Chapitre XXXI
La porte se referma sur eux, les laissant tous les deux. Madeleine surprit Javert en bloquant la porte avec une chaise.
" Il y a des fouineuses..."
Javert hocha la tête, compréhensif. Lui-même avait employé des prostituées comme moucharde à Paris ou ailleurs.
Et il avait compris que Choupette devait en être une.
L'inspecteur examinait la chambre, un petit sourire ironique sur les lèvres. Il déambulait sur le plancher ciré, glissant ses bottines sur le tapis de prix.
Il s'approcha de la table et découvrit les pétales de rose dans l'eau. Cela le fit rire.
" Mon Dieu ! Mais que font-ils avec des pétales de rose ?"
Madeleine s'approcha et sourit à son tour.
" C'est pour que l'eau soit parfumée.
- Non ? Nous allons sentir la rose ?"
Le rire fut partagé.
Javert posa sa main sur l'épaule de Madeleine et murmura :
" Tu es déjà venu ici, je le sais. Seul ?
- J'ai toujours été seul."
- Moi aussi."
Madeleine jeta un regard suspicieux au policier qui s'assit sur le lit, immense et sourit en voyant le luxe de la literie.
" Je n'ai connu qu'un homme dans ma vie, raconta Javert. Un collègue qui prétendait... Bah !"
Madeleine s'est assis à côté de Javert et demanda doucement :
" Qui prétendait quoi ?
- Peu importe."
Javert se laissa tomber en arrière et apprécia la douceur du matelas.
" Je n'ai jamais connu plus doux.
- Moi non plus. C'est presque...étrange..."
Le policier se mit à rire. Madeleine l'imita.
Les deux hommes se contemplaient dans l'immense miroir positionné juste au-dessus du lit.
Javert siffla d'admiration.
" Seigneur ! Je n'ai jamais vu cela dans aucun bordel que j'ai visité.
- Tu as visité des bordels ?
- Monsieur Madeleine ! Il faudrait vraiment que vous étudiez les attributions de votre chef de la police. Je visite les bordels et vérifie que tout est bien conforme à la loi.
- Mais tu n'as jamais..."
Puis d'une manœuvre habile, le policier se jeta sur le maire et le coinça sous sa stature.
" Madeleine ! Maintenant que je t'ai sous ma dextre, tu vas répondre à mes questions.
- Je pourrai te jeter sans souci sur le sol, Javert, se moqua le maire.
- Mhmmm. Oui, tu pourrais mais tu ne le feras pas.
- Pourquoi ? Ho Dieu..."
Madeleine ferma les yeux tandis que Javert lui embrassait le cou, cherchant à atteindre la carotide.
" Une belle chambre, un beau lit... Je me demande ce que tu verrais si tu ouvrais les yeux... Mon beau monsieur Madeleine."
Obéissant à l'injonction, Madeleine ouvrit les yeux et se vit.
Couché sur le lit, un homme étendu sur lui, qui l'embrassait et le caressait avec ardeur.
" Javert.. Je...
- Ne me dis pas que tu m'as emmené uniquement pour discuter de tes puits et de tes étangs des Moulins, se moqua le policier. Vu ce qu'a insinué Choupette. Mes beaux yeux et ma taille ? Vraiment ?
- Non. Si... Je..."
Lentement, Javert se recula pour laisser l'homme sous lui respirer. Madeleine avait déjà le visage rougi et les cheveux en bataille.
" Tu es magnifique Jean. Voyons maintenant ce que ton joli costume cache !
- Javert ! Je suis..."
Madeleine ferma les yeux, fâché contre lui-même et mortifié.
Puis la voix, tentatrice, celle de ses songes, souffla à son oreille :
" Marqué ? Je ne suis pas surpris que tu sois un forçat, tu sais. Je me le suis demandé depuis le premier jour ! Dans le bureau du maire.
- Mon Dieu ! Tais-toi !
- Bien !, approuva Javert en souriant. Te voilà énervé. Voyons si nous pouvons te faire hurler mon nom."
Les mains de l'inspecteur se chargèrent de retirer la cravate de monsieur le maire. Puis il enleva la veste.
" Tu es bien trop habillé, monsieur le maire," grogna Javert.
Madeleine se mit à rire, essoufflé et pris par la folie.
