Chapitre 21 : L'Antiquaire

~ Delyth ~

Delyth n'avait rien dit à personne. Elle-même aurait aimé que sa situation avec Aron demeure secrète et quand bien même cela aurait été une erreur, elle aurait préféré être celle qui dévoile cette information plutôt qu'être prise sur le fait. Ce fut pour cette raison qu'elle ne dénonça pas le harcèlement d'Elyana.

Du moins, elle se laissa une nuit de réflexion pour songer à la démarche qu'elle allait adopter. La jeune Dryade ne pouvait nier que depuis qu'elle avait découvert ces lettres effrayantes, elle avait plus à l'écoute et plus attentive vis à vis de ses sentiments. Pourtant il ne s'était écoulé que quelques heures depuis sa découverte.

Encore maintenant, Delyth tentait d'amener Elyana de parler de la situation à ceux qui se faisaient du soucis pour elle. Assises en tailleur ensembles sur le lit de la Nymphus, Delyth écoutait ses explications.

- Ce ne sont que des mots... beaucoup de gens reçoivent ce genre de choses. Ce n'est pas parce qu'ils cherchent à m'atteindre que je les laisserai faire.

- Oui mais... tu vas vraiment bien, tu es sûre ?

- Evidemment. Dans le cas contraire, je te promets de venir chercher de l'aide, d'accord ?

- Bien... mais alors, permets-moi de réquisitionner ces lettres pour toi. Ne les lis plus, d'accord ? D'ailleurs, qui les envoient exactement, pourquoi s'en prendre à toi ?

Elyana réalisa que Delyth en savait très peu sur sa situation, elle en connaissait seulement la surface. Alors, elle voulut se confier.

- Comme tu le sais, celui qui m'a... c'était un satyre.

- Heu, la coupa Delyth. Si tu veux que ce soit confidentiel, écris-le moi. Même s'il ne dira probablement rien à personne, je ne doute pas un instant qu'un certain Vampiris écoute tout ce qu'il se dit actuellement dans cette chambre.

- C'est totalement faux ! hurla une voix masculine depuis le séjour.

La jeune rouquine fit un clin d'œil amusé à son amie pendant qu'elle soupirait en attrapant son bloc-papier pour y noter ce qu'il s'était passé. Le satyre, son arrestation et sa libération. Puis elle écrivit en bleu sur blanc que Cadeyrn et Camaël l'avaient vengée à leur manière.

- Qu'est-ce qu'ils ont fait, exactement ? s'étonna Delyth. Ils l'ont tué ?!

Elle se plaqua la bouche après avoir crié cela. Heureusement qu'Aron était le seul de la demeure a avoir une bonne ouïe. Il devenait de plus en plus difficile de sauvegarder un semblant de vie privée ! Après d'avoir perpétuellement un chaperon à ses côtés, la voilà obligée de taire ses paroles.

- La seule chose que je sais à propos de cette affaire, murmura Elyana, c'est ce qu'ils m'en ont dit.

- Et qu'est-ce que c'est ?

- Qu'il est maintenant dans l'incapacité physique de refaire ce qu'il a fait.

- Beurk ! Tu crois qu'ils ont vraiment...

Delyth mima des ciseaux à l'aide de sa main droite et fit mine de trancher un de ses doigts de la main gauche, sous le regard médusé d'Elyana. De manière tout à fait imprévu, cette imitation grotesque et écœurante à la fois les firent exploser de rire.

- Tu vas venir, pour m'aider à choisir mes meubles, pour ma future nouvelle chambre ? fit Delyth pour passer à un sujet moins glauque, qui distrayerait la Nymphus. Il serait temps que j'emménage dedans, et plus dans la réplique miniature de mon ancienne.

- Tu as déjà décidée à quoi elle ressemblerait ?

Un hochement de tête associé à son visage ravi lui répondit par la positive.

- J'ai envie de faire un croisement entre style industriel et californien. Du fer forgé, du bois, du cuir mais contrairement aux couleurs sombres ordinairement utilisées dans les styles industriels, je veux des nuances plus claires pour donner un côté romantique et bohème à l'ensemble.

- Heu... je te fais confiance pour trouver les perles rares ! ria Elyana, totalement perdue dans ce flux d'informations.

Delyth ne lui en voulait pas, peu de gens pouvaient se vanter de connaître aussi bien toutes sortes de styles décoratifs. Ainsi, dès l'après-midi, tous, hormis Camaël, partirent pour Londres où se trouvait un antiquaire qui était également un ami d'Aeddan.

Même Aron était là, étroitement surveillé par Caderyn. Le Vampiris était à son troisième jour sans avoir pris le sang de Delyth et cela le rendait légèrement sur les nerfs. Toutefois, la présence de Delyth le calmait bien même s'il ne pouvait nier qu'il avait aussi bien envie de sentir le gout de son plasma sur le bout de sa langue. Vu son état actuel, il était clair que l'Incubus avait bien fait de les empêcher de continuer à le rendre accro.

