Chapitre 31 - Un baiser sans conséquences

Après la visite pleine de promesses de sa future librairie, François pensait rentrer dormir un peu, mais son kebab lui avait donné soif. Il décida d'aller prendre un verre dans le bar qu'il convoitait juste à côté . Il voulait parler au patron...

Il allait rentrer quand il sentit son téléphone vibrer. C'était un appel manqué de l'éditeur qui l'avait accosté au Kiwi Bar. Il écouta le message :

<<Monsieur Francois bonjour, ou plutot bonsoir. C'est les éditions Dupas. Désolé de vous appeler si tard. Je me permets de réitérer ma demande pour publier votre ouvrage intitulé je crois : "Montez !". Cela va faire des millions de ventes ! C'est certain ! Vous en êtes où dans l'écriture de ce futur chef d'œuvre ?! Cette histoire d'un ghost writer séquestré dans la cave d'une bouquinerie, puis l'incendie, les morts suspectes des deux geôliers, votre fuite, la folle course - poursuite avec la police ! Et cette fille qui est tombée folle amoureuse de vous et qui vous a suivi dans tous vos périples ! Les lecteurs vont être conquis ! C'est à coup sûr un best-seller ! Je le vois même déjà adapté au cinéma ! Je serais pas surpris qu'un jour vous receviez un appel de Audiard, Desplechin ou Ozon ! Bref j'attends votre coup de fil dès demain à 8h pour que l'on fixe les termes de notre accord ! À demain ! >>

"Bon sang mais comment il sait tout ça lui !? Ah oui ! Les journaux ont rendu l'affaire célèbre !" pensa le jeune homme.

"Il sait y faire, lui aussi, pour forcer la main !" ironisa Cindy.

"Mince c'est vrai ! Avec tout ça j'en ai oublié de continuer à écrire mon livre !" réagit le jeune auteur qui rentra dans le bar...

Le brouhaha était assourdissant. La musique, les gens, les lumières, les bruits de verres et cette télé qui diffusait un match de foot avec le son à fond, dérangeaient, agressaient, écrasaient François au plus haut point. Comment cette foule, qui venait pour rigoler, discuter et boire entre amis, pourrait être intéressée par des livres, du calme, et de la sérénité. C'était aux antipodes de ce à quoi ils aspirait tous. Il pensa se raviser et partir quand une voix l'interpella.

- Monsieur ! Qu'est ce que je vous sers ? Vous êtes nouveau dans le quartier ? Allez je vous offre mon premier verre ! Vous êtes mon invité jeune homme !

Le patron, la quarantaine, les cheveux longs châtains crasseux, les yeux rouges et vitreux, les traits tirés par sa vie de noctambule nourri d'alcool et de cigarette, lui avait offert son premier verre de bienvenue.

François commanda un "coca tranche". On lui servit dans un verre sale le breuvage de son adolescence avec un morceau de citron déchiré qui flottait dans le verre comme un homme échoué en mer...

- AH ! HÉ JEUNE HOMME ! TU VEUX DES GLAÇONS ? lui cria le patron.

- Heu ...oui je veux bien....

- QUOI ? PARLEZ PLUS FORT ! J'ENTENDS RIEN AVEC LA MUSIQUE ET LA TÉLÉ !

- OUI ! JE VEUX BIEN ! cria François d'une voix éraillée qui n'avait pas l'habitude de monter aussi haut.

La petite voix se fit entendre :

"Tu comptes vraiment discuter avec lui dans ses conditions ? Tu vas pas lui gueuler que tu veux lui racheter son bar ! En plus ça a l'air de bien marcher...finalement. "

"Hé ben tu t'es trompée on dirait..." lui envoya François comme un soufflet.

Le patron arriva vers François avec plein de glaçons dans la main et les jeta dans son verre en éclaboussant un peu le jeune homme.

- VOILÀ TES GLAÇONS ! BONNE SOIRÉE MON GARÇON !

- Merci monsieur, murmura François. Et je voulais vous demander si...

"Mais il t'entend pas ! Laisse tomber ! Y a trop de bruit ! Bois ton truc et tire toi ! Laisse tomber l'idée du bar !" lui suggéra Cindy en off.

- Saluuuuut toi ! T'es nouveau ici ?!

Une jolie brune aux yeux verts clairs venait de s'approcher de lui. Elle avait une queue de cheval qui s'agitait en permanence. De belles tâches de rousseurs parsemaient son visage d'enfant. Son petit nez retroussé lui donnait du caractère et un air coquin. Elle buvait de l'alcool, et était visiblement éméchée. Ses yeux brillaient dans le bar comme deux diamants bruts, deux petites étoiles merveilleuses, deux comètes qui allaient s'enfuir dans la nuit. François était sous le charme.

- Tu bois quoi ? lui dit-elle.

