Partie 4 : AU-DELA - Ch. 28 "Quand le battant ne s'ouvre plus vraiment" (2)

Ma moue devient maussade.

— Ce sera quand même plus dur sans toi pour m'y aider.

— Que prévois-tu pour Noël ?

Changer les idées, c'est un bon plan. Partons sur des thèmes plus joyeux. Je lui parle de ma fête en famille demain.

— Ça ira, avec ta mère ?

Je soupire. Je sais comment ça tourne pour Jules et moi. Même si on en parle peu. Nos échanges de regard et sous-entendus sur le thème suivant la même logique.

— On n'a pas grande influence sur ses envies d'évasion et... elle a soixante-cinq ans, quoi. On profite surtout des heures encore partagées ensemble, en sachant qu'un jour, ce ne sera plus possible. Alors, on ne la froisse pas. Qu'elle profite bien de sa retraite, si ça l'empêche de se laisser aller depuis la mort de notre père...

Mike étire un faible sourire.

— La mienne l'a fait. Elle oublie tout. Elle reste bloquée dans un temps... avant ma maladie. Elle dit toujours réapprendre la nouvelle. Ça me fait mal. Anne-Lise va la voir plusieurs fois par mois. Mais on ne parle pas du... SGB.

Des coups à la porte indiquent la venue de la neurologue et de l'ergothérapeute. Je me relève pour les saluer, soulagée d'avoir la nouvelle en direct. Sa mine grave, prévisible, me laisse tout de même un goût amer en bouche : mauvaises nouvelles confirmées.

— Bonjour madame Leclerq, j'ai bien transmis les documents signés. Comme vous vous en doutez, la phase d'installation est toujours en cours et monsieur est déjà bien atteint. Guillain-Barré proxidistal, démyélinisation, mais aussi deux axones touchés aux extrémités. Je pencherais pour un SGB de type AMAN.

— AMAN ? répété-je.

La tête de Mike démontre que l'information le surprend aussi. Moi, je ne comprends pas tout, je n'ai que quelques heures de recherches internet au compteur.

— Oui, je ne veux pas être affirmative, mais dans un cas classique de polynévrite, la myéline autour des nerfs seule est abîmée, l'installation est plus lente et les axones sont peu touchés. Souvent les SGB AMAN sont liés à la gastroentérite, ce qui fut le déclencheur de votre première manifestation. Dans un cas AMAN, les nerfs moteurs gardent plus de séquelles et la récupération est plus longue. Je trouve que ça fait beaucoup d'éléments en faveur de cette forme.

— Je... je ne récupérerai pas ? chevrote Mike.

La neurologue lui adresse un petit sourire rassurant.

— Ne soyons pas catégoriques. C'est une maladie imprévisible, comme je vous l'ai dit, et je ne suis pas devin. Je ne peux qu'observer des données et évaluer des risques. Le reste de votre récupération dépendra de vous. On estime que l'axone peut se régénérer dans les quatre années qui suivent, vous êtes toujours dans les délais, donc.

— Mais pourquoi a-t-il rechuté maintenant ? l'interrogé-je.

Quand même, si on pouvait avoir une astuce ou l'autre pour éviter de jouer au yoyo avec sa santé après... La neurologue replie son calepin contre elle, tandis que l'ergo place des coussins étranges sous les chevilles de Mike, avec une grande précaution.

— Il peut y avoir plusieurs causes. Visiblement, on peut écarter l'idée d'une seconde gastro. Il reste la fatigue combinée à une dépression hivernale et à son rhume, il y a aussi des patients SGB qui font une rechute pour des cause plus émotionnelles. Y a-t-il eu... un événement grave, dernièrement ? La perte d'un parent, l'accident d'un proche ? Vous n'êtes pas obligés de me répondre. Monsieur Renard, je vais vous laisser aux bons soins de ma collègue, Docteure Debroeck, ensuite vous irez faire une nasofibroscopie, pour estimer les risques de paralysie faciale et les troubles de déglutition, ça va ? Vous pourrez ensuite vous reposer, on vous laissera tranquille.

— OK, soupire Mike. On se revoit demain, Corinne ? Ou tu passeras après-demain, plutôt. Tu as ta fête de famille. Ne t'embête pas.

— Ça ira, tu es sûr ?

— Ouais, un jour sans toi, je survivrai. T'as une vie aussi. Savoure-la.

