CHAPITRE 50

Adrian ne savait plus depuis combien de temps il faisait les cent pas.

Lui, le nouvel Alpha Suprême ? C'était ridicule, impossible ! Comment ça pourrait être possible ? Il n'avait pas tué son père ! Il n'avait même pas gagné ce foutu combat !

Adrian n'arrivait pas à le croire, ou plutôt il refusait d'y croire. Il ne pouvait pas être l'Alpha Suprême ! Ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu, et encore moins ce qu'il voulait.

On n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie, se moqua son loup en réponse.

Non.

Abruti !

Furieux, Adrian repoussa son alter ego dans un coin de son esprit. Mais comme d'habitude, celui-ci fit de la résistance et ils se retrouvèrent en pleine bagarre mentale. Adrian se massa les tempes en soufflant bruyamment. Pour un Alpha Suprême, ils étaient encore loin de la parfaite synchronisation entre l'homme et la bête...

— Adrian... s'il te plaît, viens t'asseoir, l'enjoignit Ava.

Il s'agissait d'une simple requête et Adrian obéit. Elle avait au moins le mérite de briser le silence insupportable qui planait dans la chambre depuis de longues minutes.

C'était la première fois que ses meilleurs amis agissaient de manière aussi distante avec lui. Allaient-ils vraiment changer d'attitude maintenant qu'ils le considéraient comme leur Alpha ? Était-ce aussi ce qui l'attendait avec tous les autres ? Avec Holy ?

BIEN SUR QUE NON !

Mais Adrian enfouit son visage dans ses mains, paniqué à cette horrible idée.

— C'est pour ça que... Holy est parti aussi vite ? murmura-t-il pour lui-même, les yeux écarquillés d'horreur entre ses doigts. Parce que je suis devenu... l'Alpha Suprême ?

Prononcé à haute voix, le titre lui paraissait toujours aussi surréaliste et ridicule.

— Arrête de te faire des films, ça n'a rien à voir, répliqua Isaïah. Holy est bouleversé et ça se comprend : le combat contre ton père a été horrible. Tu te faisais mettre en pièces, on pensait tous que tu allais y rester ! Holy était dans tous ses états. On l'était tous, mais lui... Maintenant que tout va bien, laisse-lui le temps de récupérer, OK ?

— OK... fit Adrian, toujours d'une toute petite voix. Tout va bien alors...

Il respira un bon coup, écarta les mains de son visage, prit à nouveau de grandes inspirations, mais rien n'y fit. Bien sûr que non, tout n'allait pas bien. C'était la catastrophe. Holy était bouleversé et il avait toutes les raisons de l'être.

Son abruti de petit ami (c'est toi l'abruti, pas moi !) s'était battu à mort sous ses yeux. Holy avait ensuite passé une semaine d'angoisse au chevet de cet imbécile (mais arrête de nous insulter !) qui lui avait pourtant promis que tout se passerait bien...

Et si toute cette histoire avait fini par le traumatiser ?

Non ! Adrian et son loup bondirent sur leurs pieds, paniqués. Ils devaient à tout prix trouver Holy et s'assurer qu'il allait bien ! Leur bien-aimé choisit cet instant précis pour passer la porte, un plateau de nourriture dans les mains. Adrian et son loup l'en débarrassèrent sans cérémonie, pour pouvoir le serrer très fort contre eux.

— Désolés, mon ange... mon amour... murmurèrent-ils en déposant mille baisers sur le sommet de son crâne. On est tellement désolés ! Pardon de t'avoir encore fait pleurer... C'est vraiment fini, cette fois-ci, promis... Tout va bien maintenant... Tout va bien se passer, plus personne ne pourra nous embêter, OK ? Mon ange... mon amour... On te jure que c'est la dernière fois... Pardon, s'il te plaît, pardon...

Adrian ne savait même plus ce qu'il disait. Il était beaucoup trop occupé à caresser et embrasser Holy pour tenir compte de son loup qui le couvrait de suppliques et de promesses. Ils ne s'écartèrent qu'au bout de plusieurs minutes, mais toujours sans le lâcher. La mine inquiète, ils entreprirent de l'examiner sous toutes les coutures.

