Partie 4 : AU-DELA - Ch. 27 "Défenestration" (3)
Anne-Lise nous abandonne tandis que le complexe grisonnant arrive dans notre champ de vision. Le temps de me garer et de trouver le couloir des réas, avec les bagages d'Amélie, s'écoule en silence. Mais tandis qu'on reste assis durant de longues minutes, sans savoir quand un médecin va venir nous trouver, la petite tremble de tout son corps. Je viens enrouler son poing d'une main douce et elle se décide à lever les yeux vers moi. Ils s'embuent.
— J'ai peur pour lui.
— Je m'en doute, ma belle.
J'entoure ses épaules et la colle à moi. Pour moi aussi, c'est l'inconnu. La seule à avoir une idée plus claire de la situation, c'est Anne-Lise. Et lorsqu'elle arrive, sa pâleur n'est pas engageante.
— Un docteur est passé ?
— Pas encore. On attend.
Elle soupire d'exaspération, mais se pose sur un siège, résignée.
— J'ai envoyé un message à Laeticia. Dès qu'elle le verra, elle filera jusqu'ici.
Amélie pousse un long gémissement. Ses cheveux lui servent de rideaux, mais il n'y a aucun doute : c'était la phrase de trop.
— Je voulais finir mon Noël avec papaaa.
Elle cache encore plus son visage contre Anne-Lise qui reprend son souffle par moment, soumise à la même pression que moi. Enfin, une femme vient à notre rencontre. Elle ne peut mal de se tromper, les autres visiteurs vont directement voir leurs proches, sans un mot. La nana est petite avec des cheveux bruns, des cernes prouvant ses heures de travail supplémentaires.
— Bonjour, je suis la neurologue qui va suivre monsieur Renard, Docteure Lebuys.
Elle nous sert la main, puis lance la question qui tue.
— Qui est la personne de confiance ?
Anne-Lise et moi nous échangeons un regard. Dois-je laisser sa sœur s'en occuper ? Elle maitrise mieux le sujet que moi. Mais j'ai tellement envie de suivre Mike de près et je sais qu'il ne demande que ça.
— Anne-Lise, je... j'aimerais être à ses côtés. Je vis plus près en cas d'urgence et je sais ce qu'il pourrait se passer, je me suis renseignée sur la maladie. Je ne doute pas que tu as géré tout ça comme une cheffe la première fois, mais tu sais à quel point c'est important pour Mike de ne pas reperdre son couple à cause du syndrome.
— Excuse-moi, mais... après deux mois de relation tu as rompu, et tu viens à peine de retourner près de lui, je... je ne sais pas quoi en penser, comment savoir si tu auras bien à cœur de prendre les bonnes décisions pour lui, c'est... compliqué. Te faire autant confiance si rapidement, je...
Mes mots ne convaincront pas son esprit plein de doute, alors je prends la petite boîte et la rouvre dans sa main. Oh non, moi aussi je me mets à trembler, la chaleur gagne mes yeux. Bien malgré moi, je revois Mike découvrir son contenu, ému. « ... tu veux bien ? » Ma voix s'étiole.
— C'est mon cadeau de Noël pour Mike. Il l'a vu. Il sait.
Ça y est, je renifle et je vois flou sous des débuts de larmes. Nous n'avons pas atteint Noël, finalement. Anne-Lise me sonde du regard, stupéfaite.
— Il sait que je veux rester.
Cette fois, c'est une voix de souris qui quitte ma gorge nouée. Je veille à rester dos à Amélie, mais elle n'est pas dupe.
— Tante Anne-Lise, papa était trop content de la revoir, tu peux pas les éloigner. Sinon tu seras comme maman.
Cette phrase a l'effet d'un électrochoc sur Anne-Lise. Elle en veut tellement à Laeticia, il est impensable pour elle de se comporter comme l'ex-femme de Mike. Elle soupire, avant d'admettre :
— Mike aura plus besoin de toi que de moi pour se relever. Je suis sa sœur, c'est normal que je l'aime et m'inquiète, alors que toi, tu... tu es sa seconde chance.
Je lui adresse un sourire de gratitude et la doctoresse me prend à part. Elle m'amène dans le couloir, plus loin, murmurant les informations.
— Monsieur Renard a reçu des anti-douleurs, il sera peut-être un peu assommé, mais vu l'évolution de la maladie, il faut lui faire signer la décharge ce soir, pour être sûrs.
— Il peut encore bouger les doigts ? chevroté-je.
— Ça devient difficile. Dès demain, l'ergothérapeute passera, et ce soir, une fois les résultats de la ponction lombaire confirmés, nous essayerons de ralentir le Guillain-Barré avec des immunoglobulines. Vous savez ce que c'est ?
— Oui, c'est quand on insère de bons globules dans le corps pour affaiblir celles qui attaquent les nerfs.
— Bien. Mais vous devez savoir une chose, madame.