- Coca tranche !

- Ah ouais ! Je buvais ça quand j'étais au lycée ! Maintenant je tourne au gin kas ou au mojito !

- Ok. Et là tu bois quoi ? lui demanda-t-il.

- Un demi fraise ! lui répondit la fille qui se rapprochait encore plus, certainement pour mieux discuter.

- On devrait dire plutôt "une" demi fraise ! Lol ! plaisanta François.

La fille éclata de rire.

- Ah toi t'es un marrant ! T'es pas comme les autres mecs !

- Heu...je sais pas...

- Non mais on dit "un" demi fraise parce que c'est un demi à la fraise ! Tu comprends !

- Heu..

- Mais tu sors de ta campagne profonde ou t'habites dans une grotte ? plaisanta la nymphe avec un sourire qui désarçonna le jeune éphèbe.

- Ben...

- Mais ça va ! Je rigole ! C'est quoi ton nom ?

- Heu... Francois !

- Ok. Moi c'est Elisabeth ! Mais mes potes m'appelle Lisa !

- Enchanté Élisabeth ! lui fit François en lui tendant la main.

- Attends ! Tu déconnes ! On se fait la bise !

Et elle se jeta sur lui pour lui faire un baiser sur la joue, qu'il lui rendit poliment. Il fut alors envahi par son parfum sucré, enivré par l'odeur de sa peau en sueur, ému par ce contact avec ses lèvres rouges et humides...

Sa petite conscience ressentit une alerte.

"François ? Il se passe quoi !? tu fais quoi là ? "

François continua de discuter avec cette jeune créature idyllique, cette rêverie improbable...

- Je suis venu ici pour racheter ce bar ! Mais je crois que je vais pas le faire...

Des grands rires éclatèrent derrière eux.

- Quoi ! Tu voulais acheter une barre ?

- Non je veux pas faire la tournée des bars ! C'est pour ma librairie café !

Ceux qui suivaient le match firent de grands cris.

- Tu veux un café ? OK ! Et elle se mit à crier PAULO ! UN CAFÉ ! Elle se retourna vers François et lui dit avec un sourire : Paulo c'est Paul ! C'est le patron ! Je suis une habituée ! C'est ma planque ici ! Mon chez moi quoi !

Pendant qu'elle lui parlait, il trouvait sa voix tellement énergique, vivante, plaisante, qu'il partait en pensée vers d'autres rivages avec elle...

Sa conscience voulut mettre le hola.

" François...tu vas faire une bêtise...que tu vas regretter..t'es pas venu pour te lever une belette ! Lâche l'affaire ! Barre toi ! "

"Laisse-moi tranquille un peu ! T'es pas ma mère !" lui répondit-il dans sa tête.

"François..." fit la petite fée intérieure.

- OH MAIS TAIS TOI ! cria le jeune homme qui passa pour un fou dans cette foule de fêtards.

- Mais ça va pas ou quoi ! T'es malade ! lui fit la demoiselle qui s'enfuit de peur.

"Elle en valait pas la peine, crois moi François !" lui fit tout doucement la voix off de Cindy. Et je te rappelle que tu as quelqu'un dans ta vie. Ta belle et somptueuse Anna. Appelle-la. Elle t'aime. Et elle porte ton enfant je te rappelle..."

" Oui tu as raison...tu as toujours raison...je vais l'appeler."

François sortit son téléphone. Il appela sa dulcinée quand Élisabeth revint à la charge.

- Hé ! C'était quoi ça tout à l'heure ! Allez ! Je te pardonne parce que t'es mignon ! Mais faut pas me refaire un coup pareil ! Tu m'as fait grave peur !

François eut le répondeur d'Anna. Il voulut lui laisser un message :

<<Anna, c'est moi ! Je sais pas où tu es et pourquoi tu réponds pas...>>

- Hey ! Francois ! A qui tu téléphones !? intervint Lisa. Y a pas de réseau ici ! Faut que t'ailles dehors ! Je t'accompagne ?

- Élisabeth s'il te plaît ! Je suis au téléphone ! J'appelle ma compagne !

- Ah ben tu m'avais pas dit que t'avais une "compagne" ! Elle a de la chance ! Elle est comment ?

- Lisa s'il te plaît !

- Ohlala ! OK !

<<...Oui désolé Anna c'est juste une fille qui m'a abordé dans le bar que je voulais acheter mais finalement il s'est rien passé ! Enfin je veux dire, je l'ai pas acheté...le bar...pour faire le café librairie que je voulais...qu'on voulait. Bon ...appelle moi quand t'as mon message ma chérie ! Je t'aime ! Je m'inquiète pour toi ! Bisou>>

Lisa était restée à côté de lui.

- C'est qui cette Anna ? C'est elle ta meuf ? se permit-elle.

