Chapitre XXVII

La luxure n'était point ce que Madeleine avait escompté.

C'était éphémère et sordide. C'était profondément décevant.

Il n'avait pas voulu cela, du moins pas de cette manière, et s'y était même opposé. Mais Javert ne lui avait pas laissé le choix.

Il aurait pu mettre plus de poids sur son refus... Il aurait même pu recourir à la force.

Mais trop de vin coulait dans ses veines.

Non... Ce n'était pas le vin. C'était le feu que Javert avait attisé par ses baisers.

Qu'avait espéré Jean Valjean à ce moment-là ?

Pouvoir enfin ressentir ce qu'il avait deviné chez ces hommes qu'il avait surpris s'aimant au bagne ?

En tout cas, Madeleine ne s'attendait pas à ce que cette bouche capable d'éveiller dans son corps le désir le plus sauvage se referme autour de sa bite et mette fin en quelques secondes au contrôle qu'il avait exercé sur lui-même pendant de si nombreuses années.

Cela avait été comme plonger dans un abîme les yeux fermés et atteindre le fond avec fracas, mais sans satisfaction.

Madeleine avait vu beaucoup d'hommes se livrer à cet acte au bagne, de gré ou de force, et s'en voulait d'avoir souillé la bouche de Javert de la sorte.

Il s'était adonné, sans y songer, à trente secondes de plaisir sauvage qui allaient faire une torture du restant de ses jours.

Il lui avait fallu de longues minutes pour se décider à courir après Javert afin de s'agenouiller à ses pieds. Même s'il savait que ce serait inutile, il se devait de lui demander son pardon pour l'avoir entraîné dans l'indicible. Pardon d'avoir guetté, comme le traître qu'il était dans le cœur, le moment où Javert n'était plus maître de lui-même pour provoquer la situation qui risquait d'être sa perte.

Il avait vu Javert vomir contre un mur.

Il ne pouvait lui reprocher de ne pas supporter la répugnance de l'acte auquel Madeleine l'avait soumis.

Sans le moindre scrupule, le saint maire de Montreuil s'était servi de celui qui aurait pu être son ami comme d'autres se servent de prostituées. Pire encore sans doute, car il avait abusé de sa confiance.

Madeleine avait tellement honte que, bien qu'il ait vu Javert chanceler sur ses pieds, il n'avait pas osé l'approcher.

Il s'était contenté de le suivre de loin pendant quelque temps, jusqu'à ce qu'il voie que son pas était redevenu régulier et que sa tête se tenait haute en signe d'autorité. Puis il avait fait demi-tour, déterminé à mettre de l'ordre dans ses affaires avant de disparaître à tout jamais.

Il avait déjà causé suffisamment de dégâts.

Seulement... Seulement, à ce moment, il avait entendu des cris. Le genre de grondements et de plaintes qui ne peuvent venir que d'une bagarre.

Il accourut et en quelques enjambées, il se retrouva face à quatre hommes qui s'acharnaient sur un cinquième, qui avait été assommé et ne pouvait plus se défendre.

C'était Javert.

" Arrêtez !, avait crié Madeleine.

- Et sinon ?, répondit celui qui était au fond.

- C'est ça que vous voulez ?"

Madeleine leur avait jeté sa bourse, et bien qu'ils ne l'aient pas ramassé, ils se sont arrêtés de frapper Javert pour se consulter.

" Vous nous prenez pour des voleurs, monsieur Madeleine, dit le plus grand d'entre eux.

- Non, certainement pas, Gressier. Ce qu'il me semble, c'est que ce matin vous vous êtes réveillés en hommes honnêtes et que ce soir vous allez vous coucher en assassins. Cet homme est déjà à moitié mort...

- C'est un cogne ! C'est le fils de pute qui terrorise la ville avec ses arrestations ! Un homme n'est-il pas libre de boire si ça lui chante ?

- Libre de boire, oui. Libre de se comporter comme un animal par la suite, non. Alors décidez, messieurs : retournez chez vous ou alors achevez-le... et puis moi aussi par la suite. Car je ne vais pas hésiter à donner vos noms à la justice."

