Chapitre 6
Avril 2007, La Nouvelle-Orléans
— Mais non, Ad ! Tu t'en vas déjà ? C'est ton anniversaire aujourd'hui, tu dois rester !
— Désolé Isa, mais faut vraiment que je rentre.
Adrian esquissa une petite grimace contrite face au regard outré d'Isaïah. Ils venaient de passer l'après-midi ensemble et son meilleur ami avait visiblement prévu encore plein d'autres activités. Adrian ressentit une pointe de culpabilité à l'idée de le laisser en plan alors qu'il se mettait en quatre pour son anniversaire.
Mais il devait absolument rejoindre quelqu'un. Comme à chaque fois, son rythme cardiaque s'accéléra en pensant à Holy. Sans même s'en rendre compte, Adrian glissa les doigts dans ses cheveux pour essayer de discipliner sa tignasse rousse.
— Bon, maintenant faut qu'on parle, parce que c'est vraiment louche tout ça !
Isaïah l'attrapa par les épaules et se planta devant lui, l'œil désormais inquisiteur.
— C'est qui ? demanda-t-il de but en blanc. Et pourquoi tu gardes ça secret ?
— Hein ? Mais de quoi tu parles ? balbutia Adrian en essayant de se dérober de sa poigne.
— J'arrive pas à croire que tu vois une fille sans me le dire ! C'est qui ?
Adrian resta complètement bouche bée. Il ne trouva rien à répondre, il ne s'y attendait pas du tout. Son absence de réaction conforta Isaïah dans ses hypothèses ridicules. Il revint aussitôt à la charge. Le connaissant, Adrian savait qu'il n'allait rien lâcher.
— Pourquoi tu m'en a pas parlé ? On est meilleurs potes depuis la crèche. On se dit absolument tout. Tu sais très bien que tu peux me faire confiance, je serais une tombe !
Adrian resta silencieux, toujours incapable de parler. L'envie de détaler sans demander son reste le prit soudain aux tripes. Il ne comprenait pas. Isaïah était son meilleur ami depuis toujours. Son frère. Il lui faisait cent pour cent confiance. Alors pourquoi ne lui avait-il jamais parlé de son coin secret dans les bois ? De son étrange amitié avec Holy Hell ?
Adrian n'y comprenait rien du tout. Il se mordit la lèvre avec embarras, toujours sans répondre. Mauvaise idée, car face à lui, Isaïah se faisait désormais des films tout seul.
— Me dis pas que tu sors en cachette avec Naomi ! s'écria-t-il soudain, les yeux grands ouverts comme des soucoupes. C'est pour ça qu'elle m'envoie tout le temps chier, c'est ça ?
— Non, mais t'es complètement malade ! hurla presque Adrian, horrifié à cette simple idée. Moi et Naomi Hell ? Plutôt mourir que de sortir avec cette morue !
Sa réponse eut le mérite de calmer son meilleur ami. Ce dernier agita toutefois un doigt agacé sous le nez d'un Adrian désormais partagé entre l'irritation et l'amusement.
— De un, arrête de traiter Naomi de morue ! Et de deux, c'est qui ta copine alors ?
— Je sors avec personne, OK ? Je dois juste rentrer chez moi, c'est tout !
— Mmmm , désolé, mais tu me feras pas gober ça, rétorqua Isaïah en croisant les bras, l'air désormais moqueur. Ton petit manège, il dure depuis des mois ! Tu disparais presque toujours à la fin des cours pour aller je ne sais où. Dès que la cloche sonne, t'es le premier parti. Et me dis surtout pas que t'as hâte de rentrer chez toi, parce que je suis pas idiot !
— Pour la millionième fois, j'ai pas de copine, grogna Adrian d'un ton buté. Et maintenant, je dois vraiment y aller. On se texte ce soir. À plus !
Sur ces mots, il attrapa son vélo et grimpa dessus. Son ami n'essaya plus de retenir, mais la moue qu'il affichait ne présageait rien de bon pour Adrian. Toute cette conversation gênante était loin d'être finie. Aussi têtu qu'une mule, Isaïah Scaveau ne lâchait jamais l'affaire.
— Ouais, c'est ça. File vite retrouver ta nana secrète ! lança-t-il bien fort, tandis qu'Adrian s'éloignait en flèche, pressé de rejoindre Holy. T'as des capotes au moins ?
Mais n'importe quoi !
Les joues en feu, Adrian faillit rentrer dans une borne incendie. Il retrouva l'équilibre de justesse et réussit à reprendre sa route sans se casser la figure. Il fit un énorme doigt d'honneur à un Isaïah hilare avant de disparaître au coin de la rue.
