Chapitre 23
https://youtu.be/ZigpYamCurM
Eté 2020, La Nouvelle-Orléans
Did I mean anything at all to you
Did I mean anything at all to you
Ses écouteurs sans fil aux oreilles, Adrian martelait nerveusement le sac de frappe, alternant entre les directs, les coups de genou et les circulaires. Le front et le débardeur trempés de sueur, il s'entraînait depuis des heures dans l'espoir de se changer les idées, en vain.
La chanson de Moonflowers n'aidait pas. Il l'écoutait en boucle depuis des jours, et les paroles continuaient à chaque fois de lui transpercer le cœur, lui faisant autant mal que des coups de couteau. Adrian se sentait visé, Holy avait-il écrit le morceau en pensant à lui et sa trahison ? Il ne le saurait sans doute jamais. Cette pensée ne fit que le déprimer davantage.
Do you think about us every now and then
Because I do
Did I mean anything at all to you (1)
Le souffle court, Adrian redoubla de violence dans ses coups, enchaînant les attaques avec encore plus de hargne et de rapidité. Coup de poing, coup de pied, coup de poing, coup de pied... N'en pouvant plus, le sac de frappe finit soudain catapulté au sol dans un bruit sourd.
Merde.
Adrian retira ses écouteurs en soufflant d'exaspération avant de les glisser dans la poche de son short. Il s'accorda ensuite une petite seconde pour reprendre ses esprits, puis s'empressa de ramasser le sac de frappe qu'il parvint à soulever sans effort.
— Désolé, Yann, grimaça-t-il alors que ce dernier l'aidait à tout remettre en place, sans succès. Le sac était fichu. Je payerais pour les dégâts, bien sûr. Tu me fais une facture et...
— Et si tu passais plutôt à la maison ce week-end ? suggéra son coach et ami avec un petit sourire en coin. Ça fait longtemps. Magda n'arrête pas de demander de tes nouvelles...
— Ce week-end ce n'est pas possible, fit Adrian de plus en plus embarrassé. Tu sais, avec...
— Ah oui, c'est vrai... Tu as tes obligations de futur Alpha Suprême à remplir, plaisanta Yann. Pas de soucis, je comprends. Mais tu nous dois une soirée spéciale ! Magda sera ravie...
Il lui fit un clin d'œil malicieux avant de s'éloigner pour s'occuper d'autres boxeurs. Adrian le suivit d'un regard amusé, mais fut bien vite rappelé à l'ordre par les grognements irrités de son loup. Celui-ci ne manquait jamais de se manifester à chaque fois qu'il osait flirter avec quelqu'un ou pire, coucher avec. Arrête de le reluquer ! Tu m'énerves à mater son cul !
Mais n'importe quoi ! Je ne le reluque pas du tout, grommela intérieurement Adrian. Et toi, arrête de me harceler. Tu fais chier, je me sens déjà assez mal comme ça.
Mais son loup continua de l'assaillir de reproches alors qu'il retirait ses bandes de boxe.
Adrian soupira, agacé.
Ils étaient en conflit perpétuel depuis neuf ans. Adrian n'en pouvait plus des migraines et du paracétamol. Si son loup pouvait juste le lâcher le temps d'une journée...
Et toi, si tu pouvais arrêter d'enchaîner les plans cul !
Arrête d'exagérer ! Je n'enchaîne pas les plans cul !
— Adrichou !
— Tu vois ? Je t'avais dit qu'il serait ici !
L'interpellé saisit aussitôt cette belle occasion pour couper court à cette énième dispute aussi ridicule que fatigante. Toujours furieux, son loup se renfrogna dans un coin de sa tête, alors qu'Ava et Isaïah arrivaient à sa hauteur. Tous deux paraissaient très inquiets, surtout Ava.
— Adrian, ça fait des jours qu'on essaie de te mettre la main dessus ! Ça va ?
NON !
— Euh ouais, pourquoi ça n'irait pas ? se défendit aussitôt l'interpellé.
Il évita cependant le regard de son amie, prétextant une soudaine soif pour se détourner et saisir sa gourde isotherme d'une main légèrement tremblante, puis la vider d'une traite.
— Ruth Hell est morte.
Adrian se figea. Ses doigts se crispèrent malgré lui, écrasant légèrement la bouteille.
— Je sais, répliqua-t-il, toujours sur la défensive, mais Ava ne comptait pas lâcher l'affaire.
— Naomi Hell va être intronisée ce week-end.
— Oui je sais !
— Tous les Hell seront là.
Le cœur d'Adrian battait la chamade. Bien sûr qu'il était au courant de tout cela ! Il n'arrêtait pas d'y penser depuis des jours. Il n'arrêtait pas de penser à ce que la mort de Ruth Hell impliquait. A l'intronisation de Naomi. La réception organisée ce week-end. Tous les gens qui viendront. Tous les Hell seront là. Tous les Hell... HOLY ! On va enfin le revoir !
— OK, ne put-il que souffler, la gorge soudain sèche.
