chapitre 10

L'entraînement se déroulait de la même manière que la dernière fois. Le fils du capitaine lui proposait de nouveaux enchaînements, que Felix exécutait en rythme avec lui. Il se sentait bien, il oubliait temporairement les sentiments complexes qu'il éprouvait pour lui. Il se concentrait uniquement sur le combat, sur le bruit des lames qui s'entrechoquaient, sur son cœur qui devenait plus léger à mesure qu'il effectuait les mouvements. Le fils du capitaine arrêta le cours, il semblait satisfait des progrès de son protégé.

Felix le remercia, puis se retourna, en s'interdisant de le dévorer des yeux. La nuit, cette fois sans étoile, le plongea dans l'obscurité, malgré quelques torches flamboyantes à bord du navire. Le rouquin, occupé par ses pensées tumultueuses, trébucha bruyamment sur un obstacle non identifié, qui tomba lourdement et fit trembler ses pieds. Pris d'une soudaine panique, Felix regarda autour de lui, prêt à détaler. Il vit une silhouette tournée vers lui, il reconnut le fils du capitaine. Sans réfléchir, il s'enfuît, il courut dans la nuit du plus vite qu'il put, en n'y voyant qu'à moitié, jusqu'à sa chambre. Il se posa sur son lit, et regarda le plafond, encore haletant de sa brutale montée d'adrénaline. Il fut alors pris d'un fou rire silencieux, certainement dû à la fatigue, et peut-être aussi à la maladresse qu'il avait montré au fils du capitaine, il se sentit affreusement ridicule.

Malgré sa bonne volonté, il ne réussît pas à trouver le sommeil de sitôt, il repensa à tout ce qu'il s'était passé depuis ces derniers jours. Son ancienne vie le manquait cruellement, mais malgré cette douloureuse sensation de vide, il commençait à s'habituer à cette nouvelle vie, aussi périlleuse et palpitante soit elle. Il pensa à tout ce qu'il s'était passé en seulement trois jours. Il pouvait penser ce qu'il voulait, mais une chose était sûre, jamais il ne s'était senti aussi vivant, jamais il n'aurait vécu autant de choses s'il était resté sur sa petite île. Il serait resté le Felix rêveur, celui que tout le monde aimait. Rien ne venait perturber cette belle petite vie, jusqu'au jour où un jeune homme ne vienne tout changer, qui l'arrache aux griffes de son destin. Il avait toujours rêvé de la vie sur un navire, vivre mille et une aventures qu'il aurait raconté aux jeunes enfants, pouvoir sentir le vent de liberté qui l'aurait amené chaque jour vers une destinée nouvelle et incertaine. Il en avait rêvé durant des années, et le voici, à bord d'un navire, combattant tous les jours pour pouvoir devenir un pirate, et avoir la chance de retrouver un beau jour son père, ses chers amis, son ancien maître, les terres sur lesquelles il avait grandi. Mais s'il réussissait, il savait que tout allait changer, ces années dans la piraterie qu'il vivrait manqueraient à Felix une fois qu'il serait retourné à sa vie tranquille et sans réelle aventure. Il ne savait plus où il en était, il ne put s'empêcher de laisser quelques larmes salées tomber. Il finît par s'endormir, malgré la tempête en lui.

La journée de fête avait allégé l'ambiance chez les prisonniers, même Seungmin, qui semblait s'être légèrement adouci. La tâche d'assistant en cuisine fut assignée à Felix, qui n'avait jamais cuisiné de plat de sa vie. Il espérait que le chef cuisinier serait gentil, il alla alors dans la pièce dédiée à préparer la nourriture des pirates, il suivit ceux qui s'y rendaient aussi. Il découvrit une salle, le mur de pierre, à droite, contenait un trou servant à faire cuire les plats, une grande table de bois ancien se trouvait au centre. Quatre jeunes hommes étaient déjà autour de la table, attendant en silence. Un portait une toque de cuisinier, muni d'un tablier blanc, Felix pensa que c'était l'apprenti, qui attendait son maître. Ses cheveux châtains lui tombaient devant les yeux, il avait l'air gentil. A sa grande surprise, il commençait à parler, comme s'il était aux commandes de tout.