— Qu'est-ce que tu fais ? protesta Holy, en essayant de se dérober.

— Tu es tellement pâle, se désolèrent Adrian et son loup sans cesser de l'ausculter partout. Pardon, mon ange... Tu es resté tout le temps à notre chevet ? Est-ce que tu as quand même pu dormir un peu ? Tu as pris le temps de manger correctement ?

— Mais arrête ! C'est moi qui devrais m'inquiéter pour toi et non l'inverse !

Holy les foudroya du regard. Adrian et son loup restèrent cependant focalisés sur son teint beaucoup trop blafard, mais surtout sur les énormes cernes sous ses yeux.

— Il faut que tu manges quelque chose, décidèrent-ils en l'attirant vers le lit, attrapant le plateau repas au passage. Tu es vraiment trop pâle et tellement mince...

— Adrian !

Ils se montrèrent cependant intraitables. Holy finit par capituler, acceptant de partager la soupe et le steak qu'il avait apportés. Adrian et son loup entreprirent de le nourrir avec patience et détermination, sous le regard blasé d'Ava et Isaïah.

Ils avaient sûrement l'air trop niais pour un Alpha Suprême, mais s'en fichaient totalement. La santé et le bien-être de Holy passaient avant leur image et réputation.

Celui-ci mangeait en silence, ses grands yeux gris parlaient cependant pour lui, les couvant d'un regard intense. Comme à chaque fois, il n'en fallut pas plus pour subjuguer Adrian et son loup. Ils se perdirent avec joie dans le magnifique océan argenté qu'étaient ses iris, oubliant complètement le morceau de viande au bout de leur fourchette.

— Adrian, tu ne manges pas du tout ! les gronda aussitôt Holy. Tu te rends compte que ça fait une semaine que tu n'as rien avalé ?! Donne-moi cette fourchette...

La seconde suivante, c'était Holy qui les nourrissait avec application, les sourcils adorablement froncés dans une attitude sévère. Adrian et son loup se laissèrent faire sans rechigner, soulagés et heureux de voir que rien n'avait changé entre eux. Holy restait égal à lui-même et c'était si merveilleux qu'Adrian en pleurerait de félicité.

Enfermé dans leur bulle d'amour, il en oublia la présence d'Ava et Isaïah...lorsque ce dernier se racla soudain la gorge avec une certaine insistance qui énerva son loup.

Comment il ose nous déranger alors qu'on est encore TRÈS OCCUPÉ avec Holy ?!

Mais arrête de faire ton mégalo !

— Pardon de gâcher votre petit moment, insista Isaïah en faisant un pas en avant. Mais il faut vraiment qu'on parle du combat contre ton père, Adrian.

Il échangea un bref coup d'œil avec Ava, avant de poursuivre :

— Tu veux bien, s'il te plaît ? C'est important.

Adrian répondit par un grognement agacé. Il en avait assez de cette situation grotesque !

— Pitié, arrêtez de me traiter comme si j'étais devenu votre souverain ou je ne sais quoi ! C'est ridicule ! Vous me considérez comme le nouvel Alpha Suprême ? OK, très bien ! Mais ça ne change rien entre nous ! Regardez ! C'est toujours moi ! Votre bon vieux Adrian, celui que vous adorez rendre chèvre ! C'est toujours moi !

Sa tirade fut suivit d'un blanc.

Les deux ne répondirent pas, ils se contentèrent de le dévisager longuement d'un œil toujours aussi prudent. Comme s'il le jaugeaient et s'assuraient qu'il n'y avait vraiment aucun risque. C'était tellement ridicule !

— D'accord, mais si tu voulais bien tempérer ton loup, finit par répliquer Ava, les bras croisés sur sa poitrine. Tu ne t'en rends pas compte ou quoi ? Ton aura est écrasante et bestiale, Adrian ! C'est terrifiant pour les pauvres Bêtas que nous sommes...

— N'importe quoi ! Mon aura est tout à fait normale ! Demandez à Holy...

