Chapitre 11 : La Bonne Nouvelle
~ Faël ~
Tous les jours, Faël se rendait à son lycée. Et tous les jours, il harcelait son ami afin de savoir s'il avait reçu des nouvelles. Comme de coutume, il ne cessait de lui répéter :
" — Non, pas encore. Promis je te le dirai quand ce sera le cas !"
Ce qui avait tendance à mettre le Lycanthrope sur les nerfs. Le peu de discussion qu'il avait surpris lui avait fait penser que Delyth était sortie de son exil à l'ILIM. Cela était récent, toutefois Faël se questionnait : pourquoi ne répondait-elle pas ? Il y avait à cela beaucoup d'hypothèses mais il ne voulait pas être encore plus parano et suspicieux qu'il ne l'était déjà.
Il n'était que mardi, pourtant la fatigue s'était déjà emparée de lui. Dans son sac à dos, on pourrait entendre s'entrechoquer des morceaux de bois taillés au moindre de ses pas. Il accéléra la cadence pour rattraper son ami.
— Hé, Charly, je suis désolé mon vieux ! s'excusa-t-il. Je suis déjà bien reconnaissant pour ce que tu fais pour moi. D'ailleurs...
— Quoi, soupira Charly, ne me dit pas que tu as encore une « livraison spéciale » pour moi ?
Le sourire embarrassé de Faël répondit à sa place.
— C'est un tout petit coli, je te le promets !
— Petit ou non, ça coûte une blinde de les faire poster. Les bouts de bois, même petits, sont vachement lourds !
— Ne fais pas ton mauvais bougre, tu n'es pas obligé de payer un coli, simplement d'aller le déposer !
Charly roula des yeux avant de tendre la main. Son ami, et professeur particulier à mi-temps, lui confia un sac plastique en mauvais état remplit de petits objets marrons.
— Quoi ? Après les poupées en bois, tu t'es mis aux échecs ? demanda Charly.
— C'est pour mon beau-père. Il y joue sur une tablette, mais rien ne vaut le jeu d'échec sur plateau. Je te donnerai le plateau quand je l'aurais fini, d'ici demain ou jeudi.
— Ok, mais alors je ferai ta précieuse livraison ce week-end, pas avant.
— Tu es le meilleur, cria-t-il avant de le serrer dans son bras, lui écrasant à moitié le visage. Aller, aller, il reste une heure avant la fin des cours, je t'aide à réviser pour l'examen d'histoire ?
Le jeune homme avait bien besoin de réviser mais n'en avait jamais la motivation. Faël devait constamment l'encourager pour ne serait-ce que parvenir à lui faire ouvrir un cahier. Pourtant, c'était lui qui l'avait supplié de devenir son professeur particulier, dès qu'une heure libre se présentait dans leur emploi du temps respectif.
Moins de vingt minutes plus tard, les cheveux noirs de Charly formait une auréole autour de sa tête, posée à plat sur un livre. Il se redressa en grognant.
— Pourquoi y-a-t-il autant de noms, de dates et d'événements à retenir ? Si au moins les histoires que l'on apprenait étaient intéressantes ! se plaignit-il.
— Mais elles le sont, c'est juste que tu n'as encore rien apprit, espèce de paresseux.
Il parcourut les pages des yeux, survolant les longs paragraphes de ses yeux noirs, avant de recoller son front dessus en râlant.
— Dire que mes parents veulent que je fasse médecine. Médecine ! Je ne comprends déjà rien aux cours d'histoire alors que c'est la matière où j'ai la meilleure moyenne. Ça craint, je n'aurais jamais mon bac.
— Mais si, tu auras ton bac ! Par contre, l'école de médecine...
Comment annoncer à quelqu'un qu'il n'avait aucune chance de tenir ne serait-ce qu'une semaine dans un cursus qui ne lui allait absolument pas ?
— Ben, c'est mal barré. Pourquoi tes parents veulent que tu fasses médecine, au juste ? Toi, tu aimerais faire quoi ?
— Je ne sais pas, ils sont peut-être accro aux clichés. Tu sais, les gosses asiatiques forcés de suivre la filière de médecine ? Tu crois que si je fais débrider mes yeux, ils perdront l'envie de contrôler mon avenir ? demanda-t-il avec espoir, entraînant le rire de Faël.
— Aucune idée, mais ce n'est pas parce que tu as des origines asiatiques d'on ne sait où que tu as un talent pour les études scientifiques. Amène-leur tes résultats de l'année dernière, ils seront si dépités qu'ils changeront d'avis !
— Ils vont surtout m'envoyer dans une école préparatoire où je me ferai massacrer ! Moi, j'aimerai faire des jobs d'été toute ma vie. Bosser dans de petites boutiques, rencontrer plein de gens.
Tandis qu'il exprimait ses idées d'avenir, il triturait son stylo-bille entre ses mains agiles, le faisant tournoyer encore et encore. Puis du bout du bouchon, il se gratta la tempe où tombait une mèche de ses cheveux.
