Chapitre 14 [partie 2]

Une voiture roule à toute allure. Elle double une clio, la klaxonne. Elle éclabousse un piéton, l'ignore et accélère encore. Sur cette petite route de ville, la voiture dépasse largement les 80km/h. Ses pneus crissent sur le goudron. Le conducteur ouvre la fenêtre pour jeter un mégot de cigarette sur le trottoir. Puis il disparaît dans l'horizon, ne laissant de lui que l'odeur infâme de la fumée qui s'est échappé de son moteur.

- Alors c'est à ça qu'on ressemble, de l'extérieur ? pense Minho.

Il essore son pull imbibé d'eau boueuse en grinçant des dents. Il regrette que Jisung ne soit pas là. Il adorerait demander à son petit ami de figer ce chauffard avec ses pouvoirs pour qu'il puisse lui faire passer l'envie de l'éclabousser une nouvelle fois. Mais il est seul alors il se contente d'essuyer l'eau sale sur son visage.

Il est parti il y a un petit quart d'heure de l'appartement. Les autres ont tout fait pour l'inciter à rester mais il n'a rien écouté. Dès qu'il s'est remis de ses émotions en arrivant, il a filé dans sa chambre pour préparer un sac avec toutes ses affaires. À travers sa porte, il a entendu Jisung expliquer la situation d'une voix tremblante. Changbin est venu le voir en lui tendant un petit morceau de papier sur lequel était inscrit l'adresse de son père. Il lui a conseillé d'y loger le temps qu'ils trouvent une solution.

Minho n'espère pas de solution. Il n'espère rien. Il ne pense rien non plus. Son esprit est vide et son cœur souffre. Il veut juste occuper son corps pour ignorer le trou béant dans son âme. C'est la raison pour laquelle il a refusé que Chan le dépose en voiture chez monsieur Seo. Marcher lui permet de détourner son attention de la situation.

Alors depuis quinze minutes, il marche. Il se laisse guider par ses pas, prenant des détours, retournant sur ses traces pour prendre une nouvelle direction. À ce rythme-là, il ne sera pas arrivé avant la tombée de la nuit. Mais il s'en fiche. Il n'a pas peur de cette ville. Elle a été son terrain de jeu pendant près de deux ans. Deux années ininterrompues à chasser des monstres pour protéger cette ville dans laquelle il a grandi, pour au final tout abandonner maintenant.

Une goutte tombe sur son épaule. Puis une deuxième. Il lève la tête. Une goutte tombe sur le bout de son nez, éclaboussant ses joues et dégoulinant sur ses lèvres. Il pleut. En quelques secondes, l'averse s'est déclarée. Il soupire et hésite à enfiler sa capuche. Il est déjà trempé, à quoi bon ?

Il aurait préféré qu'il neige. Mais c'est peut-être trop demandé pour le mois de novembre. Il hausse les épaules. Cela fait plusieurs années qu'il n'a pas neigé pour Noël alors pour novembre... Il se fige. Cela vient de le frapper, d'un coup, sans prévenir : Noël. Il ne le fêtera pas avec ses amis. Ils ne célébreront pas Noël ensemble, dans leur appartement, comme ils avaient l'habitude de le faire. Bien-sûr les garçons pourraient l'inviter, mais ce ne serait pas pareil et Minho n'est pas sûr qu'il accepterait la proposition. Revenir dans cet appartement en tant qu'invité serait trop douloureux.

Il secoue la tête. Il ne faut pas qu'il se projette aussi loin. Pour l'instant, son seul objectif, c'est de trouver un endroit où s'abriter en attendant que l'averse ne passe. D'immenses flaques se forment sur le sol. A chaque pas, il asperge ses chaussures et le bas de son pantalon. Ses vêtements lui collent à la peau, et ses cheveux tombent devant ses yeux à cause du poids de l'eau. Il pousse sa frange sur le côté avec ses doigts engourdis.

- Par ici !

Il tourne la tête et remarque une femme qui lui fait signe de s'approcher. Elle est à l'intérieur d'une petite boutique à la devanture fleurie. Son pied empêche la porte du commerce de se refermer afin que Minho puisse la rejoindre à l'abri. C'est d'ailleurs ce qu'il fait sans hésiter. Dès que ses pieds foulent le parquet ciré, une petite flaque se forme. Il reste alors à l'entrée pour ne pas salir tout le magasin. La chaleur ambiante de la pièce a l'effet d'une brûlure sur sa peau trempée. Il frissonne en essayant de se débarrasser de sa veste. Il s'accroupit pour retirer ses chaussures et soudain, une évidence le frappe.

- Mais voilà pourquoi j'ai échoué !

Ses chaussettes sont d'un gris uni, tout ce qu'il y a de plus banal. Tout prend sens. Il n'a pas mis ses chaussettes porte-bonheur ! Celles dépareillés avec des motifs de chats dessus. Comment a-t-il pu oublier de les mettre pour un jour aussi important ?