Ils atteignirent enfin la ville, leur voiture se faufilant parmi les autres véhicules. Toutefois, c'était en périphérie qu'ils se rendaient, un peu à l'écart d'un quartier plutôt malfamé qu'ils durent traverser. Ils ralentirent devant une rangée de murs en béton qui laissait apparaître des grilles en fer forgé noires qui formaient des piques à son sommet. En haut des murs bétonnés, des bris de verres avaient été encastrés, pour dissuader tout voleur malvenu d'entrer.

La voiture s'immobilisa face à la grille qui s'ouvrit dans un grincement métallique. Si Delyth était habituée à ce lieu atypique, les trois autres invités devaient être vraiment impressionnés. À peine la voiture passa l'entrée que la grille se referma derrière, les enfermant dans la propriété.

- C'est lugubre ! frissonna Aron.

- Plutôt ironique, venant d'un Vampiris, fit Elyana avec sarcasme.

- On ne vit pas dans les manoirs gothiques protégés par des murs de trois mètres, ronchonna Aron. Au cas où tu l'ignorerais encore, on ne craint même pas la lumière !

- Je plaisantais, fit Elyana en levant ses yeux au ciel. Idiot...

Aron serra la mâchoire mais ne répondit pas. Puis il croisa le regard désapprobateur de Delyth et se sentit étrangement bête d'avoir agit ainsi.

- Je suis désolé, Elyana.

- T'inquiète, tout le monde ne peut pas avoir le sens de l'humour.

Décidément, elle faisait tout pour le mettre en rogne ! Pourtant, il resta sagement calme et muet, sous le petit rire moqueur de Cadeyrn.

- Quand tu seras purgé de ma nièce, tu seras bien content de retrouver ta répartie, fit l'Incubus. Ça te fera même passer le goût du sang !

- J'en doute.

Aeddan immobilisa la voiture près de la maison, dans l'allée remplie de petits graviers grisâtres. En soit, au seul espace disponible sur toute la propriété.

Outre la maison en pierre au bout du chemin se trouvait des sortes de hangars en bois et la pelouse était couverte de statues et de vieilleries de toutes sortes.

Un homme corpulant à la démarche claudicante sortit de la porte d'entrée, les bras grands ouverts devant lui :

- Aeddan, vieux fou ! ria-t-il. Cela faisait bien longtemps que je ne t'avais pas vu, mon client préféré me manquait ! Tu es venu avec du monde, aujourd'hui ?

- Ils habitent tous chez moi... aucun ne sont humains, précisa le Draconis.

- Super ! Oh, Delyth ? Comme tu as grandit !

La jeune femme s'approcha de Teri, qu'elle connaissait depuis toute petite. Pourtant, ce fut la première fois qu'elle le voyait depuis le déclenchement de ses capacités. Ainsi, elle comprit seulement à ce moment-là qu'il n'était pas humain. Le plus étonnant pour elle fût de découvrir sa nature.

- Vous êtes aussi un Draconis, souffla Delyth, l'air émerveillé. Je croyais pourtant qu'ils étaient très rares...

- C'est bien le cas ! Nous sommes les deux, non, les trois seuls du pays, en te comptant.

- Vous avez quel âge ?

- Oh, pas aussi vieux que ton père, environ 800 ans, pas plus !

Elle ne savait pas quoi dire, s'il avait l'air de penser qu'il était jeune alors qu'il avait plusieurs siècles au compteur... c'était tout à fait déconcertant. Le nouveau Draconis salua les autres personnes et leur demanda ce qu'il pouvait bien faire pour ce petit groupe.

- Je restructure ma chambre ! annonça Delyth.

- Oh-oh, c'est bon pour mes affaires, ça !

Il entraina alors la jeune femme à travers les hangars, qui regorgeaient tous d'objets insolites, de meubles de tous styles et d'objets de décoration chinés on ne savait jamais où. Aeddan les suivait de près, scrutant lui aussi les moindres objets afin de voir s'il pouvait trouver quelque trésor à rapporter.

Rapidement, Delyth accumula les coups de cœur. En arpenta l'espace dédié aux meubles, elle choisit quelques vieux meubles en bois brut de couleur clair. Teri y déposait des post-it au fur et à mesure, pour les lui faire livrer dans le cours de la semaine.

Juste avant de quitter le premier bâtiment, la Draccubus se figea et fit volte-face. Puis elle contourna un amoncèlement de chaises et de tables, comme attirée par quelque chose... jusqu'à ce qu'elle tombe en face d'un objet à demi-enseveli et caché derrière de massifs cadres de lit en bois.

