Chapitre XXIX

Il y avait une rumeur. Évidemment.

On racontait que le maire s'était enfui pour une femme.

On racontait qu'il était parti pour l'Angleterre afin de développer l'usine.

On racontait qu'il avait dû rejoindre sa famille, quelque part près de Digne.

On racontait tant de choses.

La rumeur préférée de l'inspecteur était celle-ci : que monsieur Madeleine était parti de Montreuil parce que les étoiles lui avaient prédit qu'il mourrait s'il restait en ville.

Foi de gitan !

Les étoiles l'avaient annoncé !

Moreau était perdu.

Mais Javert annonça simplement que le maire avait dû quitter son poste pour quelques temps afin de régler quelques histoires administratives.

On le crut.

Après tout, c'était le chef de la police et on le savait proche de monsieur le maire.

Cela dura plusieurs jours. Le plus proche adjoint de monsieur Madeleine prit les affaires en main.

Et Javert se mit à obéir à un nouveau maître.

Il n'était plus question de Montfermeil, de Bamatabois ou de pouvoir enquêter librement.

La première chose que le remplaçant de monsieur le maire lui demanda, ce fut d'aller enquêter sur la disparition d'un chat survenu chez une vieille dame, très riche, de la Ville-Haute.

" Vous trouverez sa trace en lisant les étoiles, se moqua le conseiller.

- Certainement, monsieur," répondit froidement le policier.

Et Javert dut se retenir de ne pas se jeter à la gorge de M. Vanderkoeven.

Plusieurs semaines se passèrent ainsi. On commençait à s'inquiéter de l'absence de M. Madeleine.

Javert fut même envoyé enquêter à ce sujet mais Maître Scaufflaire ne lui apprit rien de plus. Monsieur Madeleine était parti sur Paris.

Un accident était si vite arrivé.

Moreau n'en dormait plus et envoyait des courriers dans toutes les grandes villes de l'ouest.

Aucune nouvelle.

Puis...un homme arriva de Paris.

Il demanda à voir le chef de la police ainsi que le maire.

Moreau vint chercher Javert, qui, heureusement, était à son poste.

Ses blessures l'handicapaient encore et il ne pouvait plus marcher pendant des heures.

Curieux, Javert suivit Moreau.

Et il déchanta.

Dans le bureau de monsieur le maire, debout et imposant, se tenait M. Chabouillet.

***************************

M. Chabouillet laissa Javert s'approcher et le foudroya du regard.

Bravement, le policier leva le front et attendit le verdict.

M. Vanderkoeven patientait, sans comprendre ce que le visiteur venu de Paris voulait.

Le secrétaire du Premier Bureau de la Préfecture de Police de Paris, au service du Comte d'Anglès et d'autres avant lui, examinait l'inspecteur Javert, son protégé.

Sans aménité.

Javert cherchait sa faute...tout en sachant fort bien que la venue du secrétaire ne

signifiait pas des félicitations.

" Bien, Javert. Nous avons reçu un rapport vous concernant assez..."

Le secrétaire fut coupé dans son élan par quelqu'un frappant à la porte.

Le conseiller, peu au fait des manières, s'excusa et alla ouvrir, afin de réclamer le calme.

Il recula, surpris, devant M. Madeleine, vêtu d'un magnifique costume. Le maire avança d'un pas assuré et retira son chapeau en s'écriant :

" Ha ! M. Chabouillet ! Je suis gré d'arriver à temps pour vous accueillir.

- M. Madeleine ?, demanda le secrétaire, étonné.

- En effet."

Le maire s'approcha et vint serrer fermement la main du secrétaire de la préfecture de police.

Javert était estomaqué et ne comprenait plus rien.

" M. Vanderkoeven m'a annoncé votre absence, rétorqua M. Chabouillet.

- Oui, un simple voyage d'affaires, comme l'inspecteur a dû le dire.

- Il ne m'en a rien dit, asséna sèchement le secrétaire.

- Hé bien Javert ?"

Javert sortit de sa stupeur et lança :

" Je n'en ai pas eu le temps, messieurs.