" C'est toi qui me dis ça ?"
Les doigts de l'ancien forçat, tremblants, se posèrent sur la cravate si bien nouée de l'inspecteur.
Javert montra les dents et son sourire redevint celui du loup.
" Tu veux me voir Jean ?
- Dieu, oui !
- A ta guise !"
Javert n'avait pas peur, il ne faisait pas trop de cas de lui-même. Trop grand, trop maigre, trop sombre. La cravate tomba sur le sol, suivie par la veste de costume et Javert commençait à se charger de sa chemise.
Il se déshabillait vite, à genoux sur le maire mais Madeleine le retint, tout à coup affolé.
" Attends ! Attends ! Je..."
Cela gela l'inspecteur qui demanda, incertain :
" Tu changes d'avis ?
- Non, mais... Je ne sais pas. Je n'ai jamais... A part avec toi... Je...
- Quoi ?"
Puis la compréhension se fit jour dans l'esprit du policier qui se souvint de lui-même avant que Gilles ne fasse le premier pas. Dans les brumes de l'alcool.
Malgré les quelques caresses déjà échangées entre eux, Madeleine était effrayé.
" Bien. Nous allons donc ralentir, monsieur."
Javert descendit du lit, au grand dam de Madeleine.
Soudainement, le maire resta immobile lorsqu'il sentit les mains du policier se charger de ses bottines.
Celles de l'inspecteur disparurent à leur tour et un Javert en chemise et pantalon réapparut au côté du maire.
Des yeux brillants et un sourire moqueur.
Puis plus rien.
" Et maintenant ?," murmura Madeleine.
Javert laissa un doigt glisser sur le front du maire, dans les cheveux et caressa, doucement.
" Tu es prenant, avoua le policier. Tu ne quittes plus mes pensées. De jour comme de nuit. Et lorsque tu as fui, tu m'as inquiété... Tu m'as manqué."
Cet aveu estomaqua Madeleine qui souffla :
" Je suis...
- Flatté ?"
Le rire fut partagé.
" Viens ici !," ordonna le policier.
Madeleine se tourna et Javert reprit sa bouche. Durement, puis plus doucement, ravi d'entendre gémir le maire sous l'assaut de sa langue.
Lentement, il força l'homme à se coucher et Javert retrouva sa position, au-dessus du corps massif du maire.
Du forçat.
Ils ne parlaient plus.
Ils s'embrassaient et Madeleine commençait enfin à y prendre goût, reflétant les gestes de Javert.
Langues, lèvres, dents...
C'était un jeu qu'ils connaissaient bien maintenant.
Le premier halètement de l'inspecteur enflamma les sens de Madeleine.
Javert se fit plus dur.
Il se déplaça, un tout petit peu, et les deux aines entrèrent en contact. Javert sourit, suffisant, lorsqu'il sentit le souffle de Madeleine se briser.
Cela, ils ne l'avaient pas encore connu.
Le policier se recula, juste un peu, et murmura :
" Je regrette de t'avoir traité ainsi, tu sais. Pas parce que tu es un putain de forçat. Mais tu méritais mieux. Je n'aurai pas dû te sucer. Je n'aurai pas dû te forcer ainsi.
- Javert..."
Les yeux du maire étaient éblouis.
Et ses mains caressaient enfin le dos du policier.
Madeleine les voyait dans le miroir se déplacer sur la chemise et suivre les contours du corps de l'inspecteur.
" Oui, je n'aurai pas dû te faire ça. Pas après les étoiles et les dîners...
- Tu... Que veux-tu dire ?"
Javert rit, doucement, alors qu'il embrassait à nouveau la gorge du maire. Et Madeleine sentit les mains du policier défaire sa chemise, tandis qu'une jambe se glissait entre les siennes.
Vêtue de tissu, elle le fit gémir malgré tout, lorsqu'elle rencontra son sexe devenu dur.
Les mains se crispèrent dans la chemise de l'inspecteur.
Madeleine n'osait plus se regarder.
Il s'entendait gémir et c'était bien assez.
" Des dîners, des réunions, des patrouilles, des sourires, des étoiles..., énuméra Javert, tout en suçant le lobe de l'oreille. Tu méritais que je te courtise un peu plus au lieu de me jeter sur toi. Et tu ne méritais pas que je te perturbe ainsi. Chaque jour.
