"Papa, j'ai mal à la tête..."

Baku, cinq ans

"Regarde maman! J'ai réussi!"

Je me précipite vers ma maman, le petit chaton en main. Il miaule joyeusement, le sang ayant cessé de se mettre partout. Il a plus mal, du coup il est content. Et je suis content aussi. C'est moi qui l'ai aidé.

Maman me regarde d'un drôle d'air. Est-ce qu'elle est fière? Après tout c'est la première fois que j'aide quelqu'un sans me déconcentrer. J'aime pas l'odeur du sang. Elle me fait drôle. Et des fois, pendant que je soigne les gens, j'entends une voix bizarre qui me parle à l'oreille. Elle me dit de tuer.

Mais aujourd'hui, la voix m'a laissé tranquille. Et j'ai pu soigner le petit chaton abandonné sur le bord de la route. Il est noir. J'aime bien les chatons noirs. Et lui aussi, il m'aime bien.

Maman me regarde. Moi, puis le chaton. J'attends ses compliments. Et puis elle fronce le nez et me frappe. Je laisse échapper le chaton tant j'ai mal. Il feule et se précipite sous un meuble. Je ne comprends pas. Pourquoi maman m'a frappé?

"Espèce de raté."

J'ai froid, tout d'un coup. Très froid. Encore plus froid que le regard de maman. Je ne connais pas beaucoup de mots, mais celui-ci, je l'ai reconnu. Et il me fait mal. J'ai l'impression qu'on m'a ouvert en deux.

Maman est partie. Il n'y a plus que moi. Moi et la voix, qui a choisi ce moment pour venir me parler. Et le chaton aussi. Il vient se frotter à mes jambes. Je le caresse un peu avant de me mettre à pleurer.

Personne ne vient me consoler.

Plus tard dans la soirée, je suis attablé avec les autres enfants. Le papa de la petite Selky nous sert à manger. Mais je n'ai pas faim. Papa est venu me voir tout à l'heure, et je lui ai dit que maman m'avait tapé. Mais il a rien dit. Il m'a juste tendu un nouveau jouet. Je le déteste.

Mon grand frère est à côté de moi. Il a encore des égratignures bizarres sur le visage et il me regarde bizarrement. Je sais pas pourquoi.

Le repas se fait dans le silence. Je n'ai rien mangé, et la voix profite de ce moment de faiblesse pour revenir me chuchoter des choses à l'oreille. Mais là, ce ne sont pas des menaces, et elle n'essaie pas de me faire tuer non plus. Non, la voix me dit de faire attention à mon grand frère.

Je ne comprends pas pourquoi. Mais je ne tarde pas à me rendre compte qu'elle avait raison. Parce que lorsque je sors de la salle à manger, il m'attend, avec ses yeux étranges fixés sur moi. En blouse blanche et avec de drôles d'outils à la main.

Il m'attrape par le bras sans rien dire et me traîne dans une pièce de la maison que je n'avais jamais vue avant, un cube tout blanc recouvert d'outils bizarres et avec une table au milieu. Elle me rappelle le bloc opératoire de maman. Mais je n'ai pas besoin d'opération, je me soigne tout seul, alors pourquoi il m'y emmène? Je ne comprends pas.

Il m'attache sur la table et me connecte à tout plein d'instruments électroniques bizarres avec un air étrange. Ce n'est que lorsque je le vois attraper un outil coupant sans prendre la peine de m'anesthésier que je comprends : Le but n'est pas de me soigner mais de me blesser. De me faire du mal.

Je me mets à hurler, envahi par la peur, alors que la voix me chuchote à l'oreille que j'aurais dû faire attention. Mon frère me coupe rapidement en me baïllonnant avec un bout de tissu qui étouffe mes hurlements, et m'accorde un regard agacé tout en parlant sèchement.

"Cesse de hurler, crétin, ça sert à rien et tu vas me donner mal à la tête. Et la dernière chose dont j'ai envie c'est que tu fasses venir un des adultes."

Je n'obéis pas et essaie toujours de me faire entendre. Quelque chose d'humide coule sur mes joues: Des larmes. Même la voix semble terrifiée. Mon frère me fixe avec un semblant de compassion, et un instant, j'ai l'espoir qu'il ne me libère, mais il n'en fait rien et secoue la tête.

"C'est le jeu, Baku, les faibles servent de tremplin pour faire progresser les forts. Je n'aime pas plus faire ça que toi, mais avec un peu de chance tu y gagneras un peu de pouvoir..."

Ensuite, la seule chose dont je me rappelle, c'est l'effroyable douleur qui me parcourt tout le corps et mes vaines tentatives pour hurler de toute la puissance de mes poumons.

Baku, huit ans

Trois ans.

