Chapitre 1⏳Nouvelle lune⌛
Nouvelle Lune
« La lune se trouve entre le soleil et la terre. »
WIKIPEDIA
« Journal inconnu, février 2016
Parfois, j'aimerais juste tout jeter, tout abandonner, comme un lâche, pour ne plus supporter toute cette injustice qui me noie, qui me tue. J'aimerais tellement être comme tous ces jeunes, sans singularité, juste accablé par divers« problèmes » liés à mon âge. Je voudrais avoir le choix de tout ce qui me concerne, ne pas simplement hocher la tête de bas en haut pour accepter le meilleur, ne pas avoir de meilleur,juste du flou, des chemins sans fin, des horizons par milliers.
Ouais, seulement, la vie n'est pas un jeu que l'on dirige.
On a pas toujours d'autres alternatives. »
...
Je me souviens de cette histoire que je lisais tout petit, elle racontait la pénible aventure d'un jeune homme abandonné de tous,sans repère, livré à lui-même, sans connaissance du monde. Elle m'avait profondément touché, je m'étais imaginé à la place de ce garçon, au milieu d'une foule sans scrupule, perdu, désœuvré, au bord du précipice, sans sa force à lui. Parfois, je le voyais dans mes rêves, de dos, le pas rapide mais chancelant, brillant de sa propre couleur. Il était différent, je l'enviais, je voulais sa vie, son destin, ses aventures, tout me paraissait fade à côté de cette image qui s'animait malgré moi dans mes songes. Je voyageais au travers de ce personnage, bercé de doux tumultes, guidé par une folie purement nocturne et personnelle. C'était mon secret,ma face cachée, une pensée interdite. Il n'existait pas, il ne devait pas exister, seule la nuit lui donnait vie. Il était mon invention, bien que quelque peu inspiré d'une lecture antérieure,je ne voulais pas le partager, son existence n'effleurait même pas l'esprit de mon entourage.
J'ai grandi avec lui, et je vieillirais probablement en le gardant près de moi, coupé de toute autre perspective. Il était tout ce qui me manquait, tout ce que le présent ne pouvait m'offrir, un savant mélange entre une idéalisation et des caractéristiques humaines.Si je l'avais lui, qu'importe ce qui arrivait autour de moi, rien n'était en mesure de m'atteindre. Je l'imaginais en ma compagnie à la bibliothèque, dans un café populaire à quelques mètres de ma maison, dans ma salle de classe, dans ma chambre, partout où j'étais capable de le voir à la perfection. Il en devenait plus réel que ma propre personne,il vivait dans mon regard et me dépossédait du peu d'attrait que j'avais. Dans ma tête, nous avions le même âge, des passions similaires tout en étant différents. Il était la lune,j'étais le soleil. J'étais la douceur, il était ardent et c'est comme cela que nous nous entendions. Sans lui il ne restait qu'une infime partie de ma personne, je ne ressemblais qu'à l'un de ces enfants égarés, sans connexion avec le monde actuel, oppressés par tous ces mouvements répétitifs. J'en fuyais le jour pour le rejoindre le plus rapidement possible.
Je ne quittais que rarement mon obsession, les seules fois où je me permettais de m'éloigner de tout cela c'était pour sortir chercher de nouveaux paysages, désireux que j'étais de moderniser mon petit monde. Je traversais des rues inconnues, passais par des quartiers qui ne devais pas être empruntés, entrais dans de petites boutiques un peu à l'écart dans la seule optique de ne pas essouffler mon extraordinaire aventure. Je ne voulais pas que mon ami étouffe dans un quotidien trop morne, il lui fallait passer par de nombreuses péripéties, même si cela risquait de me fatiguer physiquement. S'il souriait, je souriais. C'était ainsi et pas autrement. Je ne connaissais rien de plus prenant que cette amitié,je ne connaissais rien tout court, toutes mes expériences provenaient de ce coin de paradis irréel. Il était mon troisième visage, la représentation la plus réaliste de cette fièvre vivante qui bouillait au plus profond de mon corps.
J'étais malade, un peu, je pense, de ce mal que l'on nomme « une âme romanesque ». Je regardais le monde de mon hublot, la tête dans les nuages, toujours perché un peu plus haut que la moyenne,mon ami imaginaire à mes côtés en train de pointer de l'index ce qui lui paraissait être la mésaventure la plus intéressante de toute son existence. Je ne lui résistais jamais dans ces moments-là,je finissais toujours par jouer ses idées avant de m'endormir. Après tout, c'était son droit aussi, on pouvait bien écrire les épisodes de sa vie ensemble.
Je n'envisageais rien de plus, je ne me voyais pas écouler mes jours autrement, le fait de passer du temps avec de vraies personnes ne me traversait même pas la tête. Je me plaisais, ça me satisfaisait,tout était calculé, m'atteindre était impossible. Je ne croyais en rien d'autre que lui. C'est pour cela que je n'ai pas été surpris quand je l'ai vu, un après-midi, au milieu d'une rue inconnue, de dos, l'air chétif. J'ai compris que ce n'était que la somme de toutes mes équations passées. À force de le contempler de loin, il me revenait, ce n'était que le résultat de mes convictions les plus obscures.
