chapitre 3
Les rayons provenant de la timide lumière rosée réveillèrent Felix aux aurores. Vidé de toute énergie et d'émotion, il se leva lentement et contempla un moment ses camarades assoupis sur leur lit de fortune. On pourrait presque croire qu'ils dormaient d'un sommeil calme et paisible. Il se remémora chacun de leur visage et leur brève histoire de la veille. C'est seulement à cet instant que Felix réalisa qu'il ne connait le passé d'aucun d'entre eux. Il devint soudainement très curieux à leur propos, mais il devait attendre pour aborder ce sujet délicat.
Le jeune homme marcha jusqu'à la sortie. Tout autour de lui, les jeunes garçons, enfants comme adolescents, dormaient lourdement, épuisés de leurs affreuses journées dans cet enfer. Malgré sa solitude, Felix se dit qu'il n'était pas aussi seul qu'il ne le pensait. Chaque prisonnier dans ces dortoirs avait été arraché à leur famille, pillé de tout ce qu'ils avaient, pour être réduit en esclave. Ils vivaient le même enfer, ensemble. Un sentiment d'injustice et de haine s'emparait de lui au fur et à mesure qu'il s'approchait de la sortie. Il avait besoin d'air, besoin de calmer sa haine contre ceux qui commandaient dans ce navire, contre les hommes qui volaient la vie des enfants, par pur amusement.
Il trouva enfin la sortie, il fut accueilli par un bain de lumière qui lui aveugla les yeux. Après de longues secondes, Felix essaya de se repérer depuis la veille, il n'y avait personne, il devait être vraiment tôt. Il se dirigea vers le bord du navire, il s'assit sur un banc, à regarder les vagues noires lécher l'immense bateau. Son anxiété de monter sur ce genre de transport s'estompait, il essayait de rester maître de soi-même, et de se convaincre qu'il n'avait aucune raison d'avoir peur. Cela se faisait naturellement maintenant, vu qu'il ne tenait plus à la vie.
Son âme était restée sur son île, avec ceux qu'il aimait, mais son corps était enchaîné sur ce bateau. Il avait perdu tout plaisir, tout sentiment qui l'animait autrefois. Il avait pris du recul depuis la veille, certes, même si cette déchirure continuait de s'agrandir petit à petit. Tout ce qu'il restait de sa vie passée, c'était ce collier. Ce modeste, enfantin, mais si symbolique bijou, ornait son cou. Il le porta à ses mains et le serra délicatement contre son cœur. Ce n'était qu'un fil, avec un coquillage, le plus beau coquillage qu'il avait aperçu sur la plage, plusieurs années auparavant. Il lui rappelait les soirées passées avec ses amis, les sourires des habitants qu'il croisait et qui illuminaient ses journées, la vie qu'il avait avant que tout n'ait basculé. Ce collier lui rappelait tout ce qui lui était arrivé de bien, car il l'avait porté depuis des années, il avait tout vécu avec.
Des pas lourds le tirèrent de sa douce rêverie. Felix se tourna vivement, et vit un adulte, un pirate donc, chauve, tatoué, surtout sur le crâne, le regard dur. Le détenu attendait qu'il lui hurle qu'il avait désobéi, le lendemain de sa capture, qu'il allait recevoir mille douleurs, mais il n'en fit rien.
- C'est toi le nouveau prisonnier ?
L'intéressé acquiesça vivement, attendant la suite.
- Le capitaine en personne veut te voir.
- Qui, moi ?
- Tu crois que je cause à qui, à la mouette ?
Choqué par sa dure réponse, Felix se releva rapidement et le suivit, terrorisé à l'idée de rencontrer le capitaine en personne. Il ne savait pas que chaque détenu recevait une audience privée avec le chef des chefs sur le navire. Ils marchèrent jusqu'à l'opposé de là où ils se trouvaient. Le pirate s'arrêta enfin devant l'antre du capitaine. Felix sentit un frisson glacé parcourir son échine.
Le pirate toqua à la porte, elle fut ouverte quelques instants après, par le garçon qui avait donné l'ordre de capturer Felix, le fils du capitaine. Felix se força d'ignorer son regard, et ils s'engouffrèrent dans le compartiment. La porte se referma derrière eux, la salle était plutôt grande, elle devait être celle où le grand chef convoquait ses hommes et pouvait montrer sa supériorité. Des dizaines de bougies allumées ornaient le mobilier. Des armes en tout genre et des trophées de guerre étaient exposés sur les murs. Les tables en bois sombre sur les côtés du mur portaient diverses cartes et autres objets d'observation. Deux pirates très musclés se tenaient des deux côtés d'un grand trône finement sculpté et mis en avant, occupé par le capitaine. En parlant de lui, il l'attendait, avec une posture impérieuse, celle que prenait chaque personne qui aimait se faire respecter. Il dégageait, comme son fils, une aura intimidante et froide. Il portait un grand couvre-chef, celui que portait tous les capitaines, ses vêtements étaient soignés et élégants, noirs et blancs principalement. Sa barbe et sa moustache rendait son impression d'autant plus sauvage. Le pirate qui l'avait accompagné le poussa en avant, et prit fermement son épaule.
