Ce matin, j'ai voulu commencer une expérience. Les médecins m'ont dit de reprendre mes anciennes habitudes or jusqu'à présent, je suis surtout restée à la maison pour me reposer. J'ai donc fait part à Andrew de mon envie de reprendre la danse classique. Il a d'abord protesté prétextant que mon corps n'y parviendra pas, lorsque je lui ai dit que je voulais seulement faire les pas de base, il s'est résigné.

C'est pour cela qu'il est en train d'installer une barre dans ma chambre. Elle se trouvait déjà là avant, il m'a avoué l'avoir enlevé pour ne pas me faire de la peine.

Une fois terminé, il se tourne vers moi attendant une réaction. Je regarde la barre et approche ma main délicatement comme si elle allait me manger. Lorsque ma main se pose sur la barre, il ne se passe rien. Je suis déçue, terriblement déçue.

- Donc maintenant, comment je fais ?

Il me regarde en faisant les gros yeux. Il hausse simplement les épaules, l'air légérement embarrassé.

- Mon truc c'est le basket, pas la danse, je ne peux rien faire sur ce coup-là. Tu as bien essayé de m'apprendre mais tu désespérais à chaque fois. Tout comme je désespère quand tu as un ballon dans les mains !

- Mais comment je vais faire pour danser si je ne connais pas les pas ?

Là encore il hausse les épaules, mais son visage s'éclaire soudain et il part en courant dans sa chambre. Je le rejoins moins rapidement, ralentie par le boitement de ma jambe. Quand j'arrive, il est au téléphone et me fait un demi-sourire.

- Merci Emy, à tout de suite.

Il pose son téléphone et me regarde fixement.

- Il ne faut pas que tu m'en veuilles, dit-il.

Je le regarde à mon tour, je commence soudain à douter. Que m'a-t-il caché ?

- Je viens de téléphoner à Emily, une de tes amies, du moins c'est un peu plus compliqué.

- Comment ça ?

- Elle te l'expliquera elle-même, elle arrive dans vingt minutes.

Il fait le plus grand sourire innocent qu'il puisse faire. J'aimerais lui en vouloir mais ce sourire m'y empêche. Vingt minutes plus tard, on frappe à l'entrée. Emily ouvre la porte avant même qu'on ne lui dise de le faire. Son visage ne me dit rien comme celui de toutes les personnes que je croise. Elle porte un sac de sport qui m'a l'air plein et assez lourd. Elle ne me dit pas chaleureusement bonjour, ne me prend pas dans ses bras, ne m'embrasse pas, elle se contente de hocher la tête dans ma direction. Mon frère en profite pour sortir faire du basket avec son ami Josh.

- Nous voilà en tête-à-tête ! annonce Emily.

Le silence qui nous entoure est gênant mais seulement pour moi, Emily ne semble pas le moins du monde affectée par la situation. Elle a une allure fière, presque hautaine. J'ai du mal à croire que nous soyons amies, ce n'est pas le genre de personne vers laquelle j'irai spontanément.

- Donc nous sommes amies ?

- Ecoute ma belle, je n'ai qu'une heure devant moi alors si on pouvait se mettre au travail directement et papoter pendant la séance tu seras mignonne.

Elle se dirige vers ma chambre sans même attendre mon accord. Je la suis en claudiquant. Dans ma chambre elle fouille dans mon armoire, toujours sans mon autorisation, et sort ma tenue de danse. Le fait qu'elle sache exactement où se trouve cette tenue prouve qu'elle est proche de moi. Elle me la lance et me regarde fixement, je lui fais comprendre de se retourner et elle le fait en levant les yeux au ciel. Une fois prête, je lui demande ce qu'on va faire.

- Danser. C'est évident. On va commencer par s'échauffer, augmenter ton rythme cardiaque pour éviter tout risque de blessure. Ensuite les classiques, pointes/flex, genou, mollet, hanche...

- Attends, attends. Je te ferai remarquer que mon corps n'est pas au mieux de sa forme !

Elle prend le temps de me dévisager, de la tête jusqu'aux pieds. Elle fait une moue dédaigneuse mais balaie ma remarque d'un geste de la main.

- Bon d'accord, tu as pris un peu de poids mais rien de vraiment insurmontable.

- Est-ce que tu es toujours aussi franche ?

- Evidemment.

- Je n'arrive pas à croire que je sois amie avec quelqu'un comme toi.

Elle sourit tristement et soudainement je m'en veux d'avoir dit quelque chose d'aussi horrible.

- Amie c'est un bien grand mot, disons que notre rivalité a fait que nous nous sommes rapprochées. Toi et moi on a sacrifié tout pour la danse, les amis, les sorties, si tu n'avais pas eu Andrew et... enfin bref, c'était plus facile d'être avec quelqu'un qui comprend ce que l'on ressent lorsqu'on met des pointes.

Après un long silence chargé d'émotions, elle reprend la parole.

- Elles te font mal tes cicatrices ?

Sa voix est moins assurée, plus basse.

- Parfois.

Elle me fait signe de m'approcher de la barre. Je m'exécute. Elle me positionne sans un mot, relève ma tête, rapproche mes pieds et redresse mon dos. Elle sourit satisfaite.

- Tu as gardé tes reflexes, ça doit être gravé dans tes muscles, c'est une bonne chose. Plie les jambes, voilà. Sois un peu plus souple sur tes appuis.

Après quelques exercices supplémentaires réalisés dans le silence, elle finit par avouer quelque chose.

- Tu me manques Cathy.