Partie 4 : AU-DELA - Ch. 27 "Défenestration" (2)

Il étire un large sourire et la joie surplombe la douleur sur son visage jusqu'aux pupilles. Je poursuis, car qui sait quand j'aurai encore l'occasion de dialoguer avec lui ? Le pauvre ne doit pas comprendre ce revirement.

— Je n'aime plus être seule maintenant et... de nous deux, je crois que je suis la plus malade, Mike. Dans ma tête. C'est profond, et toi tu mets tout le temps le doigt dessus, ça me déboussole. Mais... c'est aussi comme ça que je me sens guérir auprès de toi. Je suis désolée.

Mes paupières retiennent des larmes, seulement Mike me rassure :

— Bah, tu ne risques plus d'être prise en photo avant longtemps, de toute façon. Alors... tu me laisses t'aimer ?

— Oui. Et toi ? rétorqué-je, amusée.

Mais il perd son sourire, toute son angoisse ressurgit.

— Je ne sais pas. Tu n'as pas idée de ce qui t'attend. Je vais être un légume et pas toujours commode.

— Ce qui compte, c'est que tu n'en meures pas...

— Ça, c'est pas garanti, grimace-t-il.

— ... et que tu ne te laisses pas abattre. Moi, je ferai ma part. Il y aura quelqu'un qui t'attendra à la sortie. Je serai ta carotte !

Il ricane, un peu de couleurs lui reviennent aux joues sous mes promesses.

— Caty Carotte, quel surnom !

— Renard Légume, c'est mieux, peut-être ?

Nouveau rire contenu, mais il reprend vite son sérieux. Ses yeux me fixent avec cette intensité qui me colle des frissons au corps. Ses plis redeviennent soucieux, je lis dans son regard une peur particulière.

— Je n'ai plus beaucoup de temps avant qu'on m'emmène et qu'on ne me shoote aux antidouleurs, alors je veux te dire... désolé. Désolé de t'avoir menacée...

J'aimerais l'interrompre pour le rassurer, mais il poursuit, comme une ritournelle rythmée par ce mot qui revient sans cesse, comme un texte pensé durant des heures avant d'être récité. Il s'efforce de tout balancer, il s'essouffle en chemin et je comprends que la pire chose à faire serait de le couper.

— ... désolé d'avoir forcé tes barrières invisibles, désolé pour la crise d'angoisse, pour les photos dans ton dos, désolé des soirs où... j'étais trop faible pour t'honorer ou te suivre, désolé... désolé de te revoir dans cet état, désolé pour tout ce qui va suivre, désolé d'avance pour tes sanglots d'inquiétude en m'ayant vu, désolé de t'imposer mon impuissance, mon... fauteuil roulant, ma lenteur, mon besoin d'être nourri et hydraté comme un bébé avec beaucoup de honte. Désolé d'avance pour la paperasse... le peu d'argent que j'aurai si je survis, je sais que... je vais bien trop souffrir pour pouvoir me rendre compte de tes propres souffrances durant ce long chemin de croix. Alors... je dois le dire maintenant. Je... m'en veux déjà. Je ne veux pas... te gâcher la vie, mais je... ne veux pas que tu partes.

Il reverse de nouvelles larmes. Une seule réponse me parait à la hauteur.

— Est-ce que tu as mal au niveau des épaules et du torse ?

— Euh... non, pas encore.

Désarçonné par ma réplique inattendue, il l'est plus encore par mon étreinte précautionneuse. Dès que je suis sûre de ne rien toucher du reste du corps, je serre ma prise. Ma bouche croise son oreille.

— Je t'aime.

Un soupir soulagé affaisse ses épaules et colle sa tête à la mienne. Mon cœur y réagit. J'embrasse son cou, je scelle ainsi mon futur quotidien pour notre avenir.

— Regarde-moi, s'il te plait.

Son appel mélancolique m'oblige à redresser mon nez contre le sien. Je sens ma poitrine revivre en le scrutant.

— Moi aussi.

Il m'embrasse, notre baiser est long comme la peur de ne plus en avoir, long comme le temps passé chacun chez soi à rêver de la bouche de l'autre. Nos langues dansent, mais ce show revigorant cesse quand la sonnette retentit et qu'Amélie revient se jeter sur la porte avec ses bagages. Elle ouvre aux ambulanciers et je me relève. Je prends conscience du déséquilibre du destin qui nous envoie en pleine terre inconnue. Sera-t-il conscient encore demain ? Pourra-t-on lui rendre visite tout de suite ? Récupérera-t-il toutes ses facultés après ça ? Quand donc aura lieu... notre prochain baiser ?