- Bah !, fit le maire. Gageons que vous alliez le dire."

Sur un regard de monsieur Madeleine, M. Vanderkoeven disparut et laissa les trois hommes seuls.

Madeleine déposa sa serviette en maroquin vert sur son bureau puis indiqua des chaises aux visiteurs.

" J'ai été obligé, en effet, de m'absenter d'urgence. Les affaires sont en pleine expansion et il est parfois difficile de concilier mes obligations ! Mais je ne vous ennuierai pas avec des détails qui n'ont rien à voir avec mes fonctions en tant que maire de la ville. Voyons plutôt ce que me vaut l'honneur de votre visite, monsieur.

Javert regardait ce beau menteur de Madeleine et eut envie d'applaudir l'artiste.

Il attendit, comme il se devait, que son patron prenne la parole.

" Hé bien, une affaire déplaisante m'a obligé à venir à Montreuil," lança M. Chabouillet en s'asseyant devant le maire, majestueusement.

Javert resta debout, comme il se devait.

Il ne pouvait pas se permettre de s'asseoir, alors qu'il y avait un témoin.

L'inspecteur se rendit compte, tout à coup, de la familiarité qui s'était installée peu à peu dans ses rapports avec le maire.

" J'espère que rien de grave n'est arrivé en mon absence. Cette année a été déjà assez éprouvante pour notre ville ! Comme vous le savez sans doute, nous avons été confrontés à des circonstances exceptionnelles auxquelles il aurait été difficile de remédier sans le travail remarquable de l'inspecteur Javert."

Madeleine adressa un hochement de tête à l'inspecteur, ainsi que le sourire le plus béatifique de son répertoire.

Javert resta de marbre malgré le sourire mais ses yeux brillaient. Il avait un allié, donc.

M. Chabouillet jeta un regard à Javert et asséna :

" Oui, oui. Nous avons bien reçu les rapports concernant les enquêtes de l'inspecteur, j'ai même envoyé le chef de la Sûreté en personne pour appuyer Javert. Mais il ne s'agit pas de ça...

- Ah ! De quoi pourrait-il s'agir ? Nous étions autrefois une ville tranquille...

- C'est un peu délicat, monsieur Madeleine. Je ne sais pas si vous connaissez tout le dossier de l'inspecteur. Mais je dois vous apprendre que Javert est sous surveillance. Son travail est irréprochable, certes, mais son comportement...

- Je ne crois pas comprendre, M. Chabouillet. Je sais que certains agents inférieurs de la loi ont une réputation que je voudrais croire imméritée. Mais, en ce qui concerne l'inspecteur, je crois savoir qu'il n'a jamais été surpris en état d'ébriété ; en fait, je n'ai point reçu de plaintes à cet égard."

M. Chabouillet examina M. Madeleine et un fin sourire allégea ses traits, le secrétaire glissa une main sous son menton et lança en direction de Javert :

" On dirait que vous venez de vous trouver un nouveau protecteur, inspecteur, j'en suis fort aise. Oubliez mes propos, monsieur le maire. J'imagine qu'il ne s'agissait que d'accusations infondées, venant de personnes mal avisées. Notre inspecteur en a l'habitude."

Javert se détendit, doucement, et souffla :

" Je n'ai qu'un protecteur, monsieur. M. Madeleine est mon supérieur.

- Oui, oui. Nous en reparlerons."

M. Chabouillet dit :

" Je suppose que vous ne vous plaignez pas de l'inspecteur, monsieur le maire ?

- Il y a, en effet, un comportement qui me déplaît et qui cause des désagréments au service : l'inspecteur Javert a tendance... à ne pas mesurer les risques qu'il encourt dans l'exercice de ses fonctions. Cela a déjà entraîné de nombreuses blessures et des séjours à l'hôpital.

- Javert est très imprudent, c'est juste, fit le secrétaire, indifférent. Mais c'est plutôt une qualité dans son travail. Javert n'a jamais été prudent. Non, non. Ce qui dérange la préfecture de police, c'est son caractère."

