Chapitre 26 - Les Grands Hommes
La Place des Grands Hommes n'est pas très loin de la tour Pey Berland et de ses mystères...
Elle est située au cœur du "Triangle d'or" formé par les allées de Tourny, le cours Clémenceau et le cours de l'Intendance. C'est la vitrine du luxe bordelais.
C'est une place pavée, circulaire, entourée par des façades d'immeubles en pierre très chics et très anciens. Au centre s'élève un bijou architectural; une vaste rotonde de verre et de métal, abritant un marché couvert.
C'est là que les 5 amis s'étaient rendus pour trouver où installer la librairie de François et Anna. Le pendule de Cindy n'avait pas donné plus de précision. Ils devaient donc chercher par eux-mêmes.
— Bon, fit François, on y est !
— Mais c'est trop beau, s'exclama Anna. Elle est magnifique cette place !
— Vous savez, fit Ponce, qu'elle porte le nom de "Place des Grands Hommes" en hommage aux philosophes du XVIIIe siècle, le fameux siècle des Lumières : Voltaire, Diderot, Rousseau, Montesquieu, Montaigne ! Les rues autour portent leurs noms et forment une étoile.
— Ah oui ? C'est trop beau, fit Anna, curieuse.
— Ponpon, t'es aussi calé sur Bordeaux que Lorant Deutsch sur Paris on dirait, plaisanta François.
— Non quand-même pas, reprit Ponce. Et vous saviez aussi que Montesquieu, Montaigne et Mauriac, sont les trois grands écrivains que l'Aquitaine a donné au monde ? On les appelait les "3M".
— Les "3M" ? fit Marie. Moi je connaissais les 2B3, les L5...
— Hihi ! fit Anna ! T'es trop drôle toi !
— Des étoiles ? un rond ? un triangle ? Les "3M" ? On dirait encore des codes secrets comme à Pey Berland ! se moqua Rafeu.
Ça va pas recommencer ! Merci Ponpon en tous cas de faire le guide touristique !
— Tu nous en mets plein la vue avec tes "étoiles" et tes "lumières" ! renchérit Marie.
La nouvelle petite voix de Cindy voulut participer aussi au débat :
"...Dans le code de la route, un rond est un ordre, une interdiction ou une obligation ! Et le triangle un danger ! Ces signes devraient te mettre en garde François..."
"Oui Cindy ! Même si on est comme dans L'invitation au voyage de Baudelaire où Tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe,calme et volupté...je le sens pas trop cet endroit !"
Il ne voulut pas montrer ses doutes devant Anna. Il dit tout haut :
— Bon, s'il vous plaît les gars, on est venus chercher un local assez grand pour y installer notre librairie.
— Mais on est pas agents immobiliers nous, dit Ponce.
— On ressemble pas à Stéphane Plaza, rajouta Rafeu.
— Même si on est sur la "plazza" des Grands Hommes ! plaisanta Marie.
— On dit "piazza" en italien Marie ! dit Anna. Non mais sérieusement les amis, aidez-nous, insista-t-elle.
— On est déjà vos gardes du corps, répondit Ponce.
— Ok ! On va chercher tout seuls, fit Anna d'un air désabusé. Bon, cette galerie-là, c'est le cadre idéal pour notre librairie, il y a une ambiance historique et culturelle qui serait parfaite. On pourrait s'installer près de l'entrée principale. On serait bien visible pour attirer les passants dès leur arrivée.
— Oui ma chérie, dit François. Ou alors sous la rotonde en verre et en métal. La lumière naturelle serait idéale pour créer un espace de lecture agréable !
— Moi, dit Ponce, je m'installerai à côté des cafés et des boutiques de thé. Les clients pourraient savourer un bon livre avec une boisson chaude !
— Moi, suggéra Marie, je pense que votre librairie serait mieux dans un coin calme de la galerie, un espace plus intime pour les amateurs de lecture qui recherchent la tranquillité...
— Il faut, ajouta Rafeu, un emplacement stratégique pour votre bouquinerie ! Un endroit qui dépendra du flux de visiteurs et de la disposition des autres magasins. Faut analyser le terrain.
Anna était ravie. Chacun avait participé et réfléchi.
— Merci mes amis ! Tu as raison Raf ! On va aller se balader pour étudier le terrain.
Cette galerie ronde faisait tourner la tête des 5 compagnons. Elle se divisait en 3 niveaux : le sous-sol, le rez-de-chaussée et le premier étage.
Ils marchèrent beaucoup et passèrent devant toutes les boutiques, du coiffeur chic aux cannelés typiques de Bordeaux, des arts de la table de luxe à la maroquinerie haut de gamme, du linge de maison élégant au stylo de prestige.
