Chapitre 10

https://youtu.be/cqYTtLBEOvQ

Septembre 2007, La Nouvelle-Orléans

Adrian passa la main dans ses cheveux pour la millionième fois de la journée. Il attrapa ensuite un stylo qu'il tapota nerveusement sur la table. Il n'arrivait pas à se concentrer. Aujourd'hui plus que jamais. C'était l'anniversaire de Holy et Adrian ne pensait qu'à une seule chose : lui offrir son cadeau. L'angoisse l'envahit aussitôt à cette pensée. Et si Holy n'aimait pas ce qu'il lui avait acheté ? Pire : s'il l'envoyait bouler ? Il avait toutes les raisons de le faire.

Sans même s'en rendre compte, Adrian serra convulsivement le poing. Le stylo se brisa dans un bruit sec entre ses doigts tremblants. L'encre gicla sur sa peau, la teintant d'un beau rouge carmin. À moins que ce ne soit du sang ? Le sien ? Adrian dut se faire violence pour ne pas porter la main à sa bouche et sucer cette substance sûrement délicieuse...

— Adrian, pourrais-tu m'accorder une minute s'il te plaît ? l'interpella Madame Lemarchand à la fin du cours d'histoire. J'ai besoin de te parler.

Adrian réprima un grognement contrarié. Il se dirigea à contrecœur vers le bureau de sa professeure. Son loup hurlait de rage dans un coin de sa tête. C'était douloureux.

NON ! On va rater Holy !

— Adrian... Est-ce que tu vas bien ?

Madame Lemarchand le fixait avec une inquiétude non voilée. Adrian réussit à grimacer un sourire pour faire bonne figure, mais le cœur n'y était pas. Il n'avait pas envie d'être là et encore moins de parler avec sa professeur. Il savait déjà ce qu'elle allait lui dire.

— Adrian... Je sais à quel point les derniers mois ont été durs pour toi. Perdre un proche est extrêmement douloureux et je sais qu'en ce moment, tu es constamment seul à la maison avec ton père en déplacement et ta sœur à l'université. Si jamais tu as besoin d'en parler...

— Je vais bien, Madame, le coupa-t-il aussitôt sans se départir de son sourire forcé. Je suis désolé pour mes notes catastrophiques et je vous promets de me rattraper cette année.

— Adrian...

— Je peux y aller, s'il vous plaît ? Je suis attendu à la maison.

Madame Lemarchand continua cependant de le couver d'un regard inquiet pendant plusieurs minutes, avant de soupirer. Adrian s'en voulait de la rembarrer aussi sèchement, mais elle ne pouvait pas comprendre. Toute cette histoire ne la regardait pas.

— Très bien. Tu peux y aller, mais tu vas devoir redoubler d'efforts pour remonter ta moyenne.

— Oui, bien sûr. Je demanderais à Isaïah de m'aider. Bonne journée Madame !

Adrian se rua dans le couloir sans demander son reste. Il s'appuya un instant contre un casier pour souffler un bon coup et réprimer la nausée qui le tenaillait. Une migraine atroce lui vrillait les tempes alors que son loup hurlait dans sa tête, exprimant toute sa rage et sa frustration.

Holy ! Où est-il ? Trouvons-le !

Mais ta gueule ! FERME TA PUTAIN DE GUEULE !

— Salut, Adrian.

Ce dernier sursauta lorsqu'une élève de première se planta devant lui. Il reconnut Ava Sinclair, la plus jolie fille du lycée et la louve la plus en vue des meutes de La Nouvelle-Orléans. Que lui voulait-elle ? Adrian n'avait pas de temps à perdre. Il devait retrouver Holy...

— Euh, salut.

— Ça va ? Tu as une petite mine depuis la rentrée.

Adrian ne sut que répondre. Il préféra se tenir sur ses gardes. Ava et lui n'avaient encore jamais parlé avant, les relations entre les Ashes et les Sinclair ayant toujours été tendues. Et pourtant, voilà qu'elle se tenait devant lui, la mine affable. Aucune hostilité n'émanait de sa personne. Au contraire, elle lui adressa un petit sourire compatissant.

— Je sais ce que tu vis, déclara-t-elle de but en blanc. Les premiers mois d'entraînements sont toujours un enfer. Ton père doit t'en faire baver, mais crois-moi, c'est nécessaire.

Fais-la taire et allons voir Holy !

