Dans le labo du maître
La jeune femme s'avançait discrètement vers la porte secondaire de l'immense bâtiment, un sourire exalté aux lèvres. Sourire qui trouvait sa source dans son intense impatience: après tant d'années de séparation, elle avait accompli sa mission, cette vengeance qui lui permettait de s'accrocher à une vie sans piment. Et, une fois cela fait, elle avait appris que le maître était encore en vie. Qu'il avait survécu au chaos ordonné par son ennemie.
Et aujourd'hui, elle pouvait se presenter devant lui avec la satisfaction du devoir accompli.
Remettant une longue mèche verte échappée de sa coiffure derrière son oreille, elle sortit sa langue pour mieux capter les odeurs. Oui, elle la sentait: non l'odeur, mais l'aura du maître, extrêmement reconnaissable à sa captivante puissance. La jeune femme tenta de retracer la piste jusqu'à sa source, mais sans succès : Il s'était visiblement enfermé dans un lieu isolé. Son laboratoire, sans aucun doute.
S'infiltrer dans le bâtiment fut aisé. Tous ses habitants étaient prostrés dans une attitude de deuil dont elle pouvait se réjouir d'être la cause. Même celui à l'ouïe fine, dont elle craignait plus que tout l'intervention après s'être échappée de justesse de ses griffes, celui-là restait dans son coin, oublieux du monde qui l'entourait, des enfants qui pleuraient sur ses genoux. Elle passa sans le moindre problème. Même la chute d'une de ses écailles mortes sur le sol, façon propre aux hybrides de muer, ne fit rien bouger dans la maison.
Enfin, la femme arriva devant la porte qu'il lui avait désignée comme étant celle de son laboratoire, longtemps auparavant, alors que son grand projet était encore une réalité atteignable. Son appréhension s'exsudait par tous les pores de sa peau, et cette tension lui fit reprendre un vieux tic qu'elle avait oublié des années auparavant : Elle se gratta les écailles du visage qui témoignaient de son ascendance reptilienne. Quelques unes, mortes, tombèrent dans un doux cliquetis sur le carrelage du couloir abandonné. Sa mue était en bonne progression.
Sa main tremblait toujours lorsqu'elle la posa sur la poignée de porte. À quelques pas d'elle se trouvait le maître, probablement en train de travailler sur un nouveau grand projet. Elle avait hâte de l'entendre parler de nouveau de son but, avec cette exaltation dans la voix qu'elle idolâtrait, et de le rejoindre, lui, l'objet de son adoration, dans sa nouvelle quête pour changer le monde. C'était son seul désir depuis dix longues années. Alors pourquoi son corps refusait d'actionner cette poignée?
La reptilienne finit par rassembler tout son courage pour forcer son corps à ouvrir la porte et à pénétrer dans le saint des saints, le laboratoire du maître et tous ses secrets. Elle s'empressa de refermer la porte derrière elle, ne souhaitant pour rien au monde être surprise. Ce moment était à elle, et à elle seule.
Il était là. Non au fond de l'immense pièce, dans le carré stérile qu'il lui avait décrit comme étant son lieu de travail favori, mais debout devant un microscope, à côté de la seule source de lumière du labo aux murs blancs et sales, une petite ampoule braquée vers des cultures soigneusement protégées. Sans doute avait-il entendu la porte se refermer, puisqu'il avait interrompu son travail et s'était retourné vers l'impromptue visiteuse.
Mairù avait mal vieilli. Ses cheveux bleu-vert autrefois luisants de magie retombaient en mèches molles et ternes autour de son visage. Sans doute avaient-elles pris quelques centimètres, puisqu'elles atteignaient désormais son menton et dissimulaient son sceau turquoise qui lui entourait la bouche, le nez et le bas du visage. Sa barbe, qu'il prenait autrefois grand soin de tailler pour n'en laisser qu'une fine couche rêche presque invisible, était désormais dure et indisciplinée. Sa longueur renseigna rapidement la jeune femme : Ce laisser-aller datait d'il y a peu de temps. Très peu de temps.
Mais ce furent ses yeux qui frappèrent sa subordonnée. Ou plutôt, toute la détresse que reflétaient ses yeux. Alors que son corps abîmé se tenait encore droit et ferme sur ses pieds, accoudé sur la table de travail dans une position empreinte de son ancienne majesté, l'unique lueur turquoise qu'abritaient ses yeux était une marque de douleur, un maelström de désespoir, le reflet d'une unique pensée :
"Je suis tout seul."
