Chapitre 31 : L'Énergie Revigorante
La jeune femme avait accepté le marché proposé par Maxwell, cependant ils se regardèrent en chien de faïence durant de longues secondes, à ne savoir comment ni quand commencer.
— Heu... et si nous allions en cours ? proposa Delyth
— Excellente idée, chère élève. Mais avant le réconfort, il faut fournir un effort.
— Étrange tournure... vous croyez donc que je vois mes études comme un réconfort ?
— Cesse de tourner autour du pot, Delyth, fit-il en souriant. Tu dois parvenir à trouver cet acte naturel, un moyen simple et indolore pour te nourrir, ni plus ni moins.
Elle grimaça sans le contredire. Toutefois, quand elle s'approcha, il ne put s'empêcher de plisser des yeux, ne pouvant se trouver que mal à l'aise face à la situation. Delyth soupira, fatiguée des efforts qu'elle devait déployer, simplement pour ne pas exploser à chacune de ses périodes menstruelles tant redoutées. Être un Succubus était un vrai calvaire et elle espérait bientôt trouver des points positifs à sa nature car cela lui pesait lourd sur le coeur.
Se forçant à ne pas hésiter encore, elle avança plus rapidement et se planta comme un piquet devant celui qui pouvait passer pour un jeune homme de trente-cinq ans, mais qui avait plus d'un millénaire au compteur. Étant plus grande que lui, elle dut pencher la tête pour atteindre ses lèvres figées, dans une tentative vaine de ne pas les faire paraître froissées. Leurs bouches se frôlèrent à peine que Delyth ressentit une brusque bourrasque d'énergie la traverser, venant emplir son corps d'une sensation très agréable, celle d'être complète et entière. Ce fut comme si son estomac venait de se remplir après une période de faim, seulement cette sensation s'étalait à chacune de ses cellules.
— Oh la vache ! Vous ne mentiez pas, quand vous disiez regorger d'énergie ! s'écria-t-elle, un sourire aux lèvres.
— J'en ai plus qu'il ne m'en faut, surtout que j'utilise peu mes capacités de Kumiho.
— Quelles sont-elles, demanda la jeune femme, curieuse de connaître cette espèce qui lui était totalement inconnue.
— Peut-être plus tard... tu es déjà en retard d'une dizaine de minutes, je te signale. Et je crois qu'Aron ne va pas être ravi d'avoir poireauté aussi longtemps ! plaisanta-t-il avec un grand sourire.
— Mince, les cours ! s'exclama-t-elle.
Elle s'élança déjà vers la sortie des bois quand Maxwell la rattrapa par le coude.
— Je vais passer par un autre chemin, je vous rejoins à la vie scolaire. J'en profiterai pour confirmer notre arrangement à ma femme, si cela te va toujours ?
— Oui, bien sûr. Après... c'était encore plus étrange de vous embrasser que de le faire avec mon oncle. Mais c'est peut-être le fait de savoir que vous êtes un vieux, sourit-elle avec insolence. À tout de suite !
Elle partit à toute allure à travers les bois, trébuchant souvent mais pourtant elle ne ralentit pas, un sourire peint sur son visage. Elle atteignit l'herbe verte tondue du terrain et continua sa course jusqu'à la silhouette reconnaissable de son ami Vampiris.
—Désolée, fit-elle, essoufflée. Je ne me suis pas rendue compte de l'heure.
— Je le savais, maugréa-t-il d'un air contrarié en plissant son nez, tu as embrassé ce type.
— Quoi, tu peux le sentir ? fut surprise Delyth en reniflant ses cheveux.
— Je sens que tu t'es nourrie, et pas de moi.
Il tourna les talons pour monter les quelques marches de l'établissement sans attendre Delyth, qui le rattrapa toutefois.
— Aron, sourit-elle. Je comprends que tu te sentes mal, mais justement, cela va t'aider, d'avoir moins de contacts avec moi. Tu crois que ça me fait plaisir ? Elyana n'est plus là, je vais devoir me séparer de toi le plus possible et comme tu viendras en cours hyper tôt, alors soit je viendrai tôt également, soit je devrai trouver quelqu'un d'autre pour m'accompagner. Mais je suis perdue, je ne sais pas sur qui je peux compter. Alors ne me fais pas culpabiliser juste pour avoir fait ce que ma nature m'oblige à faire ! cria-t-elle finalement, au bord des larmes.
— Je... je n'avais pas pensé à tout ça, soupira-t-il en passant sa main dans ses cheveux noirs, ébouriffant ses pointes rouges. Écoute, je suis désolé, je suis un peu...
— Je sais, possessif, jaloux et incontrôlable, sourit-elle de nouveau. J'ai lu assez de livres sur les loups-garous pour m'en faire une idée. Tu es devenu un cliché sur pattes pour midinette.