Gressier s'était enfui aussitôt. Il retourna, tout de même, chercher son beau-frère... Puis les autres lui emboîtèrent le pas.

Madeleine s'était alors accroupi auprès de Javert.

Son inspecteur était étendu de tout son long face contre terre ; ses cheveux noirs épars couvraient son visage et aussi la tache sombre qui se formait sur les pavés.

Son visage, la bouche qui avait embrouillé le jugement de Madeleine, avait disparu sous le sang.

Lentement, doucement, Madeleine l'avait retourné et le tenait contre sa poitrine. A un certain point, Madeleine avait dû fondre en larmes, car les sanglots qui l'étouffaient résonnaient à présent dans la rue désertée...

Il s'essuya la figure avec la manche, prit Javert dans ses bras puis l'emporta.

Chez lui, en sécurité...

Non, ils se rendraient plutôt à son infirmerie, où les bonnes sœurs s'occuperaient de l'inspecteur jusqu'à l'arrivée du médecin.

Madeleine s'assurerait que Javert recevait les meilleurs soins, qu'il était nourri, qu'il ne retournait pas au travail trop tôt.

Si Dieu lui permettait de vivre...

Il réalisa soudain que Javert ne voudrait plus jamais le regarder en face et s'arrêta.

Comment faire ?

Confier son ami à d'autres mains pour lui épargner la souffrance d'avoir à s'éveiller aux côtés d'un monstre ?

L'aube était encore loin et les rues étaient vides. Tout le monde dormait, inconscient du drame qui venait de se dérouler si près de chez eux.

Non, pas tout le monde.

Madeleine rebroussa chemin jusqu'à la maison du boulanger puis installa Javert sur la marche, adossé au mur.

Suivant un élan qu'il n'aurait pas su expliquer, il ramassa l'une des mains ensanglantées de l'inspecteur, qui traînait par terre, et la posa sur sa poitrine, là où son uniforme serait à même de l'accueillir et de la protéger.

Pour que les larmes lui permettent de respirer une fois de plus, Madeleine avait déposé un baiser sur le front de Javert.

Il avait peur que ce ne fut un dernier adieu...

Monsieur le maire, tel un voyou, frappa à la porte du boulanger jusqu'à la faire trembler sur ses gonds et que le bruit réveille toute la maisonnée ; il se cacha alors dans un coin pour regarder les bougies que l'on allumait derrière les volets... Il attendit pour s'assurer que la porte s'ouvrirait.

Tandis que la boulangère hurlait, Madeleine se déroba pour pleurer sa douleur et sa honte.

*********************************

La première chose que Javert vit à son réveil : ce furent les yeux inquiets de Moreau posés sur lui.

L'inspecteur refusa de se réveiller et referma les yeux, cherchant l'oubli dans le sommeil.

Surtout qu'avec le réveil, la douleur revenait en masse.

" Vous nous avez fait peur, inspecteur, fit le jeune homme, soulagé.

- Combien de temps...?, réussit à demander l'inspecteur.

- Presque toute une journée. Vous êtes resté inconscient des heures. C'est une femme qui vous a trouvé. Elle est venue chercher les gendarmes. Et..."

Javert laissa sa tête retomber en arrière.

Il y avait la douleur physique...

A cela s'ajoutait la douleur morale...

" Inspecteur ?, s'affola Moreau. Inspecteur, vous allez bien ?"

Il entendit une chaise renversée et une cavalcade.

Une main l'auscultait et le froid le fit revenir à lui. Le médecin l'examinait et il avait un visage sombre.

" Votre propension à vous blesser devient problématique, inspecteur. Vous avez eu une chance incroyable que cette femme soit passée. Votre tête a été sévèrement touchée et une de vos épaules a été démise. Vous avez reçu je ne sais combien de coups. D'ailleurs, vos côtes... J'ai dû recoudre encore votre arcade sourcilière ! Mais vous avez eu de la chance !

- Puis-je rentrer chez moi ?, demanda le policier, surpris par sa voix fragile.