— Il faut que ton corps et ton mental soient prêts pour ta quinzième lune. C'est toujours dur au début, mais une fois la première transformation surmontée, tu te sentiras super bien, tu verras.

Holy ! Holy ! HOLY !

Adrian ne put retenir un grognement de douleur. N'en pouvant plus, il ramena son sac devant lui pour y prendre de l'eau et une boîte de paracétamol. Il avala deux comprimés et vida la bouteille d'une traite. Ava le regarda faire, sans se départir de son air compatissant.

— C'est ton loup, hein ? Il te fait la misère ? demanda-t-elle.

— Ouais, on va dire ça, grogna Adrian en jetant négligemment son sac sur son épaule.

Il se détourna ensuite dans l'intention de s'en aller et retrouver enfin Holy.

— Écoute, je sais pas ce que tu veux, mais faut que j'y aille. Merci pour tes encouragements.

— Attends.

Ava lui attrapa la main et, sans plus de cérémonie, nota quelque chose sur sa paume avec un stylo. Elle rejeta ensuite ses longs cheveux blonds en arrière, un léger sourire aux lèvres.

— C'est mon numéro. Pour m'appeler ou m'envoyer un message. Crois-moi, ça fait du bien de discuter de tout ça, de savoir qu'on n'est pas seul. À plus Adrian et prend bien soin de toi.

Après un dernier sourire, elle tourna les talons et s'éloigna d'une démarche gracieuse. Adrian resta un instant figé sur place, interdit par ce qui venait de se passer. Ava Sinclair venait de lui donner son numéro de téléphone alors qu'elle ne l'avait encore jamais calculé jusqu'à présent.

On est le prochain Alpha. Elle et sa louve veulent former une alliance.

N'importe quoi.

Adrian s'en fichait de toutes ces histoires d'Alpha et d'alliance. Ava ne l'intéressait pas du tout. Tout ce qu'il voulait c'était offrir son cadeau à Holy. Il se précipita vers la sortie, paniqué à l'idée que ce dernier soit déjà parti. Holy ne s'attardait jamais au lycée après les cours.

On va le rater, gémit son loup avec désespoir. Adrian se sentait dans le même état. Il avait besoin de voir Holy, de lui parler ne serait qu'une petite minute.

Son cœur fit un énorme bond dans sa poitrine en le voyant devant le portail du lycée. Il semblait attendre quelqu'un et Adrian ressentit une pointe de tristesse en sachant que ce n'était pas lui. Il stoppa un instant pour essayer d'arranger son apparence débraillée, souffla un bon coup, puis s'approcha d'une démarche mal assurée.

— Salut, murmura-t-il en arrivant à sa hauteur.

Holy se raidit aussitôt en le voyant. Il le dévisagea avec surprise, comme incapable de dire quelque chose, avant de se reprendre et retirer ses écouteurs.

— Adrian ? Euh salut, finit-il par répondre du bout des lèvres. Ça va ? T'as l'air... fatigué.

Adrian ne répondit pas. Son cœur battait la chamade. C'était la première fois depuis très longtemps qu'il pouvait contempler Holy d'aussi près. Il avait un peu changé en cinq mois : de jolies mèches bleues et violettes égayaient désormais sa chevelure noire, il avait des piercings aux oreilles et au coin de la lèvre, et ses grands yeux gris étaient rehaussés par un mince trait de khôl noir. Son nouveau look le rendait encore plus...

Magnifique. Il est magnifique ! On doit lui dire !

— Ça te va bien tout ça, balbutia Adrian en agitant maladroitement une main.

— Merci, mais... Adrian, qu'est-ce que tu veux ? demanda Holy, le ton soudain abrupt.

Il se mordilla la lèvre, comme à chaque fois qu'il était mal à l'aise, puis se tritura une de ses mèches bleues. Son regard dériva un instant vers le portail du lycée qui continuait de vomir une marée d'élèves pressés de rentrer chez eux, puis revint sur Adrian. Il fronça les sourcils et ce dernier sentit le peu d'assurance qui lui restait s'envoler vers d'autres cieux et contrées.

— Je voulais juste... Je voudrais te donner... ton cadeau, bafouilla-t-il.

Adrian se sentit lamentable et enfonça brusquement ses mains dans ses poches. Il ne voulait pas que Holy les voit trembler. Il ne devait surtout pas comprendre à quel point...

— Quoi ? Un cadeau ? répéta Holy, sans comprendre.