Trois ans à subir, soir après soir, les expérimentations magiques tout aussi variées que douloureuses de mon frère.

J'ai subi des choses dont rares sont les sujets de laboratoire qui oseraient en cauchemarder, ce qui allait de la simple cible à un hôte pour de la magie bizarre. Chaque soir, j'ai souhaité mourir, et tous les matins, je constate que mon vœu n'a pas été exaucé. La nuit efface toutes mes blessures, mes cicatrices, comme si il ne s'était rien passé la veille. Je crois que je n'ai jamais vu maman autant sourire.

Le pire, c'est que la voix revient chaque jour un peu plus forte. J'ai l'impression qu'elle hurle en même temps que moi alors que ce que me fait mon frère me détruit de l'intérieur. Et le lendemain, je discerne plus de mots, plus nets.

J'ai de plus en plus de migraines. Mon chat a peur de moi. Et personne ne s'en préoccupe. Pas même papa.

Aujourd'hui, les migraines sont particulièrement fortes. Je n'entends plus la voix: J'ai l'impression qu'elle se tapit au fond de moi, attendant son heure. Et j'ai beau éviter constamment les flaques de sang, Mairù ou maman, ma douleur refuse de s'atténuer. Saeko m'a donné un médicament, mais il n'a rien fait. Mon dernier espoir, c'est papa. Lui, il pourrait sûrement me soigner. Je l'ai vu accomplir des miracles.

Alors je vais voir papa, qui discute avec Chef, et je lui tire le bas de pantalon, avec une expression suppliante, marquée par la douleur. Il se retourne vers moi en souriant.

"Papa.... J'ai mal à la tête... "

Son air désolé me fait espérer, attendre quelque chose. Il y a longtemps qu'il ne s'était pas préoccupé de moi. Peut-être que je vais enfin me sentir mieux, et puis je pourrais tout lui raconter.

Mais il se contente de me tapoter la tête et de me dire en souriant :

"Je suis désolé fils, ta mère m'a dit de ne surtout pas te soigner. Elle a l'air de craindre quelque chose et je ne vais pas prendre de risque."

Tout se brise dans ma tête.

Pourquoi papa refuserait de me soigner? Il ne fait pas souvent attention à moi, mais quand il est là il s'occupe toujours de ce qui me fait mal.

Je ne vois qu'une seule possibilité. Il sait, il sait ce que Mairù me fait, et il refuse d'y mettre un terme.

La douleur me vrille de plus en plus le crâne alors que je prends conscience de ce qu'il se passe. Il sait, et si Chef n'a pas réagi, c'est qu'il sait aussi. Ils savent tous et ne font rien, ils me laissent souffrir sans réagir, comme un vulgaire rat de laboratoire jetable.

J'ai de plus en plus mal, mais cette fois la douleur physique s'ajoute à une énorme douleur mentale, ce qui me pousse à m'enfuir. Papa ne doit pas voir mes larmes. Chef ne doit pas voir mes larmes. Personne ne doit voir mes larmes. Ils m'ont laissé seul, abandonné à la douleur, alors ils doivent s'en moquer presque autant que de mon existence.

Je rejoins ma chambre terrassé par la douleur, et je tente de m'endormir pour calmer le mal et étouffer mes sanglots. Mais au lieu de ça, je détecte une étrange zone noire dans mon subconscient. J'essaie de me concentrer dessus, et la douleur diminue en même temps que la zone grandit.

Alors je m'y laisse couler tout entier en souriant intérieurement. L'engourdissement qui m'envahit vaut toujours mieux que ce monde pourri.

***

Libre! Je suis libre!

Huit ans à vivre dans le subconscient de cet imbécile, à attendre mon heure tel un parasite malpropre. Enfin, je suis dehors. Et je compte bien en profiter un maximum.

Malgré la douleur qu'à provoquée dans mon corps cet abruti de Mairù, on peut dire qu'il aura bien servi. La magie qu'il a injectée, c'est moi qui l'ai emmagasinée, en attendant d'être assez fort pour briser son contrôle. Ça m'a permis de renforcer mes dons et d'être prêt à ma vengeance.

Ah, rira bien qui rira le dernier, grand frère, maman, papa. J'ai souffert en même temps que lui et je compte bien faire ce dont il n'avait pas le courage.

Je me précipite dehors en écoutant aux alentours, tentant de repérer les voix haïes, et, alors que je localise enfin ma mère, je rentre tête la première dans mon père. Il me parle d'une voix douce. Mais je ne réagis pas. Moi, je ne tomberai pas dans le piège.

"-Ah, Baku! J'espère que tu n'as plus mal à la tête, fils. Désolé de ne rien pouvoir faire, c'est juste que ta mère..."

