Chapitre 12 : La Peste ou le Choléra ?
~ Solbritt ~
Ces derniers mois, les Lycanthropes voyaient peu leur Alpha. Il restait le plus souvent dans son chalet, enfermé à double tour dans son bureau. Il ne laissait même pas entrer Liv, qui était pourtant sa femme depuis maintenant vingt-deux ans.
Les seuls dont il acceptait toujours les contacts étaient Rolf, son premier Bêta et Nathan, son premier-né. Sa femme s'inquiétait et dépérissait à vue d'oeil au fil des jours. Elle sentait que l'attitude de son mari et chef n'était plus rationnelle. Son inquiétude troublait tous les Gammas et les Bêtas peinaient à maintenir la stabilité du groupe. En un mot, la Meute était devenue instable.
Les semaines avaient passé et les loups se demandaient ce qu'ils adviendraient d'eux. Chacun avaient eu l'occasion d'apercevoir leur Alpha, qui n'était plus que l'ombre de lui-même. La cicatrice qui couvrait la moitié de son visage déformait ses traits, le rendaient inconnaissable. Il refusait de voir Adrian, son fils de quatre ans et demi qui se languissait de lui. Le père qu'il était ne voulait pas faire face à ses yeux d'enfant qui le verrait comme un monstre, une obscénité.
Ces derniers temps, il sortait régulièrement de chez lui et faisait le tour de son territoire. Il avait commencé à revoir ses sujets, la précieuse Meute qu'il avait protégé au dépend de sa santé. Sous son pull couleur sable, il camouflait un bras mangé par les cicatrices de brûlures, qui s'étendaient de ses épaules à son poignet.
Les brûlures avaient causées de plus graves répercussions que l'aspect physique de son corps. Les capacités de son bras gauche avaient nettement été réduites, le laissant avec un bras faible, presque humain. Pour autant, il ne voulait abandonner son rôle et sa responsabilité d'Alpha.
Dans sa miséricorde, il avait décidé de garder Gilbert malgré sa trahison, car il savait se rendre utile et loyal comme nul autre. Sa femme, Ida, mettrait bientôt un louveteau au monde.
Mais cela ne le rendait pas heureux pour autant. Le bonheur l'avait abandonné depuis des mois. Il nourrissait une peur déraisonnable pour la personne qu'il tenait responsable de sa chute, ressentant une colère viscérale envers elle et son espèce. Delyth. Le Succubus.
Elle avait ensorcelé plusieurs membres de sa meute, contaminant leur raison. Comme une plaie gangrenée, sa présence avait rongée sa Meute. Il voulait qu'elle disparaisse. Encore aujourd'hui, alors qu'il avait interdit à tous de ne serait-ce que prononcer son nom, il savait qu'une multitude d'entre eux l'avaient encore dans leur esprit, son nom flottant sur leurs lèvres scellées.
Il devait parvenir à stopper cette putréfaction, même si cela revenait à se couper de quelques membres.
C'était pour cette raison qu'il avait appelé plusieurs Lycanthropes dans son propre salon. Pour la plupart de jeunes adultes, ils semblaient mal à l'aise devant lui. Son propre fils, Nathan, était là parmi eux.
Si Ulla, Jenny, Kerstin et Lukas semblaient curieuses de la raison qui les avaient amenées là, Markus et Faël avaient l'air vraiment mal à l'aise. Mais ils étaient toujours plus à leur place que Kasper, qui n'osait même pas asseoir sur les fauteuils couleur crème, de peur de les salir de ses vieux vêtements. Il avait pris place maladroitement sur un tabouret de bois, qui servait habituellement à supporter une plante en pot.
— Bien, fit Solbritt en se raclant la gorge, faisant sursauter quelques Lycanthropes effrayés.
Ils ne savaient la raison qui les avaient menées à une entrevue mais la plupart voyait cela d'un mauvais oeil.
— Savez-vous pourquoi je vous ai tous réunis ? demanda l'Alpha en sachant pertinemment qu'ils l'ignoraient.
Cette question, lancée innocemment, marquait simplement le début des hostilités. Voyant qu'aucun ne souhaitait répondre, mis à part en bredouillant un non inaudible, il leur expliqua lui-même :
— Il y a un peu plus de cinq mois, une personne incontrôlable et dangereuse est venue dans notre Village. Elle a charmée chacun des membres de cette Meute, persiflant son poison de Succubus et troublant nos jugements.