— Tu en penses quoi ?
— Vu ce que tu dis, tu pourrais t'orienter soit vers le social, soit vers une école de commerce. Parles-en à Monsieur Jaris, le conseiller d'orientation. Il aura plein d'idées d'écoles pour toi et pourra t'expliquer comment t'organiser.
Le son de la cloche interrompit sa phrase et les deux garçons rangèrent leurs affaires en vitesse. A tous les coups, Nathan était déjà devant, dans la voiture, à attendre Faël. Le Lycanthrope salua son ami avant de courir rejoindre le parking. Il faisait attention à ne pas être vu en compagnie de Charly, de peur d'être encore plus sous surveillance.
Une fois encore, le trajet jusqu'à la Meute se fit en silence. Mais un peu avant d'arriver, Faël se sentit galvaniser de manière imprévue. Il sentait une présence, celle de son amie qu'il n'avait pas vu depuis si longtemps. La présence était lointaine et faible mais bien là. La voiture traversa la route lentement, pour ne pas se prendre de gravillons dans les vitres. Alors qu'un bus arrivait face à eux, Faël resta le souffle court. À travers la vitre il aperçut un visage blanc encadré de cheveux roux, sans parvenir à déceler son visage.
L'étroitesse de la route obligea le bus à ralentir sa course. Alors que la voiture de Nathan frôla le véhicule, les cheveux roux balèyerent la vitre en un mouvement brusque. Les yeux de Faël étaient fixés sur sa meilleure amie, sans cligner des yeux, les faisant s'embuer. Cela ressemblait à une torture de la voir enfin sans pouvoir lui parler, sans même qu'elle m'aperçoive. Mais le cours d'une seconde où elle pivota brusquement, comme si elle avait remarqué son regard, et ses yeux verts se plantèrent dans ceux de Faël. Puis le bus accéléra en les dépassant.
Une fraction de seconde, voilà tout ce qu'ils avaient partagés. Il avait pu observer son visage désemparé, sa bouche ouverte et ses yeux écarquillés. Il avait juste eu le temps de remarquer ses traits creusés et les cernes sombres qui soulignaient ses yeux fatigués. Il avait détesté ce qu'il avait vu et en même temps il en avait tant rêvé.
Il l'avait vu, vivante, libre. Pour l'instant, c'était tout ce qui importait. Aussi, quand la voiture se gara aux abords de la forêt, Faël ne perdit pas de temps et partit en courant. Non pour retourner voir la belle rousse, mais pour rejoindre Markus et Kasper. Il avait enfin quelque chose d'utile à leur dire, après tous ces mois d'attente interminable !
Il passa la grille de l'entrée en saluant vaguement Per et coupa à travers bois pour rejoindre le cabanon de Kasper. Il sauta au-dessus des ronces qui s'accrochait à lui et bondissait au milieu des fourrés en contournant les pins et les quelques chênes. Enfin, il aperçut un ruisseau et ralentit l'allure devant la petite maison en bois vieilli. Kasper était assit par terre, adossé confortablement à son chalet.
— Ka, souffla Faël, où... où est Ma ?
— Tu as perdu ton flair ? demanda le blondinet en sortant de la maisonnette.
— Non, trop préoccupé pour renifler, contra-t-il. Je l'ai vu !
Devant la mine interrogatrice mais non choquée de ses amis, Faël s'agaça.
— Je vous dis que j'ai croisé Delyth !
— QUOI ? Mais fallait le dire plus tôt ! s'énerva Markus.
Kasper gardait le silence, attendant le reste des informations. Faël leur décrivit leur «rencontre», à travers les vitres des deux véhicules. Il jura avoir croisé son regard, bien que ce ne fusse que l'espace d'un instant. Les deux Lycanthropes étaient suspendus à ses lèvres, se délectant de la moindre information.
— Comment avait-elle l'air d'aller ? demanda Kasper avec hésitation.
L'appréhension lui rongeait l'estomac. Avait-elle l'air heureuse, bien qu'elle soit séparé d'eux ? Ou au contraire, ne ressemblait-elle qu'à l'ombre d'elle-même ? Les deux perspectives l'effrayait.
Il espérait qu'elle aille bien, qu'elle ait l'air de transpirer le bonheur, tout en ayant peur qu'elle ne les ai oubliés sans le moindre remord. Après tout, elle avait deux natures : entre les Draconis qui tendaient à être solitaires pendant des centaines voire des milliers d'années et les Succubus qui ne s'attachaient jamais à personne, il ne pouvait espérer que Delyth les attendrait éternellement. Un jour ou l'autre, elle tournerait la page pour rendre sa vie plus facilement vivable. Et ce jour-là, il ferait tout pour ne pas lui en vouloir.
