"Karma is a bitch"

Il s'était écoulé seulement quelques jours depuis ce qu'on appelait désormais "le gâteau de la victoire", et pourtant Baku était toujours choqué de ce qu'il avait vu. En tout bien tout honneur, pensait-il, on ne pouvait que lui pardonner d'être choqué, mais bon : La petite voix agaçante dans son esprit, et pas la meurtrière cette fois, lui disait qu'en entamant une relation polygame avec ses deux amours, il pouvait bien s'attendre à ce qu'elles se rendent mutuellement la pareille.

Ce jour-là, Shera avait décidé de leur faire une "surprise". Elle leur avait préparé exprès un gâteau pour célébrer la victoire, et pas un petit cake cuit au four, non, un immense monstre de soixante-douze mètres tout rond, cuit à la magie de feu, et en forme d'immenses statues chocolatées trônant dans la cour. Une belle surprise pour les gourmands et un bon moyen de célébrer la mort du Ver : D'ailleurs, ce jour-là, son frère était probablement celui qui avait le plus festoyé, entre sa Désir et son festin. Mais d'autres avaient visiblement décidé de profiter du gâteau pour conclure. Il avait vu Corbeau et Tinashe s'embrasser un peu plus loin, l'air oublieux de la fête qui battait son plein, et Asura et Nru semblaient ravies de pareille distraction. Même Jiro était un peu sorti de sa bibliothèque, avec son inséparable assistant au bras. Ces deux-là, ils finiraient sûrement ensemble d'ici quelque jour, Baku en avait été certain.

Mais il ne s'attendait pas à compter ses femmes dans le lot de "personnes qui concluraient". Encore moins à les trouver en train de s'embrasser sur un banc, sans plus se préoccuper de lui. Il soupira en repensant à cet instant de pure stupéfaction. Lina aurait pu s'épargner l'air satisfait tout de même... Même Shera n'avait pas l'air coupable, sacré nom du Créateur. Enfin, pas tant qu'il s'en préoccupait, dorénavant. L'instant de surprise avait précédé l'acceptation, et un soudain manque de préoccupation envers la vie amoureuse de ses deux chatons. Cela serait toujours moins de rumeurs à l'égard de leur relation. Et puis tant qu'il avait toujours la même dose de câlins...

Non, ce qui l'inquiétait dans cette perspective, c'était l'absence de migraines depuis ce fameux jour. Akira, qui habituellement ne perdait pas une occasion de se manifester, n'avait pas fait vibrer un seul de ses neurones depuis le gâteau. Non. Si il devait être exact, il dirait que ce serait avant le gâteau. Ce qui signifiait qu'il n'était pas au courant.

Et Baku redoutait le moment où il apprendrait.

Il le connaissait comme si ils étaient la même personne. Il savait très bien la puissance de l'obsession que son âme siamoise entretenait envers Lina. Et le dégoût dirigé vers Shera. Il savait que si il apprenait que ces deux-là entretenaient désormais une proximité de couple, lui, Baku, risquerait d'y laisser sa santé mentale. Et il se réveillerait peut-être de sa transe avec le sang de Shera, de sa Shera, sur ses mains.

Non.

Pour son bien, le bien de Shera, le bien de Lina. Akira ne devait pas apprendre ça. Akira ne devait jamais apprendre ça.

Il se prit la tête entre les mains, et se dirigea vers le couloir le plus proche, réfléchissant à la meilleure manière de se protéger. De monter un bouclier infranchissable conter une seconde personnalité qui prenait plaisir à briser ses défenses, quand bien même elle disposerait d'un corps astral en grande partie à elle.

Mal lui en prit. A peine se fut il assis sur un banc, la tête entre les mains et sa muraille mentale en pleine construction, l'accès désormais si familier de migraines le frappa comme un boulet de canon, et un gémissement sorti de ses lèvres accompagna une phrase qu'il ne voulait surtout pas entendre :

Contre quoi cherches-tu à te protéger ?

Baku se crispa. fit tout ce qu'il peut pour chasser la voix de sa tête, mais elle revenait en force, toujours plus puissante. I pouvait presque sentir, de l'autre côté, l'âme siamoise se concentrer, et démolir, pierre par pierre, ses murailles mentales. S'immisçant avec une facilité désespérante dans sa tête, installée comme si elle avait toujours été chez elle. 