- C'est ma fiancée...enfin ma compagne...enfin plutôt ma future femme....

- Ohla toi t'es pas trop sûr de toi ! Tu l'aimes ? Tu la connais depuis longtemps ? Tu veux te marier avec elle !?

- Eh ben toi quand t'as des questions, tu les poses toutes à la fois ! Une vraie mitraillette ! Lol !

- Ouais LOL ! Une mitraillette ! Hi hi ! Alors ?

- Ben oui je l'aime. Bien sûr ! On se connaît depuis quelques temps et elle porte déjà mon enfant.

- Ben punaise elle t'as mis le grappin dessus comme il faut la miss ! Bien joué ! Elle t'a coincé en beauté !

- Comment ça ? "Coincé" ! Je suis pas "coincé" avec elle ! Je veux vivre ma vie avec elle ! Je suis fou amoureux d'elle ! Elle est parfaite pour moi. Je pouvais pas rêver mieux !

- Ohlala ! C'est le big love ! C'est trop mignon ! Bon ben si t'es pris ...on fait quoi alors ?

- Ben je sais pas.

- Tu voulais faire quoi ici ?

- Acheter l'endroit pour faire un café qui serait collé à la librairie qui est à côté et que je compte obtenir.

- Quoi ! Mais c'est une super idée ! Un café et une librairie ensemble ! J'aime bien le concept !

- C'est vrai ? Tu lis toi ?

- Ben de ouf attends ! J'adore les bouquins ! J'ai toujours un thriller chez moi qui m'attend...

- Ah bon c'est vrai Lisa ? C'est génial !

- François ? T'es écrivain toi ou quoi ?

- Ben ....oui...on peut dire ça.

- Mais t'as écrit quoi ? Des thrillers ?

- Heu non... j'ai écrit La Belle Camille et Plus Loin Ensemble !

- Ah ? Non ?!! C'est de toi ! Je connais ! Je les ai lus ! J'ai bien aimé ! Mais pas assez thrillers pour moi !

- Ah mais tu lis pas que des "thrillers" alors ?

- Non ! C'est chaud d'en trouver des bons qui te scotchent pendant des heures ! Alors je regarde un peu tout le reste...la romance...les polars...

- Cool ! lui fit bêtement François qui recommençait à plonger dans ses yeux verts et être absorbé par sa voix et son énergie.

Elle s'en rendit compte et mis sa main fraîche sur la sienne en lui disant :

- Ouais c'est cool ouais...

Et elle remettait négligemment en arrière ses mèches de cheveux qui lui cachaient le visage...ce qui achevait le pauvre jeune homme...

- François ? ...

- Oui ?

- Tu penses que tu pourrais ...

- Quoi donc ?

- Me dédicacer un de tes livres !

- Ah oui ! Bien dur ! Heu ...bien sûr pardon !

- Hihi tu me fais rire ! T'es trop craquant ! Si t'étais pas maqué je te sauterais dessus !

- Quoi ! Ah ben ça alors !

- Oh fais pas l'enfant ! T'as compris ! Faudra qu'on reste amis OK ? Je veux pas te perdre de vue François ! Tu es tellement différent...

- Ben si tu veux...

- On échange nos numéros ? Tu veux bien !? lui proposa Lisa.

- Oui pas de problème, lui fit François, encore tout émoustillé par un tel rentre dedans !

Ils échangèrent leurs numéros. Elle goûta son coca tranche, et lui fit boire son gin kas. Il fit une telle mine qu'elle éclata encore de rire et se pendit à son cou pour s'empêcher de tomber à la renverse. Elle était si près de lui...ses lèvres, si attirantes, si près des siennes...il la tint un moment dans ses bras...et se retint de l'embrasser.

Elle vit son désir immense dans ses yeux. Elle comprit qu'il était à deux doigts de craquer et de faire une bêtise...qu'il était sa chose, et que c'était elle qui déciderait du tournant de la soirée...

Elle jouait avec lui comme un chat avec une souris.

Elle le fit boire avec elle, danser avec elle, se coller à elle...
attendant le moment propice pour fondre sur sa proie et le faire sombrer.

François lui dit à l'oreille :

- Rien n'est plus beau sur Terre
Que ton sourire lumineux.
Moi qui cherchais de la lumière,
Je l'ai trouvée dans tes yeux.

Même si c'est éphémère
Et très vertigineux
Je suis prêt à l'enfer
Si tu le veux.

Élisabeth s'arrêta d'un coup de danser, de bouger et de papillonner. Elle fut touchée en plein cœur par tant de beauté dans ses mots, tant de perfection dans ses rimes, tant de magie dans cet instant. Elle était subjuguée. C'est elle qui devenait sa proie, sa chose, sa souris. Mais lui ne voulait pas la dévorer, juste lui donner des ailes pour s'envoler...