M. Chabouillet se leva et vint se placer devant l'inspecteur, lui parlant en face sans pour autant lui parler réellement.

Comme devant une statue ou une porte.

" Javert est terriblement soupçonneux et cherche sans cesse... Comment dire ? La petite bête ! Des lettres et des demandes, des enquêtes qui n'ont pas lieu d'être et des recherches sur des personnes au-dessus de tout soupçon. N'est-ce-pas Javert ?"

Enfin, on lui parlait.

" Oui, monsieur, répondit Javert, la gorge serrée devant l'admonestation.

- Je ne suis venu que pour faire cesser ce jeu. Cela pourrait lui coûter sa place.

- Je comprends, monsieur.

- On ne soupçonne pas ! Et surtout pas au-dessus de sa condition !

- Très bien, monsieur."

Puis le secrétaire fixa intensément le maire et sourit, sans bienveillance.

" Vous avez de la chance, inspecteur. Vous êtes tombé sur quelqu'un...de compréhensif."

Javert s'inclina.

" Un seul mot de M. Madeleine et je vous saquais, Javert. Je ne veux plus lire un seul rapport sur vous."

Madeleine se redressa sur sa chaise, ne cachant plus sa contrariété.

Le secrétaire du Premier Bureau lui tendait un piège : ignorer ses insinuations aurait relevé de l'incompétence au point d'en devenir suspect.

" Un rapport ? Je pense, monsieur Chabouillet, que cela me faciliterait la tâche de connaître les difficultés que causent les employés sous mes ordres."

Le secrétaire de la préfecture de police eut un geste de la main dédaigneux, et désigna Javert.

" Interrogez votre chef de la police, monsieur le maire. Vous semblez lui faire confiance."

Les yeux clairs de l'inspecteur se posèrent sur Madeleine.

Madeleine était bon en manipulation mais Chabouillet le battait d'une longueur d'avance.

Javert carra les épaules, il attendait que l'interrogatoire commence.

Madeleine étudia l'inspecteur quelques instants. Sa raideur militaire était celle de ses débuts à Montreuil ; mais il y avait autre chose... une légère attitude résignée que le maire n'avait vue qu'une fois.

" Qu'y a-t-il, Javert ?

- Monsieur Madeleine, je vous remercie de votre confiance. Mais je ne la mérite pas. J'ai fait de multiples enquêtes sur vous, il est vrai. Je suppose que cela a été rapporté à la préfecture de police.

- Comme il se doit, Javert, le coupa sèchement Chabouillet. Comme il se doit. Votre lettre à Bicêtre ?! Et osez demander des informations auprès du ministère de la Guerre ! Vous...m'avez déçu..."

Javert laissa ses yeux parcourir le mur du bureau de monsieur le maire, cherchant une fissure qui était située dans l'angle droit.

Madeleine se leva, soudainement pâle.

" Je comprends que, suite à l'affaire de fausse monnaie dans laquelle ma société a été impliquée, vous ayez dû vérifier mes antécédents. Mais il vous aurait suffi de me demander : je vous aurais dit par où commencer."

Là, les yeux de l'inspecteur se posèrent sur le maire.

Javert était décontenancé.

Le forçat avait enfin une possibilité de se débarrasser de son garde-chiourme. Et franchement, Javert s'attendait à cela.

Chabouillet parla pour lui :

" Vous voyez Javert ! Avec vos soupçons ridicules ! Vous avez alerté tout le monde, le préfet m'a même demandé ce que vous vouliez prouver ! Un maire susceptible d'obtenir une nouvelle légion d'honneur ! Nous aurions dû vous renvoyer à Toulon !

- Je n'ai pas pensé à demander, monsieur, souffla la voix rauque de l'inspecteur. Je vous soupçonnais de complicité."

Javert se justifiait et ses yeux ne quittaient pas ceux de Madeleine.

" C'est là votre principal tort, Javert, asséna durement Chabouillet. Vous ne faites confiance à personne. Sauf l'inspecteur Maucourt mais..."