Ce qui, dans un sens, était le cas.

Baku, je n'ai pas envie de rigoler aujourd'hui. Je sais que tu me caches quelque chose depuis quelques jours. Et tu sais très bien que je déteste ça.

"-- ... Va t'en."

Il sentait ses dents se serrer, la sueur recouvrir son corps et sa température corporelle monter. Ses réserves de magie bouillonnaient, prêtes à être utilisées. Ce qui ne le rassura pas. Si seulement il pouvait envoyer un message subliminal à un des serviteurs... Aller chercher Mairù, éloigner Lina, éloigner Shera, faire quelque chose, tout sauf laisser Akira Claro s'installer.

Une goutte tomba sur le sol. Il ne savait pas si c'était du sang ou de la matière noire. Il n'arrivait même plus à percevoir les odeurs. Tout son être était concentré sur le parasite qui grouillait dans son esprit.

Baku, si tu pouvais éviter le mot "parasite", ça m'arrangerait. Je ne suis pas là pour longtemps. Je veux juste savoir ce que tu me caches. J'ai autre chose à faire que de te parler, vois-tu.

Un mouvement attira son attention dans un coin, suivi d'une brume de matière noire et de particules de glace. Par les dieux, se dit Baku, Corbeau tombait à pic ! Il comprendrait directement son problème et irait chercher son frère. Ou il retiendrait son corps le temps qu'Akira prenne le contrôle. Il ferait quelque chose.

Se concentrant, il parvint à faire bouger deux de ses doigts sans relâcher son emprise sur son esprit, et fit un signe du mieux qu'il pouvait à Corbeau. Une nouvelle goutte s'écrasa sur le sol. Il comprit qu'elle venait de ses doigts. Et cette réalisation suivit celle qu'il pouvait écrire un message avec sa matière noire. N'importe lequel. Mais vite. Vite. Vite.

La voix de Corbeau lui parvint dans un écho, teintée d'un soupçon de panique, mais Baku ne parvenait pas à discerner les mots. Il arrivait tout juste à plier ses doigts à sa volonté, à leur faire écrire un nom, priant, au plus profond de lui-même, que Corbeau comprenne le message. Il ne pouvait même pas vérifier. Il y voyait flou, ses tympans le faisaient horriblement souffrir, et la chaleur de son corps atteignait un point insoutenable. Vraiment, il ne comprenait pas l'utilisation du verbe "chauffer" dans un contexte érotique. Pourquoi une augmentation de température témoignait-elle d'une excitation ? Lui, c'était tout juste si il parvenait à se concentrer tant il souffrait.

Tu essayes de me distraire ? Bien essayé, mais ça ne marche pas. Je saurai ce qu'il se passe avant que Mairù n'arrive. Et tu commences à me faire peur avec ta panique. Qu'est-ce que tu me caches, Baku ?!?

"- Toi, peur ? J'ai presque envie de rire de la situation."

Mais tu ne le fais pas. Parce que tu es encore plus mort de trouille que moi. Et je crois que c'est ça qui m'inquiète le plus.

Baku serra les dents. Ne pas paniquer, ne pas paniquer. Tout allait bien se passer. il réussirait à le retenir assez longtemps pour que Mairù ne sorte de son lit et ne ramène son derrière ici, quitte à devoir supporter la vision de son frère en caleçon. Berk. Si il comprenait l'urgence de la situation, il y aurait sûrement droit... Et même si Désir devait apprécier la vue, ce n'était pas le cas de son cadet. Il ne manquerait plus qu'il se passe de l'inceste chez les Claro.

Alors tu essaies de me dégoûter, maintenant ? Tu commences sérieusement à m'agacer !

Un éclair de douleur. Et son œil gauche ne vit plus que le noir. Il venait d'échapper à son contrôle, et l'écho paniqué qu'il percevait de loin dans son oreille droite lui indiquait que la prunelle devait avoir viré à l'onyx. Baku se crispa. Ce n'était pas le moment de perdre le contrôle ! Il fallait réagir, ou sinon... Sinon... Non, il ne voulait même pas y penser.

