Chapitre XXXVII
La petite oubliait souvent de se débarbouiller. Elle oubliait de se coiffer et de mettre son bonnet.
Cependant, elle ne manquait jamais d'aller à la recherche du balai dès qu'elle ouvrait les yeux au petit matin.
Peu importe le nombre de fois que Valjean lui avait répété que, dorénavant, son unique obligation était de jouer.
Et, bien qu'il ne l'ait pas dit, de se laisser contempler.
La petite n'était pas ce qu'il attendait ; maigre et endurcie par le travail, elle avait des élans de tendresse candide envers la poupée que le galérien lui avait offerte. De plus en plus souvent, cette douceur qui ne s'encombrait que rarement de mots s'adressait aussi à Valjean.
Jean Valjean découvrait l'affection naissante dans les regards limpides qui s'attardaient sur lui, accrochés à ses yeux incrédules de forçat ; dans une petite main qui ne craignait plus de se laisser tenir... Dans les rares sourires que Cosette lui cachait un petit peu moins.
" Papa ?"
Le mot semblait encore hésitant parfois.
" Dis-moi, ma petite.
- Nous allons aussi regarder les plantes aujourd'hui ?"
Il neigeait dehors. Les carreaux encrassés étaient à peine assez épais pour garder le froid éloigné.
Valjean avait jeté un coup d'œil au poêle qui ronflait à pleine puissance mais qui n'arrivait pas à empêcher leurs souffles de se condenser en petits nuages blancs.
" Tu sais, Cosette, tu as le droit de dire si tu n'aimes pas quelque chose."
La fillette laissait son regard vagabonder sur la robe couleur du ciel de sa poupée.
" C'est que ça c'est pas facile. Je ne sais pas ce que j'aime, moi. Parfois, je sais les choses que je n'aime pas, mais..."
Cosette avait laissé le reste de la phrase se perdre pendant qu'elle mordillait sa lèvre inférieure.
" Je ne sais pas. Maman m'aurait dit. Les mamans savent ces choses, non ?
- Oui, ma Cosette. Les mamans savent ces choses.
- Et les papas aussi ?
- Et les papas aussi.
- Alors je suis contente que tu sois mon papa. Même si je suis triste pour maman.
- Elle...était malade ma Cosette... "
Cosette hocha la tête et lutta fièrement contre les larmes.
Valjean hocha la tête à son tour. Même s'il ne trouvait pas le moyen de réconforter la petite,Valjean comprenait. Il ne pouvait pas s'empêcher de comprendre une enfant qui n'avait jamais eu de choix ni de guide.
Incertain, il examina l'approvisionnement en bois ; même s'ils laissaient le poêle brûler nuit et jour, il durerait encore une semaine.
" Je vais chercher le dîner. Tu veux du lait ou tu préfères du vin ?." dit Valjean sur un ton léger et doux.
Cosette avait regardé Catherine, sa poupée, tandis qu'elle laissait échapper un petit rire.
" Le lait se boit le matin, papa. Et les petites filles ne boivent pas de vin.
- Ah ! De l'eau alors pour nous deux."
Le galérien avait ramassé alors la casserole et les deux bols sales de la veille pour les rendre à la tenancière de la gargote d'une rue avoisinant la masure.
Le petit ménage insolite qui venait de s'installer dans la maison Gorbeau n'avait pas de vaisselle ; ils ne possédaient pas davantage de vêtements ; à force de ne rien avoir, ils n'avaient même pas l'habitude d'échanger des politesses avec les voisins.
Cela n'empêchait pas le reste des occupants du logis de les considérer avec quelque sorte de sympathie.
Le vieillard portait une longue barbe blanche qui lui mangeait les joues ; sa démarche était lente, distraite comme s'il regardait en permanence à l'intérieur de lui-même. La fillette était petite et sèche comme un sarment coupé trop tôt ; on n'arrivait pas à discerner si les traces qu'elle avait sur le visage étaient des tâches ou des bleus qui guérissaient.
Leur expression morne était identique.
Comme ces deux-là marchaient main dans la main à travers les landes dépeuplées du boulevard de l'Hôpital, lui, le dos voûté sous le poids du manteau jaune qui ne le quittait jamais et avec un crêpe noir sur son chapeau mou ; elle échevelée et portant le deuil comme une veuve minuscule, il était impossible pour le passant occasionnel de rester impassible.
Le badaud se demandait alors pour qui ils pouvaient bien porter le deuil pour être à ce point affligés et égarés.
Jean Valjean ne voyait rien de tout cela.
Il était heureux.
Il souffrait de ce bonheur qui surprend sa victime et la fait trembler de peur.
Il n'était plus libre de faire un faux pas, il n'était pas libre d'être à nouveau emprisonné. Il n'avait même plus la liberté d'aller croupir en enfer.
La main de la fillette s'accrochait à la sienne, confiante et tiède.