Son argument de taille eut le mérite de détendre soudainement l'atmosphère. Ava et Isaïah explosèrent de rire. Adrian en fut soulagé. Son loup, lui, était outré.

Comment ils osent nous rire au nez !

— Tu te fous de nous ? Holy ne compte pas, s'esclaffa Isaïah. Bien sûr que ton aura est normale avec lui ! Tu te transformes littéralement en guimauve lorsqu'il s'agit de ton précieux Holy Hell, se moqua-t-il en mimant des guillemets à la fin.

— Sans vouloir te vexer, Holy, ricana Ava dont les joues avaient viré au cramoisi à force de rire. Mais Isaïah a tellement raison : Adrian devient une véritable guimauve avec toi.

— Et alors ? grommela le concerné, mais juste pour la forme. Il était vraiment heureux de retrouver les bonnes vieilles habitudes de ses deux meilleurs amis.

Son loup beaucoup moins, Adrian ignora cependant ses protestations outragées. C'était fou avec quelle rapidité monsieur le nouvel Alpha Suprême avait pris la grosse tête. Arrête ! Tu veux vraiment traiter Ava et Isa comme des sous-fifres ? C'est bête et puéril !

C'EST TOI QUI EST BETE !

— Et alors, j'en dis que c'est désespérant, répondit Ava, pince-sans-rire.

— C'est mignon, tu veux dire ! intervint Holy, une adorable moue taquine aux lèvres. Alpha Suprême ou pas, Adrian c'est ma petite guimauve à moi !

Le concerné lui sourit niaisement en retour. Son loup, lui, n'était plus qu'un tas bien dégoulinant d'amour. Oui oui oui ! Ta petite guimauve à toi tout seul !

Adrian ne put retenir un éclat de rire joyeux. Il attira Holy et le serra contre lui. Il attrapa ensuite Ava et Isaïah chacun par le bras pour une accolade collective. Les trois lui rendirent son étreinte avec force et tendresse. Adrian ferma les yeux.

— Ne changez surtout rien avec moi, d'accord ? leur chuchota-t-il. Promettez-moi que ce qui m'arrive... tout ce qui arrive... promettez-moi que ça ne va rien changer entre nous. Je ne m'en sortirais pas sans vous trois, alors s'il vous plaît, promettez-moi...

— Ne dis pas de bêtises, le gronda gentiment Ava. Avec ou sans nous, tu t'en sortiras comme un chef. Tu es tellement fort, Adrian. Tu l'as toujours été.

— Ça va aller, Ad, promit Isaïah. Tout va bien se passer, OK ?

— On ne va nulle part, mon loup, murmura Holy. Promis juré.

***

— Bon, maintenant qu'il n'y a plus de malaise entre nous, quelqu'un peut enfin m'expliquer ce qui se passe ? Que s'est-il passé à la fin du combat ? Mes souvenirs sont un peu flous, je n'arrive pas à comprendre comment j'en suis arrivé à être le nouvel...

Adrian se tut, incapable de prononcer ce maudit titre à haute voix. Maintenant que la sensation de puissance n'était plus aussi intense et grisante, le simple fait d'y penser lui donnait la nausée. Aaaaaah, mais tu m'énèèèèèèèèrves !

Il avait toujours autant de mal à y croire, même si Isaïah avait raison : à quoi s'attendait-il en affrontant son père dans un combat à mort ? Il savait très bien qu'en tuant l'Alpha Suprême, ce n'était pas uniquement sa vie qu'il prenait, mais également son statut et sa puissance... Oui, mais voilà : même s'il ne se souvenait pas de tout, Adrian était sûr de ne pas avoir réussi à tuer son géniteur. Alors, comment... ?

MAIS ON S'EN FOUT, MERDE ! hurla son loup, exaspéré. On s'en fout du pourquoi et du comment ! On-s'en-fout ! C'est nous l'Alpha Suprême, maintenant ! NOUS ! Fourre-toi bien ça dans le crâne parce que c'est comme ça et puis c'est tout !

Adrian poussa un long soupir agacé. Son cher et tendre alter ego, lui, continuait sa diatribe enflammée. Il se prenait vraiment pour le roi du monde.

