Chapitre 5 : A Court d'Options
~ FAËL ~
Au bord du ponton, les deux pieds frôlant la surface de l'eau, le Lycanthrope regardant la paume de main. Comme d'habitude, un élan de nostalgie lui enserra le cœur. Son ancienne brûlure n'était plus que cicatrices, lui prouvant que bien du temps avant passé. Des mois qu'il n'avait pas revue son amie sans qu'elle ne sorte jamais de ses pensées. C'était elle qui avait reliée Markus et Faël, aussi leur relation était devenue étrange, depuis qu'ils avaient perdus le droit de la mentionner.
Solbritt avait mis du temps à guérir mais il arborait ces cicatrices avec fierté, dévoilant son bras couverts de striures et son visage à moitié émacié, afin de montrer à tous ces inférieurs le chef qu'il avait été pour eux. Sans lui, une demi-douzaine de Lycanthropes auraient pu y perdre la vie. Tous le savaient et personne ne pouvait trouver à y redire. Sur cette mésaventure, Solbritt avait su renouveler son pouvoir et asseoir de nouveau son autorité.
Faël mit soudainement un grand coup de pied, envoyant une gerbe d'eau qui vint troubler la paix du lac. Il détestait se retrouver cloîtré ici. Le seul endroit où il avait encore accès était son lycée, mais celui-ci était comme remplit de souvenir de Delyth, le torturant toujours un peu plus. Mais il s'accrochait, il travaillait dur, espérant pouvoir obtenir un bon travail et pouvoir apporter de l'argent à sa famille biologique.
Il regrettait parfois son choix, sa décision trop précipitée. Il avait voulu trouver une famille, un lieu de liberté et de sécurité. Mais finalement, il était comme esclave de son choix et de son Alpha. Faël contourna le chemin et s'enfonça entre les arbres, marchant en dehors du sentier, il rejoignit le plus petit chalet au plus profond des bois.
― Ka, salua-t-il l'Oméga qui tentait une énième fois de recoudre son t-shirt usé et déchiré.
― Fa, lui répondit-il en levant sa tête de son ouvrage.
― Je pourrai t'apporter un pull, proposa le jeune Lycanthrope. Ils n'en sauront rien.
― Ce ne serait pas de refus... les nuits commencent à se rafraîchir.
En silence, ils s'attelèrent à leurs propres occupations en silence. L'Oméga avait appris à Faël l'art de la sculpture et le jeune homme tentait de finir diverses statuettes pour les offrir à ses jeunes frères et sœurs. Il n'était pas censé les voir... mais il espérait pouvoir leur envoyer un petit colis anonyme sans que quiconque l'apprenne.
Faël et Kasper avait passé ces derniers mois ensemble, au grand désarroi de la Meute, qui n'approuvait pas les familiarités avec l'Oméga, la plèbe de leur communauté, tout juste bon à avoir les restes des dîners collectifs. Mais ils laissaient Faël faire, craignant sans doute qu'il ne tente de se rebeller, comme Markus tentait déjà de le faire chaque jour.
D'ailleurs, le voilà qui rappliquait. Un coquard noir fleurissait, colorant son œil gauche de violet et de jaune. Il avait encore dû tenter de sortir du territoire sans permission et se faire méchamment réprimander, pourtant son sourire était des plus éblouissants.
― Salut la compagnie !
― Salut, Ma, répondirent simplement les deux garçons.
― Vous n'avez pas encore fini avec ces surnoms pourris ?
― Tu es celui qui les a créés je te signale, lui fit remarquer Faël. Et puis, personnellement je m'y suis habitué.
Markus fronça les sourcils. Était-ce vraiment lui qui avait débuté ces surnoms ? Après réflexion, il ne les trouvaient pas si mauvais.
― Tu as encore essayé de te barrer ? demanda farouchement Kasper. Si tu continues, ils vont faire de toi le nouvel Oméga à défaut de pouvoir te virer. Quoi que, ce ne serait pas pour me déplaire, mais ma place n'est pas à envier.
― Ça ne risque pas d'arriver, tu es un loup bien trop faible pour pouvoir rivaliser avec moi.
