Chapitre XXXII
Durant cette période froide et glacée, l'inspecteur Javert obtint de monsieur le maire le droit d'aller enfin enquêter en personne à Montfermeil.
La mort de Bamatabois l'aîné lui semblait suspecte et Javert voulait se faire une idée de la situation à Montfermeil.
Il eut droit à six jours.
Javert se promit d'en faire bon usage.
Monté sur un Gymont, caracolant de plaisir dans la neige et encensant avec vigueur, l'inspecteur salua avec déférence monsieur le maire.
Avant de claquer la croupe de son cheval et de le faire partir au galop.
Le maire leva les yeux au ciel.
Cabotin !
Mais ces six jours lui semblaient déjà trop longs.
Et par Dieu ! Ils le furent !
Le voyage fut harassant, tant pour le cavalier que pour sa monture. L'hiver, la neige, la boue...
Gymont prouva qu'il aurait mérité sa place dans la cavalerie de l'Empereur.
Infatigable, sérieux et sobre. Javert comprenait encore moins Magnier et ses hommes.
Bande d'incapables !
A Montfermeil, les rues étaient recouvertes par la neige. Il faisait froid et les passants étaient rares. C'était un petit bourg, comptant quelques 700 habitants. Mal desservi et mal agencé, la commune périclitait.
L'église était neuve, ayant été vendue comme bien national pendant la Révolution et en partie démolie, elle avait été rendue aux habitants sous l'Empire.
Le manque de moyens chroniques de la commune avait sans cesse fait reculer les travaux.
Aujourd'hui, elle était neuve, vingt ans après sa vente.
Un château existait aussi, mais dans un tel état délabré qu'il en faisait pitié. La marquise qui y vivait ne possédait plus de fortune pour le remettre en état. La Terreur et l'Émigration étaient passées par là.
Négligeant ses détails historiques, le policier examinait les lieux et les gens.
L'inspecteur de police se fit reconnaître des officiers en poste dans la ville.
Il expliqua ses démarches et rappela l'affaire de la fausse-monnaie.
On lui fit comprendre qu'il dérangeait le monde avec ses histoires.
Et on le laissa à lui-même.
Javert parcourut les quelques rues ; sans pavage, ce n'était que des torrents de boue.
Gymont renâclait à avancer. Le cheval avait faim et froid.
Son maître lui chercha un abri pour la nuit.
Il y avait quelques auberges...
L'inspecteur prit la première qu'il trouva.
Une auberge dédiée à un sergent de Waterloo...
Et il y entra.
La misère était terrible dans l'auberge. Le dénuement et la saleté marquaient tout l'édifice.
Tout prouvait qu'on essayait de faire face mais que la bataille était déjà perdue.
Le policier, habillé de son uniforme, se fit reconnaître de l'aubergiste.
L'homme, assez râblé et fumant la pipe, s'approcha de Javert et l'accueillit avec empressement.
" Et pour monsieur l'inspecteur, qu'est-ce que ce sera ?
- Une chambre et un repas. Ha ! Et mon cheval !
- Pas de souci ! L'ALOUETTE !"
L'aubergiste hurla à pleins poumons, ce qui provoqua deux réactions.
Tout d'abord, l'apparition d'une petite fille, malingre et malpropre, haute comme trois pommes et effrayée.
Puis un éclat de rire général en voyant la gamine accourir de toute la vitesse de ses petites jambes.
" Oui, monsieur ?, demanda la gamine, essuyant maladroitement la crasse qui lui salissait les joues.
- Monsieur le policier a un cheval, expliqua rudement l'homme. Va-t-en charger !
- Oui, monsieur," obéit la gosse.
Javert intervint alors, mécontent de cette idée.
" C'est un étalon, il peut être lunatique."
Javert croisa le regard de la gamine, d'énormes yeux bleus. Apeurés.
L'aubergiste lança, sans s'intéresser plus que ça :
" Bah ! L'Alouette a l'habitude des pataches [cheval] ! Allez !"
Mais Javert n'était pas d'accord.
