Chapitre 1 : Le Parfum de la Vérité

Le centre psychiatrique était loin derrière elle. Delyth avait quitté sa pièce blanche et fonctionnelle après sa discussion avec son père sur le feu vert d'un médecin, une Vampiris aux cheveux grisonnants qu'elle ne portait pas dans son cœur. Pourtant, elle n'avait pas quitté l'ILIM pour autant. Elle avait simplement changé de service, d'étage. Cette fois-ci, la fenêtre était réelle, pas seulement un écran déguisé qui faisait défiler un beau temps idéalisé. Non, Delyth avait quitté les étages inférieurs. Elle pouvait profiter du mauvais temps londonien. Ses nuages gris, son humidité, son fin crachin d'automne. Car l'été était bel et bien fini, envolé, tout comme sa dépression passagère -qui avait tout de même duré huit semaines consécutives.

Durant les mois qui suivirent, ses seuls contacts furent avec Aeddan et Cadeyrn. Quand elle acceptait leur présence c'était uniquement quand ils lui apprenaient à canaliser ses dons. Cadeyrn était plutôt un piètre professeur mais Delyth apprenait vite. Et puis... elle n'avait que les entraînements à faire de ces journées. L'ILIM et la communauté des Monstres toute entière ne pouvait se permettre de relâcher une personne trop instable dans la nature, seulement en espérant qu'il n'y aurait plus de problème. Non, Delyth était surveillée, entraînée jusqu'au moment où l'institut déciderait qu'elle serait prête à affronter de nouveau le monde des humains.

Aeddan, son père, lui avait enseigné la canalisation du feu de son corps du niveau supérieur, encore choqué que sa fille soit capable de faire bien plus qu'une flammèche. Mais lors de cette terrible soirée, il avait apprit qu'elle avait déjà les capacités d'un Draconis adulte. Ce qu'il avait mis des centaines d'années a acquérir, elle parvenait déjà à le faire.

Delyth se plaignait parfois de sa vie en captivité. Néanmoins, elle devait rester le temps de maîtriser pleinement ses pouvoirs. Du moins, c'était ce que lui répétait Catherine quand elle venait lui rendre visite. La pauvre avait eu des problèmes après leur expédition jusqu'aux salles d'interrogatoire de l'ILIM. Cependant, la Goule n'en montrait rien, tentant surtout de changer les idées à la Draccubus. Elle avait beau avoir la trentaine bien tassée, Delyth voyait en elle une amie, dépassant la barrière des générations.

Petit à petit, au fil des semaines, Catherine lui redonna goût au rire et à la légèreté d'une amitié entre filles. Du haut de ses trente-quatre ans, la Goule avait encore le goût des amourettes de jeunesse. Elle parlait sans cesse du Lycanthrope Thomas Miller, qui était son voisin de palier au travail. Mais Cath avait beau lui faire du rentre-dedans quotidiennement, le loup demeurait insensible à ses charmes.

― Même quand il prend son expression répugnée, il est si beau, aimait lui dire Cath. Mais le mieux, c'est quand il me fusille du regard, oh la la, j'en ai des palpitations. Il le sait très bien, le fourbe, s'il continue c'est forcément qu'il sait qu'il me plaît et qu'il en est satisfait, non ?

Delyth adorait entendre ses petits monologues d'amoureuse transie, s'imaginant sans mal le regard désespéré de Miller. Quand elle parlait ainsi avec son amie, elle oubliait où elle se trouvait. La rouquine n'était plus en psychiatrie, ayant quitté l'étage-hôpital depuis un moment. En revanche, elle était toujours enfermée, en sursis. Parfois, elle se questionnait : cet endroit était-il réellement un centre de réinsertion pour Monstres ? N'était-elle pas en prison ? Après tout, elle n'avait plus le droit d'approcher des humains.

Perdue dans ses pensées, elle n'entendit pas les coups donnés à la porte close de sa chambre. La personne insista, donnant des coups plus forts qui finirent par sortir Delyth des souvenirs qui hantaient sa mémoire.

― Oui ?

Catherine entra sans s'annoncer, un grand sourire aux lèvres. Malgré tout ce qui était arrivé, elle gardait perpétuellement une bonne humeur. Certains jours, Delyth se laissait contaminer par sa joie et sa positive attitude. Cath était une sorte de mini-soleil ambulant, extravagante et difficile à supporter à haute dose, mais qui devenait vite indispensable à votre vie quotidienne.

― Ma belle, le grand jour est arrivé !

― Hein, je vais sortir de ce trou ? demanda la rouquine, hystérique.Combien de temps s'était-il passé, depuis la cellule psychiatrique ? Des semaines, voire des mois ? Les journées semblaient si répétitives et sans autre repaire que l'apparition et la disparition du soleil qu'elle ne savait plus le jour qu'il était, ni même le mois.

― Exactement, mais seulement si tu réussis les tests avec succès ma poulette ! Vas donc montrer à ces septiques que tu sais maîtriser tes pouvoirs, à présent.

Delyth serra la mâchoire. Il était vrai qu'elle comprenait mieux ses dons, pouvant aisément les endiguer ou les faire s'épanouir sur sa simple volonté. Elle espérait que ce serait toujours le cas quand elle aurait un public. Sa nervosité pouvait jouer en sa défaveur.

Toutefois, il n'était pas question de défaillir. Elle comptait réussir leur test minable haut la main et pouvoir enfin retourner chez elle.