Pourtant, quand il imaginait l'inverse, ses intestins se tordaient davantage. Et si elle ne pouvait les oublier, à quoi ressemblerait son quotidien ? Il la savait assez entourée pour ne pas se laisser dépérir mais il ne faisait pas confiance aux autres : Delyth savait trop bien jouer la comédie et faire semblant d'aller bien, même quand sa vie tombait en morceaux. C'était à cause de sa tendance à cacher ses réelles émotions qu'elle avait bien failli lui lâcher dans les bras, quand il avait voulu fuir la Meute.
Non, Kasper ne faisait confiance à personne pour veiller convenablement sur elle, il n'aurait de cesse qu'au moment où il jugerait de ses yeux son état. Toutefois, en attendant, il ne pouvait compter que sur Faël pour le connaître.
— Eh bien, parla enfin le jeune Lycanthrope, elle avait l'air sacrément choquée de me voir, vous auriez vu sa tête ! Mais... elle ne me paraissait pas très en forme.
— Comment ça ? Donne-nous des détails ! exigea Kasper en grognant.
— Les traits tirés, des cernes sombres, elle a beaucoup minci. Elle semble mal dormir mais elle est visiblement assez en forme pour reprendre les cours, c'est bon signe ! déclara Faël d'un air faussement enjoué, comme s'il tentait de s'auto-persuader.
La seule réaction de Markus fut de s'asseoir contre le chalet pour plonger dans ses réflexions. Kasper s'était déjà levé pour arpenter le chemin terreux recouvert de feuilles mortes qui craquaient sous ses pieds nus. Quand il ne parvint pas à se calmer, trop agité par l'inquiétude, il balança son poing dans la bâtisse qui sembla gémir en protestant, son bois grinçant désagréablement.
— Qu'est-ce que vous fichez encore ici, vous ? cria une voix imposante quelques instants plus tard, les faisant sursauter tous les trois.
Faël lâcha la planche de bois qu'il frottait distraitement par habitude, avant de se tourner vers le Bêta imposant. Rolf faisait une bonne tête de plus que les jeunes adultes et il faisait facilement le triple de leur carrure. Même Markus, qui était plus musclé que ses deux amis, paraissait maigre comme un cure-dent à côté de lui.
— On vous a dit d'arrêter de fricoter avec cet Oméga, accusa-t-il. Vous avez des obligations en tant que Gammas, alors venez aider aux corvées avant que ce ne soit Solbritt lui-même qui vienne résoudre le problème.
— Bien sûr, fit doucement Markus, on arrive tout de suite.
Il partit directement sur le chemin qui menait au lac pour se rendre au Village. Solbritt allait encore être furieux et c'était Kasper qui risquait gros dans cette affaire. Pour sa sécurité, les deux Gammas évitaient de contrarier leurs supérieurs hiérarchiques, acceptant toutes les plus insalubres des corvées pouvant leur permettre de passer leurs soirées ensemble dans les bois au contact de l'Oméga.
— Toi, déclara Rolf en pointant Kasper de son énorme doigt, ne fais rien d'inconsidéré. Ce serait mieux pour tout le monde si tu savais rester à ta place.
Faël tapota l'épaule du géant pour reporter son attention sur lui, bien que le regard agressif qui lui rendit le figea sur place. Comment Kasper pouvait-il être soumis à ce genre de traitement sans jamais fléchir ? Le jeune Lycanthrope, lui, était totalement figé par les hormones détestables que diffusait l'armoire à glace qui lui faisait face.
— Solbritt va se demander ce que nous faisons, fit Faël d'un sourire crispé, légèrement tordu par la peur.
Maladroitement, il contourna le Bêta pour rejoindre le chemin et Markus, qui jetait des petits regards nerveux en arrière. Rolf n'avait toujours pas bougé d'un poil et leur angoisse croissait. S'il décidait de s'en prendre à Kasper, ce qui risquait fortement d'arriver, ils seraient incapables de l'arrêter. Non qu'ils n'en auraient la force, quoi qu'ils en doutaient, mais ils seraient probablement battus aussi. Dans le pire des cas, Solbritt pourrait bien décider de remplacer leur Oméga. Battre un loup faible comme Kasper à mort devait être un jeu d'enfant pour lui, et il n'aurait qu'à piocher entre Markus et Faël pour désigner le nouveau souffre-douleur de la Meute. Alors, les deux Lycanthropes se hâtèrent de rejoindre le centre du Village et d'aider les autres Gammas, se persuadant qu'en le faisant, ils réduisaient le risque que leur ami soit battu, blessé ou tué.
Du moins, peut-être n'était-ce là que leur instinct de survie qui parlait. Tandis que l'un perdait la tête à devoir veiller sur une troupe de louveteaux infatigables et que l'autre lavait une montagne de vaisselle sale dans la cuisine commune, ils ne risquaient pas grand-chose. Pire, ils étaient soulagés. Ils avaient beau apprécier Kasper, pour rien au monde ils n'auraient souhaités être à sa place. S'ils tendaient bien l'oreille, ils pourraient presque entendre les gémissements de douleur de l'Oméga.
Et tout n'allait pas aller en s'arrangeant, ils le savaient tous.
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