La phrase resta en suspens et Chabouillet secoua la tête, atterré.

Monsieur Chabouillet s'approcha de monsieur Madeleine et lui sourit, poliment :

" Bien, bien, bien. Si vous êtes satisfait des services de mon inspecteur et si vous n'avez aucune plainte à formuler, je vais pouvoir retourner sur Arras. J'ai fait un détour pour démêler cette affaire. Cela m'a pris du temps !"

Madeleine serra la main que le haut fonctionnaire lui tendait et, sans s'attarder, l'accompagna jusqu'à la porte.

Le secrétaire remit de l'ordre dans sa tenue, qui n'était même pas froissée, et saisissant sa canne, il ordonna :

" Javert, vous m'accompagnez jusqu'à ma voiture ?

- Oui, monsieur."

Devant la mairie, la voiture de Chabouillet attendait en effet. Le secrétaire se tourna vers le policier et jeta, dédaigneusement :

" Je ne sais pas à quel jeu vous jouez Javert mais je vous préviens. Plus d'enquête, plus de recherches. Madeleine est sur la liste des prochains élus au Parlement. Il est appelé à monter à Paris.

- Je suis sûr que...

- La paix ! Vidocq m'a parlé de vos dossiers et j'ai reçu des courriers évoquant votre tendance à tourmenter le maire. Vous êtes sans cesse avec lui.

- Je travaille avec lui !, se défendit Javert.

- J'espère que ce n'est que cela, Javert. Si Madeleine se rend compte enfin de ce que vous essayez de faire contre lui, il portera plainte pour harcèlement et diffamation. Je ne vous défendrai pas !

- Oui, monsieur.

- Et cessez de lui tourner autour ! Ce n'est pas un inverti."

Voilà, c'était dit.

Javert serra les dents.

" Oui, monsieur."

Chabouillet monta dans la voiture et les deux superbes étalons de prix partirent d'un trot enlevé.

Javert eut envie de cracher par-terre, à la mode du bagne, pour montrer son mépris.

Puis, il se dit qu'il avait quelque chose d'important à faire et revint dans le bureau de Madeleine.

Il entra et referma soigneusement la porte.

Là, il regarda le maire et demanda :

" Pourquoi êtes-vous revenu ?

- Parce que c'était la bonne chose à faire. J'étais au courant de l'arrivée de Chabouillet... Bien qu'il m'ait fallu quelque temps pour réaliser ses intentions."

Le policier croisa les bras et resta dans l'encadrement de la porte.

" Et maintenant ? Vous allez fuir à nouveau ?

- La prudence le veut, je ne vous apprends rien."

Javert quitta sa position de statue de sel et se jeta sur Madeleine. Brutalement, il le repoussa contre le mur et épingla ses mains.

Avant de l'embrasser durement.

" Je ne te comprendrai jamais. Jamais, souffla la voix profonde de l'inspecteur, devenue rauque.

- Ne crois pas que je te comprenne davantage. Ou ce... jeu qui t'amuse tellement. Je suppose qu'ainsi sont les choses."

Javert sourit et laissa ses doigts caresser la joue du maire. Il murmura :

" Tu m'as sauvé. Je commence à comprendre une chose à ton sujet. Tu n'as aucun instinct de conservation."

C'était dangereux. Le policier se recula et libéra M. Madeleine.

" Il faut absolument qu'on vous voit en ville, monsieur le maire. Moreau ne dort plus, Vanderkoeven se prend pour le roi et on commence à m'accuser de vous avoir fait disparaître dans la Canche."

Javert claqua ses doigts et ajouta :

" En vous jetant un mauvais sort !"

Madeleine rit de bon cœur. Malgré tous les dangers, il était bon d'être de retour.

" Ils ne se trompent pas tant que ça sur le mauvais sort... Nous laisser voir ensemble en ville ?

- Sauf si tu décides de fuir à nouveau..."

La question était perceptible et Javert examina avec attention monsieur Madeleine.

L'homme ne cachait pas sa tristesse.

" Le jour viendra, Javert. C'est inévitable."