Sa main droite se porta sur son œil comme par réflexe, mais la gauche quitta le genou sur laquelle elle était posée pour bloquer sa trajectoire, alors qu'un grognement agacé envahissait son esprit. Baku en eut des sueurs froides. Akira n'avait pas perdu de temps pour reprendre la moitié gauche de son corps, et ce sans son consentement... Il savait qu'il avait récupéré de la force depuis son coup de colère contre les H.A.R.D.I., mais ça dépassait toutes ses prévisions. Et si... Et si... Non, il devait s'empêcher d'y penser. Car qu'est-ce qui empêcherait Akira de venir fouiller dans son esprit pour récupérer la donnée manquante ?

Les souvenirs sont plus difficiles d'accès que tu ne le crois, Baku. Arrête de lutter, ce sera moins douloureux pour toi, et moins pénible pour moi. Pourquoi tu t'imposes ça à toi-même ?

"- Tu crois que je ne sais pas que tu profiterais de mon relâchement pour me reprendre le contrôle ? Pour qui tu me prends ?!?"

Je ne peux pas, et tu le sais très bien. Tu peux sentir mon épuisement alors que je n'ai le contrôle que sur un œil, une oreille et une main. Dépêche toi de lâcher l'information, où on subira tous les deux des dégâts irréversibles.

"- Dans tes...

- Baku ?"

Les deux personnalités se figèrent net. 

Non.

Non, non, non, non, non, non, non.

Pas maintenant. 

Pas maintenant, Lina.

Pas maintenant.

La vision de Baku s'éclaircit. Sa température corporelle chuta. Le bruit de goutte-à-goutte cessa. Et pourtant, l'horrible douleur dans son œil, la crispation soudaine de son poing gauche, et le silence qu'il entendait maintenant dans le creux de son esprit lui confirmèrent que comme lui, Akira voyait la scène qui se présentait devant ses yeux. Il voyait le bras de Lina autour de la taille de Shera, il voyait les deux femmes, la reine et la maréchale, serrées l'une contre l'autre, le, non, les fixer d'un air étonné. Il pouvait voir la tête de Shera nonchalamment appuyé contre l'épaule de Lina. Et il pouvait sentir le regain de panique de Baku.

Akira n'était pas un être idiot. Il savait très bien recoller les pièces d'un puzzle.

Et celui ci était facile à reformer.

Au silence se substitua un cri.

Et Baku ne put empêcher son corps de se lever, poignard en main, l'œil gauche écarquillé braqué sur Shera.

"- Toi !"

La voix qui venait de tonner dans l'air n'était pas la sienne.

Par chance pour elles, Lina comprit très vite la situation, et s'empressa de dégainer un katana, prête à affronter le corps de son propre mari. Baku ne pouvait pas lui en tenir rigueur : Lui-même tentait déjà, autant qu'il pouvait, d'empêcher la progression de l'âme siamoise vers une Shera aux traits figés par la surprise, la faux brandie devant elle en position de défense. Et ce, malgré le hurlement constant qui retentissait dans sa tête.

Lâche moi tout de suite, Baku Claro ! J'ai une vieille promesse à tenir ! Lâche moi, tu m'entends ?!? Et vite, si tu ne veux pas que le sang de tous ces joyeux badauds se rajoute au sien ! Baku ! Libère ton emprise immédiatement !

Mais Baku tenait bon. Pas Shera, pas question. Il ne poserait pas un seul doigt sur elle. Non. Non. Non. Non. Non.

Une cavalcade effrénée lui parvint de derrière, et un horrible hurlement de rage tant mental que crié se répercuta et dans le couloir, et dans l'esprit de Baku. Qui eut à peine le temps de sentir son corps se tourner et de voir Mairù encaisser un tir noir, les yeux écarquillés et une faux en main. Au moins, remarqua Baku, il avait pris la peine de mettre un pantalon. Mais était-ce vraiment le moment de s'en préoccuper ?

Heureusement pour la fratrie Claro, Mairù se releva sans trop de difficultés, l'air à peine atteint par le sortilège. Baku se crispa, avant de perdre de nouveau le contrôle et de voir sa main gauche se lever, le poignard toujours en main. Ses jointures étaient tellement serrées qu'elles blanchissaient, se démarquant sur une peau déjà pâle. Il n'allait pas tenir longtemps.

Moi non plus.