***
— Désolé, je suis en retard.
Le front trempé de sueur, Adrian se laissa tomber sur le sol recouvert de vieilles couvertures. Il avait sûrement une tête lamentable, mais toutes ses appréhensions s'envolèrent face au sourire ravi de Holy. Comme d'habitude, il avait rassemblé ses longs cheveux noirs en un chignon hâtif qui dégageait ses traits délicats et offrait une meilleure vue sur ses si jolies fossettes... Cette coiffure lui allait décidément très bien.
— Pas grave. Ça m'a donné un peu plus de temps pour préparer ton cadeau d'anniversaire.
— T'étais pas obligé, protesta Adrian, l'air gêné. C'est juste un jour comme les autres.
— Bien sûr que non, riposta Holy avec véhémence. On n'a pas quatorze ans tous les jours !
Tout en parlant, il saisit un petit carton bleu posé en équilibre précaire sur son sac. Il hésita un instant, l'air soudain très timide, puis le tendit à Adrian d'un geste brusque.
— Tiens ! Je t'ai fait un gâteau.
Adrian resta un instant figé devant le présent. Il ne s'y attendait pas du tout. Il finit cependant par prendre la boîte qu'il ouvrit délicatement, presque avec appréhension. Il y découvrit une petite pâtisserie en forme de loup et dont la tête était recouverte de fleurs multicolores.
— T'étais vraiment pas obligé, murmura-t-il, la gorge soudain nouée.
À part sa mère et Isaïah, personne ne s'était jamais intéressé à son anniversaire. Et maintenant, il y avait Holy Hell. Holy qui avait préparé un gâteau rien que pour lui.
Adrian eut tout à coup envie de pleurer. Il ravala cependant ses larmes, hors de question de faire à nouveau le bébé devant son ami ! Il se mordit la lèvre, puis releva la tête pour croiser son regard anxieux. Il guettait clairement sa réaction, Adrian se sentit rougir.
— Ça te plaît ? Je l'ai fait au chocolat et j'ai utilisé de la pâte à sucre pour la décoration. C'est pas encore tout à fait réussi, le loup a une tête bizarre, mais...
— Non, c'est parfait. Ton gâteau est trop beau, le coupa Adrian en essayant de réprimer le maelstrom d'émotions qui menaçait de le submerger. Merci beaucoup, Holy. Je... À part Isaïah, t'es le seul qui ait pensé à mon anniversaire aujourd'hui. Merci.
— C'est normal, Adrian. On est amis, répondit doucement Holy.
Il esquissa un geste vers lui, comme s'il allait lui prendre la main, mais sembla soudain se raviser. Adrian se sentit tout bizarre lorsque ses bras retombèrent mollement le long de son corps. À la fois déçu et soulagé. Cela faisait des mois que ce genre de sentiments contradictoires se battaient constamment en duel dans sa tête. Depuis qu'ils étaient devenus amis. Avec Holy, ils se voyaient tous les jours après les cours, pour réviser ou faire leurs devoirs ensemble, mais aussi pour s'occuper des fleurs, en planter de nouvelles...
À chaque fois, Adrian aurait voulu que ces instants durent une éternité. Il chérissait chaque petit moment passé avec Holy. Il ne se lasserait jamais de l'écouter parler de tout et de rien, de le regarder étudier, mais surtout lorsqu'il bichonnait les orchidées. Ses jolis yeux argentés s'animaient d'une telle joie ! Adrian était vraiment heureux de pouvoir partager sa passion secrète avec lui. Avec Holy, il se sentait libre. Libre d'être pleinement lui-même.
Isaïah était au courant de son amour pour les fleurs bien sûr, mais Adrian ne s'était jamais étalé sur le sujet avec lui. Il savait que ça ne l'intéressait pas du tout. Planter des fleurs ? Non merci. Mais en offrir des tonnes à Naomi Hell, par contre... Et puis, Isaïah n'avait pas du tout la main verte. Il n'était même pas capable de faire pousser des mauvaises herbes.
Adrian secoua la tête, atterré par les bêtises de son meilleur ami, mais en même temps, une bouffée d'affection l'envahit. Il se promit de se faire pardonner pour aujourd'hui, il était même prêt à l'aider pour trouver le cadeau parfait pour Naomi dont l'anniversaire approchait également à grands pas. Adrian imaginait déjà la torture que serait cette journée, mais Isaïah était vraiment un ami en or et il se devait d'être à la hauteur.
Adrian réprima un soupir et préféra reporter son attention sur Holy et le si joli gâteau qu'il lui avait préparé. Ce dernier se leva pour fureter dans un coin de la tente-cabane. Il se redressa ensuite, cachant quelque chose derrière son dos.