— Holy Hell sera là, insista quand même Ava, bien décidée à le faire réagir.
— Ava, stop ! s'écria Adrian. Je vais bien d'accord ? Je vais très bien.
Menteur ! Tu passes tes nuits à boire, écouter Moonflowers et baiser avec n'importe qui !
LA FERME !
Les yeux plissés d'irritation, Ava ouvrit la bouche pour répliquer, mais Isaïah posa une main sur son épaule. Il fit un léger signe de tête vers les mains d'Adrian. Celui-ci baissa les yeux pour constater que la gourde en acier était totalement écrasée dans son poing serré et tremblant.
Merde.
— Et si on allait manger ? proposa Isaïah d'un ton exagérément enjoué. Rien de mieux qu'un bon café et une énorme assiette d'œufs et de saucisses pour avoir le moral !
Ava ne répondit pas, trop occupée à couver Adrian d'un œil toujours aussi suspicieux. Ce dernier haussa les épaules en levant les yeux au ciel. Habitué à leurs petites querelles, Isaïah sourit et passa un bras affectueux autour de leurs épaules pour une accolade de groupe.
— Allez ! Ça fait longtemps qu'on n'a pas petit-déjeuné ensemble tous les trois !
— Ok, grogna Adrian. J'ai encore deux heures avant mon rendez-vous avec Ellis. Je vous retrouve au Country Club dans trente minutes ? Juste le temps de me doucher et me changer.
— D'accord, mais n'essaies même pas de nous faire faux bond ! Dis-toi bien que je te retrouverais, où que tu te caches, le menaça Ava, avant de s'en aller, suivie d'un Isaïah hilare.
***
Comme d'habitude, ils s'installèrent sur la terrasse du restaurant dans l'espoir de profiter de la fraîcheur des arbres, mais la chaleur estivale restait désespérément étouffante.
— Ava ! Qu'est-ce que tu fais ? protesta Adrian alors que son amie agitait un énorme morceau de saucisse sous son nez, une expression déterminée, presque effrayante, sur le visage.
— Je te nourris, répondit-elle d'un ton sans réplique. Regarde-toi, tu es maigre comme un clou. Tu prends le temps de manger au moins ? Ou tu es trop occupé à écrire tes bouquins ?
A passer du bon temps avec Yann et Magda et tout un tas d'autres personnes surtout !
Mais arrête !
— N'importe quoi. Je peux me nourrir tout seul, maugréa Adrian en attrapant la fourchette pour avaler lui-même le morceau de viande. Arrête de te faire du souci pour moi, Ava. Je vais bien.
Menteur. On ne va pas bien du tout !
Son loup avait raison. Adrian n'avait jamais été aussi angoissé de toute sa vie. Il était terrifié.
Il n'avait plus revu Holy depuis neuf ans. Ce dernier n'était plus jamais revenu à la Nouvelle Orléans depuis cette horrible nuit. Adrian n'avait plus jamais pu lui reparler malgré toutes ses tentatives pour le contacter. Holy n'avait jamais répondu à ses appels, ses SMS, ses mails, ses lettres. Il avait purement et simplement rayé Adrian de sa vie. Il ne lui avait jamais pardonné.
La simple idée de le revoir après toutes ces années le mettait dans tous ses états. Depuis la mort de Ruth Hell, Adrian avait une énorme boule dans la gorge. Tout un maelstrom d'envies et d'émotions contradictoires ricochaient dans son esprit en vrac : joie, angoisse, impatience...
Le simple fait de penser à Holy le faisait trembler de peur et d'excitation. Adrian ne se sentait pas prêt pour une confrontation, mais en même temps, il avait tellement hâte de le retrouver enfin ! Hâte de redécouvrir ses traits, son odeur, d'entendre sa voix pour de vrai et non dans les clips ou les interviews de Moonflowers. Neuf ans qu'il se languissait de Holy Hell.
— Je n'arrive toujours pas à croire que Hazel Terrebonne t'ait confié la thérapie de son petit frère adoré, fit Isaïah, l'arrachant à ses pensées déprimantes. C'est dingue, on parle quand même du Seigneur vampire de la Louisiane ! Comment tu as fait pour gagner ses faveurs ?
— Moi, ça ne m'étonne pas du tout, intervint Ava en avalant une bouchée de son plat. Adrian est un excellent thérapeute. Le meilleur même ! Et si Ellis Terrebonne venait à piquer une de ses crises mortelles, Adrichou est tout à fait capable de se défendre. N'est-ce pas ? Termine ton assiette, ajouta-t-elle d'un ton autoritaire, ce qui lui valut un regard noir de la part d'Adrian.
— Ava !
Ecoute-la et mange !
Un inconfortable silence s'installa entre eux, Adrian restait obstinément concentré sur son assiette, évitant le regard insistant d'Ava. Isaïah se racla la gorge au bout de quelques minutes. Adrian sut aussitôt qu'il s'apprêtait à aborder le sujet qui fâche. Génial.
