le morceau !

— Oh, ça va ! Pour répondre à ta question posée en toute innocence... quand je suis près de Naomi, je me sens tout drôle : en mode papillons dans le ventre et tout le tralala. Le simple fait de la voir ou de penser à elle me rend heureux. Alors ouais, c'est sûrement pareil quand on est sous l'emprise d'un envoûtement, mais je sais que ce que je ressens pour Naomi Hell, c'est vraiment de l'amour. Je le sais ! Me demande pas comment. Mais je le sais, c'est tout.

***

Je le sais, c'est tout.

Les paroles d'Isaïah hantèrent Adrian pendant les jours qui suivirent.

Elles tournaient en boucle dans sa tête, ruinant sa concentration durant les cours. Déjà que toutes ses pensées étaient tournées vers Holy, il n'arrivait plus à rien. Surtout qu'ils ne s'étaient pas revus depuis l'incident avec Anthony. Adrian avait l'impression que Holy l'évitait. Son cœur se serra à cette pensée, mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Son frère était horrible et terrifiant.

Il décida quand même de partir à sa recherche à la fin de la journée. Il avait besoin de lui parler, de s'excuser. Il voulait lui dire... lui dire quoi exactement ? Adrian se sentait bête. Le moral à zéro, il erra comme une âme en peine dans les couloirs du lycée.

Son portable vibra, le sortant de sa léthargie. Adrian y jeta un œil, c'était Ariana. Elle l'appelait sûrement pour prendre de ses nouvelles. Adrian n'était toujours pas rentré chez lui depuis la scène dans les bois. Il n'était pas encore prêt à se retrouver face à Anthony.

Et s'il avait tout raconté à leur père ? Adrian frissonna à cette pensée. Il avait surtout peur pour Holy... qui apparut soudain au détour du couloir. Il se raidit en voyant Adrian, puis fit demi-tour et s'éloigna précipitamment. Oubliant l'appel d'Ariana, Adrian lui courut après.

— Holy, attends !

Ce dernier poursuivit cependant sa course, détalant dans la cour déserte, mais Adrian n'eut aucun mal à le rattraper. Complètement désespéré, il lui saisit le bras.

— S'il te plaît, fit-il, le ton implorant.

Holy stoppa et accepta de lui faire face, il évita cependant son regard. Il paraissait terriblement mal à l'aise, mais Adrian n'en menait également pas large. L'angoisse et la culpabilité l'enserraient en étau. Maintenant que Holy était là, devant lui, il ne savait plus quoi dire ou faire. Ils restèrent plantés l'un face à l'autre sans rien dire. Puis...

— Je suis désolé ! s'écrièrent-ils soudain en même temps.

— Je te jure que je ne voulais pas m'enfuir comme un lâche et te laisser en plan, mais j'ai paniqué... J'avais peur de te faire du mal ! poursuivit Holy d'une petite voix suppliante, au moment où Adrian lui demandait également pardon pour cet horrible après-midi.

— Je suis vraiment désolé pour ce qui s'est passé avec Anthony. Je comprends que tu veuilles plus me voir et me parler après tout ça et je... je respecte totalement ton choix, mais...

— Ce que j'ai fait à ton frère est tout simplement horrible et je m'en veux tellement ! Je suis désolé, Adrian. Tu dois me prendre pour un monstre et tu as raison...

— Non, arrêtes ! le coupa ce dernier en l'attrapant par les épaules. Ne dis plus jamais des conneries pareilles. T'es pas un monstre, Holy ! Pour moi... t'es tout sauf un monstre, OK ?

Holy ne répondit pas, il baissa à nouveau les yeux en se mordant la lèvre. Il semblait vraiment mal. Sans réfléchir, Adrian l'attira dans ses bras et le serra très fort contre lui.

— T'es pas un monstre, Holy, répéta-t-il, la bouche perdue dans ses cheveux tout doux. Tu m'as sauvé la vie. Pour moi, t'es comme un ange et je... je voulais te dire que...

Mais Adrian se tut, perdant soudain le fil de ses pensées. Toute son attention fut happée par le corps de Holy contre le sien, par son odeur florale... Ce dernier avait enfoui son nez dans son cou et sa respiration chatouillait sa peau, ses mains agrippaient son dos. Adrian réalisa soudain cette proximité physique, presque intime entre eux.

Son cœur s'affola et sa bouche devint toute sèche.

Son premier réflexe fut de rompre leur étreinte et de s'enfuir loin, mais au fond, il n'en avait pas envie. Il voulait rester avec Holy. Adrian repensa aux paroles d'Isaïah. Lui aussi se sentait toujours tout drôle quand il était près de Holy, quand ils étaient ensemble. Il se sentait bien. Le simple fait de le voir ou de penser à lui le rendait heureux. Qu'est-ce que cela voulait dire ?

Tu sais très bien ce que ça veut dire !

Sans s'en rendre compte, Adrian s'était écarté de Holy pour pouvoir le regarder, admirer son visage angélique, pour se plonger dans ses grands yeux argentés. Il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, son corps (ou plutôt son cœur ?) avait pris les commandes.

Lentement, timidement, ses mains remontèrent le long des épaules graciles, effleurèrent son cou. Adrian hésita une fraction de seconde, mais Holy attrapa soudain ses poignets. Le regard rivé au sien, il ne dit rien, mais l'attira d'un geste timide, l'invitant à se pencher vers lui. Le cœur d'Adrian battit la chamade alors que leurs lèvres se rapprochaient. Il ferma les yeux...

— Adrian ! Je t'ai cherché partout... Ah !

La voix paniquée d'Isaïah le ramena brutalement à la réalité. Adrian se détacha de Holy d'un geste brusque pour faire face à son meilleur ami. Ce dernier se planta devant eux, la respiration haletante. Les joues cramoisies, Adrian le fusilla du regard. Il se prépara à une avalanche de moqueries, mais Isaïah ne fit aucun commentaire. Il semblait sous le choc, comme s'il venait d'apprendre une très mauvaise nouvelle. Il paraissait également très inquiet.

— Isaïah... qu'est-ce qui se passe ? demanda Adrian, angoissé par son attitude.

— Désolé de vous déranger, mais Ad... Ariana m'a appelé. Tu ne répondais pas au téléphone alors elle... elle m'a appelé. Il est arrivé quelque chose de grave... C'est ton frère... Je suis désolé, vieux. Tellement désolé ! C'est terrible... Anthony... Anthony est mort.


(1) loup-garou devenu sauvage et cannibale, n'ayant plus aucune part humaine 



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