Une vie à protéger...
" Qu'est-ce que c'est, papa ?, demanda Cosette avec une petite moue d'inquiétude lorsque Valjean retourna avec le panier qui dégageait une bonne odeur de cuisine.
- Je crois que c'est des pommes de terre avec du lard. J'ai aussi acheté du fromage et des pommes.
- Non, pas ça ! - avait ri la petite - le ballot que tu as sous le bras.
- Ah ! Ça ! Je crois que c'est pour toi, si je ne me trompe pas."
Le bagnard avait remis à la fillette le paquet enveloppé dans du papier journal et la regardait fixement l'ouvrir.
Les yeux tristes, immenses et cristallins de Cosette s'étaient grand ouverts...
" Un châle de bonne laine ! Papa... Je n'aurai plus jamais froid !
- Si tu as froid, tu peux le dire, mon ange...
- C'est que ce n'est pas facile, tu sais ?
- Oui... "
Après le déjeuner, ils se reposaient.
C'était une sorte de routine qu'ils avaient tous deux adoptée implicitement.
Valjean se couchait sur son matelas posé à même le sol ; Cosette restait à table et jouait à la dinette avec Catherine.
Elle retournerait bientôt derrière la cloison que Valjean lui avait fait installer, elle s'allongerait et dormirait. Parfois, des rayons faibles de soleil parvenaient à se faufiler à travers les nuages et les carreaux encrassés pour réchauffer un peu sa peau avant que le soir ne tombe. La lumière berçait cet ange.
Les deux fugitifs se remettaient ainsi de la fatigue qui leur collait aux os. En silence et toujours saisis d'effroi, ils essayaient de se convaincre une fois pour toutes que c'était vrai, qu'ils avaient finalement réussi à échapper à leur destin.
Cosette pensait à la mère qu'elle n'avait qu'imaginée avant de l'avoir perdue.
Valjean pleurait Javert et le sommeil l'esquivait.
Son esprit et son cœur en deuil cherchaient des artifices qui lui permettraient de retrouver son amant.
Mais la France est vaste... et Javert pouvait être n'importe où.
Il pouvait encore être à Montreuil ; il pouvait même être à Paris comme c'était son souhait.
Comment pouvait Valjean le savoir ? Comment le retrouver ? À qui pouvait-il écrire ? À qui se confier désormais ?
Dans la voie qu'il avait empruntée, Jean Valjean serait seul.
Non, il avait Cosette... Sa petite.
Ce souffle particulier qui flottait entre eux, de plus en plus intense, avec des racines toujours plus robustes, cette affection tranquille et effrayante qui se développait entre eux et que Valjean ne parvenait pas à nommer, ne pouvait être que de l'amour.
Il coulait de sa poitrine tout naturellement vers la petite fille...
Sans lui causer d'autre douleur que la prémonition de la perte qu'il anticipait et redoutait.
Ce sentiment, qui devenait plus grand et plus fort que sa volonté, ressemblait de façon frappante à celui qu'il avait éprouvé pour Javert.
Les sensations étaient très différentes à certains égards, mais restaient identiques dans leur essence.
Sans le savoir, Jean Valjean avait aimé Javert.
Il l'aimait encore...
À présent, cet amour fragile se débattait dans le doute et l'éloignement.
Comment faire ?
Comment retrouver son amant et retourner auprès de lui en sachant que, ce faisant, il le soumettait à un dilemme terrible ?
Comment risquer sa liberté, l'appui dont Cosette ne parviendrait pas à se passer alors que la décision de Javert... sa façon de résoudre ce même conflit quelques mois auparavant, l'avait déjà envoyé au bagne ?
Alors que ses nuits devenaient interminables, Jean Valjean se résignait doucement à laisser la moitié de son cœur se dessécher tandis que l'autre moitié fleurissait...
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" Non, le Mec," fit l'inspecteur, fatigué de sa journée.
Javert se frotta les yeux, le front. Il était épuisé et il avait mal à la tête.
" Une heure ! Ce n'est pas compliqué ! Tu y vas, tu loues une chambre, tu regardes les alentours et tu reviens.
- Le Mec..."
Javert se tenait droit, le plus droit qu'il pouvait, malgré sa fatigue. Il ne comptait plus les heures de travail.
A son commissariat de Pontoise dans lequel il remplaçait régulièrement le commissaire absent...
Au service de M. Chabouillet pour lequel il jouait les espions et récoltait des informations sur les républicains...
A la Sûreté dont le chef usait et abusait de ses heures, envoyant le policier enquêter sur tout et n'importe quoi...
" Une heure ! Je te paie la chambre pour la nuit ! Tu pourras même y dormir."
Javert en sourit amèrement.
Pour le Mec, tout était une affaire de corruption.
" Tu n'as pas un autre cave à envoyer, le Mec ? Je suis debout depuis quatre heures du matin.