Tout le monde retenait sa respiration. Même Nathan, qui l'avait pourtant peu côtoyé, ne voyait encore en elle qu'une jeune femme perdue aux capacités incontrôlables.
— Cette... catin a presque massacré cette Meute, vociféra-t-il en crachant presque le mot catin. Je pensais, j'espérais que l'ILIM la maintienne enfermée. Mieux, qu'elle soit punie pour son crime. Malheureusement elle est de retour. Pire, elle vit à quelques kilomètres à peine, si bien que je serais presque capable de sentir ton ignoble odeur.
Les coeurs du duo Ka, Ma et Fa battaient à tour rompre. Qu'entendait-il par là, que Delyth était responsable ? Qu'elle avait sciemment tenté de détruire la Meute et ses habitants ?
— Il est nécessaire qu'elle soit hors d'état de nuire. Mais comme vous le savez tous, elle n'est pas seulement Succubus mais également Draconis. Après des jours de recherches, je suis parvenu à trouver les points faibles de ces... créatures, annonça-t-il, fébrile dans son delirium.
Les filles se jetèrent des coups d'oeils gênés, voire perdus, comme si elles ne comprenaient pas où leur Alpha voulait en venir de son monologue.
— Sa volonté, fit-il après une pause théâtrale. Si elle ne sent pas de menace de votre part, elle ne se protégera pas. Alors vous m'aiderez à la vaincre. Il n'y a que quand elle sera morte que notre Meute retrouvera sa paix d'antan. Vous avez un grand rôle à jouer, mes chers enfants.
Dans la salle, on pouvait presque entendre le souffle court de chacun. Même Nathan était abasourdi par le comportement fêlé de son père.
— Vous souhaitez sérieusement vous attaquer à un Draconis, après ce qu'il s'est passé la dernière fois ? demanda doucement Kerstin en haussant délicatement son sourcil blond.
— Ce n'est qu'à gage de revanche, répondit le dirigeant.
Ulla et Jenny, les mains tremblantes, n'osaient même pas ciller de peur d'attirer l'attention de leur Alpha. Comme personne ne parlait, l'Alpha ria à gorge déployée, devenant peu à peu l'incarnation de l'effroi.
— Je ne m'attendais pas à ce que vous acceptiez aussi vite, cependant, sachez que cette aide ne sera pas sans contrepartie. Nous aider à éliminer cette menace saura prouver votre valeur. Ainsi, si vous participez à sa chute, vous serez promu Bêta de la Meute.
Quelques murmures de surprise s'éleva de la salle. L'Alpha savait que l'un au moins serait tenté d'améliorer sa vie par ce moyen. Les Bêtas avaient plus de chance d'enfanter, pouvaient plus facilement voyager en rendant des comptes pour la Meute et étaient plus respectés. Ils avaient tout à y gagner. Toutefois, se fut des murmures de désapprobation qui fussent prononcés.
— Même toi, l'Oméga, pourras devenir Gamma, annonça-t-il en enfonçant le clou. Plus jamais quiconque ne t'importunera, tu deviendrais l'un des nôtres à part entière. Tu serais enfin intégré. Ne serais-tu pas tenter ? La vie d'une fausse amie de passage contre une famille qui t'acceptera...
Le regard de Kasper était de marbre mais ses lèvres levées en un rictus n'exprimèrent qu'une seule émotion : le mépris.
— Vous essayez de nous acheter pour que nous fassions de basses besognes. Je préfère encore quand vous me battez tous à mort. C'est tout aussi injuste mais j'en connais au moins la cause. Alors que Delyth n'a clairement rien à voir dans votre folie meurtrière. Elle ne reviendra pas, elle n'est pas une menace. Oubliez-la et vous pourrez trouver la paix.
Sans attendre son approbation, il partit en claquant la porte derrière lui. Tout le monde semblait abasourdi, hormis Markus et Faël, qui connaissaient déjà bien l'intelligence et le caractère de l'Oméga. Ils se levèrent alors en imitant leur ami.
— Sauf votre respect, murmura Faël, vous devriez peut-être penser à consulter.
