Le dernier chant du tigre
Le chaos régnait dans le bâtiment autrefois si pacifique. Le sang coulait, les membres volaient, les armes claquaient à chaque choc entre les deux camps qui s'affrontaient dans le hall du bâtiment.
Dans un coin, le plus éloigné possible des atrocités de la guerre, un homme de bonne stature et aux cheveux ébouriffés serrait contre lui six enfants d'âge varié, qui pleuraient et tremblaient, agités par l'angoisse et la terreur. Et bien qu'il se voulait rassurant, sa queue de tigre qui s'agitait et ses moustaches frémissantes indiquaient que lui aussi, au fond de lui, était mort de peur.
Il était le dernier et seul rempart disponible pour assurer l'avenir des siens, protéger les enfants que ses camarades avaient eu. Il tenait à eux comme à la prunelle de ses yeux et ils le lui rendaient bien, l'appelant "Tonton Seiji" et l'ayant désigné comme confident. Aujourd'hui, alors que leurs parents étaient soit morts, soit en plein combat, il était de son devoir de les garder en vie, tous.
Il avait donc, alors que l'armée ennemie profitait de l'absence de Chef et Asura pour tenter d'envahir le bâtiment vivant, réuni tous les enfants et les menait le plus discrètement possible vers la porte de derrière, vers la sécurité du point de ralliement décrété par Baku.
Entreprise risquée, mais il s'y prenait avec discrétion et jusqu'ici, aucun ennemi ne les avait repérés. Il y était presque. Encore quelques mètres...
Un bruit de pas retentit dans les couloirs, poussant Seiji à s'abriter derrière un placard et à serrer les enfants contre lui. Deux soldats couverts de tripes, portant l'uniforme alterin et l'écusson de l'école des Fous, venaient de surgir du hall. Ils rigolaient grassement et leur attitude nonchalante glaça le sang du métamorphe. Qu'est-ce qu'il était advenu des autres?
"C'était vraiment trop facile, ricanait le premier soldat. T'as vu la tête de cette fille rousse lorsque j'ai étranglé le loup-garou? Trop génial.
-Oui, enfin, le loup t'a quand même échappé, renchérit l'autre. Pas comme moi avec la princesse renégate. Tu peux être sur que si elle survit, elle racontera plus qu'elle est lesbienne après ce que je lui ai fait!"
Un grognement s'échappa du fond de la gorge de Seiji en entendant leurs propos, dits dans un azilien balbutiant. Il n'avait qu'une seule envie, leur faire ravaler leurs immondes propos. Sauf qu'il ne pouvait pas. Les enfants étaient là. Il devait les protéger.
L'un des soldats se figea, à quelques mètres de la cachette de Seiji.
"Eh, con, t'as pas entendu quelque chose?
-Sûrement les pierres qui expriment un... Euh, truc. Tu sais, les confréries, ça cache toujours des trucs chelous.
-Nan, c'est pas les pierres. C'est une sorte de... Bête?"
Merde. Son accès de colère risquait de coûter cher. Il fallait prendre des mesures radicales. Le rouquin se pencha vers la plus calme de tous les enfants, Lamia, la prit par les épaules et lui chuchota rapidement à l'oreille:
"Écoute moi, Lamia. Tu vas emmener les autres vers l'est, dans le Temple du Créateur. C'est mon point de rendez-vous avec ton père. Ne passe surtout pas par la capitale et essaye de retrouver les autres sur le chemin. Tu m'as compris?"
La gamine hocha la tête, l'air interrogateur.
"-Et toi tonton? Tu vas faire quoi?"
Seiji sourit et lui ébouriffa les cheveux. Il ne pouvait vraiment pas lui mentir à ce sujet. Pas le temps. Les soldats inspectaient déjà le moindre recoin du couloir.
"-Je vais essayer de couvrir votre fuite à tous. Si j'ai de la chance, on se retrouvera plus tard. Sinon, explique à ton père ce qu'il s'est passé, d'acodac? Je compte sur toi."
Il eut tout juste le temps de serrer contre lui, dans un grand bloc, ses six neveux d'adoption avant qu'un des soldats ne hurle "Gros! Des fugitifs, là!" et qu'il ne se jette en position défensive devant les enfants qui hurlaient de peur.
"Courez!"
Les enfants ne perdirent pas leur temps pour obéir à l'ordre de leur protecteur. Un bruit de pas effréné accompagna leur fuite éperdue vers la porte. Le soldat alterin ricana.