Amélie revient vers nous, toute perdue. Je ne sais pas mieux qu'elle où tout cela va nous mener, mais je réfléchis à court terme pour ne pas faillir à ma promesse ; m'occuper d'elle.

— Amé ? Tu vas venir avec moi, d'accord ?

Elle acquiesce. Ce n'est pas l'heure de protester. Les deux hommes soulèvent Mike sur la civière et celui-ci grimace en retenant un cri sous les prises fermes.

— Attention aux mains et aux pieds, il a très mal, précisé-je aussitôt.

— Ne vous en faites pas, madame, il sera vite pris en charge. Le SMUR nous a suivi, monsieur, ils vont réduire votre douleur avant d'arriver.

— À quel hôpital l'emmenez-vous ?

— Clinique Saint-Pierre. On y va, monsieur.

Ils sont déjà presque partis. J'intime l'ordre à Amélie de me suivre, prends sa valise et m'empare du portefeuille de Mike ainsi que de mon sac. On file jusqu'à ma voiture sans un mot, le pas rapide. Je cale les sacs à l'arrière sans me préoccuper de l'empilage et allume le moteur dès qu'Amélie a bouclé sa ceinture. Je passe en pilote automatique dans ma tête.

— Amé ?

— Oui ?

— Te sens-tu capable de lancer un appel à ta tante, comme tu l'as fait avec moi ?

Je lui jette un coup d'œil inquiet avant de refixer la route. Elle tremble, mais lève son smartphone.

— Mets le haut-parleur si elle décroche, j'imagine que t'as pas trop envie de parler pour l'instant.

Elle approuve d'un « OK » fade. Anne-Lise décroche son téléphone, je soupire de soulagement. Muette, Amélie tient l'appareil sur les genoux.

— Anne-Lise ? C'est Corinne. Tu m'entends bien ?

— Corinne ? Mais...

— Amélie est avec moi, à la demande de Mike. Il est emmené à Saint-Pierre. On est sur la route.

— Quoi ? Oh non... Ce matin, il n'était pas bien, mais à midi, il... je croyais que... Eh attends, tu es venue le voir parce que vous vous êtes remis ensemble ou pour ça ? J'ai l'impression d'avoir loupé des épisodes.

Je soupire encore, avant de prendre le virage vers Ottignies.

— C'est un peu compliqué. Disons les deux. Mais là, le plus urgent, c'est sa santé. Il ne peut plus se lever.

Je crois entendre la pièce tomber dans le silence soudain du téléphone. Trop déboussolée, elle n'a pas mesuré l'ampleur du drame. Je ne peux pas lui en vouloir, moi-même le découvrir dans un tel état a été un choc.

— Quoi ? Alors c'est... son syndrome qui... ?

— Une rechute. Mike n'en doute pas une seconde.

Ma voix a tremblé. Je ne peux pas rester stoïque longtemps et pourtant, je refuse de craquer tant que j'ai Amélie près de moi. Amélie qui ne dit rien. Amélie qui regarde défiler les paysages, comme à l'extérieur de la conversation. Amélie qui triture son sac à dos avec des doigts nerveux.

— O-OK, c'est... je... je vais faire au plus vite. Ils vont sans doute le mettre en réanimation au cas où, essaye de te rendre dans cette partie de l'hôpital, on s'y rejoindra. Amé, tu écoutes ? Louloute...

— Oui tante, maugrée-t-elle.

Anne-Lise a sa voix adoucie par son inquiétude pour sa seule nièce.

— Je vais dire à maman de venir te chercher à l'hôpital, reste bien avec Corinne, d'accord ? Je serai là avant qu'elle ne te reprenne.

— Pas avant d'avoir vu papa.

Sa volonté balancée avec détermination fait soupirer sa tante. J'essaye d'imaginer ce qui peut traverser l'esprit de cette enfant. Elle a passé quasi deux ans sans voir son père, à cause de sa mère en plus, c'est visiblement trop lourd pour être déjà digéré. Alors évidemment...

— Amé, tu ne sais pas ce que les docteurs vont dire, si ça se trouve, personne ne sera autorisé à le revoir ce soir, ça dépend comment son état évolue.

— Ben je veux rester jusqu'à ce qu'ils disent « oui ». Je pourrais dormir chez toi ou chez Corinne.

— Ce n'est pas toi qui décides.

— Je m'en fous.

— Amélie, ne deviens pas grossière, on a suffisamment de choses à encaisser pour le moment !

— Nous serons bientôt à la clinique, annoncé-je.

— Je me mets en route, déclare Anne-Lise. À tout à l'heure.

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