Il sort de ses pensées lorsqu'il aperçoit une serviette pendre devant son nez. Il l'attrape et offre un sourire reconnaissant à la propriétaire des lieux, elle lui répond par un sourire éclatant. Il essuie ses cheveux, son visage, son cou dans le silence. Le bruit de l'averse devient oppressant alors il tente de faire la conversation.

- Vous étiez à l'intérieur lorsque l'averse a commencé ?

- Oui et heureusement ! répond la femme en riant, ce qui accentue ses rides. En une seconde, c'était la tempête.

Cette phrase résonne étrangement dans l'esprit de Minho. Ce n'est pas commun qu'une averse se déclare ainsi. Certes, le ciel n'était pas d'un bleu azur mais jamais il n'aurait imaginé qu'une pluie d'une telle ampleur puisse s'abattre sur lui lorsqu'il est sorti. Quelque chose cloche.

- Ça me rappelle l'anniversaire de ma fille, l'année dernière, partage-t-elle. On faisait un pique-nique en famille mais, sans prévenir, une averse comme celle-ci a commencé. On a tous fui dans la voiture et on a fini le repas à l'intérieur.

Un éclat de rire lui échappe lorsqu'elle finit de raconter ce souvenir. Cette femme respire la joie de vivre et, pendant un instant, Minho oublie ses problèmes. Il oublie qu'il est trempé, loin de chez lui, qu'il a perdu son travail, ses amis et son amant. Il oublie tout et rit avec elle. Il imagine la scène : tous les membres de la famille qui attrapent les collations, les sandwichs, les boissons, la nappe, tout ça dans la précipitation, pour se réfugier dans la voiture. La mère lui confie que son mari n'arrivait pas à trouver les clés et qu'ils ont hésité à briser la vitre pour enfin s'abriter de la pluie.

- Ma fille n'arrêtait pas de répéter que la pluie avait été causée par un cheval magique, rit-elle. Quelle imagination !

Minho se fige. Pourquoi n'y a-t-il pas pensé plus tôt ? Cette pluie est à l'origine d'un monstre ! Pour être plus précis, c'est un hydréque qui a causé tout ça. C'est un cheval qui attire la pluie partout où il passe. Il est lui-même composé d'eau. Mais ce qui a le plus marqué le garçon, c'est sa furtivité. Il n'est visible que par temps d'averse. Et lorsque la pluie s'abat sur vos têtes, vous n'êtes pas le plus attentif. Ils n'ont eu à faire à lui qu'une seule fois, mais c'est suffisant pour qu'il se souvienne de son point faible : la chaleur.

- Vous avez un sèche-cheveux ?

La femme le regarde avec des yeux ronds. Le changement de discussion la surprend, pour autant elle ne le prend pas de haut. Elle lui répond sourire qu'elle en a un et part le chercher. Minho ne tient plus en place, il faut qu'il retrouve ce monstre avant qu'il ne se soit trop éloigné. Lorsque la propriétaire réapparaît, il lui arrache presque l'objet des mains avant d'ouvrir la porte à la volée. Il lui crie tout de même un remerciement étouffé par la pluie. Il a de la chance le sèche-cheveux fonctionne avec des piles et pas avec une prise, il va pouvoir s'en servir à l'extérieur. Enfin, pour cela, il faudrait d'abord qu'il retrouve le monstre.

Ses pas résonnent dans les rues désertes, se mêlant avec sa respiration erratique. Le ciel lui tombe sur la tête mais il s'en fiche, l'adrénaline le rend inarrêtable. Il essaie tout de même de protéger l'appareil sous son manteau pour ne pas se retrouver à court de munitions lorsqu'il sera face au monstre. Monstre qui semble introuvable. C'est si dur de voir à travers la pluie, il pourrait aussi bien être à côté de lui qu'à des kilomètres d'ici. Comment savoir ?

- Mais si maman, je t'assure qu'il y avait un cheval !

Il tourne la tête et croise le regard d'une mère désabusée tenant la main d'un petit garçon, à l'abri sous une devanture de restaurant. Si ce garçon a vu le cheval, c'est qu'il ne doit pas être très loin. Mais il n'aura pas la chance de croiser des passants pour lui indiquer le chemin à chaque fois. Ou peut-être que si ?

Il continue de courir, manquant de glisser à chacun de ses pas. Il ne regarde pas vraiment devant lui, il tourne la tête à gauche et à droite d'en l'espoir de voir la créature qu'il pourchasse. Ce n'est pas concluant mais il ne se laisse pas abattre. Il change de rue et se trouve désormais dans un quartier résidentiel. C'est sa chance ! Il se concentre. son cœur pulse dans ses tempes sous l'effort. Ses mains tremblent et il ne saurait pas dire si c'est à cause du froid ou de la difficulté. Et finalement, il y arrive : il entend les pensées des résidents.