********************************************

Madeleine fut bientôt débordé par son travail quotidien à l'usine et à la mairie.

Comme il l'avait avoué à Javert, le bon sens le poussait à partir ; ce qu'il n'avait pas réalisé auparavant, c'est combien il était tentant de rester : sa place, même s'il ne l'avait pas saisi au cours de toutes ces années, était là.

Où il y avait des personnes qui lui faisaient confiance pour améliorer leur vie ; où il guidait la communauté d'une main ferme vers les opportunités d'affaires et de progrès.

Où un homme exaspérant s'amusait de temps en temps à l'embrasser, presque en guise de punition, puis s'éloignait sans rien lui accorder d'autre.

La peur hantait toujours ses nuits ; ses obsessions devenaient plus nombreuses et aussi plus profondes. Inquiétantes.

Mais sa place restait à la tête de Montreuil jusqu'à ce que quelqu'un en décide autrement. Dans un an ? Dans dix ?

Seul Dieu pouvait le savoir.

Pour l'instant, Javert demeurait professionnel dans ses rapports quotidiens et calme dans ses propos...

Tout indiquait qu'ils se dirigeaient à nouveau vers l'un de ces éloignements que Madeleine avait du mal à expliquer, mais dont il se rendait responsable plus souvent qu'à son tour.

Novembre arrivait et Madeleine s'égarait encore dans sa routine... Puis, à la tombée de la nuit, il parcourait les rues pour faire l'aumône, mais aussi dans le vague espoir de croiser son inspecteur en patrouille.

Javert ne tarda pas à découvrir son jeu et à le faire sentir complètement ridicule.

Une nuit particulièrement froide, les deux s'étaient croisés devant une femme qui faisait rôtir des marrons en pleine rue.

Javert s'était arrêté près du brasero et de la marmite percée qui dégageait une odeur alléchante ; le dos tourné à la rue, il n'avait pas pu remarquer l'approche de Madeleine.

Alors que le maire passait derrière lui, l'inspecteur lui lança sans prendre la peine de se retourner :

" Une castagne, monsieur le maire?"

Madeleine s'arrêta net, se pinçant les lèvres pour ne pas rire de la situation qui tournait à l'absurde.

" Bien volontiers, inspecteur."

Javert lui tendit le cornet de papier journal qu'il venait d'acheter sans le regarder en face ; il n'avait point besoin de le faire pour que Madeleine imagine son regard pétillant.

" Je suis surpris que vous soyez encore parmi nous, monsieur Madeleine. C'est déroutant lorsqu'on essaie d'anticiper votre prochaine escapade.

- Et pourquoi donc ?, répliqua nonchalamment le maire qui concentrait toute son attention sur la châtaigne qu'il épluchait.

- Il est difficile de ne pas prendre vos évasions comme une affaire personnelle. Bien entendu, je peux me tromper.

- Non, vous n'avez pas tort. Vos propos sont parfois déroutants, Javert. Et je n'hésite pas à avouer que je n'ai plus la moindre idée de ce qui se passe... entre nous.

- Vraiment ? Vous faites référence à votre situation face à la loi, que je connais, ou à quelque chose d'autre ?

- Les deux.

- Prenez encore un marron, monsieur le maire... Je vous ai déjà dit ce que je pense à propos des condamnations des Chouans en général. Et pour le reste..."

Javert prit son temps pour mâcher la châtaigne encore chaude qu'il venait juste d'introduire dans sa bouche.

" Vous pouvez en décider, tout comme moi. Mais quoi que vous fassiez, veillez à ce que vos actions ne puissent plus être interprétées comme un acte de trahison... Bonne nuit, monsieur le maire."

Dans la nuit qui commençait à être bien noire, Madeleine fixait le marron qui refroidissait entre ses doigts, émerveillé et apeuré à parts égales...

***********************************

Le lendemain fut fatiguant.

M. Vanderkoeven prouva à longueur de journée qu'il restait un incompétent.

Madeleine avait commencé à se questionner sur la bonne foi de son adjoint.