Sans trop réfléchir, je l'ai suivi, discrètement, des étoiles dans le regard. Il existait, mon rêve prenait vie, mon ami était en face de moi. Il y avait cette dimension qui l'entourait, cette couleur qui se dégageait de sa carrure puissante qui ne me permettaient pas d'émettre le moindre doute. Aussi fou que cela puisse paraître, je l'avais trouvé. Mon cœur en saignait, mes lèvres en tremblaient rien qu'à la pensée d'apprendre son prénom, sa situation, ses rêves. La figure abstraite qui me berçait depuis sept années s'effaçait pour se faire remplacer par une peinture plus nette. Malheureusement, je n'ai fait que le suivre, sans trouver le courage de m'adresser à lui, laissant cette chimère m'échapper douloureusement.
Plusieurs fois, suite à cela, je suis retourné dans cette même rue pour le revoir, sans succès. Le présent semblait se jouer de moi, il se moquait de mon manque d'initiative, de la faiblesse dont j'avais fait preuve tandis qu'on m'offrait l'opportunité d'attraper mon étoile pour vivre avec elle en pleine journée, sans la lune pour nous épier. Je ne recevais que le juste prix de ma sottise et plus j'y pensais, plus mon ventre se tordait à l'idée de l'avoir laissé s'évaporer sous les rayons ardents du soleil. Il m'était devenu impossible de l'imaginer, à chaque fois je revoyais son dos large, ses bras se balancer, sa chevelure rougeoyante maintenue par un bonnet dépenaillé, tout, sans erreur et, intérieurement, je sentais mes organes craquer sous l'imposante charge de mes contritions.
De jour en jour le poison de l'existence s'infiltrait dans tous mes pores, noircissant mes pensées, obstruant mes poumons d'une pollution émotionnelle. Ainsi donné en pâture aux bêtes violentes de ce siècle, délaissé au milieu d'un rêve inachevé, je m'en voulais. Il avait été là, sous mes yeux, aussi seul et désœuvré que dans mon imagination et je n'avais su lui tendre la main, comme un imbécile. Je me suis mis à échafauder des plans pour le retrouver. J'ai tracé des lignes, des axes, soucieux à son sujet. J'étais prêt à partir à l'aventure, indéniablement, si cela me permettait de revoir celui pour qui, journellement, mon cœur battait. Mes pieds, plusieurs fois, ont dérapé sur le bitume, effaçant tout le chemin parcouru. Je me perdais dans le décor, je baissais les bras, ma quête me semblait interminable et irréalisable. Exsangue, je rentrais, vide de tout espoir, sans énergie, abattu par cette absence. Mes mots étaient creux, mes nuits encore plus, je ne trouvais pas le sommeil dans mon lit, il manquait une présence, alors je profitais des cours pour m'assoupir un peu, mettant de côté mon avenir pour regretter mon passé. J'étais bien du temps où nous vivions à deux dans une tête, je respirais encore, j'étais léger, je me surprenais à trouver les jours moins longs, plus amusants. Au final, je n'arrivais pas à me décider à propos de cette apparition, je ne savais pas si elle était un don du ciel ou une erreur fatale. Dépouillé, je tentais du mieux que je le pouvais de tenir sur mes deux jambes, droit, inflexible, pour ne pas être agressé d'avantage par le monde vaste qui s'étendait dès à présent devant mon regard assombri. Il ne me restait que des bribes à exploiter, des morceaux infinitésimaux, des lettres minuscules sur une page bien trop grande pour que je m'y retrouve entièrement. Je n'étais plus qu'une moitié de moi-même.
Je me suis mis à penser que tout se finissait, que toute amitié devait se terminer un jour ou l'autre, je devais abandonner ce pour quoi je vivais depuis si longtemps et, comme si l'univers venait d'entendre ma prière secrète, comme si cette rue disposait d'une conscience encore inexplorée, il est réapparu. Mon cœur a bondi dans ma poitrine, mon sang s'est remis à circuler correctement, ma tête s'est mis à songer à tout allure, mes pieds l'ont suivi sans que je ne leur en donne l'ordre. Sa peau était encore plus pâle que la dernière fois, son corps plus creux, cela formait un contraste étrange avec son aura captivante. Il regardait droit devant lui, sans se soucier des autres, fier comme un âne au premier abord. Ses vêtements n'avaient pas énormément changé, son bonnet était toujours apposé contre cette chevelure rebelle, son pantalon paraissait trop large pour le protéger correctement, ses chaussures donnaient l'impression de supporter une planète inconnue. Oui, il avait ce charme "je m'en foutiste" que je lui connaissais.
Je l'ai suivi tout le temps que je le pouvais, curieux et intimidé, dans l'espoir de dénicher quelque information à son sujet. Il n'a pas parlé, n'a rien sorti de ses poches, il marchait simplement tel un spectre perdu dans un siècle ne lui appartenant pas. De là où je me trouvais, c'était à peine si j'étais en mesure de distinguer un quelconque signe témoignant de son humanité, il se déplaçait, sans vie, vers un but que lui seul connaissait. Sa course s'est arrêté en face d'une maison classique, le genre de maison qui ne laisse rien deviner. Il est entré, sans même me remarquer, avant de disparaître. Je me suis approché de la boîte aux lettres, plus excité que jamais, ce jeune homme avait un nom, un lieu pour le recueillir, il existait, je n'étais pas fou. Mes yeux se sont posés sur le petit bout de carton protégé par une barrière de plastique, là, se trouvait l'identité de mon ami le plus fidèle...
Park
Famille Park.
Mon rêve se nommait Park.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top