- Quel temps horrible !

- J'en ai marre de la pluie...

- Où est-ce que j'ai mis mon pull ?

- Est-ce que j'ai rêvé ce cheval ?

La voix vient de la droite. Il tourne abruptement, ses pieds glissent contre le bitume humide. Il perd l'équilibre, roule sur le sol et toutes les pensées s'éteignent aussitôt. Un râle de douleur lui échappe. Saleté d'hydréque !

Il se relève en se massant le dos. Il reprend sa course, d'abord au trot puis il accélère. Il essaie de réguler sa respiration pour se concentrer sur les pensées des témoins. Après une ample inspiration, elles affluent.

- Je regarderai bien Harry Potter.

- Il n'est toujours pas rentré ?

- J'ai laissé mes chaussures à l'extérieur...

- C'était quoi cette bestiole dehors ?

À gauche. Cette fois-ci, il gère mieux son virage et évite la chute. Mais l'adrénaline commence à disparaître et la fatigue se fait sentir. Il ne pourra pas tenir ce rythme bien longtemps. C'est maintenant ou jamais qu'il doit affronter ce monstre.

- Oh mon dieu !

Minho tourne la tête vers l'auteur de cette pensée. Il tombe alors sur un homme au visage crispé par l'horreur qui fixe un élément au loin. Le garçon suit son regard et alors, un sentiment de soulagement se diffusent dans tout son corps. Il est là. Il gratte le sol de son sabot, le museau dirigé vers le ciel.

Sans perdre une seconde, il actionne le sèche-cheveux et le tend vers le monstre. Celui-ci pousse un hennissement strident. Sa tête se tourne vers l'origine de la chaleur. Il n'a pas d'yeux, il se repère à l'humidité. C'est un avantage pour Minho, mais un sacré inconvénient pour Hyunjin qui faisait sans cesse fuir la créature la première fois qu'ils l'ont affronté.

Le corps du hydréque s'évapore à chaque pas que Minho fait dans sa direction. Il tente de se reculer mais ses sabots se répandent sur le sol, ne laissant qu'une grande flaque. Le cheval pousse un dernier hennissement avant que sa crinière ne rejoigne le ciel dans un nuage de vapeur. La sphère de vie tombe par terre et roule jusqu'au pied de Minho. Il s'abaisse pour la ramasser et, aussi soudainement que l'averse est apparue, le ciel se dégage. Le soleil, bien que timide, fait son grand retour. Le garçon lève les yeux et rit. Quelle étrange journée !

Cet instant de répit et de courte durée. Des hurlements et sifflements retentissent derrière lui. Des applaudissements rebondissent contre les murs. La joie se diffuse dans le quartier et dans le cœur de Minho. Il se tourne et son cœur rate un battement.

Des dizaines de résidents l'acclament en riant. Quelques adolescents ont un téléphone à la main. Ils partagent sur les réseaux les exploits de leur héros. Minho n'a pas l'habitude de ce genre de remerciements. Lorsqu'ils partent en mission, les lieux sont déjà évacués. Rencontrer toutes ces personnes reconnaissantes effacent tous ces maux en un revers de main. L'émotion est telle : il ne peut retenir une larme de dévaler sa joue.

- Et bah, ça joue les sauveurs à ce que je vois !

Il reconnaîtrait cette voix insupportable entre mille. C'est hyunjin ! Tous ses amis sont là, ils sortent les uns après les autres de la voiture. Lorsqu'il aperçoit Jisung, il court vers lui. Le télékinésiste saute dans ses bras et les deux tombent à la renverse en riant. Peu importe si les vêtements de Minho sont trempés, ils sont heureux de se voir.

- Vous vous êtes à peine quitté y a deux heures, soupire Seungmin bien qu'un petit sourire se soit imposé sur son visage.

- Et vous ne vous quitterez plus jamais. Avec toutes les vidéos qui viennent d'être publiées, c'est impossible que monsieur Kim veuille toujours se débarrasser de toi, conclut Chan.

Alors Minho rit. Et Jisung rit. Les autres membres rient aussi. Tout le monde rit avec lui. Personne ne sait pourquoi. C'est simplement une envie qui les a tous traversés. Rire. Rire parce qu'on est en vie. Rire car même si les nuages couvrent le ciel, le soleil finira toujours par se dévoiler. Rire car ils ne veulent pas pleurer.


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J'ai adoré écrire ce chapitre ! Franchement, je pensais que ce serait une corvée de le finir avant la date limite (c'est-à-dire le 1 janvier) mais pas du tout. Je ne regrette pas d'avoir repoussé sa date de publication parce que ça a été un réel plaisir d'imaginer l'histoire. Je suis du genre à tout planifier mais là, j'y suis allée au feeling et je suis contente du résultat.

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