Peut-être serait-il gravement puni pour autant d'affront, mais le peu de courage qu'il avait était galvanisé par deux choses. La première était la peur car son Alpha, celui qu'il admirait autrefois, semblait avoir perdu toute trace de raison. La seconde était Delyth, évidemment. Jamais il ne ferait quoi que ce soit qui puisse tourner en sa défaveur. Il préférait la savoir loin de lui et sauve que risquer de la perdre. À présent, il ne souhaitait plus la déranger, comprenant le risque que cela comprenait. Si Solbritt savait qu'il était en contact avec elle, la jeune femme garderait une épée de Damoclès indéfiniment au-dessus de la tête.
Attendant que son ami proche parle, Faël donna un léger coup de coude à Markus pour le sortir de sa torpeur muette. Celui-ci bégaya avant de se reprendre en se redressant de toute sa hauteur, pour se donner un semblant de prestance.
— Vous... nous décevez. Regardez comment vous agissez. Vous vous dites encore Alpha mais vous ne devenez rien de plus... qu'un tyran. Et je suis réellement triste de voir cela de mes yeux.
En effet, le Lycanthrope avait la larme à l'oeil, bien que ce fussent plutôt la peur d'avoir oser critiquer l'Alpha en face de lui.
— Nous ne faisons que dire ce que tout le monde pense tout bas, renchérit Faël avec davantage de force. Vous demandez aux plus jeunes et inexpérimentés de jouer aux assassins pour votre bon plaisir. Markus n'est même pas majeur, vous devriez avoir honte !
Faël fronça les sourcils et se retourna vers le reste des jeunes adultes de la pièce avec un regard implacable.
— Comptez-vous accepter ou voulez-vous sortir maintenant ? leur demanda-t-il d'une manière à la fois imposante et douce.
Comme un seul homme, les trois filles et Lukas se levèrent et passèrent la porte, sous le regarder désapprobateur de l'Alpha, qui gardait encore le silence. Ne restait plus que Faël et Markus, debout devant la porte et Nathan, encore assit. Celui-ci gardait les yeux vissés au sol, la tête entre les mains.
— Papa, fit-il finalement en levant son regard rougit en direction de son paternel, je vais devoir en parler à maman.
Voyant le regard larmoyant et hargneux du garçon, le duo de Lycanthrope fila pour laisser le père et le fils en tête-à-tête, refermant la porte derrière eux.
Nathan soupira en se levant. Quelques pas le portèrent devant son père aux joues creusées par la souffrance et le sommeil. Il s'accroupit devant lui dans une posture de soumission, lui saisissant les mains pour lui partager sa chaleur.
— Ce n'est plus possible de continuer dans ces conditions, murmura-t-il à son père. Avec Rolf... nous pensions que ton attitude allait aller en s'améliorant mais... je suis vraiment désolé, papa. Mais tu ne vas plus pouvoir garder ta place d'Alpha.
Il aurait aimé voir son père se lever, vociférer et déclarer que tout n'était que foutaises, qu'il prouve qu'il agissait pour le bien de sa Meute, même si son point de vue était faussé. Mais il se contenta de regarder dans le vide, droit devant lui.
— Papa, regarde-moi, chuchota Nathan avec un sanglot dans la voix. Tout le monde est partit, je suis là.
Solbritt glissa ses yeux dans la direction de son fils qui, de près, pouvait apercevoir la voilure de son œil gauche, qui ne voyait presque plus.
— Alors... la tueras-tu pour moi ? le supplia son père. Le feras-tu, pour m'aider ?
Nathan laissa filer une larme solitaire avant de reprendre le dessus sur sa déception.
— Papa, souffla-t-il, totalement déboussolé. Papa... Faël a raison. Tu as besoin d'être aidé. Peux-tu accepter de me laisser t'aider ?
Son père le fixa intensément et le saisit par les épaules, le secouant légèrement d'avant en arrière.
— Mais c'est ce que je te demande, fils ! Aide-moi et tue la fille ! Sauve ton père ! hurla-t-il en voyant que son fils ne faisait rien. Va la tuer tout de suite !
