Chapitre 35
Adrian fourra son casque et son blouson dans le coffre de sa moto. Il s'accorda ensuite une petite minute pour réprimer un énième soupir. Non pas qu'il n'aimait pas ces rendez-vous mensuels avec d'autres loups-garous. Au contraire, il n'y avait rien de mieux que de gambader et chasser dans les bois en meute. Mais Holy lui manquait déjà atrocement.
Son loup n'arrangeait pas les choses, il n'arrêtait pas de râler. C'était tellement désagréable !
On aurait dû rester à la maison ! Tant pis pour les batifolages au clair de lune ! C'est beaucoup mieux de passer toute la nuit roulé en boule contre Holy !
Exactement comme la nuit de sa toute première transformation. Adrian s'en souvenait très bien. Holy l'avait gardé dans ses bras, il n'avait pas eu peur alors que son loup aurait pu le blesser...
On aurait vraiment dû rester avec Holy ! radotait ce dernier avec toute la mauvaise foi du monde.
Adrian l'ignora. Il préféra sortir son téléphone de sa poche pour écrire un petit texto à Holy. Pour lui dire qu'il était arrivé, qu'il pensait à lui et qu'il lui manquait beaucoup. Il en profita également pour rajouter un petit PS, lui intimant de bien manger et ne pas se coucher trop tard. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire niais lorsque Holy lui répondit par plein de petits cœurs.
Retournons à l'appartement, on s'en fout des autres ! Ils peuvent bien se passer de nous pour cette nuit ! Retournons près de Holy ! Je veux HOLYYYYYYY !
Arrête de faire le bébé capricieux. On ne va pas laisser tomber les autres. Ils ont besoin de nous.
Mais son loup continua de chouiner. Adrian dut se faire violence pour ne pas céder et retourner auprès de Holy au plus vite. Il prit une grande inspiration pour contenir les pulsions de son alter ego décidément insupportable, avant de se décider enfin à bouger et s'enfoncer dans les bois.
A mesure qu'il avançait, il percevait de plus en plus nettement la présence des autres. L'odeur et les émotions des jeunes étaient les plus fortes. Adrian ressentait leur impatience, leur angoisse. La peur. Ils devaient penser qu'il ne viendrait pas. Il se sentit coupable et pressa davantage le pas. C'est vrai qu'il était très en retard. Merde, Magda allait lui arracher les yeux !
Il termina le trajet en courant à vitesse grand V. Comme il s'y attendait, tout le monde était déjà là, discutant en petits groupes. Adrian n'eut cependant pas le temps de saluer qui que ce soit, les plus jeunes de la meute lui tombèrent en effet dessus, totalement en panique.
— Alpha ! s'écrièrent-ils en chœur.
Adrian réprima une grimace, ce titre lui faisait décidément horreur.
Quoi ? Moi je le trouve chouette ! rétorqua son loup avec orgueil.
N'importe quoi. Adrian leva intérieurement les yeux au ciel avant de reporter son attention sur ses jeunes interlocuteurs. Filles ou garçons, tous le dévisageaient avec de grands yeux anxieux. Aucun n'était un loup-garou de naissance et même si la plupart n'étaient plus à leur première transformation, beaucoup avaient toujours du mal à être en phase avec leur loup.
Ils transpiraient l'angoisse. Adrian ressentait leur terreur, mais aussi le désespoir de ceux qui allaient se transformer pour la toute première fois. Leur détresse éveilla les instincts protecteurs, presque paternels, de son loup, dont les jérémiades laissèrent aussitôt place à des grognements bourrus. Il faut tout faire pour rassurer et accompagner ces louveteaux !
Je croyais que tu voulais rentrer, le taquina Adrian, goguenard.
Tais-toi et occupons-nous de notre meute !
— Alpha ! On pensait que tu ne viendrais plus !
— Combien de fois je vous ai dit de ne pas m'appeler comme ça, les rabroua gentiment Adrian. Je ne suis pas votre Alpha. Appelez-moi juste Adrian, je préfère vraiment...
Mais comme d'habitude, sa requête tomba dans l'oreille d'un sourd. Partagés entre la panique et le soulagement, tous se mirent à parler en même temps sans cesser de l'appeler "Alpha". Touché par leur détresse, Adrian ouvrit la bouche pour offrir des paroles rassurantes.
— Calmez-vous, les enfants ! intervint cependant Magda. Tout va bien. Adrian est là, maintenant. Et il est vraiment désolé d'arriver aussi en retard, n'est-ce pas très cher Alpha ?
Celui-ci répondit par une grimace à la fois penaude et contrariée, alors que son amie se plantait face à lui, derrière le groupe d'adolescents, les yeux plissés et les bras croisés sur sa poitrine.
