Devoirs supplémentaires
Le jour était bien avancé, et alors que dans n'importe quelle temporalité le soleil brillerait haut dans le ciel, recouvrant de ses rayons bienfaisants les êtres qu'il protégeait, dans la dimension parallèle où flottait l'immense château de l'École des Fous, une brume perpétuelle plongeait l'univers entier dans une atmosphère grise et terne. Cette même brume qui formait au gré des envies des propriétaires des arènes, forêts, et escaliers d'accès au bâtiment de pierre plus noire que l'onyx, avant de se dissiper dans le vent froid pour venir noircir un peu plus le cœur de ceux qui y vivaient.
Emprunter et diriger cette brume grise selon ses désirs afin d'atteindre les portes de l'École était le premier pas pour tout élève néophyte, choisi spécialement par la crème de la crème de l'établissement, et chacun se souvenait des escaliers de brouillard solide qu'ils avaient dû emprunter avant de franchir les portes de métal rouillé par le temps et l'hémoglobine. Tous, sauf le nouveau venu, aux cheveux d'un bleu-vert terni et aux yeux perçants. Lui, il racontait avoir franchi une porte, pour se retrouver face au regard méprisant d'une femme dotée d'une profonde cicatrice, qui avait dardé des iris d'un rouge vermillon sur lui avant de lui tendre le classique formulaire.
L'élève était orgueilleux, avide de pouvoir et de sensations fortes, et son regard jaune vif révélait un esprit rendu manipulateur par une totale absence d'empathie. Un être qu'on aurait pu décrire comme un dangereux psychopathe dans toute autre réalité, mais qui ici n'était qu'un élève de plus. Considéré comme un déchet par tous ceux, même les pires, qui connaissaient ses exactions précises.
Sirine Gamayun n'était pas homme à être admis à l'École selon les règles habituelles, la plupart du temps on les trouvait plutôt de l'autre côté du scalpel. Mais la Directrice avait choisi de l'admettre malgré tout, et aujourd'hui il suivait les cours parmi ceux qu'il répugnait, et ce sans s'en préoccuper le moins du monde. Après tout, que lui importait ce que pensaient les gens? Rien du tout. Ce n'étaient rien de plus que des moucherons sans intérêt à ses yeux, des jouets tout au plus. Et il avait hâte d'en faire la démonstration lors de son premier cours.
Il avait été très surpris, lorsqu'on lui avait expliqué le fonctionnement de l'École, de ne pas recevoir le poste de professeur. Après tout c'était le titre honorifique qui lui convenait le mieux, non? Que Kathlina ait décidé de le laisser sur les bancs durs et puants de l'apprenti alors que son talent lui aurait valu le fauteuil de l'enseignant le dépassait. Et il avait hâte de prouver à son professeur du jour, quel qu'il soit, que c'était sa place, à lui seul.
Il sentait peser autour de lui les regards lourds des élèves, tous plus jeunes que lui. Il avait été classé dans le niveau des débutants, un vrai déshonneur pour lui après une vie entière de manipulation. Mais aujourd'hui, le dégoût lestait beaucoup moins leurs prunelles accusatrices que d'habitude. Il pouvait sentir l'odeur de la peur, une peur viscérale et irrationnelle, braquée contre un élément inconnu. Est-ce que c'était parce que chacun d'eux avait vu la marque qu'il avait pris soin de poser durant leur sommeil, riant de leur imprudence? Il ne voyait que ça.
La porte s'ouvrit dans un grincement, interrompant immédiatement les conversations. Tous les élèves se levèrent d'un même geste, les bras le long du corps, le visage tendu au possible. Seul, Sirine resta en place. Il ne comprenait pas la raison de ce comportement. Y'avait il derrière la porte un être capable, comme lui, de manipulation des corps? Ou était-ce à cause de la peur qu'il sentait imprégner toujours plus la salle de classe faiblement éclairée?
Un petit rire s'échappa de derrière la porte, son dur et sec qui précéda le professeur dans la salle de classe. À la vue de ce dernier Sirine écarquilla les yeux. Ce visage fin, ces cheveux blancs et raides, et ce style d'une pâleur surnaturelle au royaume de la noirceur.... Il les connaissait, il les connaissait même trop bien. Leur porteur avait fait trembler la légende d'Azilis en tant que plus jeune meurtrier de masse de l'histoire, mais lui, il savait que la légende avait pour vraie face un petit garçon esseulé et victime de son propre pouvoir. Pas un fou, pas un être digne de s'asseoir sur le fauteuol prestigieux en face de lui. Juste une larve comme les autres.
Un petit rire s'échappa de ses lèvres, attirant l'attention de l'homme qu'il ne considérait déjà plus comme Professeur. La classe entière se figea net, réaction étrangement disproportionnée aux yeux de l'homme. Qui leur faisait peur, la figure d'autorité, tout juste âgée de vingt ans, ou lui? La première hypothèse lui semblait invraisemblable, et il n'avait pas eu le temps de s'imposer à la classe, du moins pas assez pour valider la deuxième.
