Chapitre 36

Adrian demeura un instant figé à la vue de son putain de géniteur. Comme dans une scène au ralenti, il le regarda faire une entrée remarquée, accompagné d'Ariana. Droite et froide comme un I, elle suivit l'Alpha en silence, alors qu'il s'avançait dans le vaste jardin des Scaveau d'un pas tranquille. Comme d'habitude, il était toujours aussi impeccable dans son costume noir, ses longs cheveux ébènes soigneusement ramenés en catogan dans son dos.

Son attitude nonchalante contrastait cependant avec l'aura bestiale qui l'entourait, sans parler de son odeur extrêmement forte et agressive. Les réactions ne se firent d'ailleurs pas attendre : les loups-garous se tendirent à sa vue, les humains se trémoussèrent sur place, mal à l'aise.

Putain ! Qu'est-ce qu'il fout ici ?!

Adrian sursauta, les rugissements de son loup le sortirent de sa torpeur. Les yeux toujours rivés sur son père, il serra les poings si forts qu'il sentit ses jointures craquer. Il se rendit alors compte qu'il tremblait. De rage, mais aussi de peur. Pas pour lui, non. Adrian s'inquiétait surtout pour ses jeunes loups. Pour ses amis. Yann, Magda... L'Alpha abhorrait les relations interraciales.

Cet enfoiré ne doit surtout pas les approcher !

Un grognement d'animal enragé s'échappa de sa gorge.

Adrian entendit vaguement Isaïah parler, Ava lui attrapa le bras, mais c'était trop tard. Son corps bougea de lui-même et il se retrouva devant l'Alpha Suprême sans même s'en rendre compte. Les pieds fermement ancrés au sol, il s'était placé de manière à lui barrer le passage.

Hors de question que son père fasse un pas de plus.

Les louveteaux ! On doit les protéger !

— Qu'est-ce que tu fais là ? gronda-t-il sans préambule.

— Est-ce ainsi que tu accueilles l'Alpha Suprême ? répliqua froidement son père.

Il foudroya Adrian de ses yeux dorés. Ses pupilles fendues brillaient dans la pénombre croissante. Derrière lui, Ariana le fixait également sans ciller. Son visage était totalement lisse et impassible, impossible de savoir à quoi elle pouvait bien penser.

Adrian ignora sa sœur, toute son attention était focalisée sur leur père, la véritable menace. Un mélange de rage et de terreur enflait dans sa poitrine, montait dans sa gorge et menaçait de l'étouffer. NON ! Ce n'est pas le moment d'avoir peur ! Laisse-le moi, on va se le faire !

Du coin de l'œil, Adrian vit tous les autres loups s'approcher à pas lents, attirés malgré eux vers l'Alpha Suprême. Inquiets, parents et proches emboitèrent aussitôt le pas de leurs progénitures. L'Alpha esquissa un petit rictus satisfait, Adrian dut se faire violence pour ne pas lui mettre son poing dans la figure. Pourquoi tu te retiens ! FAISONS-LUI LA PEAU !

Mais Adrian secoua la tête. S'ils attaquaient l'Alpha, Ariana allait forcément réagir et elle était puissante. Ava, Isaïah et Yann pourraient s'en charger, certes, mais qui s'occuperait des humains et des jeunes loups ? Adrian savait que ces derniers attaqueraient instinctivement pour protéger la meute. Attaquer l'Alpha provoquerait un massacre, ce n'est pas ce qu'on veut ! Ils devaient juste le faire partir. Le garder loin de leurs loups, de leur meute.

— Tu n'as rien à faire ici ! Va-t'en, cracha Adrian entre ses dents serrées.

Sa respiration se fit de plus en plus rapide à mesure que la rage de son loup prenait possession de son être, il sentait ses crocs percer ses gencives, ses griffes émerger du bout de ses doigts... L'envie d'étriper l'Alpha Suprême le prenait à la gorge, il voulait lui arracher la tête.

STOP ! J'ai dit qu'on ne va pas se battre contre lui !

Mais son loup ne l'entendait pas de cette oreille : si on ne lui fait pas la peau aujourd'hui, on n'aura plus jamais l'occasion de le faire. Il est sur notre territoire ! On est dans notre droit !

Comme s'il devinait le conflit qui faisait rage en Adrian, son père sourit, dévoilant ses crocs. Puis, sans crier gare, il abolit la distance entre eux. Adrian leva aussitôt le bras pour parer un éventuel coup, mais rien ne vint. A la place, des doigts brûlants attrapèrent fermement son poignet. La seconde suivante, l'Alpha envahissait son espace vital sans le moindre état d'âme. Il se pencha vers lui, Adrian se raidit violemment lorsque son nez se retrouva à quelques millimètres de son cou, lorsqu'il renifla lentement sa peau, tel un prédateur humant sa proie.