- Une heure ! Tu me remettras ton rapport demain. Tiens ! Je te fais une fleur ! Je ne t'attends pas avant midi."
Javert se tut.
Il savait que ce n'était pas la peine de discuter.
" Qui t'a parlé de cette affaire ?, demanda le policier en se secouant pour chasser l'épuisement et la migraine.
- La logeuse ! Elle s'inquiète pour un de ses locataires. Un vieillard avec une gamine. Il lui semble louche."
Cela ne fit même pas frémir Javert.
Jean Valjean était mort, non ?
Et l'Alouette était perdue dans les limbes.
" Quelle adresse ?"
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Maison Gorbeau.
L'inspecteur connaissait et pouvait se repérer sur les lieux. Un immeuble délabré, des logements insalubres, des loyers ridicules certes, mais à quel prix ? En sus, la logeuse jouait régulièrement les mouchardes.
L'inspecteur Javert se fit reconnaître de la femme et loua une chambre.
Il fit établir un reçu au nom de Vidocq, chef de la Sûreté.
Et il attendit sa proie en baillant.
Immensément fatigué.
" La ville est grande, mais tout est comme au village. Il y a des maisons, il y a des arbres... Tu vois, Catherine ? Cet homme a l'air d'un monsieur très gentil que j'ai rencontré là-bas. Il avait un beau cheval qui savait rire et s'appelait Gymont."
Valjean avait abandonné le livre qu'il lisait et s'était levé d'un bond.
Avait-il bien compris ? Le pouls battant fort dans ses oreilles, il se rendit à la fenêtre.
En bas, éclairé par la veilleuse que la locataire principale avait approchée de son corps, il put voir un instant l'homme qui entrait dans la masure.
Il ressemblait à Javert. Du moins, vu de dos.
Mais c'était impossible. Qui plus est, c'était aussi... terrifiant.
" Ramasse tes affaires, Cosette... Il fait beau ce soir et nous allons nous promener...
- Mais... Papa... J'ai le droit de dire que j'ai froid...
- Prends ton manteau et ton châle, mon ange."
Valjean traversa la pièce à grandes enjambées, revêtit son hideux manteau jaune et colla l'oreille à la porte.
Il pouvait entendre approcher des pas lourds, presque martiaux...
Javert avait loué une chambre juste à côté de celle de l'homme suspect. Certainement un pauvre homme qui avait perdu son travail, ou sa femme, et à qui il restait encore assez de dignité pour vouloir vivre dans un meublé.
Et non dans la rue.
L'inspecteur sortit la clé et s'apprêta à ouvrir la porte.
Puis, son instinct se rebella. Il fit simplement tourner la clé dans la serrure et attendit.
Il n'avait pas été discret.
Il se cacha dans l'ombre et attendit.
Après tout, c'était un loup à la chasse.
Valjean avait reconnu les pas.
Il avait même reconnu la petite toux sèche de l'homme.
Le froid, tout comme cela arrivait parfois à Javert, avait dû lui irriter la gorge.
Cet homme ne pouvait être autre que Javert.
Le bagnard regarda la petite fille qui, résignée, lui obéissait sans joie ; il entendit la clé tourner dans la serrure de la porte voisine mais ne l'entendit pas s'ouvrir, ni se refermer.
Javert était à l'affût.
Valjean hésitait.
Peu importe que l'inspecteur attende dans le couloir, il ne serait pas difficile de passer par la fenêtre s'il faisait descendre Cosette attachée à une corde.
Seulement...
En dépit du bon sens, Valjean ne voulait pas fuir Javert.
Il ne voulait plus fuir.
Javert était devant sa porte ! Combien de nuits avait-il prié pour que le bon Dieu lui accorde la grâce de le revoir ?
Il gardait le souvenir des efforts déployés par le policier pour faire éclater la vérité sur Madeleine au cours du procès.
Une vérité qui n'était point celle que les accusateurs voulaient entendre.
Les mots qu'il lui avait adressés la dernière fois qu'ils avaient pu parler en privé résonnaient encore dans sa mémoire.
Javert lui avait proposé de l'aide pour s'évader...
Le galérien avait cru fermement que l'inspecteur ne faisait pas semblant.
Se débattant entre l'espoir et la peur, Valjean jeta un regard attendri sur la fillette; il savait que c'était son avenir que sa folie de vieil homme mettait en danger : lui, il avait déjà vécu...
Valjean ouvrit la porte et, les yeux grands ouverts, affronta l'obscurité.
Il en fallait beaucoup pour impressionner l'inspecteur Javert.
Beaucoup !
Mais il n'y avait rien qu'un forçat évadé de Toulon ne réussissait à faire.
Javert resta estomaqué devant l'apparition qui s'offrit à lui.
Jean Valjean !
Jean Valjean tenant la main de l'Alouette !
Il blanchit et murmura :
" Toi ?"