- Non. Je vous garde pour surveiller votre tête.

- Allons. Je suis vivant !

- Et vous avez été inconscient pendant une journée ! Vous êtes trop faible ! Monsieur le maire a été furieusement inquiet quand il a appris la nouvelle de votre agression. Il a..."

Javert ferma les yeux et pria pour que tout s'arrête de tourner autour de lui.

" Inspecteur ?, demanda le médecin, alarmé. Vous voyez que vous n'allez pas bien !"

Monsieur le maire était un forçat.

Et l'inspecteur Javert avait sucé sa bite.

" Avez-vous du laudanum ?, demanda humblement l'inspecteur.

- Oui, fit surpris le médecin. Vous en voulez ?

- Par Dieu. Oui."

Le médecin obéit et alla chercher une petite fiole. Il fut encore plus étonné quand il vit l'inspecteur lui tendre la main.

" Non, inspecteur. Il faut savoir doser ! On ne boit pas cela comme du vin.

- Je le sais, souffla le policier.

- Raison de plus ! Vous m'avez l'air...désorienté."

Javert laissa sa tête retomber en arrière, sur l'oreiller et il prit les deux cuillerées de drogue sans rien dire.

Tout pour retrouver l'inconscience.

Et oublier les yeux de M. Madeleine.

Et son goût.

**********************************

Dire que la ville était aux petits soins pour son inspecteur était un euphémisme.

L'inspecteur accepta de rester deux jours à l'hôpital.

Il y reçut le rapport des gendarmes qui avaient œuvré avec soin pour arrêter ses agresseurs. Ce n'était que des ivrognes contents de casser du cogne.

M. Magnier se fit intraitable et les quatre agresseurs étaient déjà à Arras en attente de leur procès. M. Madeleine signa tous les mandats d'amener sans discuter de rédemption ou de seconde chance.

Tout avait été fait diligemment.

Dans le poste de police, sur le bureau de l'inspecteur, il y avait des fleurs et des paniers garnis.

L'inspecteur se tenait debout, il s'accrochait à sa canne et souffrait de son épaule. Son visage était couvert d'hématomes et une de ses mains était inutilisable.

La main gauche, heureusement.

Javert observa tout cela.

Mais ne dit rien.

Moreau était tellement déçu...

" Vous voulez un café, monsieur ?

- Non."

Et Javert repoussa les paniers et les fleurs pour s'asseoir et réfléchir à Toulon.

Un forçat fort, avec des yeux bleus...

Il resta assis et ignora les dossiers. Il ignora le déjeuner, il ignora la réunion quotidienne avec monsieur le maire.

Un forçat de Toulon, qui le haïssait et qui avait eu un fusil dans les mains une fois.

Un Chouan ?

Javert n'y croyait plus.

Javert cherchait dans sa mémoire et se fustigeait de ne pas trouver.

Un forçat fort et dangereux, avec des yeux bleus... Il avait eu un fusil dans les mains et l'avait menacé avec. Donc il s'était évadé. Pourquoi n'avait-il pas été condamné à la guillotine ?

" Vous ne voulez vraiment pas un café, monsieur ?, insista Moreau.

- NON !," craqua Javert.

Moreau recula, douché.

Javert avait été garde-chiourme dans le Midi il y avait vingt ans de cela. Il avait vu des centaines et des centaines de forçats.

Mais ces yeux bleus...il ne les avait jamais oubliés...

Alors que le nom qui allait avec s'était évanoui dans sa mémoire.

Un Chouan !

Un putain de forçat !

" Monsieur Madeleine veut avoir de vos nouvelles," dit prudemment Moreau.

Javert releva la tête et regarda froidement Moreau.

" Je...lui dirai que vous êtes indisposé."

Et enfin ! Le jeune homme quitta le commissariat.

Javert se redressa et dans un accès de rage, il saisit ses dossiers, si patiemment rédigés, et les jeta sur le sol.

Les feuilles en volèrent et les reliures en furent brisées.