Pourquoi tu fais ton rabat-joie ? Tu refuses d'accepter que c'est une bonne chose ! C'est la meilleure chose qui nous soit arrivée après Holy, bordel ! Plus personne n'osera lui faire de mal, maintenant ! Plus personne n'osera nous donner des ordres ! C'est nous l'Alpha Suprême, ON EST LES PLUS FORTS !

Son loup était lancé, mais Adrian n'avait vraiment pas envie de débattre sur le sujet. A défaut de pouvoir le faire taire, il décida de l'ignorer.

— Je me souviens que... j'avais bizarrement chaud et froid durant le combat, murmura-t-il pour lui-même, mais assez fort pour que les autres l'entendent. C'était comme... un froid brûlant qui me consumait de l'intérieur. Maintenant que j'y repense, ce n'était pas normal.

— Ce n'était pas normal du tout, confirma Isaïah, l'air sombre. Tu as été empoisonné.

— Avec du venin de goule, poursuivit Ava d'une voix sourde.

La révélation fut suivit d'un blanc. Adrian et son loup n'en croyaient pas leurs oreilles.

— Quoi ? fut tout ce qu'ils trouvèrent à dire.

Du venin de goule ?!

— Sasha n'a rien à voir dans tout ça ! intervint aussitôt Holy avec véhémence.

Adrian le savait. Il voulut le rassurer, mais Ava fut plus rapide.

— Bien sûr que le Peroxydé ne ferait jamais une chose pareille, dit-elle en pinçant les lèvres d'un air beaucoup trop dédaigneux pour être naturel. C'est peut-être un idiot, mais je ne pense pas que ce soit un lâche qui empoisonnerait quelqu'un en douce avec son venin... Et puis, il nous aide à remonter la piste du poison, donc... ajouta-t-elle précipitamment en agitant une main avec plus de force que nécessaire.

Depuis quand elle prend la défense de ce type avec autant de zèle ?! C'est louche !

Adrian, lui, ne put s'empêcher de remarquer ses joues un peu trop roses... Réprimant un sourire amusé, il se promit de la cuisiner plus tard (Quoi ? Tu crois vraiment qu'il y a quelque chose entre elle et l'abruti décoloré ? Pouah !). La priorité était d'apaiser les inquiétudes de Holy. Adrian lui attrapa les mains d'un geste rassurant.

— Moi aussi, je suis d'accord pour Sasha, mon ange. Je sais qu'il n'est pas coupable. C'est vrai qu'il me déteste, mais pas au point d'essayer de me tuer. Enfin... pas de cette manière en tout cas, ne put-il s'empêcher d'ajouter sous l'impulsion de son loup.

Le sourire soulagé de Holy se transforma en grimace atterrée.

Merde. Adrian s'empressa de changer de sujet.

— Ce n'est pas mon père, non plus. C'est peut-être un connard mégalo, mais ce n'est pas un tricheur. Il ne m'aurait jamais empoisonné pour gagner le combat... Ce serait un déshonneur en tant qu'Alpha Suprême, mais aussi pour le clan Ashes.

— Ava et moi, on s'est dit la même chose, acquiesça Isaïah, la mine toujours aussi sombre. On pense aussi que l'empoisonnement vous visait tous les deux. Le coupable voulait faire d'une pierre deux coups : te tuer ET discréditer ton père...

— D'accord, mais qui ? Les autres Alpha n'auraient jamais osé...

Oui. Même si beaucoup auraient sûrement adoré détruire les Ashes une bonne fois pour toute, aucun n'aurait jamais osé saboter un combat de pleine lune. Ce serait un véritable sacrilège. Mais alors qui ?

Quelqu'un qui voulait sa mort et la perte de l'Alpha Suprême.

L'ex-Alpha Suprême !

La personne pour qui leur disparition à tous les deux profiterait vraiment le plus.

Qui ?

Adrian n'eut pas à se triturer les méninges longtemps.

La réponse lui tomba dessus comme une évidence.

Comme un coup de poing en plein estomac. 

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