Et, instinctivement, sa main chercha ses menottes...avant de geler en plein mouvement.
Valjean, si peu démonstratif par le passé, avait lâché la main de la petite fille et s'approchait de lui les yeux et les bras grands ouverts, suivant un élan qu'il fut sur le point de retenir lorsqu'il vit l'inspecteur se raidir.
" C'est moi, oui. Et vous... Vous êtes un miracle," dit le bagnard l'entourant de ses bras.
Javert resta estomaqué, hésitant entre gifler violemment l'homme qui le serrait ainsi et l'embrasser tout aussi violemment.
" Comment... Merde !"
Il opta pour l'étreinte. Javert referma ses bras sur Valjean et le serra avec force contre lui.
Cela aurait pu passer pour une accolade du plus pur style militaire.
Ce ne l'était pas.
Puis sa bouche toute proche de l'oreille du forçat, l'inspecteur murmura :
" Entrons chez toi, la tapissière est une moucharde, elle bosse pour Vidocq."
Le bagnard acquiesça, tout à coup embarrassé, puis se sépara de lui avec autant de naturel qu'il arrivait à feindre.
Il regarda autour de lui, effrayé comme un hibou entouré de corneilles.
" Par ici... Que me vaut le plaisir, inspecteur ?"
Javert recula et afficha un sourire de circonstance :
" Je suis honoré de vous retrouver, monsieur, annonça à voix haute le policier. Vous m'avez manqué. Mais vous auriez dû me faire prévenir de votre arrivée en ville. Voyons cela."
Lentement, Javert leva la main et désigna l'intérieur du logement.
Valjean comprit et tout le monde entra dans le meublé.
La porte refermée, le sourire disparut et Javert regarda intensément les deux fugitifs :
" Comment diable êtes-vous arrivés dans ce taudis ?
- Cela m'a semblé un coin tranquille... On est tout près de la campagne. Je ne connais pas la ville..."
Javert acquiesça, doucement, il se tourna vers la porte et écouta contre le bois.
Il n'entendait rien, mais cela ne voulait pas dire que le couloir était vide.
A haute voix, l'inspecteur poursuivit son discours :
" Je comprends, mais vous avez alerté cette pauvre madame Delacour. Figurez-vous qu'elle vous a pris pour un malhonnête !"
Là, Javert ricana.
S'attendant à ce que Valjean l'imite.
" Voyez-vous ça ?!, s'écria Valjean.
- Je vais donc la rassurer et nous allons vous trouver une meilleure place."
Voilà, c'était dit.
D'une main nerveuse, Javert ouvrit la porte...et il aperçut un jupon disparaître dans l'escalier.
Le message était passé.
" Nous devrions être tranquilles quelques minutes," souffla le policier en refermant la porte.
Javert regarda Valjean.
Et il avoua :
" Tu m'as manqué."
Le sourire de Jean Valjean n'avait que très peu de choses en commun avec celui de Madeleine. Il était petit et chaleureux. Presque timide, mais sincère.
" Dieu soit loué ! Te l'entendre dire... Je ne mérite pas autant ! Tu m'as manqué tellement... Même si je n'en ai pas le droit ! Je n'aurais jamais cru... Je ne savais pas où te chercher ou si tu permettrais... J'ai prié tant de fois pour... Je suis toujours...," le galérien regarda autour de lui.
Il ne tarda pas à remarquer le regard curieux que Cosette posait sur eux.
Jamais M. Madeleine n'avait autant parlé, cela surprit tellement le chef de la police de Montreuil que Javert se mit à rire.
Coupant aussitôt la parole à Valjean.
" Tu n'as rien à boire dans cette tôle ?"
Et s'avançant vers Cosette, le grand inspecteur se pencha de toute sa hauteur, jusqu'à se retrouver en face de la petite fille.
Il sourit.
" Alors la môme ? On a trouvé un papa ?
- Oui, monsieur Javert, sourit Cosette.
- Et ta maman ?"
La petite baissa la tête et perdit son sourire.
" Elle est partie, papa m'a dit. Elle était malade.
- Il a eu raison de te le dire, Cosette. Mais ta maman l'a bien connu.
- Papa a connu maman ?
- Bien entendu, fit le policier en haussant les épaules devant l'évidence. C'est toujours comme ça, non ?
- Ha ben ça...
- Et tu sais quoi Cosette ?
- Non, monsieur.
- Je le connais aussi ton papa. C'est un homme bien, comme ta maman l'était."
Cosette assimila ces quelques phrases qui répondaient à des semaines de questionnement.
Puis, un sourire timide réapparut alors qu'elle reprenait les questions :
" Où est votre cheval ?
- Gymont dort dans son écurie, la gamine. Il est tard ! Tu devrais dormir, Cosette.
- Oui, monsieur, mais je dois d'abord chanter sa berceuse à Catherine !