― Ils veulent que je passe leur examen quand ?

― Dès que tu es prête, le plus tôt sera le mieux.

― Maintenant ? demanda la jeune femme.

― J'espérais que tu dirais ça, ria Cath. Allons griller du Vampiris !

Delyth se laissa emporter par son exubérante amie jusqu'aux étages inférieurs.

― Pourquoi, il va y avoir des Vampiris là-bas ?

― Ben, disons que c'est l'espèce la plus proche de ta nature de Succubus, enfin à part ton oncle mais son jugement à lui est... légèrement biaisé, enfin tu vois !

― Ils vont quand même pas demander à la psy de venir, hein ? Cette femme me colle les jetons !

Cath ria avec entrain.

- Sadie, venir assister à une démonstration de force ? Oh, ça non ! Ce n'est même pas une Vampiris de sang-pur, elle serait incapable de juger tes pouvoirs. Aron, par contre...

― Oh par pitié dis-moi que c'est une blague ! grimaça-t-elle en s'arrêtant devant la salle d'entraînement où aurait lieu son examen.

― Mais si, chère Delyth, chantonna une voix d'homme d'un air doucereux. Nous allons bien nous amuser, ensemble, tu verras. Oh, et compte sur moi pour te faire sortir de tes gonds...

Aron disparu dans la pièce après un clin d'oeil lancé à son égard.

― Vivement que je parte d'ici.

― Ma belle, je rêve de t'entendre dire ça depuis des mois !

La Draccubus poussa la porte pour rentrer dans une salle immense où résonnait chacun de ses pas. Le plafond était vraiment haut, d'autant que la pièce était gigantesque. Les murs semblaient renforcés dans un métal sombre et solide à la fois. Delyth espérait sincèrement qu'il était à l'épreuve de son feu.

― Mon cher Thomas ! s'écria tout à coup Cath avec la voix d'une adolescente guillerette, nous sommes arrivées !

― Pauvre homme, murmura Delyth en voyant sa mine profondément horrifiée. Il ne peut pas s'échapper !

Cath gloussa en faisant un clin d'oeil amusé à son amie. Visiblement, ce matin, tout le monde clignait des yeux ! Puis la jeune femme sentit des présences avant de les apercevoir. Dans un mouvement souple, elle se retourna pour croiser le regard de son père, immobile dans un coin de la vaste salle. Cadeyrn était là et -oh, surprise !- Elyana l'avait aujourd'hui accompagné. Mais cette fois-ci, elle était dans la même pièce que Delyth et non mise à l'abri quelque part, ailleurs.

― Je suis contente de vous voir ! fit Delyth en les serrant tour à tour dans ses bras.

Quand vint le tour d'Elyana, elle marqua un temps de surprise évident pour tous.

― Wah, s'exclama-t-elle, tu es vraiment énorme.

Delyth avisait son gros ventre rebondit, qui ressemblait à peu de chose près à un ballon de baudruche près à éclater.

― Mais tu es radieuse ! se reprit-elle enfin. Ta fille a l'air en pleine forme !

Elyana souriait, sans même se vexer. Après tout, elle avait raison, son ventre était énorme. À un tel point où c'était Cadeyrn qui devait lasser ses chaussures, car elle ne pouvait atteindre décemment ses pieds avec ses mains, son bidon au milieu de la trajectoire. Parfois, elle tentait de se contorsionner en usant de mille postures tordues mais cela en devenait usant, à la longue, surtout que Cadeyrn était toujours ravi de se rendre utile.

Au départ, Elyana l'avait trouvé distant, ayant même eu peur qu'il ne cherche à partir. Mais tout avait changé, le pétage de plomb de Delyth dans la forêt avait changé leur relation pour de bon. En même temps, la nièce de son protecteur avait réussi l'exploit de carboniser sa maison. Depuis qu'elle était à la rue, Elyana avait appris l'humilité. Elle attendait avec impatience la tête que fera Delyth en apprenant la nouvelle. À vrai dire, bien que ce ne soit pas si drôle, Elyana souriait en y pensant. Oui, sa maison avait été brûlée, celle où elle avait les souvenirs de son père adoptif Vampiris, ses affaires et sa vie. Mais elle en avait été soulagée. Refaire sa vie en partant de rien, tout remettre à neuf, voilà ce qu'elle avait désiré. Le destin ou éventuellement même les Dieux l'avaient peut-être aidée de cette manière détournée.

― Delyth ! appela Thomas, coupant la conversation animée de la jeune femme et de sa petite et étrange famille.

― J'arrive ! fit-elle à son intention. Elyana, pitié, reste bien loin de moi. Je ne te ferai rien, mais t'avoir trop près va trop me stresser.

― Stop ! Delyth, nous avons tous confiance en toi. Tu vas assurer. N'est-ce pas, Cad ?

― Évidemment. Tu vas tout défoncer ! Enfin non, tu ne vas rien défoncer du tout.

Cadeyrn se frappa le front, mal à l'aise et finit par fixer la pointe de ses pieds, ses chaussures de cuir noir paraissant subitement d'un intérêt capital.

― J'ai compris, t'inquiète ! ria Delyth en allant rejoindre Thomas Miller qui s'impatientait.Elle espérait sincèrement qu'elle n'allait pas tout défoncer. Dans le cas contraire elle devrait dire au revoir à sa liberté.

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