— Et donc... tu tiens le coup pour samedi ? demanda son meilleur ami avec hésitation.
— Oui, grinça Adrian, le ton acerbe. Je tiens parfaitement le coup, merci.
— Adrian...
— Non ! Je veux que vous arrêtez avec cette question stupide ! s'écria-t-il, perdant patience. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts en neuf ans ! Revoir Holy ne va pas me tuer !
Menteur.
— Arrêtez de flipper, je ne vais pas recommencer mes conneries, d'accord ? Je ne suis plus un gamin, c'est derrière moi tout ça. Je vous promets que je vais bien maintenant.
Menteur !
— OK... mais si tu as besoin de parler... commença Isaïah.
— Viens à la maison, le coupa Ava. Je n'aime pas l'idée de te savoir seul dans ton grand et déprimant appartement, Adrian. Et puis Dick sera ravi de te revoir. Il n'arrête pas de te demander. Visiblement, tu lui manques beaucoup, ajouta-t-elle en levant les yeux au ciel.
Pitié, non ! Je déteste ce type ! intervint aussitôt son loup avec toute la mauvaise foi du monde. Il fut plus qu'heureux lorsqu'Adrian déclina gentiment la proposition de son amie.
— Ava, c'est vraiment gentil de t'inquiéter et crois-moi, j'aurais adoré passer du bon temps avec toi et Dick, mais j'ai beaucoup de travail en ce moment. Il y a mes patients, mais aussi le dernier tome de Moonflowers. Il faut que j'avance sur l'écriture du bouquin, mon éditeur n'arrête pas de me harceler. J'ai un délai à respecter tu comprends ?
Comme à chaque fois qu'il parlait de ses livres, Ava fit la moue. Elle désapprouvait fortement qu'il ait choisi le même nom que le groupe de Holy pour sa saga littéraire.
— Comment peux-tu aller de l'avant si tu écris des bouquins dont le titre te fait penser à ton ex ? n'avait-elle cessé de marteler lorsqu'Adrian avait commencé à écrire le premier tome.
Sur un coup de tête, il avait envoyé son manuscrit à des maisons d'édition. Il ne s'était pas du tout attendu à ce que ses romans dégoulinants d'amour soient édités et encore moins à ce qu'ils rencontrent autant de succès. Et pourtant les lecteurs adoraient vraiment l'histoire de Light et Andrea. Adrian recevait régulièrement des messages pour savoir quand sortait la suite.
La suite... On a besoin de Holy pour écrire la fin de la saga !
Mais Holy ne voulait plus d'eux. Il avait tourné la page depuis neuf ans.
Adrian, lui, n'y arrivait pas. Il n'avait jamais oublié, il n'y arrivait pas, ne pouvait pas. Holy restait le seul et unique amour de sa vie et cela ne changerait sans doute jamais.
Et maintenant qu'il avait une toute petite chance de le revoir après toutes ces années, Adrian alternait entre les moments de détermination intense et ceux où il déprimait comme une larve dans son lit. Dans le premier cas, Adrian échafaudait mille plans pour pouvoir parler à Holy lors de l'intronisation de Naomi. Il avait préparé tout un discours. Mais Holy accepterait-il seulement de l'écouter ? A cette pensée, il basculait alors dans le deuxième cas et finissait complètement démoralisé, surtout lorsqu'il se rendait compte que Holy viendrait sûrement avec son mec.
Ne sois pas aussi défaitiste ! protestait à chaque fois son loup. Tu ne dois pas abandonner ! Il faut qu'on parle à Holy lors de cette réception. C'est peut-être notre seule et unique chance !
Ce soir-là, Adrian avait le moral dans les chaussettes lorsqu'il retrouva son grand et déprimant appartement comme le disait si bien Ava. Il s'écroula sur son canapé, totalement harassé et déprimé comme jamais. Son loup l'avait harcelé toute la journée, Ellis continuait de lui mener la vie dure pendant leur thérapie et il n'avait pas la force d'écrire une ligne pour le dernier tome de Moonflowers. Il ne savait même pas quoi écrire, son cerveau était complètement vide.
Son loup avait raison, il avait besoin de Holy pour conclure la saga. Il devait absolument lui parler ce week-end. Mais en attendant ce jour tant attendu et redouté, Adrian n'avait finalement pas le courage de rester seul avec ses idées noires ce soir. Il attrapa mollement son téléphone après une seconde d'hésitation. Ah non ! Non, non, NON ! Je t'interdis ! Adrian, je t'interdis...
La ferme, songea ce dernier en appuyant sur la touche "appeler".
— Allo, Yann ? Magda et toi, vous faites quoi ce soir ? Je me disais que je pourrais passer...
(1) Est-ce que je signifiais quelque chose pour toi ?
Est-ce que je signifiais quelque chose pour toi ?
Penses-tu à nous de temps en temps ?
Parce que je le fais
Est-ce que je signifiais quelque chose pour toi ?
Anything at All, Dead by April
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