Chapitre 29

https://youtu.be/6IobzEv0pHo


Imbécile.

Les doigts pressés sur ses tempes douloureuses, Adrian grinça des dents. Indifférent à sa souffrance, son loup continua de l'abreuver d'insultes, gueulant dans sa tête sans le moindre état d'âme. Il lui en voulait toujours à mort et ne ratait aucune occasion pour le lui rappeler.

Tu n'es qu'un putain d'imbécile !

Oui, je sais. Maintenant, la ferme. Lâche-moi un peu, OK ?

Tu as tout gâché ! Holy était là, il nous a dit ce qu'il avait sur le cœur, il a admis qu'il nous aime toujours et toi... comme d'habitude, TU AS TOUT FOIRÉ COMME UNE MERDE !

Mais tais-toi ! FOUS-MOI LA PAIX !

Son loup ne comptait cependant pas lui laisser une seule seconde de répit.

Tu as beau être psy, tu n'es même pas fichu de surmonter tes propres peurs ! Tu ne peux pas juste avoir ENFIN confiance en toi et arrêter de tourner cent ans autour du pot ? Ce n'est pas compliqué ! La prochaine fois qu'on revoit Holy, par pitié, laisse-moi faire !

En espérant qu'il y ait bien une prochaine fois...

Leurs désastreuses retrouvailles dataient maintenant d'une semaine.

Holy n'avait plus donné signe de vie depuis. Adrian ne s'attendait bien évidemment pas à ce qu'il l'appelle, mais il avait quand même espéré le croiser par hasard... Abruti.

Adrian se coula dans son fauteuil en soupirant avec lassitude. Il ferma un instant les yeux. Son prochain patient n'arrivait que dans dix minutes, il avait le temps pour une mini pause.

Ses pensées dérivèrent tout naturellement vers Holy. Adrian repensa à ses paroles.

Je t'ai attendu.

Il revit son regard blessé et chargé de ressentiment.

Tu m'as abandonné.

Ses reproches tournaient en boucle dans sa tête douloureuse.

Tu n'es qu'un menteur !

Elles transperçaient à nouveau sa poitrine comme des lames en argent.

M'as-tu jamais aimé ?

Menteur !

Le cœur douloureux et en lambeaux, Adrian se passa une main tremblante sur le visage.

— Ça ne va pas fort, on dirait, commenta soudain une voix de velours, le faisant sursauter.

VAMPIRE ! hurla au même moment son loup avec dégoût.

Adrian ravala un soupir plein de lassitude, puis rouvrit les yeux.

— Ellis, salua-t-il avec un sourire qu'il espérait ne pas être trop crispé. Vous êtes en avance.

Debout dans l'encadrement de la porte, Ellis Terrebonne lui répondit par un petit rictus carnassier. La seconde suivante, il était nonchalamment installé sur le canapé face à Adrian qui ne broncha pas devant sa petite démonstration de vitesse. Ellis adorait faire ça.

Adrian savait qu'il le faisait exprès juste pour agacer son loup.

Il pouvait être fier.

Depuis le temps, son loup réagissait toujours très mal à la proximité du vampire. Et pas uniquement parce que c'était un ennemi naturel des loups-garous.

Il avait surtout du mal avec son arrogance.

Pouah ! Bon courage avec cette sangsue dandy mégalo, grogna-t-il justement avant de se retirer dans un coin de sa tête avec dédain. Adrian l'entendit presque claquer la porte.

— J'ai frappé, mais vous étiez perdu dans vos pensées, déclara Ellis avec un sourire affable, mais qui donnait surtout froid dans le dos. Que se passe-t-il donc ? Dites-moi tout, petit loup.

JE LUI EN DONNERAIS MOI DU PETIT LOUP !

Je croyais que tu étais parti ? répliqua Adrian, amusé malgré lui, même si les rugissements outrés de son loup ne faisaient qu'accentuer sa migraine. Tiens-toi, tranquille.

Mais c'est lui qui a commencé ! Et puis merde, je m'en vais !

— Alors ? insista Ellis. Que vous arrive-t-il, Adrian ?

— On n'est pas là pour parler de moi, répliqua celui-ci avec un petit sourire indulgent.

— Pourtant, j'adorerais qu'on parle de vous, rétorqua son interlocuteur de sa voix de velours, une lueur sincèrement curieuse dans ses yeux rubis. Cela m'aiderait peut-être à y voir plus clair et à surmonter mes problèmes psychologiques vous ne pensez pas ?

Mais bien sûr.