Ce furent ces yeux, plus que les autres traces de son mal-être, qui émurent la femme. Elle se jeta à ses pieds avec toute la dévotion dont elle était capable. Et, les mots se bousculant hors de ses lèvres tant l'émotion qui la prenait était grande, elle prononça cette unique phrase, teintée d'amour et d'adoration :
"Je suis de retour, maître."
Son front pressé au sol, oublieuse de la crasse de cette zone du laboratoire, elle laissait les larmes de joie couler de ses yeux vairons, incapable de contrôler son bonheur. Elle était de retour. Sa vie pouvait reprendre telle qu'elle était. Le maître pouvait faire ce qu'il voulait d'elle.
Mais elle ne s'attendait pas à la dureté de sa réponse.
"Va t'en."
Ces mots prononcés d'une voix sèche et teintée d'une subtile pointe de deuil lui firent relever la tête. Son maître la fixait avec un regard méprisant, furieux, dégoûté même. Il ne prit même pas la peine de se pencher sur elle comme autrefois. Non. Il la rejetait.
Et son regard n'avait rien de miséricordieux.
Sans même lui laisser le temps de répliquer, le plus grand utilisateur de magie de son temps enchaîna d'une voix atone un discours monocorde qu'il semblait avoir travaillé des années durant, voire employé. Sans doute n'était-elle pas la première à venir le voir.
"C'est fini, Snake. Je suis étroitement surveillé et tous mes accès aux manuscrits créateurs bloqués. Les miens m'empêchent de sortir, c'est presque un miracle que tu sois parvenue jusqu'à moi. Et je ne veux pas reprendre ce que j'ai commencé."
Quelle loque était devenu le maître de la magie septième du nom! Un simple scientifique retranché dans son laboratoire. Un vulgaire prisonnier qu'il faut surveiller. Le cœur pétri de colère, la jeune femme se jura de le sortir de son état de vulgaire larve. Il devait la guider, c'était son devoir. Mais il ne pourrait rien faire tant qu'elle ne l'aurait pas remis dans le droit chemin.
Alors, ravalant ce qu'elle avait récupéré d'orgueil, elle l'attrapa par la jambe et, pressant toujours plus son visage au sol, lui adressa une incessante litanie de supplications. Elle était prête à tous les sacrifices pour le voir revenir à son côté, avec elle comme bras droit. C'était son ultime souhait. Elle ne pouvait pas l'abandonner. Mais tout ce qu'elle retira de son sacrifice fut un "Je travaille, Snake." agacé et la sensation du tissu doux de son pantalon de travail qui lui glissait entre les doigts.
Dans un ultime sursaut, Snake se rassit. Il lui restait une dernière carte dans sa manche.
"Attendez maître! La fille! Celle qui vous avait battu! Je vous ai vengé, je l'ai tuée, pour la punir de m'avoir fait croire si longtemps à vôtre mort!"
Elle était lancée, et ne put voir la crispation générale de tout le corps de son bien aimé maître, ni ses yeux qui s'écarquillaient et s'injectaient de bleu. Tout ce qui lui importait était son discours.
"Elle est morte seule, alors que son petit ami, ou peut-être était-ce son mari? Il s'est éloigné chercher du secours, et ce fut sa seule erreur. Je me demande quelle tête il a fait en voyant sa jolie tête brune sur le sol, décapitée par son propre katana? Je n'étais pas là pour le voir, quel dommage, sinon je vous l'aurais raconté... Quel dommage, vraiment!"
Son rire absolument hystérique couvraient les craquements et les crépitements du corps du trentenaire. Ce même rire l'empêcha de l'entendre se retourner, de le voir lever la main. Tout ce qu'elle eut le temps de voir avant de s'évanouir, frappée par un tentacule, fut les dents serrées et l'expression irradiante d'une colère folle de son maître, son idole, son ancre.
Et puis, ce fut le noir.
Lorsqu'elle se réveilla, une heure semblait s'être écoulée. Le labo était illuminé, bien plus que... Attendez une minute.
Elle avait bougé. Ce n'était pas le laboratoire où elle s'était évanouie. C'était le carré stérile, celui où le maître pratiquait ses plus grosses expériences. Et elle était là, sans aucune sensation dans son corps, un rapide regard lui apprenant qu'elle était sanglée à une table. À la place de la victime.