- Pour ce midi, nous allons préparer du saumon grillé, accompagné d'algues, et des ...

Il commença la répartition des tâches, jusqu'à appeler le nouveau.

- Minho et Felix, allez chercher les caisses de saumon.

Le rouquin chercha ce fameux Minho du regard, celui-ci sembla le reconnaître et s'avança vers lui en souriant. Il était plutôt grand, ses cheveux étaient bruns, le corps imposant, ni trop musclé, ni trop gringalet, avec un visage accueillant.

- Alors c'est toi le nouveau ? On raconte tellement d'histoires à ton sujet.

Felix fut étonné, bien que ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait. Son interlocuteur marcha à ses côtés.

- D'après ce qu'on raconte, commença-t-il, tu aurais défié le fils du capitaine lui-même, alors qu'ils attaquaient votre île, tu te serais débattu comme un diable. C'est incroyable.

Felix fut très gêné par la manière dont cette histoire a été racontée, il balbutia un remerciement, toujours pas habitué à ce genre de conversation qui le gênait. Il ne savait que faire pour briser la glace, mais ils arrivèrent rapidement à destination, dans la réserve où Felix s'entraînait chaque soir avec le fils du capitaine. Minho connaissait le chemin vers les poissons qu'ils étaient venus chercher. Il indiqua les caisses à Felix, étant longues, ils devaient les porter à deux, une par une.

- Deux caisses devraient suffire, je demanderai à Jisung.

- Au fait, demanda le nouveau. Le garçon qui nous a demandé d'aller chercher les saumons, pourquoi c'est lui qui donne les ordres ?

- Jisung, c'est une longue histoire, soupira Minho. Il était orphelin depuis qu'il était tout petit, un jour, un homme l'a trouvé, et l'a élevé. Il était cuisinier dans une auberge, il lui avait appris tout ce qu'il savait. Et quelques années après, il a rencontré par hasard le capitaine, ils se connaissaient depuis très longtemps. Il a alors rejoint la piraterie, avec Jisung. Ils faisaient tous les deux la cuisine pour cet équipage. Et il y a deux ans, le cuisinier a péri dans une terrible bataille. Jisung s'est retrouvé seul, donc des prisonniers l'aident à préparer les repas depuis.

Les deux garçons transportèrent la première caisse, silencieusement, l'odeur du poisson frais s'invita dans les narines de Felix, qui espérait en avoir pour ce midi. Il était dans ses pensées, il pensa à tout ce que son associé lui avait raconté. Il se sentait moins seul dans sa peine, tous les garçons qui n'étaient pas des pirates avaient vécu des épreuves terribles. Il décida d'opter pour un sujet plus léger, plus particulièrement concernant la grande fête de la soirée.

- Donc, tu combattras ce soir ?

- On ne sait jamais ce qu'il se passera à l'avance, le capitaine nous choisit sur le moment. Mais il y a beaucoup de prisonniers qui ne veulent pas se battre, ou qui n'ont pas l'étoffe pour devenir un pirate un jour. Alors tous ceux-là sont mis sur la touche, ceux qui ne combattent pas pendant plusieurs tournois savent ce qu'il se passera pour eux après, ils seront vendus au marché des esclaves dès que le navire accoste sur une île réputée pour ce genre de trafic.

- Et toi tu combats souvent ?

- Souvent oui, sans vouloir me vanter, répondit le plus vieux. J'ai vécu dans un navire la plus grande partie de ma vie, donc j'ai eu des facilités en venant ici.

- Donc tu aimes te battre ? s'enquit le rouquin, qui admirait sa prestance.

- Pas vraiment, avoua Minho. Se battre pour divertir, je trouve ça insultant. Mais c'est le seul moyen pour devenir un vrai pirate. Je préfère me battre pour protéger, pour servir la justice et la paix.