Vers midi, il était sûr de ne pas se tromper à son propos.

La journée avait été épuisante et le seul rayon de soleil fut l'apparition de l'inspecteur. Comme toujours.

Javert livra son rapport quotidien avec son sérieux habituel.

Droit et raide dans son uniforme impeccable.

Madeleine le regardait lire des pages de vide d'une voix d'orateur. Et multiplier les froncements de sourcils lorsqu'il voyait le maire perdre son attention.

" Ainsi, madame Monge a de nouveau perdu son chat... Vous m'écoutez, monsieur ?

- Oui, Javert, sursautait le maire. Et le chat ?

- J'ai donc déféré mon meilleur homme sur cette piste.

- Votre meilleur homme ?

- Moi-même, monsieur. Il ne m'a fallu qu'une heure pour retrouver le fugitif."

Ce jeu ne suffisait pas au policier.

Lentement, Javert poussait le vice à tenter le diable.

Il s'approcha du bureau de monsieur le maire et le contourna.

" Où était-il ?," s'informa Madeleine.

Le maire ne quittait pas des yeux l'inspecteur.

Javert se plaça derrière lui.

Et lentement, les yeux espiègles, le policier se penchait pour embrasser le maire.

Profondément.

Avant de répondre dans un sourire suffisant :

" Dans son arbre habituel. Au sommet duquel j'ai dû grimper. La prochaine fois, je le jette dans la Canche.

- Voyons, inspecteur," murmura le maire, essoufflé.

Puis, prudemment, sans faire claquer le talon de ses bottes sur le plancher bien ciré, Javert reprit sa position au garde-à-vous.

" Ce sera tout inspecteur ?

- Oui, monsieur le maire.

- Vous pouvez disposer."

Javert, goguenard, remarquait bien l'inconfort de monsieur Madeleine.

Il savait bien que le malheureux ne pouvait plus se lever.

Pour l'instant, il devait se reprendre.

Javert s'inclina et salua le maire d'un simple :

" A votre service, monsieur."

Monsieur Madeleine eut envie de l'épingler au mur pour lui rendre la pareille.

Il se promit de le faire le soir-même.

Même si cette idée provoquait chez lui à la fois le désir le plus profond et la panique la plus folle.

Comment retrouver Javert ?

Le chercher dans sa patrouille ? L'attendre au commissariat ?

Puis, selon la logique la plus simple, le magistrat si honorable, se fit voleur pour pénétrer à nouveau le logement de l'inspecteur.

Madeleine se faufila discrètement dans les rues, voyant disparaître les passants.

Prenant garde de ne pas être vu.

Et il arriva devant l'immeuble de l'inspecteur.

A peine tenta-t-il d'en ouvrir la porte que Javert rabattit le battant.

Le policier, goguenard, regarda le si digne maire, ses outils de cambrioleur à la main, gelé dans son mouvement, penché devant la serrure.

" Deux louis d'or ? Merci pour ce cadeau, monsieur. Mais nous ne sommes pas encore le jour des Étrennes."

Javert s'écarta et laissa entrer le maire.

Il jeta un regard dans la rue.

Et ne vit personne.

La porte fut refermée à double-tour.

L'inspecteur se tenait droit, les bras croisés et le regard toujours amusé. Posté le dos contre le mur, il avait quitté son uniforme et son col avait disparu.

" Alors tu étais prêt à forcer ma porte à nouveau ?, sourit le policier.

- Je...je te cherchais," admit le maire.

Honteux, comme toujours, troublé devant ses désirs qu'il savait inappropriés, Madeleine ne savait pas quoi dire.

Javert se fit indulgent.

Il ouvrit les bras et murmura simplement :

" Viens. Je t'attendais."

Comme mû par un ressort, le maire s'avança et se retrouva pris dans l'étreinte forte des bras de l'inspecteur.

" Tu es toujours tremblant, remarqua doucement le policier. Tu as peur ?

- J'ai moins peur, admit Madeleine.

- Voyons si nous pouvons arranger cela."

Javert sourit, tendrement, tandis qu'il se penchait pour embrasser le maire.