Puis, ceci fait, l'inspecteur saisit sa canne et sortit de son poste.

Il avait mal dans l'épaule, il avait mal dans les côtes, il avait mal au cœur mais il se mit à marcher dans la ville.

Une longue patrouille pour montrer qu'il était vivant.

************************

Le quartier des Moulins devint un dossier qui tenait à cœur au chef de la police. Ça et la Cavée-Saint-Firmin.

Javert faisait son travail machinalement, maintenant.

Et il faisait tout pour ne plus se retrouver seul avec Madeleine. Maintenant, il gardait Moreau avec lui, utilisant le jeune homme pour prendre des notes et rédiger des comptes-rendus destinés au conseil municipal, à la Caserne, à la préfecture de police, au tribunal...

Que des mensonges éhontés mais Javert ne voulait plus être seul avec monsieur Madeleine.

Un forçat !

Un Chouan ? Non, non.

Puis Javert se dit tout à coup que Vidocq devait lui avoir menti !

Les travaux urbanistiques se développaient. On s'amusait de voir Montreuil devenir une cité en chantier.

Après la halle aux grains, la Cavée, le lavoir, le drainage...

Monsieur le maire avait-il en effet la folie des grandeurs ?

Mais on ne s'en moquait que gentiment. Ces travaux étaient faits dans l'intérêt général.

Et tout le monde s'en félicitait.

Cet état des choses dura plusieurs jours.

Javert avait l'impression que la situation s'était inversée. De chasseur, il était devenu une proie.

******************************

L'inspecteur Javert habitait une vieille maison au bout d'une venelle avoisinant la rue de l'Église. À l'arrière, seuls un mur et un bout de terrain séparaient son foyer de la Canche.

Il avait été facile de s'y glisser sans être vu.

La façade était noircie par la moisissure, le bois de l'entrée était vermoulu et le toit semblait concave par endroits.

Mais la rue devant la porte était soigneusement balayée, comme prescrit par les ordonnances municipales.

Crocheter la serrure fut un jeu d'enfant.

L'intérieur était froid et minuscule ; quelqu'un avait érigé deux murs en brique pour séparer le petit logis de la grande maison qui donnait sur la rue de l'église.

Il n'avait fallu que deux minutes pour parcourir toutes les pièces.

Le lit de Javert était petit et étroit ; au lieu d'une armoire, Javert possédait une cantine qu'il avait poussée contre le mur.

Il manquait des lames dans les volets et la froide lune d'hiver déferlait sur les lieux sans qu'aucun rideau ne l'en empêche.

L'autre chambre ne présentait pas plus d'intérêt.

Peut-être quelques livres empilés sur une planche et un vieil étui en cuir ouvragé placé auprès de la cuvette.

Madeleine vérifia la robustesse de l'unique fauteuil et s'assit pour attendre dans le noir.

***************************

Dans son meublé que le policier louait pour une somme modique dans la Ville-Basse, Javert vivait une vie modeste.

Peu de meubles, peu de distractions, peu de biens.

Il ne conservait que quelques livres qu'il s'efforçait de lire.

Il gardait sur lui une tabatière en argent, que lui avait offert son patron.

Une tabatière dans laquelle il y avait son tabac à priser.

Jamais il n'avait tant prisé qu'à Montreuil-sur-Mer...il s'en rendait compte maintenant.

La satisfaction du devoir accompli, la joie de faire plaisir à monsieur le maire...

Tout était biaisé.

Et Javert restait des nuits à contempler son insigne et à se souvenir.

Il n'avait pas aimé Gilles.

Il avait aimé coucher avec lui mais il ne l'avait pas aimé.

Sa mort avait été une catastrophe car elle signalait la fin d'un avenir qu'il avait envisagé.

Retrouver un ami, ne plus être seul et vieillir avec quelqu'un...

Gilles lui aurait apporté tout cela.

Sur la tabatière en argent que M. Chabouillet lui avait offert était gravée une tête de loup.

Un cadeau pour saluer l'entrée du garde-chiourme dans la Force.

Quelle chute !