Non, mais de quoi elle se mêle celle-là ! grogna son loup avec mauvaise foi.
Il resta cependant sur ses gardes, comme à chaque fois que Magda était remontée contre eux. Cette satanée sorcière pourrait nous transformer en crapaud ! Heureusement, Yann vint à leur rescousse, il se glissa près de sa femme et posa une main affectueuse sur son épaule.
Comme à chaque fois, il irradiait d'une force tranquille qui eut le mérite d'apaiser tout le monde. Adrian lui adressa un petit sourire reconnaissant auquel il répondit par un clin d'œil taquin.
— Magda a raison, je suis vraiment désolé de vous avoir inquiété, les enfants, s'excusa-t-il ensuite auprès des jeunes loups. Mais je suis là maintenant et je vous promets que tout va bien se passer cette nuit. Et même si je n'étais plus là, tout se passera toujours très bien, d'accord ? Parce que vous n'êtes pas seul. Vous ne serez jamais seul.
— Oui, Alpha, murmurèrent plusieurs petites voix incertaines.
Adrian leur offrit un sourire plein d'affection. Son loup grogna, frustré de ne pas pouvoir partager quelques coups de langue sur la tête de ces petits Betas effrayés.
— Et maintenant, filez vous changer. C'est bientôt l'heure.
Ils obéirent sans discuter, mais beaucoup se retournèrent plusieurs fois pour lui jeter un regard craintif, comme s'ils avaient peur qu'il disparaisse et les abandonne. A chaque fois, Adrian leur adressa un petit signe de la main pour les rassurer. On n'ira nulle part ! Tu dois leur dire !
— C'est fou comme ces enfants t'adorent, commenta Magda. Ils étaient vraiment terrifiés à l'idée que tu ne viennes pas. Yann n'aurait jamais pu les gérer seul. Évite les retards à l'avenir !
— Désolé, grommela Adrian, il sortit son portable de sa poche, y jeta un dernier petit coup d'œil avant de le tendre à son amie pour qu'elle le range avec tous les autres téléphones. J'étais encore occupé à la maison et je n'avais pas vu le temps passé...
— Je vois ça, rit Yann. Ou plutôt je le sens, rectifia-t-il en plissant le nez. Tu pues le sexe.
— Ah oui ! s'écria Magda, également hilare. Moi j'ai surtout remarqué les suçons dans le cou !
— Et l'air rayonnant, ajouta Yann, taquin. Je ne t'ai jamais vu comme ça. Ça fait plaisir.
— C'est qui ? s'enquit Magda, avec un grand sourire entendu.
— Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez, rétorqua Adrian d'un ton parfaitement détaché, mais les rougeurs sur ses joues (décidément traîtresses !) en disaient long.
— Mais oui, bien sûr, se moqua Magda. Faudra que tu nous le ou la présente ! Yann a raison, c'est la première fois qu'on te voit aussi rayonnant. Cette personne doit te faire un bien fou...
C'est clair que Holy nous fait un bien fou !
— Lalala, la coupa puérilement Adrian en faisant mine de se boucher les oreilles. Vous n'aurez pas vu Ava et Isaïah, demanda-t-il ensuite dans une piètre tentative de changer de sujet.
Yann et Magda continuèrent cependant de le dévisager avec malice pendant plusieurs secondes, avant de capituler et cesser leurs taquineries. Ils lui indiquèrent un coin où Ava et Isaïah étaient effectivement en train de faire des messes basses, puis s'éloignèrent d'un pas pressé pour retrouver et s'occuper des parents et proches venus accompagner leurs enfants.
Eux aussi avaient besoin d'être rassurés et ce n'était pas toujours simple de leur expliquer les choses. Certains avaient toujours du mal à croire que la prunelle de leurs yeux se transformait en loup à chaque pleine lune, qu'il ou elle avait désormais une bête tapie au fond de soi, une bête qui pouvait prendre le contrôle et faire des choses horribles si l'adolescent n'était pas en phase avec. Certains parents et proches n'arrivaient tout simplement pas à accepter une telle situation. C'était impensable... contre-nature ? Et pourtant c'était la réalité de ces jeunes désormais.
A chaque fois qu'il y repensait, Adrian éprouva une infinie compassion pour ces familles chamboulées. Et comme toujours, il se promit de faire de son mieux pour les accompagner, même si ce n'était pas toujours facile. Heureusement que Yann et Magda étaient là pour l'aider. Ils y mettaient vraiment tout leur cœur, Yann n'étant, lui aussi, pas un loup-garou de naissance.
— Je vous rejoins dans dix minutes, leur lança Adrian, il respira ensuite un bon coup avant de se diriger vers Ava et Isaïah d'un pas hésitant et le cœur plein d'appréhension.