— Manquait plus que ça ! geignit-il.
Elle éclata d'un rire sonore en ouvrant la porte du hall... pour tomber nez à nez avec le directeur, qui haussa un sourcil noir devant leur comportement insolent.
— Vous n'avez pas cours ? demanda-t-il d'une voix grave.
Heureusement, ils furent sauvés par l'arrivée immédiate du professeur Maxwell qui justifia leur absence d'une simple phrase, qui voulait tout et rien dire à la fois.
— Ses élèves étaient avec moi, monsieur le directeur.
Le bonhomme en costume hocha la tête et continua sa ronde dans le bâtiment, du moins jusqu'à la machine à café de la salle de repos des professeurs, pour se prendre une petite tasse de la chère boisson chaude. Il se mit même à siffloter avec légèreté, se moquant de la tranquillité des élèves qui travaillaient dans les salles voisines.
Maxwell ne perdit pas plus de temps et se dirigea d'un pas léger jusqu'au bureau où se trouvait le secrétariat. Derrière celui-ci, une femme blonde à l'allure sévère jaugeait les arrivants d'un regard septique.
— Tiens donc, Max, salua-t-elle son époux. C'est amusant, je pensais que tu donnais un cours ce matin.
— C'est bien le cas mais il se trouve que je suis tombé sur un pépin, dit-il en appuyant son dernier mot. Mais il n'y a plus de problème.
— Je vois, fit simplement la secrétaire.
— Oh, et cette jeune femme a accepté de nous aider à trier les documents administratifs, ajouta-t-il avec un sourire. Et je vais entraîner ce jeune homme chaque matin, comme nous en avions discuté.
— Intéressant.
Elle releva ses yeux clairs vers les étudiants pour observer Delyth, qui souriait avec nervosité. Si Maxwell avait une personnalité rayonnante et solaire, étant bavard et joyeux, sa femme semblait être son extrême opposée. Elle semblait avare de mots et la clarté de son regard semblait terne au contraire du marron chaleureux et brillant du professeur. Delyth commençait à se dire qu'il serait encore plus difficile pour elle d'embrasser cette femme à la personnalité inqualifiable plutôt que le Kumiho hybride.
Le professeur avait terminé de remplir deux fiches cartonnées de couleur orange pâle, que les jeunes n'avaient même pas remarqués avant qu'il ne leur tende.
— Je dois filer à mon cours, s'excusa-t-il.
Il envoya un baiser à l'aide de sa main pour l'envoyer à sa femme et celle-ci fit mine de l'intercepter au vol avec nonchalance, comme si elle était habituée à ses gamineries de collégien. Quand il tourna les talons, l'air heureux, la quarantenaire ne put s'empêcher d'esquisser un sourire amusé, avant de se reprendre pour regarder de nouveau les élèves.
— Il ne fait vraiment pas son âge, soupira Delyth avec un sourire dans sa voix.
— Nous sommes bien d'accord, confirma la femme. Je me présente, mademoiselle Kane, puisque nous allons nous revoir régulièrement. Tu peux m'appeler Madame Stuart ou bien Sylvie, si l'envie t'en prend. Nous ferons plus ample connaissance une prochaine fois. En attendant, filez vite en cours.
Les deux jeunes se regardèrent de biais en montant les escaliers, l'air de se demander si madame Stuart était une femme ridige et pince-sans-rire ou bien si elle ne faisait que cacher sa réserve sous ses airs durs. La jeune femme l'ignorait et avait hâte de découvrir la véritable personnalité de la Goule en même temps qu'elle apprendrait à appréhender ses capacités. En songeant à nouveau qu'elle devrait doucement se séparer d'Aron, son ventre se contracta douloureusement.
Elle devait tout reprendre à zéro : faire de nouvelles connaissances et apprendre à se lier à d'autres personnes, même si elles ne pourraient remplacer la paisible et sensible Elyana, ni le joueur et plaisant Aron. Mais pour l'un comme pour l'autre, leur absence à ses côtés ne pouvaient être que positifs pour eux. Elle fut perdue dans ses pensées quand elle arriva en cours et écouta à peine les professeurs déblatérer leurs connaissances. La pause de la matinée arriva trop rapidement et elle se sentit obligée de se camoufler loin de son casier pour ne pas croiser Aron.
— Tu as l'air ailleurs, observa une voix grave qu'elle reconnut aussitôt.
Elle vit d'abord une silhouette d'une grande carrure, une peau sombre qui faisait ressortir ses yeux bronzes comme deux joyaux étincelants. Sa chevelure était toujours retenue en un chignon lâche, mettant en valeur son crâne rasé de part et d'autre de sa tête. En détaillant tous ses attributs physiques, la jeune femme se sentit ravigorer. Elle semblait ravie de revoir cet ami qu'elle commençait tout juste à connaître.