Javert ferma les yeux et croisa ses mains sous son menton.

Une nouvelle nuit blanche...

Il avait encore trop mal pour la passer en patrouille.

Mais rester assis dans son commissariat était une gageure.

Javert se leva et décida de partir.

Dès la journée terminée, Javert se dirigea vers son logement.

Trop fatigué, il ne remarqua que la serrure était crochetée qu'au moment d'entrer dans sa maison.

Inquiet, il sortit précipitamment son pistolet et le pointa sur la large silhouette assise dans son fauteuil.

Monsieur Madeleine !

L'arme ne se baissa pas.

Madeleine se leva d'un bond, les paumes ouvertes et bien visibles.

" C'est moi, inspecteur...

- A Toulon, tu m'as visé avec un fusil, cracha Javert en ne cessant pas de pointer son pistolet. Pourquoi tu n'as pas fini à la guillotine ?

- Vous souvenez-vous des circonstances ? Quand vous vous en souviendrez, vous comprendrez. Mais ne comptez pas sur moi pour vous le dire...

- Un forçat ! Tu t'es bien foutu de ma gueule !"

Lentement, Javert s'approcha de Madeleine.

Il glissa ses doigts dans la poche de son uniforme et le bruit des menottes, métallique et clairement reconnaissable, retentit.

" Dis-moi ton nom et ton matricule.

- Je m'appelle Jean Madeleine. Et ma dette est payée. Je ne suis plus un maudit chiffre et vous n'avez pas le droit de m'arrêter, Javert."

Javert baissa son arme et secoua la tête, il se sentait ridicule. Et il était épuisé. Ses doigts tremblaient sur l'arme, il la rangea.

Son épaule était une torture.

" Je pourrai trouver une raison de t'arrêter..."

Le policier indiqua sa porte et sérieusement annonça :

" Forcer une porte par exemple ! Que veux-tu Madeleine ? Nous avons déjà joué le rôle du gentil maire et de son chien de cogne aujourd'hui. On recommencera demain !

- Pour commencer, avoir de vos nouvelles, puisque vous ne daignez même pas me parler. Non... Ne pensez pas que je ne saisis pas vos raisons. Je suis venu pour... vous implorer de me pardonner. Ce que j'ai fait, je ne... je ne me le pardonnerai pas tant que je vivrai."

Cela surprit tellement Javert qu'il se mit à rire.

" Bon Dieu ?! Mais qu'est-ce que tu me chantes là ? J'en avais envie ! Si quelqu'un n'a pas été..."

Le policier secoua la tête et vint s'asseoir en face de Madeleine, prenant une chaise pour le contempler avec attention.

" Tu n'as donc pas lu mon dossier ? Je suis ici pour deux raisons, Madeleine, et je pensais que tu les connaissais. La première est une idiotie. On m'a accusé de corruption, ce fut simplement une erreur de jugement. Mais la deuxième... Là, je ne peux pas la réfuter."

Javert se pencha pour être juste en face de Madeleine et de ses damnés yeux bleus.

" Alors, monsieur le maire, avez-vous lu mon dossier ?

- Oui, lorsque j'ai pris mes fonctions. Je savais que vous étiez accusé de corruption, et je savais aussi que ce devait être faux.

- Bien. Et la deuxième raison à ma présence dans cette charmante ville de province ?"

Javert retrouvait son sourire, mais il ne reflétait que l'amertume.

" Elle n'est pas dans votre dossier. Cependant, j'ai entendu des rumeurs à votre sujet... Et c'est la troisième raison qui m'a poussé à venir.

- Vous voulez que je suce à nouveau votre bite ?"

Javert regardait Madeleine. Il glissa ses mains dans ses favoris et murmura :

" Je suis un homme inverti. J'ai eu droit à mon procès en règle dans le bureau du préfet de police. Le scandale a été étouffé. Pour moi en tout cas."

Le policier baissa les yeux et regarda le sol.

Pour Javert, le scandale avait été étouffé, mais pour l'inspecteur Gilles Maucourt, son renvoi de la Force avait fait des vagues...