Ses deux meilleurs amis étaient toujours en pleine discussion, Adrian en déduisit à leurs têtes qu'ils parlaient de leur dernière confrontation. Isaïah affichait en effet une expression sérieuse, presque sévère, tandis qu'Ava pinçait les lèvres d'un air boudeur, les bras croisés sur sa poitrine. Ils se tournèrent vers Adrian d'un même geste lorsque celui-ci arriva à leur hauteur.
Aucun ne prononça une parole, Adrian non plus ne dit rien. Ils se contentèrent de se dévisager mutuellement dans un silence pesant pendant de longues et horribles secondes.
Adrian ne trouva rien de mieux à faire que de se dandiner d'un pied à l'autre, tel un gamin. Ava gardait les bras croisés sur sa poitrine, le menton levé en une attitude toujours aussi boudeuse, presque dédaigneuse. Isaïah, lui, attendait patiemment que l'un d'eux se décide enfin à parler et crever l'abcès. Ce que fit Adrian, c'était lui qui avait commencé en inquiétant ses amis après tout.
Tes tendances à jouer le martyrs n'ont décidément aucune limite ! s'exaspéra son loup. Mais comportes-toi comme un Alpha bon sang ! Ce sont eux qui devraient ramper à nos pieds et implorer notre pardon pour avoir déboulé dans notre tanière sans invitation et fait pleurer Holy !
Adrian réprima un soupir. Il avait remarqué que son alter égo prenait de plus en plus la grosse tête depuis quelque temps. Et c'était pire lors de la pleine lune, il devenait carrément mégalo.
Il préféra l'ignorer et se concentrer sur Ava et Isaïah.
— Je vous demande pardon pour hier, dit-il d'une petite voix coupable. J'aurais dû vous donner des nouvelles, un petit message, un appel... Je n'ai aucune excuse, mais je m'en veux tellement ! Vous êtes venu chez moi parce que vous vous faisiez du souci et moi je... je me suis comporté comme le pire des enfoirés. Isaïah, je suis vraiment désolé pour Naomi et toi...
— Ça va, assura son ami en haussant les épaules, mais son attitude était beaucoup trop détachée pour être naturelle. C'était inévitable de toute façon... et je me dis que c'est mieux comme ça. Je crois que j'en ai marre d'être le seul à m'investir dans notre relation et... en vouloir plus. J'estime mériter mieux que ça. Et puis, ce ne sont pas les belles nanas qui manquent n'est-ce pas ? Une de perdue, dix de retrouvées ! ajouta-t-il d'un ton faussement enjoué.
La gêne et les ressentiments momentanément mis de côté, Adrian et Ava échangèrent un regard inquiet. Ils savaient à quel point Isaïah aimait Naomi, il avait des sentiments pour elle depuis tout petit. Il s'était toujours accroché malgré le sale caractère de sa dulcinée, malgré leur relation chaotique. Il n'avait jamais rien lâché, parce que Naomi était la femme de sa vie. Mais voilà qu'il avait rompu. Il faisait celui qui s'en sortait la tête haute, mais Adrian et Ava le savaient dévasté.
De concert, ils ouvrirent les bras pour l'attirer à eux. Isaïah accepta le câlin collectif en reniflant, il les serra ensuite contre lui dans une étreinte désespérée, presque brutale. Ils restèrent ainsi pendant plusieurs secondes, puis finirent par se séparer un peu maladroitement.
Isaïah leur sourit, ses yeux brillaient de larmes contenues, mais il avait l'air mieux. Il s'empressa de les essuyer en ronchonnant contre les câlins guimauves.
— Bon, maintenant que vous m'avez consolé et tout et tout, vous pouvez arrêter de vous faire la gueule, s'il vous plaît ? lança-t-il ensuite d'un ton sévère. Non seulement c'est chiant, mais c'est ridicule ! Excusez-vous pour les conneries d'hier et puis basta, ok ?
— Mmmm, répondit Ava avec mauvaise foi, mais son expression n'était plus aussi dédaigneuse.
Adrian décida de se lancer, il détestait être en froid avec son amie. Elle avait dépassé les bornes, c'est vrai, mais lui aussi avait été odieux. Il avait été dur et il devait s'en excuser.
Monsieur le martyr est déjà de retour ! Tu me désespères !
La ferme.
— Ava... ce que je t'ai dit...
— C'était la vérité, l'interrompit cette dernière en haussant les épaules.
EXACTEMENT !
— Quoi ? bafouilla Adrian qui ne s'attendait pas du tout à cette réponse.
— Tu avais raison, ces fiançailles avec Dick... c'est du grand n'importe quoi, grommela son amie avec mauvaise foi. C'est vrai, pourquoi devrais-je me marier avec un autre Sinclair pour préserver l'héritage familial ? Je peux très bien diriger la famille sans homme ! La mère d'Isaïah a très bien porté le nom des Scaveau toute seule, pourquoi pas moi ?