Comme si le barrage de sa raison avait cédé, il se mit à hurler comme un damné avant d'empoigner les cheveux de son fils de sa main droite. Il resserra sa prise et envoya sa tête percuter le sol dans un grand bruit sourd.
— Écoute-moi quand je te parle, hurla-t-il encore à Nathan qui gisait au sol. Obéis-moi, tu es mon fils !
Il se jeta sur lui et balança des coups de poings sur le pauvre garçon qui tendait de protéger son visage de ses avant-bras. Un son de déchirure laissait croire que son père venait de lui casser le bras. Le sang qui coulait de son front et de son nez coulait dans ses yeux.
Dans un fracas, Rolf et Liv surgirent de la porte. Olivia hurla avant de se jeter sur son mari, tentant de l'éloigner de son fils. Celui-ci, pris dans sa folie meurtrière, la repoussa en la frappant de son coude. Frappée en plein visage et étant bien plus faible, Liv alla s'écraser le dos sur la table basse. Rolf était déjà sur Solbritt saisissant ses deux coudes, il le tira en arrière, laissant le temps pour Nathan de se relever et d'aller au secours de sa mère.
Solbritt et Rolf luttait contre la porte, bloquant la sortie de leurs corps musculeux. Nathan, voyant que son père ne lâchait pas l'idée de le frapper, attrapa sa mère dans ses bras et sortit par la porte-fenêtre qui menait au balcon. L'air était frais et le sol se trouvait à environ deux mètres, rien d'insurmontable pour un Lycanthrope.
— Je saute d'abord et tu sautes pour que je te rattrape, d'accord maman ?
Elle hocha la tête, encore un peu désorientée mais toujours consciente et capable de marcher. Il la déposa rapidement sur la balustrade avant de sauter dans le vide. Il ratterrit lourdement mais se releva en vitesse pour réquisitionner Liv. Déjà, Solbritt traversait le balcon.
— Maman, saute ! cria Nathan en alertant les membres de la Meute du même coup.
Liv se laissa tomber les bras écartés, les yeux à moitié fermés. Son rôle de main droite de l'Alpha avait toujours été une question de persuasion et non de force. La délicate n'avait pas la carrure pour se défendre face aux cent kilos de muscles qui continuaient à les poursuivre, ni à s'en tirer en sautant de plusieurs mètres sur un sol aussi dur. En soit, Liv était un Lycanthrope très faible, aussi faible que l'était un humain, si ce n'est que ses réflexes et ses sens étaient extraordinairement développés.
Elle sauta des bras de son fils, lui saisit la main et se mit à détaler à une allure folle qu'il peinait à suivre.
Rapidement, les Bêtas et les Gammas avaient envahit la place du village où chacun put voir Solbritt, ivre de rage, les poings en sang, pourchasser sa propre femme et son propre fils.
Son image en tant qu'Alpha venait d'être définitivement dégrader aux yeux de ses membres. Bien conscient de cette réalité, cela ne fit qu'exacerber sa rage. Il laissa ses traites, Liv et Nathan, le fuir et se retourna pour faire face à celui qui fut son bras droit.
Rolf.
Ils se jaugeaient, se faisaient face. Autour d'eux, le silence se fit. Chacun avait compris. La personne chargée de s'occuper des louveteaux les éloignèrent en vitesse, emportant les petits avec elle, le plus loin possible de ces deux mâles en soif de sang.
Tout le monde le savait. D'ici quelques heures, la Meute comptera une veuve et deux orphelins. Si Rolf triomphait, Liv serait seule avec Nathan et Adrian. Mais si Solbritt gagnait ce combat, Inge demeurerait mère célibataire, devant s'occuper seule de ses jumeaux, Klara et Emil, qui n'avaient que deux ans.
Dans tous les cas, le sang coulerait ce soir. Dans tous les cas, ce combat allait avoir des répercussions énormes au sein de leur Meute.
Oui, tout le monde le savait. Mais personne ne pouvait rien faire.
Rien.
A part reculer pour éviter de devenir un dommage collatéral du combat qui s'annonçait sanglant.
Se tournant autour depuis un moment, les deux Lycanthropes, à présent sous leur forme de loup, les deux opposants se jaugeaient.
Puis enfin, ils se jetèrent sauvagement l'un sur l'autre, arrachant des cris terrifiés à la foule.
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