Pourquoi tu ne le fous pas à la porte ? s'écria son loup avec irritation. Cette sangsue te mène en bourrique depuis des semaines et tu le sais très bien ! On perd notre temps ! Au lieu d'essayer de le faire parler de ses "problèmes", on pourrait faire quelque chose de vraiment utile : comme RETROUVER HOLY et le supplier à genoux de nous pardonner !

Pas maintenant, s'il te plaît.

Adrian réprima un soupir, mais ne put s'empêcher de passer une nouvelle fois la main sur son visage. Il dormait toujours très mal et se sentait constamment fatigué. Il lui fallait vraiment une bonne nuit de sommeil, les somnifères n'avaient cependant aucun effet sur les loups-garous.

Peut-être devrait-il demander à Magda de lui préparer quelque chose de plus fort ? L'idée était tentante, mais les remèdes de sorcière pouvaient provoquer une addiction... Adrian n'avait surtout pas envie de retomber dans ce genre d'enfer. Ava le tuerait s'il osait replonger.

Une pointe d'agacement l'assaillit en pensant à son amie.

Il l'avait soigneusement évité depuis la soirée chez les Hell, répondant à peine à ses messages et ses appels. Heureusement pour lui, Ava était en déplacement pour affaires, sinon elle aurait déjà débarqué à son appartement pour le confronter. Adrian en était bien content, même si cela n'était plus qu'une question de temps avant qu'elle ne lui tombe dessus et lui tire les oreilles comme un gamin. Surtout si elle venait à apprendre qu'il s'était battu contre une goule...

Adrian se préparait déjà au pire.

Réprimant un énième soupir, il décida de se concentrer sur Ellis. Il était en pleine consultation, ce n'était pas le moment de se perdre dans ses problèmes personnels.

Il se redressa légèrement pour mieux faire face à son patient.

— En quoi est-ce que parler de moi pourrait vous aider, Ellis ? Dites-moi.

Comme il s'y attendait, l'interpellé se contenta d'esquisser un minuscule sourire.

— Et si on jouait aux échecs plutôt ? J'ai envie de vous faire mordre la poussière.

***

Je t'avais dit que c'était une perte de temps ! En plus, maintenant on est trempé ! Pouah !

Mais arrête de râler, tu me fatigues !

Adrian retira son casque moto en soufflant d'irritation et de soulagement mêlés.

Enfin au sec ! Il détestait la pluie, surtout lorsqu'il pleuvait des cordes. Ça lui rappelait de très mauvais souvenirs... Adrian secoua vivement la tête pour les chasser, il vérifia ensuite que sa moto était bien calée avant de quitter la cour commune d'un pas précipité pour rejoindre son appartement. Il avait envie d'une bonne soupe. Et d'un verre de cognac.

AH ÇA NON ! Au lieu de boire comme un trou, tu devrais plutôt appeler Holy !

Adrian grommela dans sa barbe en réponse. Le simple fait d'y penser l'angoissait à mort. Appeler Holy... Mais pour lui dire quoi ? Il n'avait pas envie de passer pour un harceleur non plus. Si Holy ne l'avait pas recontacté c'est qu'il avait ses raisons. Ou alors, il ne voulait tout simplement plus le revoir... MAIS TU M'ENEEEEEEEERVES !

Le moral désormais à zéro, Adrian se traîna lamentablement dans les escaliers, alors que son loup vociférait milles menaces dans sa tête douloureuse.

Je te jure que si tu ne l'appelles pas ce soir, je vais te faire vivre un enfer !

Ah oui ? Ce n'est pas déjà le cas ?

Adrian s'immobilisa soudain, les sens en alerte. Il y avait quelqu'un sur son palier.

Mais qui... ?

Son cœur faillit lâcher lorsqu'il reconnut l'odeur de jasmin et de violette. Quoi ? Ne pouvant y croire, il monta les dernières marches quatre à quatre... et se retrouva face à Holy.

HOLY !

Debout devant la porte de son appartement, ce dernier se retourna d'un bond. Il était trempé, ses longs cheveux noirs dégoulinaient sur son visage, ses épaules et dans son cou. Ses vêtements lui collaient à la peau. Il grelottait légèrement, mais ne semblait pas s'en formaliser. Ses iris argentés dardaient Adrian avec intensité, le clouant sur place, tel un lapin pris entre les phares d'une voiture. Mais non ! Tu ne vas pas recommencer !

Adrian ignora son loup. Il ne savait pas comment réagir. Holy n'avait pas l'air amical, mais il ne semblait pas hostile non plus. Il se contentait juste de se mordiller la lèvre sans un mot.

Ils restèrent un long moment plantés l'un face à l'autre à se dévisager dans un silence pesant. Adrian finit par ouvrir la bouche pour lui proposer d'entrer, mais Holy le devança soudain.