Tendrement.

Affectueusement.

Il sentait le tremblement cesser et devenir frisson de plaisir. Il approuva.

" Mieux. Essayons plus. Tu veux ?"

Madeleine ne savait pas ce qu'il voulait.

Il ressentait chaque baiser des lèvres du policier comme un cadeau précieux. Il n'était même pas excité, c'était juste bon. Agréable et doux.

Se sentir aimé.

Madeleine n'avait jamais ressenti cela. Et plus loin, caché dans les recoins les plus sombres de sa mémoire se tenait Jean Valjean. Et lui non plus n'avait jamais ressenti cela.

Une main caressait sa joue.

Des lèvres cherchaient les siennes pour les goûter.

Une langue suivait la sienne.

L'excitation venait.

Madeleine était fatigué d'être debout, ses genoux cédaient devant l'assaut de sensations.

Javert prenait son temps.

Les mains de Madeleine tenaient ses vêtements et formaient des poings dans le tissu.

" Là, souffla Javert en se reculant. Veux-tu te coucher ?"

Le regard effrayé que jeta sur lui Madeleine fit rire le policier.

" Non, je ne vais rien te faire que tu ne veuilles.

- Mais...que veux-tu, toi ?"

Javert glissa ses doigts sous le menton de Madeleine et le força à lever la tête pour le regarder bien en face.

Le grand homme se pencha pour embrasser le plus petit.

" Toi. L'attente a été longue. Tous ces derniers jours...

- Tu m'attends tous les soirs ?, en fut surpris le maire.

- Oui, admit Javert en souriant, un peu penaud. Je ne suis pas le seul sorcier de cette ville."

Le sourire de Madeleine était éblouissant et coupa le souffle au policier.

" Oui, je t'attends et je t'espère, ajouta Javert.

- Mais je ne peux pas rester, je...

- Je ne suis pas idiot, rétorqua doucement Javert. Je le sais. Je voudrais juste te faire du bien."

La question implicite était posée.

Madeleine ne s'y trompa pas.

Et il accepta.

Toujours cette sensation d'accepter un marché avec le diable.

Ce fut aussi fugace que la première fois.

Ce fut aussi enivrant et excitant.

Javert ne le déshabilla pas. Et il conserva son costume également. Il n'était pas question de s'aimer vraiment.

Juste ressentir.

Madeleine se retrouva assis sur le bord du lit de l'inspecteur et ce dernier s'agenouilla devant lui.

Les yeux gris étincelaient de plaisir et de joie.

Madeleine ne comprenait pas ce qui pouvait donner tant de plaisir à Javert. Sa main tremblante caressa les favoris, doucement.

Javert se pencha et embrassa la paume de la main.

" Tu es adorable, Jean, se moqua gentiment Javert.

- Tu le veux vraiment ? Tu es sûr ?, s'inquiétait Madeleine.

- Mhmmm. Tu veux savoir si je vais avoir la nausée ?"

Madeleine était tellement gêné.

Il baissa la tête, honteux.

Un éclat de rire lui fit relever les yeux.

Javert posa ses deux mains sur les cuisses de monsieur le maire et les yeux ardemment fixés dans ceux de Madeleine, il força les jambes à s'écarter pour lui laisser le passage.

D'un regard de défi, le policier glissa ses doigts jusqu'à l'entrejambe du magistrat.

" Je te veux, Jean. De toutes les manières possibles. Mais pour l'instant..."

Les mains arrivèrent à destination et caressèrent la forme tendue du sexe de Madeleine à-travers le tissu.

" Tu le veux aussi, reconnut Javert.

- Oui, avoua Madeleine.

- Bien ! Nous avançons."

C'était si bon.

La terrible attente lorsque Javert défit la braguette du pantalon de Madeleine.

La première prise de souffle tandis que le policier ouvrait la bouche pour prendre le sexe douloureux de monsieur le maire.

La montée du plaisir... Inexorable...

Madeleine saisit les cheveux de Javert et les caressa, les tira, perdant peu à peu de son contrôle...