L'homme s'approcha avec une lenteur paresseuse, glissant quelques regards inexpressifs aux autres élèves, avant de se planter devant le bureau de Sirine et de se pencher vers lui. Suffisamment pour que son interlocuteur remarque ses prunelles entièrement noires. De même qu'un étrange sourire teinté de sadisme.
"Tiens tiens, qu'avons-nous là.... Sirine Gamayun en personne, qui se sent tellement au dessus des autres que malgré son arrivée en cours d'année il ne prend même pas la peine de me montrer une marque de respect dans ma classe..."
Un déglutissement collectif de la part de la classe entière se répandit dans l'air chargé de tension. Mais Sirine ne s'en préoccupa pas. Il avait les yeux fixés sur l'autre, plongé dans son regard onyx. Il ne se souvenait pas de pareil regard. Lui aurait-on dissimulé des choses à propos du plus jeune des Claro?
Il se racla la gorge, et sussura avec le plus de mépris qu'il pouvait :
"– Et nous, qu'avons-nous là? Un jeune homme qui a visiblement vanté ses mérites pour obtenir un poste qu'il ne mérite pas? Dont le seul acte a été de céder à ses pouvoirs pour ravager une simple partie de la ville? Un homme que rien que par mon expérience je surpasse? Qu'est-ce que tu fais à ce poste au juste, Baku?"
Le sourire de l'homme s'était crispé.
Plus personne ne répondait rien, Sirine ne sentait que le silence et la peur, toujours la peur, une peur atteignant des sommets. Lui aussi commençait à être atteint par cette peur, mais pas suffisamment pour cesser de fixer le visage du professeur, dont les pupilles s'étaient étrecies jusqu'à former des fentes, d'une apparence presque féline. La tension commençait à peser sur les nerfs de l'élève, aussi décida t'il d'agir. Histoire de prouver sa force à tous.
Il remua un doigt et haussa un sourcil, mobilisant ses flux. Aussitôt, un des élèves préalablement marqués se leva, et bondit sur le professeur avec un cri de terreur abject. Sirine sourit, et lui fit sortir son arme. Un mage régénérateur se trouvait en face de lui, il lui suffirait de le blesser suffisamment pour couper son pouvoir, et son simili coup d'État réussirait à l'entente du dernier soupir du jeune Claro. Cela ne résoudrait pas le mystère de sa presence ici, mais lui permettrait au moins de prouver sa force aux autres...
L'homme se retourna, fixa l'élève. Son sourire s'élargit. Et le corps lancé à pleine vitesse explosa dans une pluie de sang et de fluides, recouvrant intégralement les autres proches de lui et le professeur, qui se passa la langue sur les lèvres avec un délice non dissimulé.
Sirine ne disait plus rien.
Ce n'était pas normal.
Un tel pouvoir était impossible.
Pas chez Baku.
Pas comme ça.
L'autre se tourna vers lui, les yeux brillants d'une cruauté qu'il ne cherchait même pas à cacher. Avant de passer les doigts sur la joue de son élève, y laissant une traînée de sang.
"–À ta place, je ne citerais pas le nom de cet imbécile en ma présence, mon garçon. Parce que tu pourrais bien subir le même sort que ce type que tu as manipulé pour qu'il prenne à ta place. Ingénieux pas vrai? Mais inutile."
Sirine restait immobile. Il n'y comprenait plus rien. Le Professeur se décala doucement de sa table avant de retourner devant la classe, toujours recouvert de sang.
"Puisque visiblement certains sont suffisamment idiots pour ne pas se renseigner sur les professeurs avant de venir en classe, je me présente à nouveau. Cela rafraîchira sûrement la mémoire de certains... Je me nomme Akira Claro. Maître des cauchemars et directeur adjoint de l'École des Fous depuis peu. Et comme vous venez de le constater, me défier n'est vraiment, vraiment pas une bonne idée."
Son sourire s'élargit encore, alors que la température de la pièce semblait frôler le zéro absolu. Même Sirine se taisait. Il assimilait les informations.
"Je comptais faire uniquement de la théorie et un petit discours sur l'intérêt de manipuler l'esprit dans une démarche de souffrance, mais je me suis dit qu'une petite démonstration serait de bon aloi.... Qu'en dites-vous?"
Personne ne pipait mot. Il n'y avait plus dans la pièce sombre que le son de la voix du professeur, qui retourna se poster devant la table où Sirine s'était assis.
"J'ai justement un parfait cobaye du jour."
À l'extérieur de la pièce, un horrible hurlement, accompagné du ricanement sadique le plus connu des couloirs de l'École, fit tourner la tête à tous les passants des couloirs, élèves comme Professeurs.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top