― Tu n'as pas tort, sourit l'Oméga.
Leurs petits joutes verbales ne cessaient jamais. Markus taquinait Kasper à propos de sa plus grande faiblesse, son handicap. Bizarrement, cela amusait toujours l'Oméga de l'entendre dire que quoi qu'il fasse, il serait toujours un moins bon Lycanthrope que ses semblables. Faël était persuadé qu'il avait conscience de sa différence et qu'il l'acceptait, tout simplement. Son plus gros avantage était d'être invexable sur ce sujet.
Pourtant, un métamorphe incapable de réussir sa métamorphose n'était rien. L'Oméga n'était ni reconnu comme un vrai Lycanthrope, ni entièrement humain. Exclu des deux sociétés qui lui était possible d'intégrer, il se contentait de survivre en restant lui-même, bien que cette façon de vivre l'ait plongé dans une existence solitaire.
― Hé, Fa, plutôt que de faire des poupées débiles, tu pourrais me filer un coup de main pour me permettre de sortir de là, non ?
― Je ne le peux pas, tu le sais bien... à quoi bon t'aider à sortir ? Ils te retrouveront avant même que tu n'arrives à l'arrêt de bus.
― Il a raison, confirma l'Oméga, crois-moi. Je ne suis sorti qu'une seule fois et ils ont très vite compris que je m'étais fait la malle... et depuis, ils sont encore plus vigilants, surtout que tu tentes tout le temps des trucs.
― Alors quoi ? s'énerva Markus. Je devrais abandonner ?
Faël et Kasper baissèrent les yeux d'impuissance. Ils ne voulaient pas le décourager, autant qu'ils ne pouvaient pas l'encourager. L'Oméga le regarda, un air de tristesse fixé sur le visage.
― Ne me demande pas de t'aider, soupira-t-il. La dernière fois que j'ai tenté quelque chose, je...
Sans terminer sa phrase, il fixa sa jambe avec dépit, faisant grimacer Markus. La seule et unique fois que Kasper était sorti de la frontière, c'était pour rejoindre Delyth dans les bois. Quand le feu avait cessé de dévorer la forêt, épargnant miraculeusement leur Meute, Kasper avait subit les foudres de la communauté.
Durant des jours, il avait affronté la violence des siens en serrant les dents. Jamais il n'avait fait face à un tel déferlement d'agressivité. Il s'en était tiré, mais avec quelques séquelles : une jambe et un bras méchamment fracturés, qui avaient dû porter un plâtre durant plusieurs semaines, sûrement quelques fêlures aussi. Il ne comptait plus le nombre de cicatrices et de bleus qui lui couvrait le dos à force d'encaisser les coups de pieds toutes ces années.
Heureusement, il avait l'habitude de savoir protéger ses organes vitaux : question de survie et d'habitude qu'il tenait depuis ses onze ans, quand il avait essuyé sa première brimade.
― Dommage qu'elle n'ait pas brûlé tous ces monstres, grogna Kasper d'un ton sourd.
― Il y a des enfants aussi, ici... murmura Faël.
― Moi aussi, je n'étais qu'un gosse quand ils m'ont fichu dans cette maudite baraque et m'ont déclaré Oméga. J'étais encore plus jeune que Maxence et Henry, tes deux frères. Tu crois que tu les laisserais vivre comme moi ?
― Certainement pas ! s'écria Faël en se levant d'un bond.
― Nous sommes bien d'accord, alors.
Faël sentit ses joues s'empourprer de honte. Pourquoi prenait-il toujours la défense de cette Meute alors que lui-même s'y sentait prisonnier ? Pourtant, il ne pouvait pas aider Markus a partir, même s'il souhaitait simplement parler à Delyth.
Depuis les derniers événements, Solbritt était devenu beaucoup plus intransigeant sur les règles. C'était tout juste si Faël pouvait aller en cours et cela uniquement car son Alpha lui faisait confiance. Au moindre débordement, il deviendrait comme Markus, qui prenait des cours en ligne.