Ce fut aussi fugace que la première fois.

Ce fut aussi enivrant et excitant.

Si bon.

Monsieur Madeleine s'entendit gémir et se mordit la lèvre pour se retenir. Il y avait des voisins, les murs étaient minces, c'était tellement dangereux.

Espiègle, Javert accentua le rythme.

Monsieur Madeleine jura dans la plus belle langue du bagne.

Madeleine baissa les yeux et croisa ceux du policier.

Et ce fut son erreur.

Le gris était devenu un ciel d'orage, noir de luxure et de désir, parsemé d'éclairs fugaces.

Jamais on avait regardé Madeleine avec une telle faim.

Les mains de Madeleine se firent plus dures sur la tête de l'inspecteur de police et Javert fredonna de contentement.

Madeleine fut défait.

Ensuite...les deux hommes se regardèrent, légèrement incertains. Madeleine tendit la main à son tour et souffla :

" Viens, s'il te plaît."

Javert ne dit rien, il se releva et vint s'asseoir auprès de Madeleine.

Le maire l'embrassa profondément, se goûtant avec étonnement, avant de poser la question habituelle :

" Et toi ?

- Que te sens-tu capable de faire Jean ?," demanda Javert.

Mille images, plus ou moins tirées des souvenirs du bagne, passèrent dans l'esprit de Madeleine et toutes furent repoussées avec horreur.

" Je...je ne sais pas...

- Alors je n'ai besoin de rien," fit placidement le policier.

Javert se prépara à se relever, dans l'idée de vérifier que la voie était libre pour que monsieur Madeleine puisse s'en aller sans danger.

Mais une main, puissante, le retint.

" Je veux...je veux te faire du bien."

Javert regardait Madeleine avec indulgence.

Cependant, Javert ne s'attendait pas à ce qui lui arriva par la suite.

Une main se posa sur sa cuisse puis glissa sur son entrejambe.

Ce fut au tour de Javert de perdre le souffle.

Madeleine le contemplait avec inquiétude et curiosité.

Les yeux gris étincelaient...encore plus beaux que sous les étoiles... Madeleine regretta de les voir se fermer sous le plaisir.

Cela donna du courage à monsieur le maire qui accentua la pression. Les doigts se déplaçaient sur la forme, tendue, dans le pantalon du policier.

Les doigts de l'inspecteur agrippèrent la cuisse de Madeleine et serrèrent à la broyer.

" Dieu. Jean..."

Madeleine regardait cela avec ravissement.

C'était étrange. Et aussi enivrant que la fellation qu'il venait de recevoir.

Lentement, Madeleine défit la braguette et chercha le sexe tendu aussi.

Et pour la première fois, Madeleine touchait un sexe qui n'était pas le sien.

Et encore, il se touchait si peu et avec une terrible sensation de culpabilité.

Là, il ne ressentait ni culpabilité, ni dégoût.

Ce fut ce qui le surprit le plus.

Il appréciait de faire cela.

Bientôt, Javert haleta, fort et essoufflé.

" Dieu, oui..."

Les yeux gris ne se montraient plus.

Javert écarta les jambes pour laisser plus de place à la caresse.

" Tu es magnifique, murmura Madeleine. Viens !"

La caresse s'accentua.

Il suffit d'un doigt glissant sur le gland pour défaire à son tour le policier.

Madeleine retira maladroitement sa main, encore émerveillé par ce qu'il venait de se passer.

Sa main humide, les habits tachés, les joues rouges de plaisir...

C'était une nuit étrange qui finissait en beauté une journée morne et frustrante.

Javert ouvrit les yeux et regarda Madeleine.

Ne laissant pas la possibilité à l'homme de parler, Javert le saisit fermement et l'embrassa à en perdre haleine.

Madeleine se laissa attaquer.

Lentement, Javert le fit basculer sur le lit.

Plus tard, il y eut des mots doux prononcés dans l'ombre.

Des serments...

Qu'aucun des deux hommes ne crut vraiment.

Puis arriva le moment de se séparer...

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