Je l'embrasse en douceur, puis repars en même temps que la neurologue.

— Auriez-vous un peu de temps avant de partir ? demande-t-elle.

Rien qu'à son regard, je comprends que la discussion loin de Mike prend un autre tournant. OK, on entre dans des sujets interdits. Je souffle, comme si j'allais monter sur un ring. Suis-je prête à tout entendre ? Non. Vais-je tout subir quand même ? Oui. Déjà, quelque chose me broie les entrailles, depuis qu'elle a répondu à ma dernière question. L'identifier, ce serait craquer, je ne me l'autorise pas.

— Madame, la progression du SGB a été rapide, plus que lors de sa première manifestation. Il présente déjà des faiblesses aux épaules et au cou. Les douleurs ont commencé aux extrémités et s'étendent vers le centre. Vous comprenez ce que cela signifie ?

Je suis si saisie de stupeur que je devine mon visage blême. La neurologue ne me lâche pas du regard, peut-être que me l'entendre dire va m'aider à encaisser la chose, à ses yeux ?

— La gorge ? Les... les poumons ? Ils seront aussi touchés ?

— On ne peut pas être affirmatifs, souvenez-vous. Les examens révèlent un gros risque. Les médecins de garde ici sont au courant de son cas, il est entre de bonnes mains. Mais si jamais il faut le plonger dans le coma en urgence ou opérer, qu'il n'est plus mesure de donner son accord, j'aimerais savoir si nous avons le vôtre. Si c'est le cas, il me faudrait une trace écrite, que vous pouvez laisser à l'accueil.

— Je vous fais confiance, Mike n'a pas l'air d'être votre premier cas. Faites tout ce qui parait nécessaire pour le soulager. Ma seule condition, c'est de m'en avertir immédiatement.

Elle approuve d'un hochement de tête, me serre la main pour sceller l'entente et me laisse rédiger sur une feuille ce que je viens de lui dire. Quand j'ai fini, elle est déjà repartie. Je m'en vais à mon tour, à petits pas. Mon corps est lourd, mon cœur me pèse. Anne-Lise m'envoie un sms pour savoir si elle pourrait rendre visite à Mike aujourd'hui et m'interroge sur la neuro, l'ergo... Je lui conseille de le voir ce soir ou demain, en lui expliquant les inquiétudes du Docteure Lebuys. Et les miennes ressurgissent.

Je n'ose rien dire à personne. La tristesse est évidente, mais ce que j'éprouve aussi, tel un poison lent, c'est la honte. Les paroles que j'ai occultées me reviennent en conduisant, le cheminement s'impose dans ma tête, avec un sale écho : rupture, rechute... rupture, rechute... RUPTURE, RECHUTE ! Le choc de mes pensées provoque mon tsunami et ravage tout dans mon esprit. Je pleure un discours nauséabond qui vient me hanter. Les propos de la neurologue reviennent : « des patients atteints de SGB qui font une rechute pour des causes plus émotionnelles. » La perte de notre couple, ça compte ? Avec ce que la rupture renvoyait à Mike, son passif d'homme rejeté par sa femme pour son infirmité, trompé quand il avait besoin de soutien... Peut-il seulement croire en nous, même si je reviens près de lui ? Si je l'ai fui pour des images, il doit penser que son syndrome aura raison de nous. Je saisis mieux le sens de ses questions. Je lui ai causé des souffrances supplémentaires, n'en a-t-il pas assez comme ça ? Pourquoi ai-je pris peur, bon sang ! Il faut que je me change. Voir un psy, me prendre en main, j'en sais rien. Sinon je n'ai aucune légitimité à lui demander de changer sa vision de lui-même à son tour !

Je me gare devant la maison et constate que mon frère n'est plus là, sans doute en train de récupérer notre mère à l'aéroport. Tant mieux, je ne suis pas présentable ! Quand j'entre, je m'en vais essuyer mes larmes coupables. J'en profite pour me détendre avec une douche et des habits que j'aime beaucoup porter. J'envoie à Amélie la réaction de son père, sans détailler les résultats médicaux. C'est trop lourd pour une gamine. La pauvre, s'il finit dans un sale état, ce sera compliqué de le lui expliquer. Autant rester léger tant qu'on le peut. Je me cale dans le canapé du living et matte une série, histoire de me changer aussi les idées. La déco de Noël me laisse de marbre, même chargée. 

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