Tout brillait de mille feux et transpirait l'argent. Anna s'y voyait de plus en plus et François de moins en moins. Pour lui, lire devait être à la portée de tous, alors que, pour elle, c'était une affaire d'élite. Tout le monde n'était pas fait pour la culture ou l'écriture selon Anna. Pour François, chacun pouvait lire, écrire, et même raconter quelque chose.
— On trouvera rien ici ! Y a rien à louer ou à acheter ! Et puis c'est trop luxueux ! dit François qui commençait à ne plus y croire et montrer son détachement.
— Mais si, fit Anna avec une grande certitude. C'est ici qu'il faut être pour l'adresse, pour la renommée, pour la vitrine !
— La "vitrine" ? s'énerva François. Mais c'est pas des chaussures Louboutin ou des stylos Mont-Blanc qu'on vend, c'est des livres ! Moi j'aime l'odeur du vécu, des pages vieillies d'une bouquinerie, des textes d'antan...comme le vieux coffre de ma grand-mère avec mes textes de jeunesse.
— Rohh ! Tu m'ennuies avec ton côté vieillot qui pue ! finit par lâcher Anna. C'est pas vendeur ! Ça attire pas les clients ! On dirait que ça te manque la bouquinerie poussiéreuse de chez GéGé qui puait l'alcool avec ses toiles d'araignées et ses piles de vieux livres abîmés.
Soudain François eut un pincement au cœur.
C'est vrai qu'il y était bien dans ce lieu d'un autre âge. Il y avait vécu de si bons moments, se sentant comme à l'abri du monde, dans un univers magique et féerique, avant que cela ne dégénère. Il pensa aussi avec affection à la bibliothèque municipale, où il empruntait quelques livres pour devoir les rendre, la mort dans l'âme, au bout d'un certain temps. Le cadre y était sobre et propre, bien rangé, ordonné, étiqueté selon la catégorie, le genre ou l'ordre alphabétique.
Ce n'était ni le luxe clinquant des "Grands Hommes", ni le bazar sale et glauque de chez GéGé. En fait, c'était ça qu'il cherchait, un local ni trop chic, ni trop immonde, où recevoir des personnes "normales", pas des barons de la haute société, ni des SDF ! Juste des amoureux des livres comme lui...
— Anna, ça n'ira pas. Je ne le sens pas ici, dit François.
— Mouais... Bon...répondit Anna, de toutes façons y a rien de libre ici ! On s'en va.
François vit à regret sa grande déception mais il avait besoin d'un endroit qui lui plaise vraiment, où il se sente bien.
" François...écoute ton cœur. C'est toi qui dois décider" fit la petite voix magique.
"Mais tu disais que ce que femme veut, Dieu le veut !"
"Je l'ai pas dit comme ça François ! Il faut aussi prendre en compte que Anna veut que cette affaire lui rapporte. Elle veut vivre de cette librairie ! Elle voit le côté rationnel de la chose !"
" Et moi je vois que le côté passionnel ! Moi j'écris et je ne peux que mêler ma passion à mon choix. On a pas la même vision des choses avec Anna..."
Marie, qui avait tout capté, jeta un regard suspicieux, presque accusateur, envers François.
Anna ne vit rien de tout cela et tant mieux. Si elle avait su les véritables opinions de son homme, cela aurait pu faire naître des doutes quant à son amour pour elle...Elle se tint un peu le ventre, et dit, avec un air crispé de douleur :
— Tant pis alors ! On va chercher ailleurs !
— Tu as mal ma chérie ? lui demanda François.
— Non c'est rien ! C'est juste d'avoir trop marché, fit-elle.
"Le bébé ressent son mal-être, il gesticule beaucoup !"
"Tu peux ressentir ça Cindy ?"
"Là où je suis, je vois même vos chakras, vos auras, vos humeurs et je reçois toutes vos pensées ! C'est une multitude d'informations assommante ! C'est très riche et des fois on aimerait ne pas voir ou entendre certaines choses... on n'a plus de mystère, de doute, ni de mensonges ...On a une vision sans filtre".
"Wow ! J'avais pas pensé à tout ça ! C'est horrible en fait..."
"Tu sais mon François, je n'ai pas choisi de rester ou d'être là. Je suis ici parce que quelqu'un le veut...et je pense que c'est toi, mon François, qui m'a fait revenir... dans ta tête... tu m'as fait revivre. Tu as tellement voulu me garder près de toi, pour je ne sais quelle raison, que tu as réussi à me recréer, à me redonner une deuxième vie, par la force de ta pensée..."
"MOI ?? C'est moi qui t'ai fait revenir ? Je vois pas comment..."