— J'ai lu tes livres, lâcha-t-il de but en blanc. Moonflowers. Je les ai lus.

— Ah ? fut tout ce qu'Adrian trouva à répondre.

Il était encore sous le choc. Il ne s'attendait tellement pas à trouver Holy sur le pas de sa porte.

Abruti ! grinça son loup avec irritation.

Prenant les commandes, il sortit les clés et s'empressa de déverrouiller l'entrée. Après un bref instant d'hésitation, il s'effaça, invitant Holy à pénétrer dans son antre. Celui-ci resta immobile pendant de longues et terribles secondes avant d'accepter l'invitation silencieuse.

Vite ! Une serviette et une boisson chaude !

Jubilant intérieurement, son loup se précipita dans leur chambre pour récupérer de quoi se sécher pour Holy. Il lui fourra le tout dans les bras en lui gazouillant de faire comme chez lui.

Holy prit la serviette sans un mot et s'essora les cheveux avec.

Pendant ce temps, Adrian — où plutôt son loup, s'activait avec ferveur.

Il se débarrassa de leur veste trempée, posa leur casque moto dans un coin. Il s'agitait partout dans l'appartement avec entrain. Limite s'il ne frétillait pas de la queue, tellement il était heureux et surexcité de retrouver Holy.

Arrête de t'emballer, grogna mentalement Adrian. Tu ne sais même pas ce qu'il veut nous dire.

Et toi, arrête d'être aussi défaitiste ! Tu attires les mauvaises ondes !

Bien décidé à ce que Holy se sente vraiment bien chez eux, il fit monter le chauffage, puis se précipita dans la cuisine pour préparer du chocolat chaud avec beaucoup de lait et de marshmallows. Holy adorait ça, il s'en souvenait très bien. Comme les tomates !

— Tiens. C'est encore chaud, dit-il en lui tendant la tasse fumante. Tu veux des vêtements de rechange ? Je peux aussi augmenter le chauffage si nécessaire. Tu as faim ? Je crois que j'ai des restes de gumbo (1), mais si tu veux une soupe à la tomate, je peux t'en préparer en vit...

— Adrian.

Ce dernier se tut, la respiration hachée d'avoir trop parlé. L'euphorie de son loup retomba soudain comme un soufflé, laissant place à la nervosité face aux grands yeux de Holy.

Ce dernier avait cependant l'air incertain, jouant avec sa tasse d'un geste hésitant.

— Ce que tu as écrit dans tes livres... c'est vrai ? finit-il par demander sans le regarder.

— Quoi ? Mais comment tu sais que c'est moi qui...

MAIS PUTAIN ! Pourquoi tu éludes sa question ?

Adrian ne répondit pas. La vérité c'était qu'il avait honte. Honte d'avouer à Holy que son père l'avait marqué comme du bétail et qu'il avait été son "chien" pendant des semaines, des mois, avant d'avoir enfin la force et le courage de s'affranchir. Il avait si honte !

— Réponds-moi, exigea Holy, en levant la tête et la voix désormais tremblante. L'histoire dans tes livres... c'est la nôtre, n'est-ce pas ? Andrea et Light... c'est nous. Toi et moi.

— Euh, je... bafouilla Adrian, horriblement gêné.

Bien sûr que ses livres parlaient d'eux, de leur histoire.

Complètement désespéré, Adrian s'était dit que Holy, où qu'il soit, pourrait tomber sur ses bouquins et les lire. Et alors, il comprendrait tout. Il lui pardonnerait peut-être ?

Mais maintenant qu'il était bel et bien là et qu'il voulait en parler, Adrian avait juste envie de se cacher dans un trou de souris, tellement il était embarrassé.

Holy avait vraiment lu ses conneries !

Il dut se faire violence pour ne pas se cacher le visage derrière ses mains comme un gosse. Ses joues le brûlaient intensément, son visage devait être aussi rouge qu'un soleil couchant.

Indifférent à sa gêne, Holy poursuivit son interrogatoire.

— Dans tes livres, le père d'Andrea a utilisé un puissant sortilège pour l'asservir et l'empêcher de retrouver Light. Ton père... c'est ce qu'il a fait avec toi ? C'est ça ?

Adrian déglutit, incapable de trouver les mots pour lui répondre. Face à lui, Holy le dévisageait sans ciller, le regard... plein d'espoir ? Il semblait retenir son souffle, attendant ses explications.

MAIS DIS-LUI ! PARLE, MERDE !

— Dis-moi, exigea Holy, le ton presque implorant. S'il te plaît, Adrian. J'ai besoin de savoir... Quand tu disais que tu voulais vraiment me rejoindre à Oslo, mais que tu ne pouvais pas...