- Catherine ?
- Ma poupée !"
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Javert était assis contre la table, ses longues jambes croisées devant lui.
Il ne pouvait pas détourner les yeux de Cosette.
Il voyait l'Alouette jouer avec sa poupée et chantonner une mélodie à propos de " Château dans les Nuages" et de princesse qui l'aimerait très fort.
Il était hypnotisé.
Une main déposa un verre d'eau entre ses doigts glacés.
Et une voix, adorée autrefois, résonna dans ses oreilles :
" Elle chante toujours cette petite comptine."
Cela suffit à briser le charme.
Javert se tourna lentement vers celui qui parlait.
Il voyait M. Madeleine...redevenu Jean Valjean.
L'homme était vivant.
Ses cheveux avaient blanchi. De la neige formant un halo solennel entourant sa tête de saint.
De nouvelles rides étaient apparues, autour de ses yeux. Et ce n'étaient pas des rides de joie, mais de détresse.
Le bagne avait blessé Jean Valjean.
Et le garde-chiourme savait très bien que sous ces modestes vêtements dépenaillés se cachait la marque au fer rouge de l'infamie.
Pourtant, le policier avait tout fait pour sauver la tête d'un homme. Il s'était compromis.
Mais l'inspecteur Javert était resté ferme sur ses accusations. Il n'avait parlé que de la fausse identité, que de la position de maire frauduleuse.
Il avait insisté sur la bonne gestion de la ville et les multiples bonnes actions de monsieur Madeleine.
Le procureur lui avait même lancé sèchement qu'il ne comprenait pas si l'inspecteur témoignait à charge ou à décharge dans l'affaire Valjean.
Javert insista malgré tout.
Seulement, ce ne fut que sur ordre du roi que Valjean évita la peine de mort pour une peine d'emprisonnement à vie au bagne.
Peut-être...les rapports de l'inspecteur y furent pour quelque chose, mais de cela, Javert n'en était pas certain...
" Une jolie mélodie, reconnut le policier, la gorge serrée.
- Oui, Cosette chante bien."
Valjean s'assit au côté de Javert et resta silencieux.
Les deux hommes contemplaient Cosette et l'écoutaient, tout en buvant leur eau.
" Et maintenant ?," demanda prudemment Valjean.
Javert ne savait pas.
Mais une chose était sûre, Valjean ne pouvait pas rester dans cet endroit délabré alors que Vidocq était déjà sur ses traces...sans le savoir...
L'inspecteur se redressa et lança :
" Demain, tu déménages ! Je vais t'emmener chez moi, rue des Vertus. Vous ne pouvez pas rester ici.
- Mais..., commença Valjean.
- Non !, le coupa Javert. Cosette et toi, vous allez vivre dans ma rue. Il y a des appartements libres et c'est une rue tranquille. Mieux qu'ici."
Cosette avait levé la tête en entendant ces mots et un éblouissant sourire illumina ses traits.
" Vrai ? Nous allons partir papa ?"
Valjean hésita à répondre. Il regardait, les yeux effarés, le grand homme qui se tenait devant lui, une détermination farouche écrite sur son visage. Il ne trouvait pas l'ombre d'un doute dans ses mâchoires serrées... À cet instant, Valjean n'aurait pas su dire s'il se sentait soulagé. Rassemblant ses forces, il finit par souffler :
" Oui. Nous allons suivre M. Javert.
- Ho ! Comme je suis contente !"
La petite fille embrassa sa poupée.
Javert saisit Valjean par le bras et regarda la chambre minable et délabrée.
" Qu'est-ce qui est à toi dans ce taudis ?"
Valjean sortit les quelques affaires que les deux fugitifs possédaient ainsi qu'une valise.
Plus de fatigue, Javert débordait d'énergie.
Le policier examinait les quelques biens qu'il fallait empaqueter, il n'y avait pas grand chose à emmener. Il regarda fixement Valjean qui se troubla.
" Nous allons monter sur Gymont, demain ?, demanda Cosette, toute joyeuse.
- Non, Gymont se repose. Il a besoin de son avoine. Il a trop travaillé aujourd'hui et il a été très triste.
- Gymont a été triste ?"
Valjean ramassa les quelques vêtements qu'il possédait et les glissa dans la valise.
Des vêtements pour Cosette.
Son petit manteau noir, son petit bonnet, ses petites bottines...
La petite fille écoutait avec attention le policier en tenant sa poupée dans ses bras.
" Oui, il a été très triste. Il ne t'a pas vue depuis des mois et ton papa non plus. Alors, il ne savait plus quoi faire.
- Je n'ai pas fait exprès," s'excusa la gamine.
Une main caressa ses cheveux et Javert la rassura en assénant :
" Je sais, Cosette. Tu n'y es pour rien et ton papa non plus. Et ta maman non plus tu sais, gamine. Mais il faudra être gentil avec Gymont !"