- Agenouille-toi devant notre capitaine.
Gouverné par la peur que lui inspirait cette atmosphère, il obéît et attendit l'ordre de se relever, ce qu'il fit au bout de quelques secondes. Sa voix était calme, mais ferme, avec une pointe d'amusement. Il se remit debout, et fixa son maître, tentant de ne pas montrer sa peur.
- Tu es l'un des premiers prisonniers à avoir été convoqué le premier jour, réjouis-t'en. En effet, j'ai été agréablement surpris du rapport de mon fils de la bataille de cette nuit. Il m'a raconté l'histoire d'un jeune garçon, d'une riche famille qui plus est, qui l'a personnellement défié pour tenter de sauver son île. Il a décelé en toi un grand potentiel, tu aurais les qualités nécessaires pour faire un bon membre de mon équipage. J'ai donc voulu rencontrer ce garçon en personne. Je serais satisfait de confirmer tes fameux talents de pirate. De plus, suite à une bataille récente, nous avons perdu bon nombre de moussaillons, de nouveaux novices prometteurs seraient la bienvenue. Qu'en penses-tu ?
Le silence se faisait lourd, ils attendaient tous une réponse. Le fils du capitaine était venu à ses côtés et dévisagea de nouveau le détenu. Felix prit une longue inspiration, essayant de trouver les mots pour éviter de se faire tuer sur le champ.
- Sans vouloir vous offenser, ou vous manquer de respect, mon capitaine, je ne partage pas les mêmes valeurs que la piraterie. Je préfère finir mes jours en esclave, j'exécuterai tous vos ordres. Mais je refuse de me battre pour tuer.
Le capitaine haussa les sourcils, et sourît légèrement.
- Je ne suis pas étonné de ta réponse, mon fils m'avait prévenu que tu ne serais pas facile à convaincre. Malheureusement, je ne suis pas aussi conciliant. Tous mes prisonniers sont entraînés sur mon navire, mais beaucoup échouent et me déçoivent terriblement. Ils sont contraints d'être réduits à nettoyer mon navire. Je ne peux pas laisser un prisonnier faire seulement le ménage alors qu'il aurait des talents pour être un pirate redoutable.
Le capitaine fit une pause, laissant à Felix le temps de réfléchir, mais celui-ci avait son mot à dire.
- Tout ce que je veux, c'est rentrer chez moi, je ne suis pas fait pour cette vie.
- Tous les prisonniers ont ce même rêve, mais je te propose un marché. Si tu réussis à me prouver ta valeur, je t'engagerai en tant que membre de mon équipage, et je te laisserai partir quand j'aurai assez de matelots compétents pour mon navire. Mais si tu causes du tort à mes lois, ou que tu n'es pas à la hauteur, tu finiras esclave jusqu'à la fin de tes jours, ou même pire. Cela te convient-il ?
Felix essaya de réfléchir rapidement. S'il faisait tout ce qu'il lui ordonnait, il pourrait bientôt rentrer chez lui, dans quelques années dans le pire des cas. Mais il n'avait pas le droit à l'erreur, il ne pouvait pas tenter de s'enfuir. Il fallait jouer le tout pour le tout, c'était la seule manière de retrouver sa vie d'avant.
- J'accepte, déclara-t-il avec un air impassible.
- Merveilleux, je savais que tu n'étais pas si bête. Je te donne jusqu'au jour du grand tournoi qui a lieu chaque mois. Le prochain est dans quelques jours, mais comme je suis d'humeur joyeuse aujourd'hui, je te donne jusqu'à celui du mois prochain. Mon fils sera ton mentor.
Felix hocha la tête, même si tout ce qui était en train de se passer était hors de son contrôle, encore une fois.
- C'est tout pour moi, je te laisse prendre ton repas avec tes semblables. Les mêmes règles sont appliquées pour toi aussi, c'est-à-dire toujours obéir aux ordres, et n'opposer aucune résistance envers mon équipage. En revanche, si mon fils préfère t'entraîner durant la nuit, tu as le droit de sortir de ton dortoir après le couvre-feu, mais uniquement pour ce motif. Si tu tentes de t'échapper, je me montrerai beaucoup moins clément qu'avec de simples coups de fouet. Est-ce bien clair ?
- Oui mon capitaine.
- Excellent, avant de t'en aller, pourrais-tu me dire ton nom ? Il faut bien que je connaisse mon futur champion.
- Mon nom est Felix.
- Felix, drôle de nom. Mais enfin bon, un peu d'originalité ne fait pas de mal sur ce navire.
Le capitaine le congédia, et avec une rapide révérence forcée, Felix se fit raccompagner par le chauve tatoué qui l'avait amené dans cet endroit, encore pensif de ce qu'il s'était passé depuis ces dernières terrifiantes minutes.
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