Il se leva, de toute sa taille imposante et posa sa canne à pommeau de plomb sur la table, dans un bruit fort qui fit sursauter tout le monde.
" J'accompagne la gamine. Ensuite, je veux voir la chambre et vérifier la propreté. Je sens que j'ai des choses à examiner ici.
- A votre service, inspecteur."
L'aubergiste ne se démonta pas.
Il souriait paisiblement en regardant le grand policier quitter les locaux.
Aussitôt, une femme, massue et grasse, apparut et vint se placer à côté de l'aubergiste.
" Dis le père, c'est quoi ça ?
- Un putain de cogne, répondit l'aubergiste. Il m'a pas reconnu. C'est un jobard, nous allons le traiter comme tel.
- Tu es sûr de toi ? On peut toujours l'estourbir ?
- Un cogne ? Ferme ta gueule la femme et va vérifier la chambre. On va lui mitonner un repas aux petits oignons et lui donner notre chambre. Il dormira dans de beaux draps et sera satisfait.
- Et la gosse ?
- C'est la servante. On l'aime non ?"
Mme Thénardier se mit à sourire avec douceur. Ce qui ne lui allait pas du tout.
" Oui, on l'aime."
A l'extérieur, Javert détacha Gymont de l'anneau du mur. L'étalon tremblait de froid, il lui fallait un abri et une couverture.
La gamine se tenait là, un peu perdue.
Normalement, elle aurait dû le faire toute seule.
" Il est grand, remarqua la petite fille.
- Oui, fit Javert. Et il est pas facile.
- Je peux le toucher ?"
Javert accepta, ne préférant pas imaginer l'enfant laissée seule avec Gymont. L'étalon n'était pas une brute, mais il était farouche.
Le flanc du cheval trembla tandis que la petite main sale le touchait, puis la caresse devint plus sensible et le cheval renâcla.
" Calme, Gymont, souffla Javert en caressant à son tour le chanfrein.
- Gymont ?, murmura l'Alouette. C'est un joli nom."
Le cheval pencha sa grosse tête chevaline et renifla les cheveux blonds cendrés. Cela fit rire la petite fille.
Un cheval pouvait sourire.
Un inspecteur de police aussi.
Six jours.
Le policier les passa à enquêter dans la région. Poser des questions.
Et passer complètement à côté de la piste.
M. Thénardier lui fit servir de bons repas. Il lui proposa des prix raisonnables. Le cidre était bon.
Javert ne décela qu'une chose qui lui déplut.
La situation de la jeune servante n'était pas des meilleures.
Mais en quoi cela le concernait ?
" Vous reviendrez, monsieur ?," demanda le dernier soir la petite fille au grand policier.
C'était devenu un rituel quotidien.
Se retrouver le soir dans l'écurie et s'occuper ensemble du cheval.
Un rituel qu'appréciait tout particulièrement Gymont. Le policier avait quitté son uniforme et d'une main ferme, il bouchonnait le cheval.
L'Alouette apportait de l'avoine et de l'eau.
Le cheval se frottait contre la gamine, la faisant toujours rire.
Javert les laissait interagir, gardant un regard attentif sur les oreilles de l'étalon, sachant que son humeur pouvait être versatile.
" Je ne pense pas, gamine, répondit Javert. Je n'ai plus de raisons d'être ici."
Les grands yeux bleus, tristes, remuaient quelque chose au fond du policier. Javert regarda la gamine et son sourire se voulut rassurant.
" Qui sait ? Peut-être qu'un jour nous nous reverrons ?
- J'aimerai beaucoup ça, monsieur."
Et l'espoir fit briller les yeux de l'Alouette, aussi forts que des myriades d'étoiles.
Six jours et rien !
Sauf le souvenir d'une petite fille et l'impression d'être passé à côté de quelque chose.
******************************
En l'absence de Javert, la vie était devenue fade.
C'était un fait que, malgré toutes ses crises de conscience et la morsure implacable de la culpabilité, Madeleine ne pouvait pas ignorer.