Cosette assura avec ferveur :
" Catherine et moi, nous irons lui faire un baiser. Si on peut ?
- Il le faudra ! Il n'attend que cela depuis des mois."
Le dos tourné au duo, Valjean sourit.
Il avait du mal à comprendre pourquoi et comment cette relation qui ressemblait beaucoup à de la confiance s'était établie entre l'inspecteur et la fillette. Il trouvait extraordinaire que Cosette puisse parler si aisément à l'homme qui avait fait trembler les gamins de Montreuil.
Il lui semblait impossible que Javert se fasse si doux pour lui répondre... Lui, qui était froid et savait se montrer cruel.
Sans doute Madeleine, par bêtise, avait négligé de s'intéresser à l'un des aspects les plus imposants de celui qui était son amant.
" Et vous, monsieur Javert, reprit la petite fille, vous avez été triste ?"
Javert regarda Cosette, ignorant ostensiblement Valjean et répondit :
" Plus que je ne saurai dire. Je suis triste sans toi.
- Et sans papa ?"
Javert respira profondément et conclut :
" Et sans ton papa, oui."
Valjean se saisit du mouchoir placé dans sa poche et s'essuya le visage. Il posa sa valise et s'en alla vers la fenêtre pour chercher un peu de calme dans l'obscurité qui entourait maintenant la maison.
Que lui arrivait-il ?
Lorsqu'il réussit à contrôler le tremblement sournois de ses mains, il se retourna vers Javert et la gamine.
" C'est l'heure de dormir pour Catherine et pour toi. Ou alors vous voulez que Gymont voit des cernes sous vos yeux demain ?"
Aussitôt, Cosette se coucha, sa poupée bien dans ses bras.
Javert croisa les siens et lança, l'air de rien :
" Oui, Gymont serait déçu, si tu es trop fatiguée pour lui faire sa toilette."
Cosette ferma les yeux.
Et, comme tous les enfants ou presque, elle s'endormit en quelques instants. Valjean se pencha et l'embrassa sur le front, puis referma la cloison qui procurait un semblant d'intimité à la chambrette de l'enfant.
Javert se rapprocha de lui.
" J'ai la chambre voisine de la tienne, mais je pense que tu le sais déjà, non ? Le bruit de la clé ?
- Ah ! Oui, c'est vrai. Tu as failli me tromper."
Javert se mit à rire, silencieusement.
Puis, il glissa sa bouche tout près de Valjean, pour ne pas parler trop fort et réveiller Cosette :
" Menteur ! Je vois que tu es resté le même."
La main de Javert glissa sur le bras de Valjean, s'arrêtant sur l'épaule marquée, n'osant pas se poser sur le muscle.
La paume du bagnard vint se poser sur sa main et la tapota doucement. Un instant après, les doigts de Valjean enveloppaient les siens et les serraient.
" Viens, suis-moi," murmura le policier, essoufflé.
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La chambre du mouchard était identique à celle du forçat. Même rideaux sales, mêmes vitres crasseuses.
La literie était assez propre, malgré tout.
Javert referma la porte derrière eux et examina les alentours en grimaçant de dégoût :
" Oui, demain, je vous emmène dans ma rue. Je suis sûr de vous trouver un meublé libre. À un prix raisonnable. Ou alors nous trouverons quelque chose qui vous agréera."
Javert était plus incertain que devant Cosette. Il croisa ses mains dans son dos et ajouta, maladroitement :
" Je ne veux pas te forcer à déménager, Jean, mais cette adresse est dangereuse. Et franchement... Tu te vois y vivre avec une gosse ? On peut trouver mieux. Tu me diras et..."
C'était son tour de babiller.
Le policier s'en rendit compte et ferma sa bouche.
" Je te fais confiance, tu connais la ville. Pour Cosette... Franchement, je ne sais pas ce qu'il faut faire. Je devrais, mais pourtant...
- Allons monsieur Madeleine !, se moqua Javert. Vous savez mieux que personne ce qu'il faut à un enfant ! Chaleur, repas, amour. Un logement décent, des repas copieux, un tendre foyer et Cosette va s'épanouir comme...comme une fleur des champs."
Valjean esquissa un sourire. L'éloquence de l'inspecteur, maladroite cependant, était profondément touchante. Assez pour ne plus jamais se permettre de le décevoir encore.
" Monsieur Madeleine n'a jamais existé, Javert. Il vaut mieux que tu le saches dès maintenant. Cet homme n'était qu'une fiction où j'ai essayé de faire de mon mieux. Maintenant...
- C'est là que tu te trompes, Jean. M. Madeleine existait. J'admets que son nom était une invention. Son passé aussi. Mais l'homme et sa bonté existaient. Et je m'en veux de ne pas l'avoir compris avant."
Javert s'en voulait atrocement.