Elle s'arrête devant une porte et m'adresse une expression grave. Je suspends mon souffle, je sais déjà que la suite ne va pas me plaire.
— On ne peut pas garantir l'efficacité du traitement, cette maladie est imprévisible. Chaque cas est différent. On ne peut pas vous prédire quand sa phase plateau(*) commencera et dans quel état il sera. Il se peut qu'on le mette dans le coma, comme il se peut que le mois prochain il soit déjà rétabli sans grandes séquelles. Même si dans son cas, j'en doute, malheureusement c'est une rechute et il avait encore des restes de la première manifestation assez marqués. Les rechutes sont souvent plus rudes. Je ne veux pas être pessimiste, madame, mais je pense que vous devez vous préparer à ce cas de figure.
Mon cœur devient fou. Une partie de moi me dit « comment peut-elle me balancer ça comme ça ? », mais elle ne fait que son travail. Et le pire me traverse l'esprit.
— Pensez-vous qu'il... qu'il puisse en mourir ? couiné-je.
Elle ferme les yeux, ses sourcils se froncent et sa tête s'abaisse. Elle cherche ses mots, je n'aime pas ça.
— On ne meurt pas du SGB lui-même, ce sont des infections ou maladies qui surviennent quand les patients sont trop faibles pour les combattre. Mais c'est très rare. Et l'âge et la constitution physique de monsieur Renard jouent en sa faveur.
Une infirmière nous rejoint en me saluant brièvement. Elle m'ouvre la porte, puis s'empare d'un calepin laissé sur le charriot près du lit. Moi je n'ai d'yeux que pour ce qui dépasse du drap blanc : des mains et pieds figés posés sur des reliefs mous, un torse couvert d'une blouse et une tête calée sur des coussins.
— Mike ?
Mon faible appel lui fait pivoter le cou, lentement, tandis que son regard quitte le plafond pour croiser le mien. Un sourire en coin s'étire mollement sur son visage.
— Eh, t'es toujours là, toi ? Ou je sommeille déjà ?
Sa réaction m'amuse : au milieu des discours sérieux et sombres, elle prête à rire.
— Je suis bien là, je viens signer mes engagements.
Perplexe, il découvre le calepin que la soignante me tend pour compléter ma partie. Je lui montre le résultat, signature comprise.
— Tu comptes... me représenter ? Anne-Lise...
— Elle a approuvé. J'ai été un peu aidée par ta fille. Elles sont ensemble pour l'instant.
— Monsieur Renard, dit l'infirmière, vous avez mentionné de fortes tensions aux doigts, est-ce que si vous pincez le bic et qu'on vous place une bande autour, en soulevant nous-mêmes votre poignet, vous vous sentez capable de signer ?
Il acquiesce. Alors qu'il signe, la neurologue déclare :
— Je vais devoir vous laisser. Demain, nous ferons un EMG et je vous contacterai quand nous aurons plus d'informations.
— Est-ce que sa sœur et sa fille peuvent venir le voir ?
— Je préférerais éviter d'épuiser monsieur durant la phase d'installation, c'est une visite à la fois, seulement à des heures raisonnables et dans des délais pas trop longs. C'est le règlement et actuellement je ne me vois pas faire une exception. Il a vraiment besoin de repos.
Désappointée, je soupire, mais marmonne que je comprends. Comme elle ressort de la pièce, je me tourne de nouveau vers Mike, qui grimace lorsque l'infirmière retire le bandage de fortune délicatement. Je récupère le papier où est griffonné un « Renard M. » maladroit. Ma mine inquiète ne parvient pas à se modifier devant un tel spectacle de crispation et de faiblesse. Je me penche pour déposer un délicat baiser sur ses lèvres, tant que c'est encore possible. Puis je capte son regard trouble en chuchotant :
— Maintenant que je t'ai prouvé que je serais bien là durant cette épreuve, c'est à toi de nous montrer à quel point tu vas te battre, d'accord ? Pas d'excuses.
Il sourit encore, même si c'est un sourire coincé dans une grimace.
— Tu vas virer « mère bis » comme ma sœur. Je ferai mon possible. Mais je ne pense pas... revenir avant longtemps, faudra prévenir mon proprio... mon formateur et... ah j'ai du mal à réfléchir, fichus antidouleurs !
Il se laisse choir en fermant les paupières, son corps s'affaisse encore plus, si toutefois c'est possible.
— Madame, je crois qu'il vaut mieux en rester là pour ce soir, suggère l'infirmière, monsieur a besoin de repos, tant que sa perfusion d'antidouleurs le soulage.
Je lui baise le front, puis m'éloigne. Mais avant que je sois sortie, je l'entends souffler :
— Amélie. Prends soin d'Amélie.
(*)Le SGB compte 3 grandes phases, celle d'installation, puis celle « plateau », où le patient stagne dans son état le plus avancé, avant d'entamer la phase de rééducation, aux premiers signes de progression visibles.
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