Il ne ressentait pas, comme son amant le lui avait parfois fait comprendre que c'était son cas, le besoin d'établir une régularité dans leurs rencontres et, ce faisant, de passer quelque temps ensemble.
C'est, dit-on, ce que font les gens lorsqu'ils sont amoureux.
Madeleine aurait été incapable de mettre un nom à ce qu'il ressentait, tellement il était occupé à ne pas qualifier son désir de simple luxure.
Mais il devenait évident que son besoin de ressentir la proximité de Javert grandissait au point de devenir intolérable s'il passait quelques jours à ne pas s'en occuper.
Il ne pouvait ni ne voulait s'engager, et pourtant...
Depuis une semaine, il caressait l'idée de trouver une sorte d'abri où ils pourraient tous deux baisser leur garde pour quelques heures.
Un lieu isolé où il serait difficile de croiser son voisin, mais aussi suffisamment proche de la ville pour que les allées et venues ne deviennent pas un calvaire.
D'autre part, il pensait à l'humble logis que Javert louait dans la Ville-Basse.
Il savait, bien que son amant n'ait jamais dit un mot à ce sujet, que l'humidité et le manque de lumière le rendaient terriblement inconfortable.
Presque inhabitable lorsque le froid arrivait.
Mais s'il était déjà difficile de trouver un logement bon marché et décent à Montreuil, trouver une habitation offrant en plus quelque intimité était une gageure.
Il en était là lorsqu'une de ses tournées de charité nocturnes le mena parmi le dédale de ruelles de la Ville-Basse et à proximité de l'église Saint-Josse, presque à la lisière de la ville.
Derrière l'église, il y avait un vieux mur d'endiguement recouvert de lierre ; Madeleine marchait tout près pour entendre le doux murmure de la rivière, qui lui avait toujours semblé réconfortant.
Puis il s'arrêta brusquement, se frappa le front avec la paume et fit demi tour.
Il venait de se rappeler qu'entre l'église et la rivière se trouvait le terrain sablonneux où, autrefois, la mère Brochet avait cultivé un petit potager et une poignée d'arbres fruitiers.
Depuis le décès de son mari, qui avait été pêcheur, la vieille femme gagnait sa vie grâce à ses légumes, ses poulets et une énorme vache dont le lait était réputé exceptionnel.
La vieille Brochet, qui malgré son âge avancé continuait à jeter la ligne pour attraper ses dîners, s'était finalement retirée cet été.
De nombreux habitants des environs s'étaient réunis sur la place pour lui rendre hommage lorsqu'elle partit pour Énocq au bras de son fils cadet ; même Madeleine avait quitté son bureau quelques instants pour lui faire ses adieux...
La petite maison familiale que la femme avait laissée derrière elle était modeste, mais avait suffi pour élever cinq robustes rejetons.
Les murs étaient épais et le toit semblait être encore en bon état. Chaque mur avait une fenêtre d'où pendaient encore d'épais rideaux.
Cela suffirait peut-être à protéger Javert du froid et de l'humidité que favorisait la proximité de la Canche...
Tant que la cheminée était assez grande.
Monsieur le maire attendit dissimulé sous les arbres jusqu'à être sûr que personne d'autre ne s'était aventuré dans les environs ; lorsque la cloche de l'église sonna à minuit, il força la porte de la petite maison et entra.
Il eut immédiatement l'impression que Javert se plairait ici.
Ce n'était pas grand, mais c'était aménagé.
La vieille femme y avait laissé ses meubles, peu nombreux mais robustes. Il n'y avait pas de luxe sous ce toit, sauf un lit et une armoire d'âge canonique mais toujours en bon état.
C'était parfait.
*******************************************
Quatre jours plus tard, Madeleine avait sur son bureau le bail que son agent à Arras avait négocié pour lui.
Puis le soir même, en prenant bien soin de dissimuler son excitation, il déroba un chargement de bois de sa propre usine et après l'avoir chargé dans une hotte, l'apporta dans la petite maison nuitamment.
L'opération se renouvela chaque nuit que Javert fut absent.