- Javert... S'il te plaît..."
Ne relevant pas le ton désespéré du maire, le policier s'exécuta.
Fébrilement il aida son compagnon à retirer la chemise.
Madeleine se vit torse nu dans le miroir avec un homme au-dessus de lui qui le découvrait et le caressait.
" Dieu ! Tu es magnifique, Jean.
- Je suis..."
Madeleine se vit rougir, honteux.
Javert souriait gentiment, se voulant rassurant.
" Blessé ? Marqué ? Couvert de cicatrices ? Montre-moi ton dos !
- Non !
- Mhmmm. Tu seras bien obligé à un moment donné.
- Pourquoi cela ?
- Parce que tu espères me baiser comment ? Et avec ce miroir...
- Javert, je..."
Les doigts de l'ancien garde-chiourme passaient sur les cicatrices sur le torse, suivant les plus terribles, ensuite il saisit une des mains de Madeleine et embrassa les cicatrices des chaînes visibles sur le poignet.
La voix moqueuse de Javert retentit :
" Tes manches si longues, toujours si bien boutonnées... Menottes.
- Javert, s'il te plaît," plaida Madeleine.
Après les poignets, Javert reprit ses baisers dans la gorge et murmura :
" Les cols, amidonnés et correctement cravatés... Collier de fer.
- Je t'en prie.
- As-tu porté la double chaîne ?
- Oui," avoua Madeleine, en sentant les larmes embuer ses yeux.
Le pied de l'inspecteur s'enroula autour de la cheville gauche et Javert ajouta, intraitable :
" La jambe gauche boiteuse... Enchaîné à un camarade durant trois ans minimum.
- Oui..., " souffla Madeleine en refusant de laisser couler de larmes.
Satisfait de son interrogatoire, le garde-chiourme chercha les lèvres et les captura.
" Donc tu étais un forçat dangereux ! Et tu as tenu un fusil !"
Puis le maire se rebella et retourna la situation.
Ses yeux bleus d'azur brillaient de colère.
Javert sourit et susurra :
" Te voilà ! Là, si proche ! Qui es-tu ?
- Ta gueule Javert !
- Mhmmm. Oui, tu es plutôt comme ça !"
Madeleine embrassa durement le garde-chiourme et Javert gémit à son tour. Ses mains se glissèrent sur les épaules, puis dans le dos de monsieur le maire.
Et il sentit les cicatrices.
Cela lui fit ouvrir les yeux.
Et Javert vit dans le miroir !
Il avait déjà vu des forçats ! Nus. Il connaissait les cicatrices des coups de fouet et des bastonnades.
Mais jamais il n'avait vu cela !
Monsieur Madeleine possédait une carrure imposante, des épaules larges et musclées...mais son dos ! Son dos était marbré de traces et de cicatrices, de blessures et de violences.
" Putain Jean !, souffla Javert. Combien de temps tu es resté au bagne ?
- TAIS-TOI !"
Nouveau baiser mais le cœur n'y était plus autant.
Madeleine posa sa tête dans le creux du cou de Javert.
Il tremblait et luttait pour ne pas fuir l'étreinte du garde-chiourme.
Il sentait les mains, longues et chaudes, glisser dans son dos et parcourir les cicatrices.
" Je comprends pourquoi tu as si peur des autres. As-tu été victime de violences de la part de tes condisciples ? Ou des gardes ? Hormis la violence habituelle bien entendu.
- Je...je ne peux pas parler de..."
Puis Javert saisit la tête de Madeleine collée contre son cou et il asséna :
" L'as-tu été ?
- Non. Pas dans le sens où tu l'entends.
- Bien. Alors nous allons essayer quelque chose de nouveau. Peut-être auras-tu moins peur..."
Lentement, Javert se recula loin de Madeleine.
Il retira sa chemise et son pantalon sans quitter des yeux Madeleine.
Et Javert se retrouva nu. Puis, doucement, il fit de même avec Madeleine.
Là, les deux hommes s'arrêtèrent et se contemplèrent. Plus doux, bien plus doux, Javert fit se recoucher Madeleine.
Il reprit sa position au-dessus de ce dernier et recommença à embrasser, cherchant les lèvres, la langue...le plaisir...