"-C'est ça, courez, les mioches... Je préfère chasser mes proies lorsqu'elles se défen... "
Le choc causé par l'atterrissage d'un immense tigre au pelage mordoré sur son échine lui coupa la respiration, l'empêchant de finir sa phrase. Seiji avait vu rouge et s'était empressé de se transformer, faisant fi de ses vêtements déchirés et de leur supériorité numérique.
Le soldat grogna de douleur et attrapa son épée pour l'asséner dans les flancs du tigre qui glapit et serra davantage les crocs sur l'épaule de son adversaire, manquant de la sectionner. Avisant le soldat de l'école qui levait son arme, une espèce de couteau torsadé d'aspect barbare, il lui décocha un violent coup de patte arrière qui lui coupa le souffle avant de relâcher sa prise et de se jeter sur lui.
Aucun des trois adversaires refusait de lâcher prise. Seiji multipliait les transformations, passant du tigre au loup, puis au sphinx et au varan, puis de nouveau au tigre, mais rien ne semblait marcher. L'alterin portait ses coups comme si il n'avait pas l'épaule à moitié détachée, et l'autre était très doué en combat rapproché contre adversaire imprévisible. Un coup de patte de la puissance d'une frappe de base-ball les fit tous les deux ricaner.
"Ne t'embarrasse pas, sale tigre! Cria le premier. Je maîtrise le domaine de la Douleur et aucune blessure physique n'a d'emprise sur nous!"
Le métamorphe glapit et se mit à bonne distance, effaré par ce qu'il venait d'apprendre. Il est évident que si ils se mettaient tous les deux dans des conditions de combat de Berserker, il n'aurait pas d'autre choix que de les tuer. Sa gorge se serra. Il détestait faire ça, même contre des êtres aussi méprisables que ces deux types. Mais c'était la seule solution pour que les enfants soient en sécurité. Ils devaient être loin maintenant.
Prenant une grande inspiration, Seijo recracha un bout de chair resté entre ses dents pointues de tigre et se relança à l'assaut, visant cette fois la gorge et le torse. Très surpris par cette soudaine attaque, les deux soldats eurent tout juste le temps de protéger leurs points vitaux.
Pas assez vite, toutefois, pour l'étudiant à l'école des Fous. Il avait tablé sur le cœur. Seiji avait visé le cou. Le sang qui s'échappa de sa gorge à gros bouillons fit froncer le nez de répulsion au tigre. Il se sentait très las, tout d'un coup. Alors, c'était ça, attaquer pour tuer? C'était horrible.
Son soudain abattement devant les râles de sa victime lui firent manquer de peu l'épée qui visait son flanc. Il réussit à parer la première botte.
La deuxième fit mouche et s'enfonça profondément dans son torse, perçant le cœur.
Son rugissement de douleur et l'horrible sensation du métal froid qui détruisait ses fonctions vitales lui firent comprendre l'évidence : Il était fichu. Son ultime coup de patte, dernier coup d'éclat, déchiqueta le torse de son adversaire. Ce fut sa dernière vision.
Son regard était trouble et chaque laborieux battement de coeur l'engourdissait un peu plus, pourtant il eut la force de se détransformer et de se traîner vers l'endroit où tous ses vêtements étaient tombés. Elle était là, traînant sur le sol, le métal argent brillant au milieu d'une giclée de sang, son alliance, seul lien qu'il avait avec la femme qu'il avait aimé à la folie.
Ses doigts se refermèrent autour de l'anneau, savourant le contact de l'argent, et ses lèvres esquissèrent un dernier sourire pendant qu'il prononçait, laborieusement et d'une voie engourdie:
"Désolé, Angélique... On ne se reverra pas de sitôt..."
_______________________________________
Belfeder m'avait demandé un OS sur Seiji, et moi je voulais écrire une scène triste.
Les deux se sont combinés pour créer son ultime combat.
Et pour ceux qui se demandent si sa mort a été utile:
Après ça, les enfants ont réussi à échapper sans encombre aux soldats, en grande partie grâce à la forme draconique de Korrin. Ils ont retrouvé Baku sur la route, couvert de sang, avec la reine enceinte et Asura, dont il couvrait la fuite. En apprenant ce qu'il s'était passé de Lamia, il s'est précipité au bâtiment, a achevé les derniers soldats qui y traînaient, et a trouvé dans le couloir le cadavre de Seiji, le poing serré sur son alliance et un sourire paisible sur le visage...
Voilà ce que j'entendais, il y a longtemps, par "belle fin".
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top