" François, tu vas rire mais en entrant dans ta tête, j'ai croisé ta petite râleuse de première ! Bougonne et aigrie comme pas deux ! Quand elle m'a vue arriver elle m'a d'abord dit : Ah ben ça y est enfin ! Je suis à la retraite ! Tant mieux ! Je vous le laisse mais... prenez-en soin ! Il est fragile ! Il a besoin de s'évader pour échapper aux douleurs du monde...mais c'est un gagnant au fond de lui ! Allez Salut ! "
" Quoi ? Tu as parlé à ma petite voix ? Mon ancienne ? Celle qui me suivait depuis toujours ? C'est une histoire de fous ! "
"Hihi ! Oui oui ! Elle m'a refilé toutes les valises que tu portes, toutes tes casseroles. Elle était sympa je trouve ! Elle t'aimait bien tu sais"
"C'est une amie de très longue date...on a tout vécu ensemble...et maintenant...c'est toi alors...qui la remplace ?"
" François...c'est toi qui veux que je sois ta petite voix intérieure... alors je dois être la seule et l'unique
...comme le génie dans la lanterne ! Y en avait qu'un !"
"Mais alors ... ceux qui racontent qu'ils entendent des voix ! Ils n'en ont qu'une ?"
" Une seule ! Mais elle s'amuse à changer de ton et de rythme ! La coquine ! À prendre plusieurs visages ! À se démultiplier comme Naruto et ses clones ! Elle se transforme à volonté comme les Barbapapa ! Hé hé hé ! T'as vu ! J'en connais des choses ! "
" Alors... La petite voix peut se moduler ?! C'est dingue !"
"Mon très cher ami, n'est-ce pas le propre de l'écrivain que de faire parler les petites voix dans sa tête et de leur donner vie ? N'es-tu pas un créateur de personnages, d'ambiances, de décors, d'histoires ? ..."
François eut l'air songeur.
La voix off avait gagné encore des points dans son estime. Elle reprit :
"N'est-ce pas la voix déformée du ventriloque ou du marionnettiste qu'on entend derrière celle de sa création, de son pantin. N'est-ce pas Jeff Panacloc qui donne la parole à son singe Jean-Marc ?"
François avait le regard vide, lointain, perdu dans des pensées fumeuses. Anna remarqua son silence et son absence.
— François ? François ??!!! Ça va ? Tu as l'air bizarre ! dit-elle.
— Heu ... oui oui ! Pardon ! Tout va bien ma chérie ! T'inquiètes pas !
Marie avait bien compris que François parlait encore à sa nouvelle petite présence magique intérieure mais, étrangement, elle n'entendit rien de leur conversation ! Comme si elle n'avait maintenant avec lui que des messages privés ...
***
Rafeu, lui aussi, eut un appel, mais de son chef ! Anna devait être placée sous protection judiciaire immédiatement. Elle avait été attaquée et l'agresseur courait toujours ! Elle aurait dû être prise en charge dès l'hôpital. Rafeu devait donc la ramener "illico presto" au commissariat pour rejoindre le programme de protection des victimes. Rafeu lui dit qu'il la protégeait déjà, avec Ponce et Marie, mais son chef lui répondit que ce n'était "pas de ses compétences", et qu'il devait "laisser faire les pros" !
Toujours les mots qui font plaisir ce chef !
***
Pendant ce temps-là, le tueur venait d'entrer dans l'hôpital. Il demanda juste à voir Anna, prétendant être un de ses amis. Une secrétaire lui dit que cette patiente était sortie car elle allait mieux.
L'homme jeta un œil sur le bureau de la secrétaire et vit le cahier des admissions où les adresses de chaque patient était notifiées.
À cet instant la secrétaire reçut une photo par fax avec un texte en rouge :
"SI VOUS VOYEZ
CET INDIVIDU,
APPELEZ IMMÉDIATEMENT
LA POLICE !"
La photo de l'homme recherché était exactement celle de l'homme qui se trouvait devant elle ! Elle était paralysée. Elle appuya du bout des doigts sur le bouton d'alerte générale qui hurla très fort dans tout le bâtiment ! L'agent Jean, qui était devant l'hôpital, bondit à l'intérieur et vit le visage de l'homme recherché. Il sortit son arme et le visa en lui disant :
— Arrêtes-toi ! Pourriture ! À genoux ! C'est toi qui as attaqué Anna et qui a tué le couple d'hypnotiseurs dans leur maison ! Les mains sur la tête connard ou je te descends !
L'homme fixa l'agent dans les yeux d'un air de défi, les mâchoires serrées, avec le regard noir de l'animal traqué qui est prêt à tout pour s'enfuir. Il avait la main sur son couteau dans sa poche, et pensa prendre en otage la secrétaire...
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