Adrian serra les poings et les dents pour s'empêcher de trembler, pour tempérer les battements anarchiques de son cœur, pour contenir son loup et ses envies de meurtres. Mais surtout pour ne pas vomir. Cette proximité presque intime avec son géniteur le dégoûtait au plus point.

— Jasmin et violette, murmura ce dernier de sa voix doucereuse. Je ne pensais pas sentir à nouveau cette odeur écoeurante sur toi. J'en conclus que toi et le dhampire, vous batifolez à nouveau ensemble ? Tu me déçois tellement, Adrian. Tu m'obliges à te punir comme un enfant.

Te punir... Le sang d'Adrian se glaça dans ses veines, ses yeux s'écarquillèrent d'horreur et de surprise au moment où son père posait un doigt sur sa nuque. Le contact lui arracha un cri étranglé, c'était comme si du fer chauffé à blanc s'était posé sur les marques de crocs. La douleur explosa avec une telle force que ses jambes se dérobèrent sous son poids.

Adrian se retrouva à terre, il essaya de reprendre son souffle, en vain. Son cœur cognait violemment dans sa poitrine, alors que la souffrance se répandait dans tout son corps, tel un poison. Il avait tellement mal qu'il devait serrer les dents pour ne pas crier.

Son loup hurla pour deux dans sa tête. Il rugissait de haine et de douleur, il voulait sortir pour qu'ils puissent se relever, pour qu'ils puissent se transformer, pour tuer ce putain d'Alpha, pour...

Une main se posa soudain sur leur tête, puis des ongles griffus se glissèrent dans leurs cheveux, caressèrent lentement leur cuir chevelu. S'ensuivit un bruissement d'étoffe, l'odeur épicée de l'Alpha envahit ensuite tous leurs sens lorsqu'il se pencha vers eux.

— Tu pensais vraiment avoir réussi à combattre la marque ? leur susurra-t-il à l'oreille. Tu sais très bien que le lien qui nous unit est indestructible. Quoi que tu fasses, ta vie m'appartiendra toujours et tu ne pourras jamais rien faire pour changer ça, tu entends ?

Incapable de bouger ni parler, Adrian fut parcouru d'un long frisson. Sentir son père si près le rendait malade de dégoût et d'horreur. A cela s'ajoutait la souffrance, elle le paralysait totalement face à l'Alpha. Adrian se sentait comme cette nuit de cauchemar lorsqu'il avait été marqué.

— Sache que si tu as pu mener ta petite vie comme bon te semble jusqu'à présent, ce n'est pas grâce à tes thérapies ou je ne sais quoi. C'est parce que je l'ai permis, tu comprends ?

Tout en parlant, l'Alpha continuait de lui masser le cuir chevelu comme si de rien n'était. Son geste était doux et pourtant temps lourd de menace. La respiration haletante, Adrian ne put retenir un sifflement de douleur alors que son souffle brûlant fouettait la chair à vif de sa nuque.

— J'ai autorisé toutes tes petites rebellions, j'ai laissé passer tes petits caprices, j'ai fermé les yeux sur tes fréquentations douteuses et tes débauches sexuelles, poursuivit son géniteur, toujours tout contre son oreille. J'ai toléré tout ça, parce que j'espérais que tu ferais un bon Alpha Suprême malgré tout. Mais j'avais tort. Cela m'attriste de l'admettre, mais je me suis lourdement trompé sur toi. Je te pensais plus fort, mais tu restes toujours ce louveteau faible et pathétique, incapable de résister aux pouvoirs de cette abomination que les Hell ont osé rapporter d'Europe.

LA FERME ! Holy n'est pas une putain d'abomination !

Adrian aurait voulu hurler, déchaîner son loup contre son enfoiré de géniteur, mais il n'arrivait toujours pas à se transformer. Putain, il n'arrivait même plus à bouger !

Il avait oublié à quel point la marque pouvait lui causer des douleurs aussi atroces. Les traces de crocs sur sa nuque le brûlaient tellement qu'il avait l'horrible impression que son cou était en train de se liquéfier et que sa tête allait se détacher de son corps.

Le souffle chaotique, Adrian tenta de se relever, mais les gentilles caresses de l'Alpha laissèrent soudain place à une prise ferme. Ses doigts enserrèrent sa tête en étau pour la maintenir au sol. Le geste provoqua de nouvelles salves de douleur dans tout son corps. Des sanglots montèrent dans sa gorge tellement c'était atroce, Adrian les ravala tant bien que mal.

— Adrian !

— Alpha !

Plusieurs voix paniquées explosèrent dans la nuit. Adrian gémit. Merde, non !

Allez vous-en ! voulut-il hurler, mais seul un pauvre cri étouffé sortit de sa bouche.