Madeleine se laissa tomber dans le fauteuil. C'était donc vrai ce qu'il avait lu dans le rapport personnel de Javert... Pas que des soupçons, pas des ragots. Simplement la vérité.

" Écoutez, Javert... Que vous ayez certaines préférences ne m'autorisait pas à abuser de votre... prédisposition à me complaire. Non, je ne veux pas que vous fassiez quelque chose qui vous donnerait la nausée. Mais il existe encore un point sur lequel vous vous trompez : la question dont vous parlez n'est pas oubliée. Quelqu'un est venu me mettre en garde contre vous ce matin. Il a suggéré que je ne devrais pas me laisser voir si souvent à vos côtés... précisément à cause des raisons que vous venez de mentionner."

L'inspecteur releva la tête et ses yeux étincelèrent de colère.

" Haha ! Voici enfin le mouchard qui pointe son nez ! Quelqu'un a participé au trafic de fausse monnaie et m'a vendu aux escarpes. Je serai bien jouasse de faire sa connaissance."

Il se frotta les mains, ayant perdu tout à coup son aspect épuisé et vaincu.

" Je vais le donner au Mec et Vidocq va en prendre soin !"

Puis, comme si l'idée le frappait tout à coup, il reprit ;

" Qu'est-ce que vous voulez dire avec votre histoire de nausée ?! Si j'ai sucé votre bite, monsieur le maire, c'est que j'en avais envie. Si j'ai eu la nausée, c'est que je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit celle d'un forçat."

Et le policier se mit à rire.

" Vous êtes...impayable ! Ainsi, vous avez cru m'avoir forcé ? Et comment auriez-vous réussi cet exploit, Madeleine ? En ouvrant ma bouche de force ? En me saoulant ? Vous êtes un bel homme, vous m'attirez. C'est juste notre passé commun qui a du mal à passer."

Javert se releva et s'approcha de ses réserves.

" Un café ne serait pas de trop pour se reprendre. Vous en voulez un ?

- Ah ! Sans doute, inspecteur... Si cela ne vous dérange pas trop.

- Bien. Dites m'en plus sur ce bourgeois qui a voulu me faire torturer et assassiner. Je crois que ce soir nous allons rester encore un peu dans nos rôles respectifs...monsieur le maire."

Allumer le poêle, chercher de l'eau pour la faire bouillir et servir un café bien fort...cela prit quelques minutes et permit à Javert de se retrouver.

Lorsque ce fut fait, Javert retira sa veste d'uniforme et son col de cuir, frottant la nuque et soupirant d'aise.

Ce fut une longue journée et son épaule le lançait...

Renfrogné, Madeleine le regardait faire.

Il se souvenait des blessures dont Moreau lui avait parlé et pouvait presque ressentir la souffrance que les mouvements rapides et certainement familiers devaient causer à son inspecteur. Mais ce n'était pas le moment de se faire prendre à le regarder.

" Comment savez-vous que c'était un bourgeois et qu'il est mêlé à l'affaire des faux-monnayeurs ?, demanda le maire.

- Mon assassin en herbe me l'a dit en préparant le surin qui allait m'égorger. Je n'ai pas découvert de qui il s'agissait."

Javert avait dit cela avec indifférence tout en tendant une tasse de café bien chaud à monsieur le maire.

Madeleine blêmit. Il ne put s'empêcher de fermer les yeux pour repousser les images gravées dans sa mémoire : Javert saignant sur les pavés ; Javert battu à mort ; Javert abandonné à son sort alors que lui, le faux magistrat, courait se terrer comme un rat. Maintenant, il venait d'ajouter cette autre image d'un couteau sur le point de trancher la gorge de son...

Quoi ?

Même ses dix-neuf années passées au bagne n'avaient pas préparé Jean Valjean à endurer cette sorte de torture.

Affichant la caricature d'un sourire, Madeleine accepta le gobelet que Javert lui offrait... Ce ne fut pas un hasard si ses doigts frôlèrent ceux de Javert au passage et s'y attardèrent un instant tandis qu'il baissait les yeux.