— Oui, c'est ton anniversaire aujourd'hui et... j'ai... j'ai un cadeau pour toi.

— Mais pourquoi ? Toi et moi, on...

— Holy !

Un élève se précipita vers eux, ou plutôt vers Holy à qui il adressa un petit sourire navré.

— Désolé, je t'ai fait attendre ? Je me suis perdu dans les couloirs du lycée... oh euh salut ?

Adrian ne répondit pas, il se contenta de fixer le nouveau venu sans ciller. Son cerveau bloquait sur plusieurs détails dérangeants le concernant : Adrian ne put s'empêcher de remarquer qu'il se tenait beaucoup trop près de Holy. Qu'il le regardait de manière bizarre, mais surtout...

— Parker, tu veux bien m'attendre un peu plus loin, s'il te plaît ? Voici, Adrian... c'est un ami. Adrian et moi... Adrian voudrait me dire un truc. Ce ne sera pas long, promis.

— OK, pas de souci.

Le dénommé Parker s'éloigna, non sans avoir jeté un coup d'œil curieux, mais également un peu méfiant vers Adrian. Celui-ci le toisa méchamment en retour.

— Écoute, Adrian... commença Holy, en ramenant une mèche violette derrière son oreille, l'air toujours aussi mal à l'aise, mais l'interpellé le coupa dans son élan.

— Ce type... il sent ton odeur, souffla-t-il, la voix devenue rauque.

— Quoi ?

— Ton odeur... elle est partout sur lui.

— Ah. Euh... oui.

Holy hésita un instant, puis un éclair de colère anima soudain son regard argenté.

— Parker et moi... on sort ensemble. Depuis la fin de l'été, lâcha-t-il d'une traite et avec une certaine défiance. ll faut d'ailleurs que j'y aille, on passe la journée en amoureux pour mon anniversaire.

Parker et moi... on sort ensemble. On passe la journée en amoureux...

Les paroles de Holy firent l'effet d'une bombe. Adrian ne captait plus son cerveau. Ses poings se serrèrent convulsivement dans ses poches, son cœur cogna à nouveau dans sa poitrine avec violence, mais ce n'était pas une bonne nouvelle. Le loup grondait de rage et de haine à l'intérieur de lui. Adrian avait envie d'arracher la tête de ce Parker à mains nues.

Il faut le tuer ! TUONS-LE.

L'air désormais agacé, Holy fit mine de tourner les talons pour rejoindre son petit-ami. Non non non ! Son cerveau soudain débloqué, Adrian lui attrapa le bras d'un geste désespéré.

— Attends, Holy...

— Non, il faut que j'y aille !

— S'il te plaît.

On doit lui dire ! Adrian se sentit à nouveau trembler. Ses doigts s'enroulèrent plus étroitement autour du poignet de Holy. Il ne devait surtout pas le lâcher, ne surtout pas le lâcher...

— Adrian... lâche-moi. Tu me fais mal.

— Attends, s'il te plaît. Ton cadeau...

— Hey, ça va ? Holy, il t'embête ? Lâche-le ! s'écria soudain Parker-le-petit-ami en se précipitant vers eux, l'air à la fois alarmé et furieux.

La ferme ! Holy est à nous ! À NOUS ! Tuons-le ! TUONS-LE !

Adrian serra les dents, une migraine atroce tambourinait à nouveau contre ses tempes alors que son loup hurlait dans sa tête, réclamant le sang de Parker. Il dut se faire violence pour ne pas céder aux horribles pulsions qui l'encourageaient à se jeter sur le petit-ami de Holy et lui arracher la gorge avec les dents. Il avait l'impression de devenir fou.

Anthony avait-il vécu la même chose ?

Adrian ne put retenir un gémissement d'animal blessé et recula de plusieurs pas. Il ne devait surtout pas perdre le contrôle en plein lycée, il sentait les regards braqués sur lui, l'angoisse monter. Il pria presque pour qu'Isaïah ou même Ava intervienne, mais personne ne vint à son secours. Il était seul. Seul face à Holy qui le regardait avec colère et tristesse.

Adrian ne s'était jamais senti aussi minable et pathétique. Il ne put que se raccrocher à ce pourquoi il était venu. C'était le seul moyen de ne pas sombrer.

— S'il te plaît, chuchota-t-il d'une voix rauque. Je veux juste t'offrir ton ca...