Avant son retour, l'édredon le plus chaleureux que l'on pouvait acheter à Montreuil, le quinquet le plus moderne et une cafetière importée de Paris avaient également trouvé le moyen d'arriver à la maison de pêcheur.
******************************************
Quelques jours après son retour de Montfermeil, l'inspecteur de police emménagea dans la maison de la Ville-Basse aux yeux et aux vues de tout le monde.
On comprenait l'intérêt de la petite maison pour le policier.
Éloignée du centre, bruyant, la maison était proche de la Canche, située dans un quartier calme et apaisant. Il y avait même une petite cabane de jardin que l'inspecteur eut vite fait de transformer en une écurie acceptable.
Car Javert n'emménageait pas seul, il avait obtenu le droit de la mairie de garder Gymont avec lui.
De toute façon, la gendarmerie s'en était officiellement débarrassée. On avait évité de peu l'abattoir pour le cheval. Car la mairie l'avait racheté.
Il allait sans dire que c'était M. Madeleine qui l'avait racheté, sur ses propres deniers.
D'ailleurs cela avait fait rire le policier lorsqu'il apprit ce que cet homme improbable avait accompli pour lui durant son absence.
Ce qu'il avait été prêt à faire pour lui.
Doucement, Javert avait coincé le maire dans un angle de son bureau et murmuré :
" Ainsi tu m'offres un cheval et une maison ?
- Ce...ce sera plus simple...pour..."
Javert se délectait du frisson qui prenait monsieur Madeleine lorsqu'il s'approchait ainsi de lui, ne sachant toujours pas s'il s'agissait d'un frisson de plaisir ou de peur.
L'homme était tellement angoissé.
Maintenant, le policier le savait.
Il ne l'avait pas encore vu durant une crise d'angoisse, mais il le savait.
M. Madeleine vivait dans une anxiété perpétuelle.
Gentiment, Javert recula et souffla :
" Me voici promu au rang de maîtresse dans ce cas. Un cheval, une maison... Voyons que me manque-t-il ?"
Le policier s'étant reculé, Madeleine respirait mieux en effet. Il retrouvait même son sourire pour répondre :
" Une bague au doigt ?
- Jean..."
Cette fois, ce fut le policier qui se troubla et secoua la tête.
Donc, le policier emménagea et installa ses maigres possessions dans la petite maison. Le soir-même, il était heureux de faire du feu dans la cheminée.
Luxe dont il avait dû se passer dans son ancienne demeure.
Il examina les meubles, il vit le quinquet et la cafetière, il sentit le café moulu d'excellente qualité...et ne sut pas quoi en penser.
Quelque part, c'était une merveilleuse preuve d'amour. Car c'était de l'amour n'est-ce-pas ?
Javert se le demandait depuis des semaines maintenant. Aimait-il le maire ? Ce besoin viscéral de le voir, de l'embrasser, de lui faire du bien était un signe d'amour, non ?
Et ces achats intempestifs, complètement aberrants, devaient aussi être le signe que le maire l'aimait.
Un forçat aimant un garde-chiourme ?
Était-ce seulement possible ?
Ou alors...
Ou alors cette affaire devenait sordide et M. Madeleine achetait de cette façon son silence et sa complicité.
A cette pensée, Javert eut envie de foutre le feu à la maison.
Javert resta ainsi de longues minutes.
Personne n'avait fait cela pour lui.
Le policier espérait que le prix à payer ne serait pas trop lourd.
Se secouant enfin de ses sombres pensées, l'inspecteur se demanda s'il verrait Jean Madeleine le soir de son installation.
Il en eut une folle envie.
Pour ne pas trop penser, Javert se chargea de préparer un repas.
Car le policier savait cuisiner, même si ce n'était que des repas simples et peu variés.
Pommes de terre, lardons... Simple.
Mais roboratif.
A la hauteur de sa bourse.
Il pleuvait à Montreuil. C'était une bruine inconstante qui tantôt menaçait de se transformer en neige et tantôt se changeait en forte averse poussée par le vent de l'océan.