Il se souvenait encore de la voix du procureur d'Arras hurlait à pleins poumons :
" JE VEUX LA TÊTE DE CET HOMME !"
Et il se voyait entrain de contrer, de prouver, d'argumenter, plus que l'avocat de Jean Valjean le faisait.
" Jean Valjean ne mérite pas la guillotine, il n'a fait que le bien. Il n'a usurpé qu'une identité...
- Un forçat maire d'une ville ?! Vous divaguez, inspecteur !"
Il fallut la grâce du roi.
Javert avait pleuré des larmes amères...
Une vie dans le bagne... Punir un homme de cinquante ans pour une faute commise dans sa jeunesse.
" Monsieur Madeleine existait, Jean, car tu es cet homme. Bon, charitable, travailleur."
Javert retrouvait ses vieilles habitudes, il tournait autour de monsieur le maire et ajouta de sa voix profonde :
" Je suis bien placé pour le savoir, je l'ai côtoyé pendant des mois."
La voix avait enveloppé Valjean. Maintenant, Javert était dans son dos et soudainement, deux bras saisirent la taille du forçat.
" Jean. Tu m'as manqué."
Une bouche chercha la sienne.
Cela surprit le policier, il n'avait pas l'habitude que Valjean soit si empressé. Il se souvenait d'un homme timide, voire angoissé.
Cela le ravit.
" Tu as beaucoup souffert ?, murmura le garde-chiourme, désolé.
- Non, pas comme la première fois... J'avais les moyens d'acheter quelque... bienveillance."
Valjean passa ses doigts sur un sourcil qui s'était levé avec surprise et sourit en laissant le dos de sa main lisser un favori touffu.
" Cet endroit vous arrache la mémoire. J'avais peur d'oublier... Pas ton visage, non, mais ton... corps. Les heures que nous avons passées ensemble et ce que nous avons partagé alors devenaient un mirage dans cet Enfer.
- Mon corps ?"
Là, Javert était abasourdi.
Puis un sourire taquin illumina ses traits.
" Mon corps ?! Allons donc ! Tu veux dire que quelqu'un a essayé..."
Javert hocha la tête, compréhensif et ses yeux brillaient, espiègles.
" Je dois avouer que je les comprends. Tu as dû te retrouver l'attraction du bagne, un homme puissant et fort. Et..."
Le policier posa son visage dans le cou de Valjean, cherchant à embrasser la peau nue.
" Et terriblement désirable. Oui tu m'as manqué."
Valjean tira sur le nœud de sa cravate et déboutonna le col de sa chemise en toute hâte. Il laissa échapper un petit soupir de contentement lorsqu'il sentit le visage de Javert contre sa peau.
" Veux-tu...me montrer ?, " souffla Javert, les doigts se posant en tremblant sur la marque.
La marque de l'infamie.
Javert en avait vu mais de son temps cette pratique cruelle avait été abandonnée.
On avait marqué Jean Valjean pour un crime commis dans sa jeunesse.
Marqué au fer rouge comme un animal.
Javert en était désolé.
Le visage coincé contre la gorge du forçat, il n'osait pas le regarder en face.
Valjean glissa sa pomme d'adam sur la nuque du grand policier puis desserra le ruban qui retenait ses cheveux. Il glissa les doigts dans la chevelure épaisse puis se perdit dans une contemplation joyeuse des cheveux sombres qui lançaient des reflets bleutés à la lueur de l'unique bougie posée sur le seul meuble décent de la pièce.
" Que crois-tu qu'il y ait à voir ? Javert... Ne pouvons-nous pas laisser derrière nous ce qui n'a pas d'importance ? Ce n'est qu'une cicatrice de plus... une parmi tant d'autres que je n'ai pas volée. Oublie... Et laisse-moi te montrer à quel point tu m'as manqué.
- Tu...ne m'en veux pas ?"
Javert eut un rire qui ressemblait à un sanglot, ses deux bras enserrèrent Jean Valjean.
" M. Madeleine et le pardon. Tu vois qu'il n'a pas disparu ?
- Ne me parle pas du pardon de monsieur Madeleine... Tu as su me pardonner, moi, un criminel. Voilà qui est un cadeau du ciel, car ce n'est pas dans tes habitudes."
Valjean saisit la main de son amant et entrelaça leurs doigts avant de les lever pour que Javert puisse les voir.
" Dès que je t'ai vu porter ma bague, j'ai su que tu m'avais pardonné. Si j'avais osé espérer cela..."
Pour le faire taire, Javert embrassa Jean Valjean.
Ses mains vinrent saisir ses joues et le tinrent ainsi.
" Je porte ta bague depuis ta condamnation. Parce que j'ai espéré que tu allais bien. Et parce que j'ai espéré que toi tu me pardonnes."
Nouveau baiser.
Puis Javert étreignit Valjean.
" Je t'aime, souffla le policier au voleur.
