Chapitre 4 : L'étrange Cohabitation
~ ELYANA ~
La route ne fut pas très longue depuis Londres et Delyth partagea la banquette arrière avec Elyana. Elle ressentait une empressante envie de la connaître. Malgré tout ce temps, elle en savait très peu sur la Nymphe, mis à part qu'elle était accidentellement tombée enceinte et qu'il ne valait mieux pas questionner Cadeyrn à ce propos.
En effet, l'Incubus s'irritait dès que Delyth tentait de l'interroger. Bien évidemment, cela remontait à plusieurs mois en arrière mais la jeune femme ne voulait pas risquer de les froisser. Elle attendait simplement le jour où ils décideraient de lui en parler. Que ce soit demain ou dans des années, elle devrait se montrer patiente.
― Sinon, fit Elyana en interrompant le cours de ses pensées, on n'a pas trop eu l'occasion de discuter... ça va, toi ?
― Oui... et toi ? demanda-t-elle mal-à-l'aise.
― Oui, on peut le dire, acquiesça Elyana. La petite pousse comme un haricot, encore à patienter environ deux mois et nous pourrons tous la rencontrer !
― Oh, il s'est passé autant de temps ?
Elyana lui sourit chaleureusement. A première vue, les Kane lui avait paru faussement modestes en ajoutant à cela une légère tendance à paraître imbus d'eux-mêmes. Mais finalement, elle était allée de surprise en surprise en apprenant à les côtoyer. Quand elle avait perdu sa maison et toutes ses affaires avec, Aeddan avait proposé sans détour de les loger, Cadeyrn et elle. Pourtant, le vieil homme avait dû gérer l'internement douloureux de sa fille à la même période.
Un mois plus tard, les deux colocataires avaient proposé de partir de la maison victorienne, afin de rendre son domicile au Draconis. A peine avaient-ils fait cette proposition qu'Aeddan avait paru désemparé. Il restait toujours fort et stable devant sa fille mais quand elle s'absentait, il devenait nerveux et maladroit. Elyana doutait même que Delyth le sache, son père étant plutôt doué pour le secret, comme tout véritable Draconis millénaire savait l'être.
― Restez, je vous en prie, leur avait-il dit avec conviction, des trémolos dans la voix, quand ils leurs avaient annoncés vouloir partir.
― Nous ne voulons pas abuser de votre gentillesse...
― Ne me laissez pas seul ! J'ai vécu seul pendant des millénaires, avoua-t-il en baissant la tête, mais pourtant, maintenant que j'ai vécu avec ma Lys... je me sens incapable de vivre de nouveau seul.
Le Draconis courbait l'échine, devenant un être pitoyable, malgré sa force, malgré son immortalité. Il n'était plus qu'un père qui sentait qu'il perdait son unique enfant. Seul et misérable dans sa grande maison vidée de sa présence.
― Alors... c'est une demande, ajouta-t-il doucement. Si vous le souhaitez, restez vivre ici. Je ne demande pas mieux.
Ainsi, Elyana et Cadeyrn s'étaient consultés brièvement du regard pour finalement accepter son aimable proposition. Cela faisait des mois qu'ils partageaient leurs quotidiens côtes à côtes, qu'ils rendaient visite à Delyth à l'ILIM ensemble, bien que Cadeyrn refusait à la jeune Nymphus d'entrer dans la chambre de sa nièce. Simplement par précaution. Il ne voulait pas que sa nièce risque de blesser Elyana : il savait d'avance qu'elle s'en voudrait trop pour parvenir à surmonter les épreuves.
Aujourd'hui, elles se faisaient enfin face avec confiance. Delyth ne savait probablement pas la raison qui avait poussé son oncle à exclure la Nymphus, toutefois elle semblait en paix avec elle-même. Elyana sentie comme une injustice dans cette situation et elle se tourna vers Delyth, qui viendrait s'ajouter à l'étrange cohabitation qu'ils formaient, sans même le savoir.