Voulant faire renaître le désir.
" Jean..."
Madeleine voyait son rêve se concrétiser sous ses yeux.
Il n'en revenait pas. C'était tellement ça et en même temps c'était toute autre chose.
Il y avait un homme nu couché sur lui, ses jambes entremêlées aux siennes, il y avait des mains qui le caressaient, révérencieusement et en même temps, taquines.
Javert descendit sur son torse et se mit à chercher ses tétons.
Quoi de plus ridicule qu'un téton ?
Madeleine gémit fort lorsqu'il sentit la bouche de Javert sucer et embrasser ses tétons.
Les mains du maire se posèrent sur les cheveux de l'inspecteur, encore retenus par leur ruban.
Et elles les libérèrent enfin.
Une cascade de cheveux aux couleurs de nuit se répandit sur son torse. Des cheveux si sombres, accordés à la toison.
Magnifique inspecteur Javert...
Soudain, le même plaisir, haut et fort, que ces nuits magiques, fit dériver Madeleine. La bouche de l'inspecteur se posa sur son sexe et d'un seul mouvement l'engloutit.
Madeleine sentait la caresse des favoris, bien taillés, glisser sur ses cuisses.
C'était divin !
La nudité changeait tout.
Ouvrant les yeux, Madeleine se vit, les jambes écartées, un homme entre elles et clairement en train de se charger de son plaisir.
Des épaules larges, des muscles qui roulaient et le plaisir montait, montait...
Madeleine caressait les cheveux, laissant ses doigts se perdre dans la chevelure douce et soyeuse.
" Dieu... Javert..."
Et à quelques instants de la délivrance, Javert relâcha le sexe et regarda Madeleine.
L'homme était époustouflant.
Les joues rouges, les yeux étincelants, les cheveux collés par la sueur...
Javert passa quelques instants à le regarder.
" Magnifique !
- Viens !"
Javert s'exécuta et s'approcha afin de laisser Madeleine le saisir et l'embrasser. Enfin, il se permettait d'agir.
Le forçat retrouvait son goût et cela lui sembla toujours aussi étrange.
Mais surtout il sentit un sexe, dur et pressant, se coller contre sa cuisse.
Cela le fit se crisper.
Des souvenirs terribles du passé lui revenaient. Il avait ressenti ainsi des sexes endurcis et dut lutter pour éviter d'être forcé.
" Maintenant, nous allons nous battre contre les fantômes du bagne, n'est-ce-pas Jean ?, murmura le garde-chiourme.
- Dieu...
- Ainsi, doucement."
Javert se rapprocha et les deux aines entrèrent en contact. Une caresse de peau douce contre une autre peau douce.
Chaude.
Enivrante.
Madeleine ferma les yeux et se laissa dériver aux soins de Javert.
Une main saisit fermement les deux sexes et les branla, efficacement.
Les doigts de Madeleine se serrèrent dans les épaules de l'inspecteur.
Et monsieur le maire se mit à gémir.
Fort.
Cela ravit l'inspecteur qui embrassa la mâchoire avant de reprendre les lèvres.
" Là, tu vois ? Pas de douleur.
- Comment...
- Comment je le sais ? Parce que j'étais comme toi !"
Et le plaisir devint fulgurant.
Monsieur Madeleine se sentit venir et il regarda Javert.
La caresse était plus erratique, plus désespérée.
Manifestement, le contrôle de l'inspecteur s'effilochait.
" Montre-moi, dit Madeleine, la voix essoufflée.
- Ta main... Là... Comme... Comme la dernière fois..."
Madeleine fit comme la dernière fois en effet.
Javert avait fermé ses yeux et haletait doucement, le souffle court et ses mains tenaient Madeleine, comme s'il se noyait et qu'il avait besoin d'un ancrage.
Ses cheveux, si sombres qu'ils en devenaient irisés, étaient répandus sur l'oreiller.
Et il gémissait, répétant le prénom de monsieur le maire sans fin.
Comme une prière.
Madeleine regardait cela et...le trouvait beau...
Enfin, la vague submergea à son tour Javert et l'humidité se répandit sur le lit...la main...les ventres...rejoignant la venue de Madeleine...