Le jeune homme secoua la tête en se rasseyant sur le rondin de bois qui lui servait de siège. Il ne voulait pas risquer de perdre la confiance de Solbritt car s'il le faisait, il n'aurait plus accès au monde extérieur avant un bon moment. Mais s'il voulait réussir à envoyer quelques trésors à ces petits frères et sœurs, il devait supporter l'injustice de la Meute.
― Je ne peux pas non plus t'aider, désolé, s'excusa Faël en baissant le regard sur la terre meuble recouverte d'épines de pins.
― Tu devrais avoir honte, Delyth est pourtant ton amie ! Il l'ont enfermée, je te signale, je ne demande pas la lune mais simplement qu'on puisse lui donner quelques nouvelles !
Markus sentit ses yeux s'humidifier, tant sa frustration était grande. Il voulait simplement pouvoir lui dire qu'ils allaient bien, qu'Ida et Gilbert étaient finalement resté dans la Meute, qu'elle leur manquait à tous. Il savait qu'elle se trouvait à l'ILIM sans avoir le droit d'en sortir mais aucune information de plus ne lui était arrivé. Solbritt avait pris soin de déclarer le « sujet Delyth » clos. Personne ne pouvait en parler sans subir ses foudres, sauf peut-être ici, chez l'Oméga. Cette raison était sûrement celle qui poussait Markus a rester avec eux. Au fond de lui, il comprenait leurs choix, même s'il ne les approuvaient pas.
Après tout, les deux autres lycanthropes étaient persuadés que son plan était voué à l'échec. Selon eux, la seule chose qui en résulterait serait son exclusion de la Meute. Malheureusement pour Solbritt, un lycanthrope ne pouvait être exclu que passer le seuil de ses vingt ans. Markus avait encore quatre ans avant de risquer de se faire jeter de la Meute -ce qu'il ne voulait faire si cela signifiait ne plus jamais revoir son oncle Gilbert. Le choix était difficile, mais il l'avait pris. Il risquait tous les jours depuis des mois de sortir pour ne serait-ce que pouvoir consoler son amie, même s'il prenait le risque de perdre tout ce qu'il avait. Peut-être était-il un peu dérangé d'agir ainsi, mais cela était sa décision. Et chaque jour qui passait, il ne le regrettait pas.
― Je sais qu'à un moment, je parviendrai à mon but, annonça-t-il fièrement.
― Tu devrais plutôt te faire oublier, jouer au bon petit chien jusqu'à te faire assez oublier pour avoir une chance de sortir. Si tu es assez patient, Solbritt lèvera de nouveau son espèce de quarantaine tordue...
― Mais je ne veux pas attendre !
― C'est peut-être ça, le problème. Tu attends depuis cinq mois, Markus. Cinq mois et tu n'as toujours pas mis tes deux pieds dehors.
― J'ai réussi à en mettre un, c'est pas si mal !Faël roulait des yeux avant de reprendre les petits coups de couteau sur son morceau de bois.
― Tu es trop pressé, trop irréfléchi, voilà ton problème, l'accusa Kasper. Si tu avais su te faire discret, nous aurions déjà pu avoir des nouvelle d'elle...
― Nous ? Nous ? Tu te fiches de moi, Ka ! Tu t'en fiches totalement, de Delyth !
― Si c'était vrai, alors le jour où j'avais prévu de m'enfuir de la Meute... je ne me serais pas arrêté pour l'aider, soupira Kasper en serrant ses poings. Je serai parti comme je l'avais prévu !
Markus ouvrit de grands yeux ébahis à l'instar de Faël, qui laissa tomber son début de figurine. Jamais Kasper n'avait élevé la voix, jamais il n'avait enfreint le règlement, hormis ce jour maudit, dans la forêt...
― Alors, ce jour là, tu n'étais pas sorti car tu avais senti Delyth ? demanda Faël.
― Tu voulais... partir ? chuchota Markus en déglutissant péniblement.
― En effet. Alors crois-moi, si je te dis qu'en se faisant oublier assez longtemps, l'on parvient à déjouer suffisamment leur vigilance pour s'enfuir... parce que c'est la pure vérité.