Le corps tremblant et en sueur, il tenta à nouveau de se relever, mais son père enfonça impitoyablement son visage dans l'herbe en lui susurrant un "couché" des plus humiliants.

Enfoiré, glapit son loup. Putain d'enfoiré !

— Adrian !

Le nez toujours écrasé au sol et la vue brouillée par la douleur, ce dernier ne distingua que de vagues silhouettes qui s'agitaient à quelques mètres d'eux. Il entendit des grognements, des gémissements, des bruits de bousculades... Cette nuit était en train de virer au cauchemar.

On doit se lever ! Ils ont besoin de nous !

— Adrian...

— Reculez, ordonna la voix froide d'Ariana. Il ne s'agit que d'une simple discussion père/fils.

Une simple discussion ?! explosa celle d'Ava, avec colère. Tu te fous de nous ?

— J'ai dit : re-cu-lez.

— Ou sinon quoi ? Tu ne m'impressionnes pas du tout ! Je te prends quand tu veux. Pétasse.

Ariana détestait les insultes, elle poussa un grognement menaçant et son aura envahit l'air. Les poils d'Adrian se hérissèrent sur sa nuque douloureuse, il ressentait toute sa puissance heurter celle d'Ava. Il ressentait également celle d'Isaïah, de Yann... Et même la faible aura des jeunes loups. Tout le monde se transformait. Les gémissements apeurés des humains confirmèrent ses craintes. Putain de merde.

— Arrêtez ! cria l'un d'eux. Arrêtez ça tout de suite ! Vous perturbez les enfants ! Vous...

— Tout le monde recule ! s'écria cette fois-ci Magda. Tout le monde derrière moi, maintenant.

Putain de bordel de merde.

Pendant ce temps, totalement insensible au chaos environnant, son père poursuivit leur petite conversation de sa voix parfaitement calme, presque badine.

— Je n'ai pas de mots pour exprimer à quel point tu me déçois, Adrian. Je me rends compte que malgré tous mes efforts pour t'endurcir et te forger, tu n'as rien d'un Alpha. Absolument rien.

Tais-toi ! FERME-LA !

— Tu ne mérites pas l'allégeance d'une meute, aussi faible et pitoyable soit-elle. Je vais montrer à tous ces petits louveteaux à quoi ressemble un véritable Alpha, ajouta-t-il en se relevant.

Non, non, NON !

La bile lui monta à la gorge. Déchiré entre la rage, l'horreur et la panique, Adrian en oublia sa douleur et d'un bond, il réussit il ne savait par quel miracle à se redresser. Le corps tremblant et fiévreux, il retint son père par la cheville d'un geste convulsif, presque désespéré.

— Laisse-les tranquille ! Ce ne sont que des gamins !

Son géniteur baissa les yeux pour le darder un instant de son regard désormais sauvage et animal. Il se détourna ensuite pour observer les jeunes loups-garous qu'il évalua d'un œil froid, presque clinique. Ses lèvres s'étirèrent en un petit rictus cruel, dévoilant ses crocs immenses.

NON ! Les louveteaux... Il va s'en prendre à eux !

Non ! Ces adolescents ne devaient surtout pas vivre les supplices physiques et psychologiques qu'il avait enduré toute son adolescence, ne serait-ce que pour une nuit.

Non... Adrian avait juré de les protéger. Il devait les protéger, même si pour cela, il lui fallait à nouveau s'écraser devant l'Alpha Suprême. Il devait les protéger, il devait...

— S'il te plaît, arrête ! supplia-t-il, les dents serrées. C'est moi que tu veux punir, ils n'ont rien à voir là-dedans. Continue à me torturer si ça te fait plaisir, mais laisse ces gamins tranquilles !

Son père ne répondit pas, il continuait de le fixer sans ciller, toujours avec son petit rictus au coin des lèvres. Son sourire était terrifiant et ne présageait rien de bon.

Cette nuit allait être horrible.

— Ce n'est pas en les maternant ainsi que tu vas en faire des loups aguerris, finit-il par répliquer, avant de se dégager de sa poigne d'un coup sec. Ne t'en fais pas, je vais bien m'occuper de tes louveteaux... poursuivit-il ensuite de sa voix doucereuse. Je vais faire en sorte que cette nuit soit inoubliable pour tout le monde, d'accord ? Toi par contre, tu restes ici. Ce sera ta punition.

Adrian poussa un cri étouffé lorsqu'une nouvelle vague de douleur foudroya sa nuque et déferla dans tout son corps. Terreur, humiliation, désespoir... un maelstrom d'émotions le submergea alors qu'il s'effondrait à nouveau au sol, tandis que son loup hurlait à la Lune, incapable de sortir.

Oui. Cette nuit allait être horrible.


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