Quelques secondes à reprendre son souffle et les yeux clairs, si brillants, de l'inspecteur s'ouvrirent.
Doux, doux.
Amoureux ?
Madeleine n'en savait rien mais cela le fit sourire.
" Voilà, chuchota Javert. Aucune douleur, aucune peur... Juste du plaisir.
- Oui, en effet."
Madeleine caressa le visage de Javert, touchant les favoris et suivant les gouttes de sueur sur le front.
" Mais je suis navré, Jean. Je n'ai pas réussi à te faire crier mon nom."
Le maire n'arrivait pas à arrêter de toucher le visage de l'inspecteur... son amant...
" Pourquoi pas ton prénom ?, demanda Madeleine, curieux.
- Parce que je n'en ai pas.
- Comment cela ?
- Né en prison, fils de gitan. Mon prénom n'existe pas.
- Javert...
- C'est la seule chose que j'ai."
Madeleine se pencha sur le policier et l'embrassa fougueusement.
" Non ! Ce n'est pas la seule chose !
- Qu'ai-je d'autre ? Mes yeux ? Ma taille ?, se moqua Javert.
- Toi."
Cela fit rire le policier.
Il laissa retomber sa tête en arrière et examina ce forçat caché sous les défroques d'un maire.
Et un excellent maire !
Il ne comprenait pas comment cela avait été possible mais c'était ainsi.
" Maintenant, nous allons sentir la rose !"
Prestement, Javert repoussa le maire et se dirigea vers l'eau aux pétales de rose. Saisissant un chiffon et une éponge, il humidifia l'un et conserva l'autre bien sec.
Puis, il revint vers le lit et doucement, se chargea de nettoyer le maire.
" L'hygiène est importante. Et je veux que Choupette sente l'odeur de roses ! Elle va en faire une syncope !
- Javert, Javert, Javert..."
Le maire ne put s'empêcher de rire.
Mais il regardait le policier le nettoyer avec des gestes tellement tendres qu'il ne savait pas quoi penser de cela.
Ceci fait, Javert se lava et jeta sans cérémonie les tissus sur le sol.
Sur le tapis précieux et le plancher bien ciré.
Il se coucha contre le maire et s'écria :
" Je te préviens ! Je ronfle, je bave et je suis trop grand."
Madeleine se mit à rire et sentit une tête se poser sur son épaule.
Et bientôt...
Javert s'endormit.
Mais Madeleine en était bien incapable.
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Après Abbeville, la vie à Montreuil ne changea que subrepticement et de manière discrète.
Javert avait appris à la dure. Jamais on n'avait pris en flagrant délit l'inspecteur de police mais il avait été traîné dans la boue.
Et vu tomber son collègue et ami.
Il se jura de ne pas connaître la même fin. Surtout qu'il savait qu'on l'observait et que Paris ne le lâchait pas.
Il était loin d'être sorti de l'ornière.
Donc, monsieur le maire et son chef de la police poursuivaient leur relation professionnelle. Ils se voyaient tous les jours et restaient dans leurs limites. Parfois, lorsque Moreau était absent..., le policier se permettait un baiser... Et, encore plus rarissime, parfois c'était M. Madeleine qui se levait de son fauteuil pour embrasser son chef de la police.
Juste un instant de douceur.
Mais c'était rare car le secrétaire de mairie et de commissariat était quelqu'un de sérieux.
Moreau était content de les retrouver ainsi, collaborant et amicaux.
Il servait ses deux maîtres et les abreuvait de café, tout en prenant des notes et en écoutant les rapports.
" Le chantier de la Cavée Saint-Firmin doit s'arrêter, Javert, annonçait le maire, tout en consultant ses dossiers.
- Pourquoi cela ?, le fusillait du regard l'inspecteur.
- Nous pouvons avoir des fonds, nous pouvons avoir des ouvriers, nous pouvons avoir du sable et des pavés mais...
- Mais ?, demanda Javert en se préparant à une argumentation verbale.
- Nous ne pouvons pas lutter contre l'hiver, sourit tristement le maire. L'hiver est précoce cette année. La boue et la neige gênent le transport des marchandises.
- Merde !
- Je ne vous le fais pas dire !"
C'était les jours. Peu de rencontres, quelques patrouilles ensemble, pour vérifier l'avancée des travaux et découvrir les misères oubliées.