"- Qu'est-ce que... "

Baku avait repris le contrôle de ses cordes vocales pour un unique instant, juste le temps de voir se dessiner les pentagrammes ébène tout autour de sa personne. Un sort, comprit-il en une fraction de seconde. Akira avait réussi à regagner assez de contrôle lui lui pour l'utiliser afin de lancer un sort. Et si le domaine Cauchemar à l'état brut était déjà terrifiant, il ne voulait pas imaginer ce que ça donnerait après des enchaînements complexes.

Tu ne veux pas imaginer ? Alors regarde...

"Regarde les tous mourir."

Ces derniers mots avaient été prononcés à voix haute, suivi d'un cri paniqué de Baku. Cela ne pouvait pas être pire. L'énergie mobilisée était au niveau d'un sort de niveau Savant, non, de niveau Esprit. Depuis quand Akira savait-il lancer ce genre de sorts ?!? Il n'avait aucune idée, jusqu'à aujourd'hui, que le domaine Cauchemar pouvait être complexifié !

Tu sais, il y a eu des précédents à notre cas, Baku. Tu croyais qu'on était uniques au monde ? Quelle dérision. Je me demande, au final, qui a le pire orgueil de nous deux.

En attendant, il était hors de question d'achever ce sort.

Il fit un signe de tête à Mairù, alors qu'Akira était concentré sur son pentacle. Un assentiment. Qu'il l'envoie valser si il le veuille, Akira ne devait pas achever ce qu'il préparait. Pour le bien de Shera. De Lina. Et de tout le palais.

Mairù ne dit rien. Mais Baku savait qu'il avait compris le message. Et alors même qu'il avait senti le coup venir, il laissa le tentacule s'enrouler autour de sa jambe, et l'envoyer valser à l'instant précis où il cédait du terrain à son alter ego. Mais pas n'importe quel terrain.

Un cri de douleur se répercuta dans sa tête alors que le crâne de Baku rencontrait les briques, puis la pierre, et que le sang jaillissait de ses nouvelles blessures. Mairù avait bloqué, en enroulant ce tentacule, le caractère inhibiteur de la douleur de ses pouvoirs, mais pas sa régénération, forçant Akira à encaisser à la place de Baku chaque coup qu'il lui mettait. L'alter ego crachait sa rage à travers les cordes vocales de Baku, mais perdait par à-coups son emprise sur lui. Encore un petit effort... Un tout petit effort...

Petits salopards ! Attendez un peu que je récupère tout contrôle sur mon corps !

Au final, il ne fut pas si petit que ça, l'effort combiné des deux Claro, qui renvoya Akira loin de l'esprit de Baku. Mairù, sans lâcher le contrôle sur la magie de son frère, s'empressa d'ériger une barrière anti-alter ego autour de l'esprit de son frère, avant d'enfin le lâcher. Baku, enfin de retour dans son corps, prit une profonde inspiration, puis deux, puis trois, avant de laisser sa vue s'habituer à ses perceptions solitaires. Il cligna des yeux, pour voir ses deux chatons en face de lui, des expressions inquiètes sur le visage. Un profond soupir s'échappa d'entre ses lèvres.

"- Qu'est ce qu'il s'est passé ?"

Baku grinça des dents à la question de Lina. Elle se doutait très bien ce ce qu'il s'était passé.

"- Akira, répondit Corbeau à sa place. Baku était en proie à un de ses moments d'égarement lorsque vous êtes arrivées, et je crois que ça a déclenché cette énorme crise.

- Le moins qu'on puisse dire, renchérit Mairù, c'est qu'il était pas calme, le gars ! J'ai jamais senti une telle rage !

- Et je crois avoir ma petite idée de pourquoi."

Le ton de Baku était empreint d'un énorme défaitisme. Aujourd'hui, Akira, en réduisant ses défenses à néant, venait de leur prouver que tous les ennemis n'étaient pas totalement détruits. Qu'il restait toujours un danger.

Et Lina et Shera, à en juger par le regard qu'elles venaient de s'échanger, avaient très bien compris la nature du danger en question.

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Oh ça oui, il y a du danger !

Akira : Tu étais vrament obligée ?

Je te trouvais de trop bonne humeur depuis hier, il fallait remédier à ça.

Akira : Trop aimable.

Merci.

C'est totalement canon, au fait ! Mais la réaction d'Akira à cet épisode de karma ne sera pas celle qu'on pourrait penser.... owo

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