Il s'agissait d'un ouvrage en fer forgé de couleur crème, qui avait vieilli avec le temps. Pourtant, le travail de sculpture sur l'objet avait attiré l'œil avisé de Draconis de la jeune femme, qui ne put s'en détourner.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle en le pointant de son doigt.

- Tu as l'œil, ma chère. C'est un cadre de lit... il mériterait quelques petits soins mais c'est une belle œuvre. Il est plutôt imposant et large mais il est si bien ouvragé qu'il donne un effet délicat et romantique.

- Hu-hum, pas besoin de m'en faire son éloge, puisque j'ai déjà envie de le prendre. Il fera trop bien avec le reste !

Teri hocha la tête et y colla un papier rose en souriant à Aeddan.

- Ta fille va finir par te ruiner, mon vieux.

- Il en faudra beaucoup plus que cela pour vider mes réserves, le contra-t-il.

Si d'autres personnes pouvaient se sentir bien en faisant leur shopping et en choisissant leurs habits, Delyth avait toujours été attirée par les meubles, passion peut-être héritée de son père.

Elle réalisait alors que plus que les meubles, elle appréciait les souvenirs. Collecter des objets qui avaient une certaine importance pour elle. Par exemple, même si les autres ne voyaient qu'une vieille feuille morte dans sa boite à trésors, celle-ci était pour Delyth l'écho du temps qu'elle avait passée en compagnie de Kasper et de son attachement pour lui.

Elle réalisa que les Draconis avaient beau être friands de trésors, ils avaient chacun leur propre définition de leurs significations. Aeddan appréciait les beaux objets mais surtout ce qui était clinquant. Delyth n'avait même pas encore vu sa collection, qu'il gardait précieusement. Elle savait uniquement que cela représentait plusieurs tonnes d'or, de joyaux et d'objets tout aussi précieux. Où donc stockait-il tout cela ? Elle l'ignorait également et songea que son père était le maître des mystères et des secrets.

Soudain, alors qu'elle observait un miroir fissuré enchâssé dans un cadre doré, Delyth sentit une sensation étrange et sut que cela venait de sa nature de Succubus, sans parvenir à comprendre ce que cela signifiait.

Alors elle sortit du hangar, sentant que quelqu'un était en danger. A part Aeddan et Teri qui étaient près d'elle, leurs autres compagnons avaient disparus de leur vue. La voiture semblait vide, tout comme le chemin gravillonneux. Elle fouilla des yeux la pelouse, cherchant parmi les statues de marbre blanc un être doté de vie.

- Il y a un truc qui cloche, murmura-t-elle. Teri je crois que...

- Où sont-ils tous passés, ils visitent ?

- Non, je sens qu'il y a un problème.

Elle courut alors, tournant la tête dans tous les sens pour trouver ses deux amis et son oncle. Rapidement, elle fut imitée et les trois dragons se séparèrent pour fouiller la zone. Teri entra dans sa maison, comme pour veiller à ce que son trésor personnel soit intact, quel qu'il soit. Aeddan entra dans les hangars, les vérifiant les uns après les autres, criant les noms des trois absents de sa grosse voix gonflée d'inquiétude.

Mais ce fut Delyth qui les trouva, guidée par son instinct de Succubus. Elle savait que d'autres personnes avaient pénétré la zone et qu'ils n'étaient pas humains, bien qu'elle ignorait leur nature.

Elle courut jusqu'à en perdre haleine, contournant la maison. Une seconde grille en fer noir se trouvait là, mais elle était grande ouverte, une épaisse chaîne en maille se trouvant au sol.

- Lâchez-la ! rugit une voix au loin, que la rouquine suivie d'un pas silencieux.

Elle s'enfonça dans l'espace forestier qui bordait le domaine de Teri, veillant à ne pas écraser de branchages ou de feuilles mortes, ce qui était plutôt difficile. Elle espérait alors que les nouveaux arrivants n'étaient pas dotés de super-ouïe sinon ils avaient déjà dû l'entendre arriver.

Elle fut assez proche pour entendre toute la conversation puis fut également capable de voir la scène.

Un homme grand maintenait Elyana en plaquant son avant-bras contre son cou et deux autres hommes, armés de longs couteaux crantés, menaçaient Aron et Cadeyrn. Ces deux derniers semblaient découragés car toute tentative de s'approcher d'Elyana avait pour conséquence de voir un troisième poignard s'avancer du ventre rebondit de la Nymphus.

Devant cette scène à la violence gratuite et injustifiée, Delyth vit rouge. S'ils voulaient s'en prendre impunément aux membres de sa famille, ils allaient s'en mordre les doigts. Peut importe si l'ILIM venait réclamer son enfermement. Jamais elle ne les laisseraient s'en tirer aussi facilement, quelques soient leurs raisons.

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