La tournée de Madeleine fut courte cette nuit-là, car tout le monde s'était réfugié du mieux qu'il le pouvait et les rues demeuraient presque désertes.
C'était tant mieux parce que, cette nuit-là, le maire n'avait pas le cœur à ce qu'il faisait... mais à quelque chose de très différent qui le faisait battre avec force.
Malgré le bruit causé par la pluie, Madeleine n'eut pas à gratter deux fois à la porte de la petite maison que maintenant habitait Javert.
La porte s'était ouverte avant même qu'il ne pense à essayer, puis elle s'était refermée derrière lui tout aussi rapidement.
" Bonsoir, Javert... J'ai pensé que tu aimerais peut-être fêter... Ah ! J'ai apporté un Château d'Yquem... parce que je sais que tu aimes ça," dit le maire sans lever la tête pour regarder son amant dans les yeux.
Cela fit sourire le policier qui glissa ses doigts sur le menton du maire. Un geste habituel pour lui faire lever la tête.
" Merci Jean. Tu es adorable."
Javert se pencha et embrassa doucement son amant.
" Du Château d'Yquem ?! J'aurai su, monsieur, je vous aurai préparé une poularde à la Montmorency."
Prestement, le policier prit la bouteille et la déposa sur la table. Ceci fait, il vint d'office retirer le manteau de son compagnon.
" Je te fais les honneurs de la maison ?, demanda la voix amusée du policier. Ou tu as déjà tout examiné durant tes visites nocturnes de la ville ?
- Ah ! pourquoi le nier ? Mais j'aimerais que tu me montres comment tu t'es installé..."
Javert saisit la main de Madeleine et embrassa tendrement la paume.
" Alors commençons par la pièce principale..."
Javert se fit guide. Il n'avait jamais vécu dans une maison. Cela lui semblait incroyable de vivre dans plusieurs pièces.
Il présenta le salon, la salle d'eau, la cuisine et termina par la chambre.
Là, il s'avança vers le lit et regarda Madeleine avec son air espiègle.
" J'ai un lit avec un excellent matelas. Veux-tu aussi le tester ?"
Javert attendait que Madeleine s'approche.
Il ne voulait plus le brusquer.
Et il ne voulait pas non plus que l'offre de plaisir soit vue comme une façon de rembourser.
Madeleine s'assit sur le lit sans réfléchir à deux fois. Ce fut alors qu'il sentit quelque chose s'enfoncer dans ses côtes.
Il se leva en toute hâte, déboutonna sa veste et, sous le regard amusé de son amant, sortit un paquet enveloppé dans du papier ciré qu'il tendit à Javert.
" Ah... ! C'est ma carte du ciel. J'ai essayé de la déchiffrer à plusieurs reprises, mais j'en suis incapable. Je me suis dit que si tu la gardais ici, nous aurions peut-être l'occasion de l'étudier ensemble... Si ça ne te dérange pas.
- Ta carte du ciel ? Pourquoi pas ? Voyons cela !"
Javert s'assit à côté de Madeleine et ensemble, ils défirent la carte, la dépliant.
Ce fut plus difficile de se repérer sur le papier que dans le ciel, mais les doigts suivirent les constellations comme ils le faisaient dans la nuit.
" Ici Cassiopée. Ici Andromède... Tiens ici Orion !
- Orion ?"
Madeleine souriait, apaisé. Il retrouvait les yeux brillants de l'inspecteur.
" Oui. Facile à retrouver. C'est un chasseur qui porte une ceinture. Là ! Les trois étoiles ! Je te montrerai. Il est accompagné d'un chien... Attends.. Voici le Grand Chien avec l'étoile Sirius..."
Javert remarqua le sourire réjoui de Madeleine et cessa de parler des étoiles.
" M'écoutes-tu au moins ?
- Oui, se défendit Madeleine.
- Menteur !"
Javert se pencha pour effacer le sourire amusé de Madeleine...par un baiser appuyé...
La carte oubliée tomba sur le sol.
Plus tard, il fallut quand même manger.
Mais Madeleine refusa de se recoucher. Il disparut dans la nuit.