― Delyth, tu sais... commença Elyana avec douceur.
― Oui ?
― Nous ne t'avons pas encore annoncé la nouvelle mais je pense qu'il le faut sans plus tarder... Cadeyrn et moi vivons chez vous, du moins pour le moment.
Une petite pause se fit entendre, comme si chacun des passagers retenaient son souffle pour entendre la réponse de la Succubus.
― - C'est vrai ? C'est cool ! J'avais peur de me retrouver encore seule... la solitude commence à me peser, soupira-t-elle. Vivre à plusieurs peut s'avérer plutôt sympa !
Delyth sourit à sa nouvelle colocataire, heureuse de partager sa vie avec ces personnes qui étaient sa famille, bien qu'en un peu plus insolite. Si on lui avait dit un an auparavant qu'elle vivrait avec son oncle et sa protégée en plus de son père, elle n'en aurait rien cru. Pourtant aujourd'hui elle se réjouissait de cette idée. Apprendre à mieux approfondir leurs relations allait l'aider de reprendre goût à la vie et à ainsi s'accrocher sur la voie de la guérison.
Ils traversèrent quelques villages, proches d'arriver jusqu'à la maison victorienne qu'elle avait hâte de découvrir, maintenant qu'elle était entièrement restaurée et meublée. Elle se sentait même un peu triste, de n'avoir rien pu décorer, ni choisir leurs nouveaux meubles. Mais elle ne pouvait blâmer son père d'avoir continué leur projet commun : elle s'était absenter durant cinq longs mois.
Sur les bords de la route, la forêt s'étendait à perte de vue. Elle pouvait apercevoir de la poussière de charbon parmi les troncs encore debout, prouvant que son feu dévastateur avait atteint cet endroit. Ils étaient pourtant encore loin de chez eux. Delyth détourna le regard, fixant la ligne de maisons qui faisait face aux bois rongés par la cendre. Les bâtisses alentours semblaient toutes se ressembler, lui rappelant instantanément la maison de la Nymphus. Subitement, elle prit conscience d'un détail déconcertant.
― Mais... tu n'avais pas déjà une maison, pas très loin de la nôtre ?Un soupçon de peur sembla remplir la voiture, s'insinuant dans les pensées de la Draccubus. Pourquoi avaient-ils tous peur, soudainement ?
― Oh, tu sais, fit Elyana en soupirant, nous avons été forcés de déménager ailleurs... et ton père nous a recueilli. Sans lui, on n'aurait nul part où aller. Moi qui n'avais jamais osé partir de cette vieille maison... finalement, le fait d'avoir dû partir m'a permis d'être plus sereine, libérée du passé. Tu vois ?
La Nymphus était toujours aussi détendue et sereine qu'auparavant, contrairement aux deux hommes postés à l'avant du véhicule. Cependant, ils semblaient se calmer peu à peu aux paroles de la jeune femme.
― Votre maison est très agréable, ceci dit ! renchérit Elyana. Par contre, si tu vois une objection à notre cohabitation, peut importe quand, n'hésites pas à nous en faire part.
― Promis, sourit la Draccubus, encore un peu suspicieuse.
~ DELYTH ~
Un Draconis, une Nymphus, un Incubus et une Draccubus rentraient à la maison et... Non, cette situation n'avait rien d'une blague, représentant seulement ce que vivait Delyth à cet instant précis.
La voiture se gara en faisant crisser le gravier sous ses pneus, qui vinrent rebondir sur la tôle du véhicule. A peine fut-elle immobilisée que Delyth descendit. Elle supportait mal les espaces confinés. Peut-être le fait d'avoir pris conscience d'avoir passé deux mois consécutifs dans la même petite pièce l'avait finalement touchée plus qu'elle ne se l'imaginait ?
― Non, mais c'est pas vrai ! rugit-elle.
― Quoi ? demanda Elyana, inquiète de son ton exaspéré.
La Nymphus peinait à sortir de l'habitacle, arquée par son ventre volumineux.