Un début de sensation sur sa joue lui permit de se rendre compte que quelqu'un se trouvait à ses côtés et lui caressait doucement le visage. Elle leva les yeux avec difficulté pour apercevoir le visage doux du maître, posté à sa gauche, une main sur sa peau, un scalpel dans l'autre, et un sourire malsain sur le visage.
"Il y avait longtemps que je n'avais pas expérimenté sur une reptilienne hybridée... C'est gentil de ta part de me donner cette fabuleuse occasion, Alyssa."
L'énoncé de son vrai prénom sur un ton si caressant la fit frissonner. Du moins c'est l'impression qu'elle eut, dans son engourdissement, mais son corps avait activé un vieux réflexe défensif animal et se tordit violemment, retenu par des lanières de métal. La table tressauta, et quelque chose tomba sur le sol dans un cliquetis horriblement familier, détournant l'attention de Mairù qui se pencha pour le ramasser. Lorsque la lumière éclaira l'objet incongru, Snake le reconnut. C'était un bout d'os. Un de ses os.
Ce fut à ce moment-là qu'elle eut finalement le réflexe d'inspecter son corps, ce pour tomber nez à nez avec sa cage thoracique ouverte en deux, et la masse de chair mouvante, gonflée doucement à chaque respiration, qu'étaient ses poumons.
Ses poumons à vif.
C'en fut trop pour elle, elle hurla. Hurla de toute la force de ses poumons, qui vivraient presque dans l'atmosphère stérilisée du carré. Le maître éclata de rire.
"Allons allons, inutile de crier! J'ai eu la bonté de t'anhéstésier pour que tu ne me sentes pas... Trifouiller. Tu savais que tu étais ovipare? C'est stupéfiant, non? Bien sûr, maintenant que tu es réveillée... "
Il sourit encore plus.
"La douleur devrait te rattraper d'un moment à l'autre, je ne me suis pas embarrassé de te trancher les nerfs. Profite bien de ton état semi-comateux car je suis loin d'avoir fini!"
Son rire fou remplit davantage encore la pièce, un léger écho lui donnant de la puissance et divers tons qui rappelaient douloureusement à Snake l'homme qu'elle avait perdu. Cependant, ce rire ne l'empêcha pas d'entendre la question posée à mi-voix de son plus fidèle bras droit, d'une voix rendue rauque par la douleur.
"Pourquoi?"
Il s'arrêta instantanément de rire.
"-Toi... Tu me demandes pourquoi? Tu oses me demander de me justifier auprès de ta misérable petite dépouille bientôt privée de toute vie?"
Sa voix montait dans les aigus au fur et à mesure que les mots sortaient d'entre ses lèvres serrées. Il tentait difficilement de se contenir de la gifler, mais son minuscule zeste de pragmatisme savait qu'on ne frappe pas les sujets d'expérience, voyons.
"Tu m'as privé de la personne qui m'étais la plus chère, espèce de sale petite peste! Celle qui me rattachait à la vie! Tu ne comprends sans doute pas ce sentiment, celui d'être privé de son unique bouée de sauvetage, pas vrai? PAS VRAI?"
Cette fois, il hurlait. Hurlait comme un possédé, des coulées de larmes luisantes de magie sur ses joues, les poings serrés. La main laissée sur la joue devla reptilienne se mit soudainement à la picoter, de plus en plus fort. C'était sa main droite. Sa main bouillonnante de magie.
Et elle, elle ne disait plus rien, parce qu'elle savait. Elle ne connaissait que trop bien cet immense sentiment de perte, de désorientation qui accompagnait la mort de cet être dont on avait tant besoin. C'était un sentiment qu'elle ne souhaitait à personne, même pas sa pire ennemie, sa victime.
Et elle l'avait infligé à son maître bien aimé.
Les hurlements de douleur qui emanèrent soudain de la salle firent sourire un jeune homme qui se tenait près de la porte du laboratoire, tournant une fine mèche blanche entre ses doigts. Un sourire cruel et sadique, qui pouvait presque détourner l'attention sur ses yeux rouges brillants d'une joie malsaine.
Justice était rendue.
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Juste une envie comme ça.
C'est une scène d'une timeline alternative au second tome ou Snake n'échappe à Baku que pour tomber entre les mains de son frère aîné anéanti par la mort de Lina...
Mauvais choix.
Scène totalement pas canon.
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