Javert retrouva son sourire moqueur et murmura :

" Et pour revenir au sujet principal de vos préoccupations, monsieur le maire..., il me semble que nous sommes deux à avoir des goûts...interlopes. Je suis flatté."

Javert se recula et réchauffa ses mains en tenant le gobelet de café chaud.

" Honnêtement, je pensais que vous alliez me renvoyer, monsieur. Je m'y attends depuis...quasiment le premier jour de votre entrée en fonction. Maintenant, je l'attends encore davantage. Un homme inverti !"

L'inspecteur souffla sur le café et regarda la vapeur s'en échapper.

" Ma place n'est pas à la Force. On me l'a assez seriné dans le bureau du Comte d'Anglès. Je peux vous apporter ma démission, demain, sauf si vous souhaitez demander officiellement mon renvoi."

Toujours aussi calmement, Javert but une gorgée de son café et sentit la brûlure piquer dans le fond de sa gorge.

" J'en ai assez, Javert ! Vos goûts vous regardent... Ils ne vous rendent pas moins valable, mais plus vulnérable : vous devez vous contraindre à la discrétion... Être plus prudent, c'est tout. Qui d'autre est au courant de vos... penchants ?"

Surprendre l'inspecteur était un exploit rare mais le maire y arrivait très bien. Javert plissa les yeux et répondit :

" Vous. Peut-être mon patron. Le seul qui en soit sûr est mort aujourd'hui.

- Et cet homme qui vous a accusé à Paris ?"

Javert reposa violemment la tasse sur la table et cracha :

" C'est une ordure ! Il n'a subi aucun attouchement de ma part ou de celle de l'inspecteur Maucourt. Seulement..."

Javert respira profondément pour se reprendre :

" L'inspecteur Maucourt était imprudent. J'imagine que des témoins l'ont vu avec un homme... On nous a juste accusé tous les deux.

- L'inspecteur Maucourt ?"

Javert hurla en se relevant :

" LA PAIX MADELEINE ! Ceci ne vous concerne pas ! Personne n'a été en mesure de prouver les accusations portées contre moi. Ce doit être une fuite de la préfecture de police ! Un bourgeois a payé pour obtenir mon dossier. Il n'y a rien d'autre à en dire."

Les mains de l'inspecteur tremblaient. Elles se croisèrent devant lui. Il força les doigts à se refermer mais cela causa une douleur effroyable dans la main gauche.

Javert eut une grimace éloquente.

Madeleine patienta et avoua enfin le nom de son informateur :

" Il s'agit du vieux M. Bamatabois, Javert."

Le chien releva la tête et montra les crocs.

" Je vais le dénoncer !

- Non, Javert, fit le maire, doucement.

- Putain Madeleine ! Il a permis à ces salopards de m'avoir ! Il est partie liée avec les trafiquants !"

Javert darda ses yeux clairs, étincelants de colère sur le maire et se rapprocha d'un pas vif.

" Vous voulez le défendre à cause de votre position ? Laissez-moi l'arrêter ! Il aurait vite fait de donner le nom de cet homme de Montfermeil ! Ou alors je le ramène à Vidocq et le Mec s'en occupera !"

Madeleine secoua la tête, impatient.

" Calmez-vous, Javert ! Il est clair que vous ne pouvez pas accuser Bamatabois sous prétexte qu'il a révélé un secret... à caractère personnel. Et il est hors de question que vous confiiez l'affaire à Vidocq : le prix à payer est inacceptable. Je veux que vous mettiez cet homme sous étroite surveillance. Je vous libérerai du reste de vos obligations, dans la mesure du possible. Attrapez-le sur le fait. Je veux que les preuves contre lui soient si accablantes que personne ne soit tenté de mettre en cause ni vos goûts ni vous-même. Suis-je clair ?"

L'inspecteur détesta le ton, il détesta l'ordre, il honnit ce que représentait l'homme assis devant lui.

Il se força à répondre :

" Oui, monsieur."

Mais cela lui écorcha la bouche.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top