- Waouh ! Mais comment tu fais ça ! C'EST DINGUE !! cria-t-elle très fort en plein bar. Et beaucoup s'arrétèrent de discuter pour voir qui avait crié comme ça.

Les regards se tournèrent vers François et Lisa. Lisa le remarqua et leur dit :

- Les gars, on a ici le meilleur poète de tous les temps ! Le plus fort ! Le plus percutant ! Le plus incroyable !

On se serait cru dans une ancienne foire quand on vantait tout haut la femme à barbe, l'homme tronc ou éléphant man, un vrai phénomène de cirque. Mais plutôt que de la gêne, il ressentit, comme au Kiwi bar, ou aux Urgences, un état de grâce. Il avait son public, son auditoire. Et comme Charles Dickens, il pensait faire des lectures publiques de ses textes, œuvres, poésies ou romans pour se faire connaître. Ses talents oratoires étaient faibles, et sa timidité pouvait, avec son anxiété, lui mettre des bâtons dans les roues, mais il se sentait à l'aise devant tous ces inconnus parce que, en fait, il n'avait qu'à laisser venir naturellement les choses en lui, et ignorer ce public, comme si, à son habitude, il se parlait à lui même.

- Il vient de me faire un super mini poème ! leur dit fièrement Lisa.

Mais la foule n'était pas touchée.

- C'est nul la poésie !
- On s'en fout !
- Arrête de gueuler pour si peu, poupée !

Les râleurs montaient le ton et personne n'écoutait. Chacun retourna à son activité et ignora notre petit poète.

- Pfff ! Ils sont nuls ! Ils n'y connaissent rien ! s'exclama Lisa, le sourire en coin. Continue, je t'en supplie, lui dit-elle avec des grands yeux émerveillés. Continue, juste pour moi, François, s'il te plaît.

- Ok. Juste pour toi, Lisa. Ça me va.

Il chercha un moment. Il n'entendait plus les bruits des gens, des verres, des discussions, du match, de la musique ... seule arrivait à ses oreilles sa propre musique intérieure, sa logorrhée, son verbiage. Comme un poste de radio qui ne capterait qu'une seule fréquence, il avait isolé la sienne de toutes celles du monde. Il n'entendait que sa propre voix. Et c'est là qu'il se sentait apaisé, comme dans le silence d'un cocon, comme un bébé dans le ventre de sa mère, protégé, n'entendant que son propre coeur.

Les mots se bousculaient et arrivaient comme des soldats de tous les coins de sa tête, ils s'associaient, se dissociaient, se cherchaient, se transformaient, pour arriver à des essais, des bribes, des tests de rimes et de rythmes. Tout fusait dans sa tête à la vitesse de l'éclair. Un vers était fait. Il partait sur un second, puis un troisième...et cette création, cet état de Transe, c'était son jeu, son travail, sa passion, son art.

Soudain, il lui dit :

- C'est bon ! Tu es prête Lisa ?

- Ouiiiiii ! Allez !

- Allez Ok....alors c'est parti !

Et il se lança :

- Quand je suis entré
dans ce bar inconnu
Je fus émerveillé
Par une belle inconnue.

Dans ce lieu bruyant
Ton visage enchanteur
Et tes cheveux au vent
Me mirent du baume au cœur.

Ton sourire radieux
Et ta peau de velours
Firent devant mes yeux
Le plus beau des discours.

Je pensais que jamais
Tu ne me regarderais
Et que le bonheur devrait
A coup sûr s'envoler.

Mais je t'ai capturé
Petit papillon de nuit
Et je t'ai vénéré
Comme la ĺune qui luit.

Quand tu t'es rapprochée,
Je n'y croyais pas.
J'étais le plus touché
Des clients ici bas
Quand tu m'as dit t'appeler
Simplement Lisa !

- Bon sang t'es trop fort toi ! Je te kiffe ! lui fit Lisa, surexcitée. Et elle vint poser délicatement sur ses lèvres un baiser plein de fougue, de frénésie, de désir, qui le laissa sans voix, tel un pantin inanimé.

- Hé ben ! Je t'ai scotché moi aussi hein ! On dirait bien ! Hihi ! C'est juste ma façon de te remercier. Ce n'est qu'un baiser sans conséquence. Va pas croire des choses. Je suis pas une briseuse de ménage. Rassures-toi !

- Lisa ! Tu es incroyable et tu m'as inspiré ce poème comme une muse. C'est moi qui te remercie. Je dois y aller. Il est tard. J'ai un rendez-vous important demain. Salut.

- Ok. Pas de souci. Appelle-moi quand tu veux, bourreau des cœurs ! lui dit Lisa en lui faisant un clin d'œil appuyé.

Il se leva et quitta le bar, sans penser que ce "baiser sans conséquences" aurait de fâcheuses répercussions...

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