Javert arrêtait de moins en moins de malheureux.
Sa chasse aux ivrognes et les bons soins de M. Madeleine avaient réussi à assainir la cité.
Genlain sortit de l'hôpital, guéri de son ivrognerie.
Tout allait pour le mieux.
C'était des jours heureux.
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Un enterrement, froid et triste. La neige se mêlait à la pluie de novembre.
Un enterrement solennel. Toutes les personnalités de la ville suivaient le cortège.
Seul détonait une personne.
Une personne qui souriait et n'arrivait pas à conserver un air morose. Son visage devait refléter la tristesse mais cela se transformait en ennui.
M. Bamatabois père était mort.
Son fils n'arrivait même pas à afficher une mine de circonstance.
Et chaque main qui lui serrait les doigts pour lui adresser des condoléances ressemblait à des félicitations.
Il arborait alors un sourire si réjoui qu'il en devenait scandaleux.
Une main se posa sur l'épaule de M. Madeleine. Le retenant d'avancer.
" Non, monsieur, fit le baryton profond que le maire avait appris à aimer.
- Son propre père, grogna le maire. Inspecteur !
- Aucun règlement n'oblige un fils à éprouver de la tristesse à la mort de son père.
- Dieu ! Il le faudrait !"
Madeleine et Javert regardaient le fils, si peu éploré, posté près de la tombe de son père. Il essayait enfin de cacher sa joie derrière des yeux baissés et des larmes de pacotille.
" Un regrettable accident, asséna le maire, entre ses dents serrées de colère.
- Est-ce vraiment un accident ?, demanda Javert, soucieux.
- Qu'est-ce que cela pourrait être d'autre ?
- Il y a toujours les faux-monnayeurs..."
Madeleine secoua la tête et regarda son chef de la police.
" N'en faites pas une affaire personnelle, Javert. M. Bamatabois s'est brisé la nuque en tombant dans l'escalier de sa maison. Vous-même avez dû en convenir."
Le prêtre avait fini son homélie. Chacun espérait échapper à la pluie glacée pour retrouver le confort de sa maison.
Le fossoyeur n'avait plus qu'à refermer la tombe et c'en était fini de cette cérémonie de façade.
" J'en ai convenu, admit sèchement le policier. Mais cela ne veut pas dire que le doute ne subsiste pas !
- Un vieil homme fatigué, une maison bien trop vaste, un escalier plongé dans l'ombre... Il a glissé et s'est brisé la nuque. Javert ! Ce furent les conclusions du médecin et du capitaine de la gendarmerie.
- Et du chef de la police, je sais !"
Les gens quittaient le cimetière. M. Bamatabois se dirigea, comme à son habitude, vers le café de la Place.
Laissant dans son sillage, des remarques acérées sur son manque d'empathie et sa tendance à l'ivrognerie, dont il n'avait cure.
Il ne resta plus que le maire et son chef de la police.
Mais Javert glissa son bras sous celui de M. Madeleine et le fit partir lui aussi.
Il fallait de la chaleur et du réconfort.
Pour tous les deux.
M. Bamatabois père était mort d'une nuque brisée due à une chute dans un escalier.
Une mort idiote par accident.
Son fils avait été d'une stupidité crasse lors de l'enquête. Il n'avait rien vu, rien entendu, étant couché dans le lit d'une femme quelque part dans Montreuil.
Le médecin avait simplement constaté la mort.
Javert avait renâclé.
Magnier, bien obligeamment, l'avait laissé agir comme il le souhaitait. Javert avait donc eu le droit d'enquêter, d'examiner et de fouiller.
Mais il ne trouva rien.
Ce devait être un accident.
Même si tout son instinct de chien de chasse lui hurlait que non !
" Voulez-vous un café, inspecteur ?, demanda le maire en regardant son chef de la police.
- Ce n'est pas de refus, monsieur. Ainsi, nous pourrons évoquer les travaux du quartier des Moulins. Quand doivent-ils débuter ?
- Ce printemps, si tout se passe bien !
- Nous ferons tout pour que cela se passe bien, n'est-ce-pas ?
- Oui, Javert."
Les deux hommes se souriaient en entrant dans la mairie afin de reprendre le collier et de se faire servir un café de la part de Moreau.
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