― Il y a un Monstre autre que nous quatre qui habite ici ou bien c'est un intrus que je détecte ? demanda Delyth, un peu énervée sur les bords.
Pourquoi à chaque fois qu'elle rentrait de l'ILIM, il y avait un invité surprise qui débarquait sans prévenir personne ?
Cadeyrn riait sous cape avant de daigner répondre. A part lui et Delyth, personne ne pouvait sentir la présence du visiteur quotidien et discret à la fois de la maison victorienne. Mais l'Incube savait qu'il venait tous les jours, sans jamais se montrer à quiconque. Il se posait généralement dans le verger en friche la journée ou sur le toit la nuit et repartait comme il était venu... dans un silence des plus complets.
― Hé, Camaël, s'écria l'Incube avec bonne humeur. Sors donc de ta cachette, pour une fois !
― Bonjour.
L'Angelus, non gêné d'être pris sur le fait, s'avança jusqu'au petit groupe. Il était arrivé de l'arrière de la maison, pas navré du tout d'être entré dans une propriété privée. Son air détendu frappait de contraste avec les expressions diverses qui se peignaient sur les visages de ses opposants.
― Oh, Numéro cinquante-trois, c'est bien vous ? lui demanda Delyth, soudain détendue. Mais... pourquoi êtes-vous ici ? Ne me dites pas... l'ILIM me fait surveiller ?
S'en allant à la rencontre de l'Angelus, Cadeyrn esquissa un autre sourire avant d'aller poser son bras sur ses épaules.
― Non, il vient depuis des mois. Nous sommes plus ou moins... devenus amis, avoua Cadeyrn. N'est-ce pas, Camaël ?
― Tu me tires les cheveux avec ton bras, fit-il cyniquement.
― Tu n'as qu'à les couper ! Tu peux rendre tes ailes immatérielles, prétendre que tu caches tes ailes de corbeau derrière tes cheveux n'est qu'une farce. Alors, pourquoi aimes-tu ces longs rideaux noirs ?
Les deux hommes se chamaillaient allègrement sous l'œil amusé des deux jeunes femmes. Aeddan était déjà en train de déposer la valise de Delyth à l'intérieur, non perturbé par l'arrivé de l'Angelus. Peut-être lui faisait-il confiance à sa nature angélique ? Ou bien camouflait-il ses émotions en s'arrachant à leur vision ? Mais Delyth était trop préoccupée par les deux troubles-fêtes qui apportaient une véritable bouffée d'air frais à sa matinée. Ils en étaient encore à parler des cheveux de Camaël.
― Si tu veux, je te fais une petite coupe ? proposa Cadeyrn. Regarde comme moi, une coiffure à la mode, hyper sexy et naturelle.
Il passa sa main dans sa chevelure brune aux boucles souples avant de lancer un clin d'œil aux deux jeunes femmes qui se moquèrent allègrement de son expression faussement dragueuse.
― Pourquoi il ferait ça ? demanda Elyana en riant.
― C'est vrai, surenchérit sa voisine, il est bien trop canon avec ses cheveux longs pour les couper !
Outré, Cadeyrn s'énerva de plus belle, vantant les mérites des cheveux courts. Finalement, l'Angelus finit par prendre congé : il avait assez tardé. Il sortit ses ailes aussi noires que l'obscurité la plus profonde avant de les étendre de toute leur envergure.
Juste avant qu'il ne prenne son envol dans le ciel nuageux, Delyth crut déceler une fine contraction du coin de ses lèvres. Peut-être n'était-ce pas un vrai sourire. Toutefois, jamais l'Angelus n'avait eu la moindre expression en sa présence. Ce maigre rictus, difforme et maladroit, marquait d'une pierre blanche les sentiments que pouvaient exprimer l'Angelus. Un sourire, aussi petit fut-il, formait une preuve sincère au petit instant heureux qu'il venait de passer ici, avec eux. Ce jour là, l'Angelus avait probablement gagné des amis, pour la première fois de sa longue et morne vie.
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