Adrian ne sut que répondre. Oui, il avait toujours trouvé les traditions des grandes familles de loups-garous désuètes, mais surtout ridicules. Il ne s'en était jamais caché, mais jamais, il n'avait ouvertement critiqué les fiançailles d'Ava et Dick. Les deux s'étaient liés d'un commun accord et à défaut d'être romantique, leur "couple" était plein d'affection et de respect mutuel.
— Du coup, j'ai rompu avec Dick. Il l'a bien pris. On n'a jamais été amoureux de toute façon.
Ava haussa à nouveau les épaules, elle agita ensuite une main nonchalante, comme à chaque fois qu'elle balayait un problème qu'elle estimait régler.
— Je suis désolée pour hier, dit-elle ensuite en pinçant les lèvres. J'ai vraiment dépassé les bornes avec Holy. Ce n'était pas à moi de lui dire pour... tu sais quoi. J'ai été odieuse et je m'en excuse sincèrement. A ma décharge, je pensais vraiment qu'il était au courant !
Mais quand même !
Alors que son loup grommelait des paroles peu flatteuses envers Ava, Adrian, lui, se contenta de sourire, heureux de ne plus être en froid avec sa meilleure amie. Il l'aurait bien prise dans ses bras, mais son loup s'y opposa fermement. Il avait toujours eu la rancune tenace.
— Merci d'être une amie en or, Ava, dit Adrian à défaut de pouvoir la câliner. Et je suis quand même désolé pour tes fiançailles. Dick est un mec bien. Mais ce n'est pas celui qu'il te faut.
— Je sais, rétorqua son amie en faisant la moue.
— Tu trouveras quelqu'un d'aussi exceptionnel que toi, la taquina Adrian.
— Arrête avec tes compliments, le rabroua Ava, ses lèvres s'étirèrent cependant en un petit rictus amusé. Je suis toujours fâchée contre toi, hein ! Tu as osé traiter ma famille de tordue !
Sans crier gare, elle lui donna une méchante tape sur l'épaule. Malheureusement pour Adrian, nuit de pleine lune oblige, le coup était décuplé par la force de son loup et il faillit s'étaler au sol.
— Je sais, c'était vache de ma part, plaida-t-il en se frottant l'omoplate, le visage penaud et grimaçant de douleur. Je ferais n'importe quoi pour me faire pardonner !
Oups, songea-t-il en voyant le visage de son amie s'illuminer.
MAIS NON ! Combien de fois je t'ai dis de ne jamais faire ce genre de promesses à cette folle !
— N'importe quoi tu dis ? minauda aussitôt Ava. Dans ce cas, fais une chose pour moi et Isaïah.
Attention, c'est louche !
— Ah oui ? Quoi ? demanda Adrian, avec méfiance.
Ava esquissa cependant un sourire affectueux, elle lui pinça gentiment le bout du nez.
— Arrête d'être désolé pour tout et sois heureux. Je veux que tu sois heureux avec Holy (même si je le déteste toujours pour l'instant). Promets-moi de vivre enfin à fond, d'accord ? Tu as droit au bonheur, Adrian. Et si jamais Holy ose encore te briser le cœur, je le briserais en deux !
Quoi ? Non, mais faut plus la laisser s'approcher de Holy ! Elle est folle !
Adrian lâcha cependant un petit rire, aussitôt imité par Isaïah.
— Cent pour cent d'accord avec Ava, lança-t-il hilare. Même le dernier point, je valide.
— Je vais faire comme si je n'avais pas entendu le dernier point, OK ? rétorqua Adrian, amusé.
Désormais de bonne humeur, Isaïah passa un bras affectueux autour de leurs épaules.
— Et maintenant, si on allait gambader dans les bois au clair de lune ? C'est l'heure pour les loups de sortir. Et puis, Ad, il y a Magda qui te foudroie du regard depuis plusieurs minutes. Tu ferais mieux d'aller la rejoindre, avant qu'elle vienne te chercher elle-même. J'ai entendu dire qu'elle était puissante. Prochain Alpha suprême ou pas, elle pourrait te transformer en carpette !
Adrian sourit avec indulgence, alors qu'il s'esclaffait comme un gamin, sûrement en train d'imaginer la chose. Son loup (décidément très susceptible) était outragé. Mais n'importe quoi !
Leur joie fut cependant de courte durée. Adrian sentit en effet l'arrivée de nouveaux venus. La haine jaillit aussitôt au plus profond de son être, la rage de son loup lui transperça le cœur et les entrailles. Son estomac se tordit lorsque l'odeur immonde de son père lui parvint.
L'Alpha Suprême.
Merde.
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