- Je le sais maintenant. Maintenant je comprends, car à présent je sais... que je t'aime aussi."
Ce fut ressenti comme un coup en plein estomac pour le policier.
Il n'aurait jamais pensé entendre ces mots.
Même Gilles ne les lui avait jamais dit, il avait juste cherché du réconfort auprès de son collègue.
M. Madeleine était bien trop effrayé pour profiter pleinement du plaisir que le policier lui offrait.
Javert se serait contenté de cela durant des années.
Durant une vie.
Des bribes d'affection, quelques minutes de plaisir et une éternité de solitude...
" Tu m'aimes ?
- Oui... Depuis cette nuit où tu m'as emmené regarder les étoiles. Bien qu'à l'époque, j'aurais juré que je souffrais de quelque sorte de fièvre. Je ne savais pas..."
Javert sourit en entendant ces mots et souffla :
" Pourtant, je le jure ! Mes intentions étaient..."
Pas pures mais pas douces non plus.
Le policier voulait juste coincer le voleur.
Il ne savait pas qu'il allait tomber si bas.
" Je suis aussi tombé amoureux de toi sous les étoiles, je pense.
- C'est la magie des étoiles ?"
Javert rit, follement heureux.
" Je suis un sorcier !, lança Javert, espiègle, les larmes aux yeux.
- Sans aucun doute, monsieur," répondit Valjean en souriant aussi. Puis il entreprit un baiser, long et profond, tandis qu'il attirait vers lui le corps de son amant avec la force qu'il n'avait plus à cacher.
Pas devant cet homme.
Lorsque Javert, complaisant et aussi tendre à son égard qu'il l'était dans les souvenirs que le forçat gardait de leurs rencontres, se laissa faire et sourit avec suffisance, Valjean ne put s'empêcher de s'écrier avec un petit rire.
" Ce que j'ai été niais... Je ne pense pas qu'il soit donné à tout le monde de connaître ce que tu m'offres. Et pourtant, j'ai tout failli manquer."
Valjean secoua la tête puis, l'air aussi solennel que l'aurait eu Madeleine pour l'occasion, il recula d'un pas et posa ses paumes sur les épaules de son amant.
" Oserais-je te demander ce que personne ne m'a jamais accordé ?"
Cette question si étrange étonna Javert mais il répondit fermement :
" Demande ! Je suis à toi !
- Une seconde chance... Que tu oublies le passé entre nous et me laisses t'aimer. Permets-moi de vieillir auprès de toi et de racheter toutes mes maladresses..."
C'était plus que ce qu'il avait espéré avoir avec M. Madeleine.
Plus qu'il n'aurait jamais eu.
Javert, pour toute réponse, embrassa les mains de Valjean, cherchant ses doigts si abîmés, les caressant comme s'ils étaient des objets précieux.
" Juste vieillir auprès de moi ? Tu n'es pas exigeant, Jean. J'ai des demandes plus...coercitives envers ta personne."
Ce jargon policier fit grimacer Jean Valjean, il reconnaissait bien là l'esprit, cruel malgré tout, de l'ancien garde-chiourme. Comme à Montreuil.
" Plus coercitives ? Je... Que veux-tu de moi ?"
Javert sourit et murmura :
" Je veux tes jours, je veux tes nuits, je veux ton lit...et je veux te protéger. Je veux que tu apprennes à être prudent. Et, enfin..."
Valjean avait retrouvé le sourire et contemplait son amant, attendri.
" Je veux offrir à Cosette et à toi un foyer. Pas forcément quelque chose d'exceptionnel, mais quelque chose dans lequel vous serez en sécurité."
Ménageant ses effets, offrant un silence marqué, Javert conclut :
" Car vous êtes mes biens les plus précieux sur cette Terre."
Valjean le serra étroitement contre lui.
" Avec Gymont, bien entendu," ajouta la voix moqueuse du policier.
Le forçat avait caché sa tête dans le creux de son cou et restait silencieux. Mais Javert le sentait étouffer des tressaillements.
Oui, Toulon l'avait blessé, mais peut-être dans un sens auquel aucun des deux ne se serait attendu.
Lorsque, au bout d'un moment, Valjean osa parler à nouveau, sa voix ne parvenait pas à cacher ses regrets.
" Tu me combles, Javert... Plus que je ne saurai te faire comprendre...Mais comment puis-je te mettre en danger ? Dis-moi qu'il y a un moyen pour toi aussi d'être en sécurité, et je n'hésiterai pas.
- Je n'ai pas vraiment d'idée. Je sais juste que la ville est dangereuse. Et que tu es le roi des imprudents. Nous devrons juste faire preuve de prudence. Je serai en sécurité si tu l'es. Il n'y a rien d'autre à savoir pour le moment."
Les deux hommes s'embrassèrent une dernière fois...avant de se quitter pour rejoindre sagement leur propre lit.
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