Il savait que ce rêve était très difficile à atteindre, mais il ne semblait pas malheureux dans cet endroit. Ils arrivèrent dans la cuisine, les assistants du cuisinier se poussèrent pour les laisser passer. Les deux jeunes hommes posèrent lourdement la caisse sur la table. Jisung s'avança vers eux, et ouvrit la caisse. Les poissons, fraîchement morts et intacts grâce aux pillons de glace, remplirent Felix de dégoût, que l'odeur vint soulever.

- Cette caisse suffira, tous les deux, vous couperez les saumons. Minho, comme tu as l'habitude, tu montreras à Felix comment faire.

- Mais à vos ordres, mon capitaine, se moqua le brun en souriant.

Le cuisinier leva les yeux au ciel, un léger sourire en coin, exaspéré par sa pitrerie. Minho prit une planche en bois pour couper les aliments, ainsi qu'un long couteau aiguisé, Felix le suivit, totalement perdu. Ils s'installèrent sur la table, après avoir déplacé la caisse. Le plus expérimenté commença doucement, pour que son nouvel ami puisse voir. Celui-ci trouva les mouvements faciles, bien que la texture du cadavre le fît encore grimacer. Couper la tête des corps immobiles et le vider dans les restes fut la partie la plus pénible pour Felix, ses grimaces faisaient rire son associé, qui lui était très rapide dans ce qu'il faisait. Un silence calme, accompagné de quelques murmures, et parfois de rires discrets, régnait dans les cuisines. Une fois les organes non comestibles enlevés, et les morceaux soigneusement coupés, Minho appela le chef pour confirmer leur travail.

- C'est parfait, commenta Jisung. Comme d'habitude.

- Comme moi tu veux dire, rectifia Minho en passant sa main dans ses cheveux.

Le rouquin était perplexe, il regarda la scène, insolite et plus qu'étrange. Jisung leva encore les yeux au ciel, se contenant de rire devant lui.

- Felix et moi, on va préparer la sauce pour le plat. Toi Minho, tu vas commencer à préparer les tables avec les autres.

Le brun partit, en saluant Felix de la main. Jisung prépara la table avec les ustensiles, puis lui indiqua les ingrédients à aller chercher dans la réserve, avec leur emplacement. Le nouveau hocha la tête, puis partit en direction de l'entrepôt. Il pénétra dans la pièce, bien éclairée par le soleil déjà haut dans le ciel sans nuage. Il prit les quelques ingrédients que le chef lui avait demandé. Il trouva facilement les herbes, situées dans de minuscules boîtes en bois, il espérait ne pas s'être trompé. En revanche, il ne trouva pas la caisse qui contenait les citrons, il fouilla précipitamment, il ne voulait pas mettre trop de temps à effectuer cette tâche.

Il entendit des bruits de pas, s'approcher vers lui. Felix se retourna, c'était le fils du capitaine. Ils se regardèrent un cours instant, avant que le brun ne prenne la parole.

- Comme on ne pourra pas s'entraîner ce soir, on se retrouve cet après-midi, ici.

Felix réfléchît rapidement, puis acquiesça. Il attendit que son maître s'en aille, mais il semblait vouloir dire quelque chose, encore une fois.

- Tu semblais perdu avant que je n'arrive. Tu cherches quelque chose ?

- Oh, je cherchais juste un citron.

Felix jura intérieurement, il voulait lui parler avec froideur et détachement, et à la place, il lui parlait de citron. Il voulait y arriver seul, sans demander d'aide, surtout à lui. Le fils du capitaine alla vers les caisses, en ouvrit une, puis passa son bras à l'intérieur. Il revint vers le rouquin en tendant sa main. Felix le prit, contraint de la remercier. Au contact de sa peau, il remarqua que sa main était chaude, un nouveau frisson le traversa. De nouveau confus, il s'empressa de sortir de cette pièce, en laissant son interlocuteur derrière lui. Il put sentir son regard posé sur lui jusqu'à ce qu'il ne sorte de la réserve, il en trembla.

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