― Ça alors !
Faël n'imaginait pas que l'histoire était si complexe, que Kasper avait vraiment été prêt à tout pour quitter sa communauté. Lui-même se sentait trop perdu, entre ses métamorphoses encore douloureuses et le contrôle difficile qu'il avait sous forme de loup, qu'il lui était impossible d'imaginer vivre seul, loin de ses semblables.
― Sans Delyth, continua Kasper la mâchoire serrée en murmurant le plus bas possible, je serai probablement déjà à l'autre bout de la Terre à vivre comme un minable humain ordinaire. Pourtant, je suis encore là, à vivre comme le plus miséreux des pires cabots qui peuvent exister.
― Tu aurais pu partir, répéta Markus en boucle, encore trop abasourdi pour reprendre contenance.
― J'ai aussi fait un choix ce jour-là et je l'assume. Mais je ne vais pas encore risquer ma vie simplement pour que tu joues ton Roméo avec elle, déclara Kasper plus farouchement.
― Mais, je. Je ne... enfin ! Ce n'est pas ce que je veux faire ! se défendit le jeune homme. Elle me manque, voilà tout. A vous aussi, n'est-ce pas ?Les deux autres Lycanthropes hochèrent la tête sans réflexion.
― M'empêche qu'on réfléchit plus que toi, fit Faël d'un air mystérieux.
― Quoi, tu as réussit à la contacter ? s'étonna Markus.
― Non, mais cela ne va pas tarder... car moi, j'ai utilisé la technique de Kasper et j'ai patienté en restant bien à ma place. J'ai ainsi pu écrire une longue lettre à notre amie commune, murmura-t-il sur un ton de conspirateur.
― Mais tu es malade, ils vont le savoir !
― Pas du tout, j'ai fait en sorte de tourner les phrases de sorte que l'on dirait que c'est une amie de Delyth qui lui a envoyé. Et j'ai pu, grâce à un camarade de classe fort sympathique, la faire envoyer au domicile de Delyth. Comme sa maison est trop surveillée et que Per me ramène du lycée, je ne pouvais la mettre tout seul dans sa boîte aux lettres. Mais ils ne se méfieront pas du facteur.
Markus réfléchit un instant, cherchant une faille à son plan qui paraissait trop parfait. Il trouva finalement quelque chose à redire.
― Admettons que Delyth puisse lire ta lettre et qu'elle comprenne qu'elle vient de toi...
― Elle comprendra, c'est absolument certain, à deux-mille pour-cent. A moins qu'elle ait perdue toute sa mémoire. Mais comme nous ne sommes pas dans une série au scénario sans originalité...
― Mettons qu'elle comprenne, je disais, comment va-t-elle nous répondre ?
― Tu penses vraiment que je n'y ai pas réfléchi, sérieusement ? se moqua Faël. Mon ami me fera parvenir les réponses au lycée, tout simplement. J'ai mis son adresse pour les retours de lettres. En échange, je dois plus ou moins l'aider pour tous ces devoirs durant toute l'année scolaire... mais ça en vaut le coup.
― Mais... depuis quand as-tu fait poster l'enveloppe ?
― Un peu plus d'un mois, déjà.
― Autant de temps ? Mais qu'attendais-tu pour nous en parler ?
Markus l'accusa sévèrement mais l'Oméga également le fixait avec un soupçon de rancœur. Faël déglutit avant de s'expliquer en murmurant toujours aussi bas que possible.
― J'attendais d'avoir une réponse pour vous en parler ! Mais soit Aeddan ne l'a pas encore reçu, soit il attend que Delyth rentre à la maison pour qu'elle la lise... avec un peu de chance, elle rentrera bientôt.
Les garçons hochèrent de nouveau la tête, chacun replongeant dans leurs tâches quotidiennes. Ils n'étaient pas indifférents à leur amie, seulement... ils se sentaient tous, à leur échelle, incapable d'agir à l'heure actuelle. Alors ils patientaient, encore et toujours, jusqu'à trouver une meilleure solution que la soumission à leur Alpha. Mais ils commençaient sérieusement à trouver le temps long.
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