Laissant Javert avec la carte des étoiles et des questions plein la tête.
*************************
Il y avait des jours. Professionnels et parfois même conflictuels.
Et il y avait quelques nuits. Rares, folles, imprudentes et cependant... indispensables...
Le maire retrouvait ses attitudes de voleur et filait dans la Ville-Basse.
De son côté, le policier, vêtu de son uniforme, après une journée bien remplie, rentrait chez lui, en tenant Gymont par la bride.
Là, il préparait un souper et essayait de ne pas s'échauffer en attendant Madeleine.
Sachant fort bien que bientôt, il serait en nage.
Le maire entrait enfin.
La maison était si éloignée, si petite et insignifiante. Et le maire était si prudent.
Ce qui amusait Javert...mais alertait aussi le policier.
Un forçat...Un Chouan...Un voleur...
Le maire entrait et aussitôt il culpabilisait.
Puis tout cessait lorsqu'il se retrouvait dans les bras de Javert.
Il suffisait de s'embrasser, de se caresser...puis de s'aimer...
Pour que tous ces doutes et ces remords disparaissent comme par magie.
Oui, Javert était un magicien.
Cependant, invariablement, le maire disparaissait dans la nuit.
Javert se réveillait seul.
Il en conçut quelque dépit.
Mais il était bien placé pour connaître le danger de la rumeur.
Cela dura un mois avant que tout ne bascule.
Novembre fit place à décembre.
************************
" Non monsieur Madeleine !, aboya durement le policier.
- Javert ! Il faudrait un accompagnateur !
- Monsieur, non !
- Vous ne serez pas seul ! Je serai là !, asséna plus sèchement le maire.
- Mais... Mais, monsieur ! Je ne saurai faire cela ! Je vais..."
Les mains du policier, si larges, habituées à manipuler la canne et la matraque, se fermaient et se serraient.
" Vous verrez, Javert. Ce n'est pas difficile.
- Vous vous en mordrez les doigts, monsieur le maire !, le prévint Javert. Ils vont s'enfuir à mon approche !
- Des enfants, Javert. Juste des malheureux enfants, abandonnés et seuls la nuit de Noël.
- Bon Dieu, monsieur... Qu'allez-vous me demander un jour de faire ?"
C'était un franc succès.
Les enfants étaient heureux.
Les religieuses étaient heureuses.
Monsieur Madeleine était heureux.
L'inspecteur... l'était beaucoup moins.
" Je ne savais pas qu'un cheval pouvait rire," pouffa Madeleine.
Javert marmonna une réponse qui ressemblait plus à un grognement qu'à des mots.
" Vous êtes magnifiques tous les deux."
Le policier regarda fixement le maire et rétorqua sèchement :
" N'insistez pas Madeleine !"
Monsieur le maire se mit à rire à gorge déployée.
Et pourtant il ne faisait qu'énoncer une vérité. Gymont et son maître étaient magnifiques.
Depuis le matin, le maire et le chef de la police offraient un drôle de spectacle aux habitants de Montreuil-sur-Mer.
En effet, l'étalon de l'inspecteur portait des paniers remplis de jouets et de couvertures, de confiseries et de gâteaux... Toutes les matrones de la ville avaient participé à la collecte organisée par monsieur le maire.
On avait rempli les paniers et dans chaque maison, des enfants avaient reçu des surprises.
Debout devant son étalon, tenant sa bride et affichant un air morose, l'inspecteur voyait les choses se dérouler avec stupeur.
La charité de monsieur le maire !
Un forçat devenu magistrat !
Et au bout d'une heure, il commença à se produire quelque chose que l'inspecteur n'avait pas prévu... Mais que Madeleine attendait. Vu le sourire amusé qu'il arborait.
De chaque maison sortirent les enfants, vêtus de leur manteau le plus chaud et se mirent à suivre le maire et le policier...et surtout l'étalon...
Il ne fallut qu'une heure pour que cela devienne une procession.
Une heure pour que tout le décorum qu'essayait de conserver le policier disparut sous la débonnaireté de monsieur le maire.