— J'ai un autre cadeau pour toi, annonça-t-il, les joues désormais rose vif. Ferme les yeux !
— Quoi ? Mais non ! T'étais vraiment pas...
— ... obligé, je sais. Mais ça me fait plaisir, je te dis ! Maintenant, ferme les yeux, s'il te plaît.
Adrian s'exécuta et décida de jouer le jeu. Il déposa son gâteau d'anniversaire sur le côté, ferma les yeux et tendit les deux mains devant lui, un petit sourire aux lèvres. Il entendit Holy pouffer de rire, son odeur florale lui chatouilla agréablement les narines alors qu'il se réinstallait près de lui. Il déposa ensuite son mystérieux cadeau sur les paumes tendues d'Adrian. Celui-ci ressentit une surface lisse contre sa peau, à la fois douce et rugueuse...
— TADAAAAAAA ! Joyeux anniversaire !
Adrian rouvrit aussitôt les yeux pour découvrir un petit pot en terre où trônait...
— Oh ! Une fleur de lune ! s'écria-t-il éberlué.
Il ne s'agissait encore que d'une jeune pousse, mais Adrian reconnut immédiatement les longues feuilles vertes, ainsi que l'unique fleur blanche en forme de spathe. C'était magnifique.
— Ouah, c'est tellement beau, Holy !
— N'est-ce pas ? s'extasia ce dernier avec enthousiasme. Je me suis dit qu'on pourrait aménager un petit parterre à côté de la cabane pour la planter. Ce sera hyper joli ! Enfin, si tu es d'accord bien sûr, s'empressa-t-il d'ajouter, l'air soudain contrit.
Sans réfléchir, Adrian posa son cadeau sur le sol et lui attrapa les mains.
— Bien sûr que je suis d'accord ! s'exclama-t-il avec fougue. Ton idée est vraiment super ! Ton cadeau est super. Et toi aussi, Holy, t'es vraiment super.
Emporté dans son élan, Adrian ne se rendit compte de son geste et ses paroles que trop tard. Il se tut, la tête catastrophée. Mais qu'est-ce qu'il avait dans la tête ? Sortir des niaiseries pareilles à Holy Hell ! Il voulut se cacher dans un trou de souris, tant il avait honte. Il ne réussit qu'à bafouiller des phrases sans queue ni tête.
— Désolé, je voulais pas... ce que je voulais dire... en fait, c'est pas... je voulais...
Adrian avait l'impression de s'enfoncer dans les sables mouvants du ridicule et de la honte. Il en regretta presque la petite voix d'Anthony dont les moqueries réussissaient, au moins, à lui clouer le bec pendant les moments horriblement gênants comme celui-ci.
Holy devait le prendre pour un pauvre taré...
— Moi aussi je te trouve super, Adrian, le coupa soudain celui-ci avec un petit sourire timide.
Oh.
La mâchoire d'Adrian faillit se décrocher. Il ne s'attendait pas du tout à cette réponse.
Holy Hell le trouvait super.
Pour une raison qu'il ignorait, cette information fut d'une importance capitale pour lui. Elle le remplit d'une joie immense. Occulta tout le reste.
Holy le trouvait super.
Leurs mains étaient toujours liées. Adrian se sentit frissonner au contact de ses paumes fraîches, sa peau était si douce...
Holy Hell le trouvait super !
Ils restèrent un long moment à se dévisager sans un mot. Le cœur d'Adrian cognait violemment contre sa poitrine alors qu'il plongeait dans les grands yeux argentés de Holy. Il avait l'impression que son palpitant pourrait sortir de sa cage thoracique à tout moment. Surtout lorsqu'il se rendit compte que leurs visages se rapprochaient lentement.
Le feu irradiait sur ses joues, Adrian n'avait aucune idée de ce qu'il faisait. De ce qu'il allait faire une fois que la distance entre son visage et celui de Holy serait complètement abolie. De ce qu'il avait envie de faire. Mais qu'avait-il envie de faire ? Oserait-il le faire ?
Adrian ne le sut jamais.
— Poil de carotte ! Sors de ton trou ! Je sais que t'es là !
Anthony.
Sa voix chantante explosa soudain dans le silence.
La sensation de joie et de bonheur éclata comme un ballon percé par une aiguille. L'horreur et la panique envahirent Adrian tel du poison. Il lâcha aussitôt les mains de Holy.
Mon dieu, Holy !
Anthony ne devait surtout pas lui mettre la main dessus. Son frère était fou.
Il serait capable de lui faire du mal.
Adrian ne permettrait jamais qu'une telle chose se produise.
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