— NON, TAIS-TOI ! hurla soudain Holy avec rage. Pour qui tu te prends, hein ? Tu m'ignores complètement pendant des mois et ensuite, tu te ramènes soudain comme une fleur pour m'offrir un cadeau ? MAIS J'EN VEUX PAS DE TON CADEAU ! Je ne veux rien de toi compris ? Et maintenant, laisse-moi tranquille, Adrian. LAISSE-MOI ! Je ne veux plus jamais te voir !

Les yeux désormais pleins de larmes, Holy tourna les talons et partit en courant.

***

— Tu es en retard.

— Oui. Pardon, père.

Adrian ne se perdit pas en excuses futiles. À la place, il s'empressa de retirer ses chaussures et son t-shirt qu'il déposa ensuite sur une caisse en bois.

Le sous-sol était plongé dans la pénombre, mais il distinguait parfaitement son père — l'Alpha. Simplement vêtu d'une chemise et d'un pantalon en toile, celui-ci se tenait dans un coin de la pièce. Mains derrière le dos, il le fixait de ses iris vert glacial. Comme d'habitude, ses traits n'exprimaient aucune émotion, mais Adrian savait qu'il était contrarié.

Adrian sentit la peur et le malaise l'envahir, comme à chaque fois qu'il se trouvait en présence de l'Alpha, mais ne laissa rien transparaître. Le désespoir qu'il avait éprouvé face à Holy un peu plus tôt avait également disparu, comme si tout ce qu'il ressentait était resté sur le pas de la porte du sous-sol. De toute façon, c'était mieux comme ça. Il n'y avait aucune place pour les sentiments lors des entraînements avec l'Alpha Suprême.

Désormais à l'état de robot, Adrian s'empara de longues chaînes qu'il entreprit d'enrouler autour de ses biceps et de ses bras dans des gestes lents et méthodiques. L'argent lui brûla aussitôt la chair, envoyant des pics de souffrance partout dans son corps. La douleur était insoutenable, et pourtant Adrian continua sa besogne en serrant les dents.

L'extrémité de chaque chaîne serrée dans ses poings douloureux, il se planta ensuite devant un sac de frappe et commença à taper dessus avec hargne. Adrian sentait sa peau se liquéfier à chaque coup lorsque le métal s'enfonçait un peu plus dans sa chair.

Il continua cependant de frapper, encore et encore, s'acharnant sur le sac pour évacuer toute sa rage et sa frustration. Il repensa à Holy, à ses yeux pleins de larmes. Adrian sentit son coeur se serrer. Il aurait dû le laisser tranquille. C'était stupide. Holy avait raison. Son misérable cadeau ne valait rien, il n'excusait rien. Holy méritait mieux. Il avait Parker maintenant.

Penser à cet abruti le remplit aussitôt d'une rage immense. Adrian essaya de ne pas les imaginer ensemble avec Holy. Il ne voulait surtout pas les imaginer en amoureux et encore moins en train de... Non non non ! Il préféra visualiser la tête niaise de Parker dans son esprit à chacun de ses coups de poing. Son loup hurlait d'excitation dans sa tête.

C'était à la fois grisant et gerbant. Anthony avait-il ressenti la même chose lors de ses entraînements ? Poussé par une curiosité morbide, Adrian se demanda soudain dans quelle partie du sous-sol il s'était suicidé. Et si c'était ces mêmes chaînes qu'il avait autour des bras qu'Anthony avait utilisées pour se pendre ? Est-ce qu'il s'était senti libéré ? Adrian se trouva monstrueux de penser à de telles choses. Pourquoi y pensait-il d'ailleurs ? Il devenait fou.

Le souffle désormais court, le corps en sueur, les bras et les mains en sang, Adrian continua de taper encore et encore sous le regard extrêmement satisfait de son père. Celui-ci ne disait rien, mais il appréciait clairement de voir à quel point son fils avait développé une excellente endurance. La preuve : il ne fit aucun commentaire désobligeant lorsqu'Adrian finit par s'écrouler au sol au bout de plusieurs minutes ? heures ? à tabasser ce maudit sac.

Adrian ne sentait plus ses bras et ses mains, mais la douleur n'était rien comparée aux sentiments qui revinrent le torturer lorsque la rage et l'adrénaline finirent par retomber : le mal-être s'empara à nouveau de lui lorsqu'il revit les grands yeux à la fois tristes et furieux de Holy. Le désespoir reprit ses droits et Adrian se sentit plus misérable que jamais. 


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