— Oh, Rahyan ! fit-elle avec un sourire. Tu vas bien ?
— Ça va toujours, oui. Toi, par contre, tu sembles dans tes pensées depuis ce matin, c'est à cause de ce que tu as dit à Aron ?
— Oh, tu as écouté.
— Désolé, ta voix est difficile à ignorer, sourit-il. Je peux te demander pourquoi tu veux t'éloigner d'Aron ? Oh je sais, tu viens de comprendre que cet énergumène ne valait pas la peine de s'y attacher ?
Son trait d'humour fit à peine sourire Delyth, qui ne savait pas comment expliquer la situation sans mettre Aron dans une position délicate.
— Ne t'inquiète pas, tu n'es rien obligée de dire. Seulement... s'il te faut un chauffeur, je peux jouer ce rôle. Tu ne vis pas très loin du lycée, pas vrai ?
— Mais... je croyais que tu étais à l'internat.
— C'est vrai, mais l'un n'empêche pas l'autre. Je peux t'accompagner en bus ou t'emmener en moto, comme tu voudras.
— Une moto ? demanda Delyth, soudainement attentive.
Son coeur de collectionneuse s'était tout à coup activé, lui donnant envie de voir ledit objet. Fut-il vieux et usé, ou neuf et étincelant, elle ne doutait pas qu'il serait un trésor satisfaisant pour ses yeux.
— Je ne suis jamais montée sur une moto, murmura-t-elle. Mais j'adorerai ça !
Le jeune homme ria sous son honnêteté déconcertante et il fut heureux de lui avoir proposé. Il ignorait pourquoi elle devait se faire accompagner mais il avait sentit l'importance capital que cela revêtait pour la Draccubus. Rahyan était heureux de pouvoir enfin être utile à la jeune femme et il se retenait à présent pour contenir l'émotion de joie brute qui le traversait en ce moment-même.
— Je pourrai venir demain matin, vers sept heures et demi, ou avant ? Tu m'enverras l'adresse par sms.
— Va pour sept heures et demi, confirma la jeune femme, qui sortit son portable de sa poche.
Le gaillard s'éloigna alors, tout content. Il veilla à ne pas heurter les élèves de ses larges épaules, qui devenaient un handicap dans les couloirs étroits.
— Eh, mais reviens ! cria alors Delyth, tu n'oublies pas quelque chose ?
Il lui jeta un regard oblique, la bouche entrouverte comme sur le point de dire quelque chose, sans parvenir à en sortir les mots.
— Non, je ne vois pas.
— Tu m'as demandé de t'envoyer un message expliqua patiemment la rouquine.
— En effet, pour connaitre ton adresse.
Delyth roula des yeux, exaspérée. Rahyan était si nerveux et si heureux à la fois qu'il ne semblait plus réfléchir clairement alors elle reprit avec flegme :
— Du coup, il va me falloir ton numéro, espèce de bêta ! Enfin, je ne dis pas ça parce que tu es... tu sais...
— Un Lycan ? murmura-t-il en riant. Joli jeu de mot, au passage.
Le visage clair de la rousse était à présence cramoisi, se rapprochant de la couleur flamboyante de ses cheveux. Rahyan tendit son portable et saisit le sien pour écrire les dix chiffres, ajoutant la mention "Rahyan ♡" au passage. Quand Delyth reprit son appareil, elle fut si amusée qu'elle le laissa ainsi, pour faire plaisir au jeune homme. Elle ne perdit pas de temps et envoya immédiatement un premier message, celui de son adresse postale.
— Ah oui, tu n'habites vraiment pas loin, commenta-t-il. C'est cool, j'aurais enfin des excuses pour faire des balades en moto.
— Oh euh, d'ailleurs, j'y pense.
— Oui ? demanda-t-il.
— Viens plutôt pour sept heures, juste demain.
Delyth était embarrassée et entourait ses boucles autour de ses doigts pour camoufler ses émotions.
— Qu'y a-t-il ?
— Oh rien, c'est juste que je suis sûre que ma famille va vouloir te faire passer un interrogatoire avant de me laisser partir avec toi, fit-elle.
— Oh, t'inquiète, je suis certain qu'ils m'apprécieront ! Je suis doué pour rassurer les gens, ajouta-t-il.
— J'espère que ce n'est pas du baratin, vu ceux qui vivent chez moi, ria Delyth en s'éloignant pour rejoindre sa salle de classe.
— Rien ne peut me faire peur ! lui promit-il avec nonchalance.
— Pas même un Angelus ?
Delyth lança un clin d'oeil amusé et sans attendre sa réaction, fila au détour d'un couloir.
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