C'est ça, me sors pas ton baratin, vieil homme. Et pour ton information, je ne suis pas ton fils adoré. Juste l'être qui partageait son esprit.

Je lève les yeux vers lui, un large sourire sur mon visage d'enfant. Et je le regarde retenir un hoquet de surprise alors que son regard se fixe sur mon visage. J'ai tant de différences avec son fils que ça? C'est fâcheux.

Je le quitte sans plus de cérémonie, ayant autre chose à faire. Ton tour viendra, vieil homme. Mais en attendant, merci pour avoir porté le dernier coup de pioche à ma prison.

Enfin, devant moi se tient le terrain d'entraînement. Il est quasiment vide, mis à part mes deux cibles qui se battent férocement. Le plus petit des deux agite deux tentacules turquoise extraites de son dos, et la plus grande agite les mains dans tous les sens, fait muter des parts de son corps, envoie valser son adversaire dans tous les sens.

Mon sourire s'élargit sur mes lèvres, et je lève doucement la main, savourant les flux de magie qui s'activent dans mon corps selon mon bon vouloir. Les deux se figent, et les tentacules de mon frère se mettent à bouillonner étrangement, ce qui le fait hurler de douleur. Je lève davantage la main, et une araignée se dirige lentement vers la jambe de ma mère et lui grimpe dessus, ce qui la fait hurler.

Et moi? J'éclate de rire. C'est l'heure de la vengeance.

Mon frère disparaît. Je crois qu'il s'est enfui. Mais ma mère, elle, tente de contrattaquer et une immense plaie se dessine sur mon torse. Je n'ai même pas le temps de penser "sang" qu'elle s'est déjà refermée, ne laissant pour seules traces qu'un habit imbibé de liquide.

Et pour elle, c'est déjà trop tard. Le temps qu'elle ne dessine cette blessure surbmoi, d'autres araignées se sont installées sur elle. Elle hurle de terreur et tente de les déloger, mais elles sont trop nombreuses et finissent par la recouvrir. Le poids combiné de toutes les bestioles la fait chuter au sol.

Et moi? Je continue de rire.

Une araignée rentre dans sa gorge, et je la regarde s'étouffer en hurlant, savourant son agonie.

Du moins jusqu'à ce que ce type surgisse juste derrière moi. J'at tout juste le temps de capter le froissement de ses vêtements avant qu'il ne me pose un doigt sur l'arrière de la tête et que je me rendorme, le maudissant pour m'avoir privé de ma liberté.

***

J'émerge dans ma chambre, la lumière m'indiquant que le jour est bien avancé. Devant moi se tient Kage, une expression de regret sur le visage et des yeux bleu pâle tristes posés sur moi.

Je n'hésite pas une seconde et me jette dans ses bras. Kage est le seul ici qui m'a vraiment aidé, encouragé, soutenu. Le trentenaire me rend mon étreinte en soupirant. Je souris, pour la première fois depuis longtemps.

Kage s'asseoit sur le lit et me pose sur ses genoux, sans me lâcher, et ne dit rien. Dans le silence, je baisse les yeux vers mon corps, parce que je me sens un peu engourdi, et mes yeux s'agrandissent de surprise. Comment j'ai fait pour me blesser au point que mon T-shirt soit trempé de sang? Et pourquoi je ne sens plus rien?

Pas même mes migraines?

Je lève des yeux interrogateurs vers Kage, mais ce dernier se contente de me bercer doucement et de poser ma tête sur son front.

Sans doute ne voulait-il pas que j'entende, mais mon ouïe surdéveloppée me fait capter un distinct, entrecoupé de légers sanglots:

"Je suis désolé, tellement désolé..."

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ENFIN CET OS EST TERMINÉ!

Il est dans mes brouillons depuis pas moins de quatre mois tout de même, et j'y tenais en plus!

Comme vous l'aurez deviné, il décrit le réveil d'Akira.

Alors plusieurs petites clarifications:

Un, Baku se faisait des idées. Personne n'avait idée de ce que Mairù lui faisait vivre, et surtout pas Gabriel qui sinon aurait immédiatement mis son premier fils dehors, je peux vous l'assurer.

Deux, Kage et Baku étaient effectivement très proches, l'une des raisons étant que Kage savait ce qu'il allait advenir de Baku ensuite. Le scellement d'Akira, la rencontre avec Lina, et enfin la vie heureuse de cette dernière. Il a laissé Akira s'éveiller pour s'assurer que sa fille et son protégé serait heureux. Imaginez un peu ce que ça lui a coûté. Des fois il me fait de la peine.

Et je crois que c'est tout...

Écrire sous le point de vue d'un enfant n'est pas facile, j'espère que ça passe quand même.

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