Tout d'abord, il y eut des enfants qui demandèrent gentiment s'ils pouvaient caresser le cheval.
Javert refusa au départ...puis il le permit par la force des choses.
" Allons, inspecteur, s'écria en souriant le maire, les yeux brillants de joie. Vous voulez leur faire peur ? Gymont est un brave garçon !"
Gymont était un brave garçon.
Il le prouva.
Javert contempla avec horreur son cheval, si sérieux et si imposant, se faire caresser...puis des petites mains se mirent à tresser sa crinière et sa queue...
Gymont penchait sa tête sur le côté et se laissait faire, acceptant les friandises que les enfants lui apportaient. Carotte, pain, sucre...
Javert saisit son oreille pour le caresser et se pencha pour lui murmurer :
" Vendu ! Te voilà corrompu !"
Oui, un cheval pouvait rire.
Le tour de la ville prenait en compte l'usine et l'hôpital...pour finir par l'orphelinat.
Il y avait des enfants.
Des religieuses qui souriaient. On servit du vin chaud et on partagea les derniers gâteaux sortis des paniers.
Javert tenait Gymont par la bride.
L'étalon était somptueusement décoré. Les crins tressés, entremêlés de brins de laine et de rubans colorés, le transformaient en cheval de cirque.
Madeleine, peut-être sous l'influence du vin chaud aux senteurs d'épices, regarda l'inspecteur avec attention.
Javert, si raide et imposant, dans son uniforme de police, le regarda avec suspicion. Son bicorne réglementaire, ses favoris touffus, son col brodé de fleurs de lys.
" Monsieur ?, demanda prudemment le policier.
- Vous devriez être accordé à votre cheval, Javert.
- Comment cela ?
- Un ruban à votre chapeau ?
- NON !," claqua Javert.
Et Madeleine cacha son rire dans une toux.
Une petite fille, toute mignonne et toute gentille, glissa dans la cocarde blanche du bicorne du policier, un joli ruban bleu accordé aux yeux de l'inspecteur.
La fin de la journée fut légèrement...chaotique...
Javert ramena Gymont à sa demeure, accompagné par monsieur le maire.
Les deux hommes avaient bu du vin chaud.
Le froid et la promenade avaient rougi leurs joues.
Et la neige se mit à tomber...
" Il fait froid, constata Javert, la voix un peu pâteuse.
- En effet, acquiesça Madeleine en levant le nez au ciel.
- Je ne sens plus mes doigts, reconnut le policier.
- Montrez-moi cela !, fit le maire. Il faut se méfier des engelures."
Javert sursauta lorsque Madeleine saisit une main pour vérifier la température.
Le policier resta saisi puis se ressaisit.
Les deux hommes étaient non loin de la mairie.
Javert regarda le maire, si candide...et se dit que peut-être...il ne l'était pas vraiment en réalité.
" Vous avez froid en effet," affirma le maire en levant les yeux pour voir son compagnon.
Puis Madeleine se troubla devant le regard étincelant de Javert.
" Inspecteur ?
- Il y a du feu dans votre bureau à la mairie ?
- Ha ! Certainement. Je...
- Et si nous discutions de cette folle distribution dans votre bureau? monsieur le maire ?
- Javert, je...
- A moins que vous n'ayez à préparer quelque chose de plus urgent ?"
Madeleine regarda Javert et souffla :
" Non, rien d'urgent ne m'attend.
- Alors, réchauffons-nous le temps d'une réunion..."
Imprudent.
Irresponsable.
Dangereux.
Mais indispensable.
L'inspecteur bloqua le maire contre la porte de son bureau et lentement l'embrassa.
" Un ruban dans mon chapeau ?, grogna le policier en embrassant aussi le cou de Madeleine. Pourquoi pas dans mes favoris ?
- Mhmmm. Tu es magnifique..., se moqua Madeleine.
- Je devrais te forcer à porter des rubans toi aussi.
- Javert, Javert, Javert..."
Imprudent.
Irresponsable.
Dangereux.
Tellement bon.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top