— Oui, répondit Adrian du bout des lèvres. Je te jure que je voulais vraiment te rejoindre, Holy. Je voulais tellement te retrouver, être avec toi, mais je... mon père, il... il m'a...

Il se tut, la gorge devenue sèche, et détourna le regard, honteux.

Les souvenirs de cette horrible nuit lui revinrent en mémoire. Il ressentit à nouveau les genoux de son père enfoncés dans son dos, sa main qui écrasait son visage sur le sol, ses crocs qui s'enfonçaient dans sa nuque, l'horreur et la souffrance... mais surtout l'impuissance.

Son père l'avait ensuite laissé dans les bois, sous la pluie, comme une merde. Complètement traumatisé et incapable de bouger, Adrian était resté prostré au sol, la face dans la boue, pendant des heures et des heures, jusqu'à ce qu'Ava et Isaïah le trouvent.

Le simple fait de repenser à tout cela... Adrian se sentit soudain mal. Horriblement mal.

Sa respiration devint chaotique et ses jambes flageolantes, il dut s'asseoir pour ne pas s'écrouler sur le parquet. Frissonnant et suant à grosses gouttes, il essaya de reprendre son souffle, mais sans succès. Les marques de crocs sur sa nuque le brûlaient horriblement et il avait envie de mourir. Merde, était-il vraiment en train de faire une crise de panique ?!

Mais non ! Adrian, reprends-toi ! Pas devant Holy ! PAS DEVANT HOLY !

Adrian lâcha cependant un gémissement des plus pitoyables. Sa dignité désormais jetée aux orties, il enfouit son visage entre ses mains tremblantes en haletant comme un abruti.

Putain, voilà pourquoi il détestait en parler. A chaque fois, il se transformait en une pauvre et misérable loque gémissante. Son loup avait raison, il avait beau être psy, il était incapable de combattre ses propres traumatismes, même dix ans après. C'était tellement pathétique.

Des bras l'entourèrent soudain, puis le parfum de Holy l'enveloppa de ses effluves floraux, tandis qu'il l'attirait contre lui pour une étreinte. Au bord de l'apoplexie, Adrian plongea aussitôt son visage désormais en larmes dans son cou pour se gorger de son odeur. Il s'accrocha à son amour, son ange comme une bouée de sauvetage. Holy le serra plus fort en réponse.

— Ça va aller, lui chuchota-t-il. Je suis désolé. Je suis tellement désolé...

Nous aussi on est désolé ! Dis-lui, Adrian. Dis-lui !

— Non, c'est moi, sanglota ce dernier, le visage toujours enfoui dans son cou. C'est moi qui suis désolé ! Je te demande pardon, Holy ! Pardon, pour cette horrible nuit, pour tout ce que j'ai dit. Pour t'avoir frappé. Pour t'avoir laissé tomber. J'aurais dû me battre, mais je... Je n'ai aucune excuse, mais si tu savais comme je voulais... je voulais tellement... je te jure que je voulais vraiment te rejoindre... Mais l'Alpha... l'Alpha m'avait marqué et je ne pouvais pas... Pardonne-moi, s'il te plaît. Si tu savais comme je m'en veux...

— Chut, ne dis plus rien, murmura Holy en lui caressant les cheveux. Je sais maintenant. Et je suis tellement désolé. Moi aussi j'aurais dû me battre. J'ai été odieux et injuste la dernière fois. Toutes ces horreurs que j'ai dites... Moi aussi je te demande pardon, Adrian. Mon loup...

Le cœur d'Adrian fit un énorme bond dans sa poitrine à l'écoute de ce petit surnom qui lui avait tant manqué. Il était dans les bras de Holy, ce dernier lui caressait tendrement les cheveux. Était-ce un rêve ? Mais non ! Holy est vraiment là et il nous pardonne ! IL NOUS PARDONNE !

Oui, Holy était vraiment là.

Adrian se blottit davantage contre lui en soupirant de bonheur. Ils restèrent ainsi pendant un long moment. Adrian n'avait jamais été aussi bien depuis très longtemps.

— Moi aussi je t'aime, lâcha soudain Holy en réponse à sa déclaration ratée de leur dernière rencontre. J'ai pensé à toi tout le temps. Chaque minute, chaque seconde...

Adrian redressa vivement la tête, le cœur au bord de l'implosion. Son regard fut immédiatement happé par les iris argentés si beaux, si magnifiques, alors que leurs visages se rapprochaient lentement. Puis leurs lèvres se trouvèrent tout naturellement pour un doux baiser.


(1) ragoût originaire de la Louisiane française préparé à base d'un bouillon fortement aromatisé, de viandes ou de crustacés, d'un épaississant et de légumes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top