Partie 3 INTIME - Ch. 23 "Sur le balcon, les yeux fermés" (fin)
Une sonnerie sur mon smartphone me sort de mes songes. Ma sœur. Je sais bien pourquoi elle appelle, quand je décroche et lui décris ma situation, la question ne tarde pas.
— Dommage que tu n'aies pas pu y aller. Tu penses que ses amis sont au courant pour ton SGB ?
Je lui renvoie un « bah » je-m'en-foutiste ; pour moi, ce qui compte, c'est que Corinne l'accepte.
— Elle ne t'en veut pas, tu penses ?
— Haha non ! Elle était plutôt contente de ne pas me subir plus longtemps, aujourd'hui, je l'ai un peu charriée.
Mes jambes sont si crispées que j'entame un drainage lymphatique, exécutant un massage circulaire précis, les dents serrées.
— Si elle est vraiment tolérante, ce serait bien que tu ne la fasses pas fuir. Ce serait dommage après deux ans de célibat de vivre juste une amourette.
Malgré mes douleurs, j'ai le sourire aux lèvres rien que de répliquer :
— Ouh crois-moi, on est déjà un cran au-dessus.
— Ouiii je présume que tu l'as attirée sous les draps avec la motivation d'un abstinent forcé, continue-t-elle sur sa lancée moqueuse.
— Oh non, la première fois, je n'ai même pas attendu d'être dans mon lit !
Mon détail la fait rire. Un petit silence suit, m'inspirant de jolis souvenirs qui rendent le présent plus doux. Je soupire dans mon sourire.
— Je l'aime vraiment, tu sais, marmonné-je. Avec elle, je me projette. En l'aidant à s'apprécier, je crois que je m'aide aussi... à accepter ma vie.
— Alors je suis heureuse pour toi. Et je l'aiderai comme je peux à endosser le rôle que j'ai dû tenir.
Enfin, elle veut bien lui donner sa chance ! Mazeltov. Les mots de ma sœur me rappellent à quel point son aide fut précieuse dans les pires moments de ma vie.
— Merci, mère bis. J'en serais pas là sans toi.
Soudain, je reçois une notification pour un message de Corinne. Je prétexte la fatigue à ma sœur, afin d'être tranquille pour notre échange.
« Coucou ! Tu ne dors pas ? »
« Non. Douleurs. »
« Au moins, tu verras tout de suite que j'ai tenu parole ! »
Un élément charge... une vidéo ! Des coups de trompette bizarres électroniques indique le début de « Rockabye » de Clean Bandit et quelqu'un filme Corinne aux côtés d'une de ses amies du karaoké, Nadia, je crois. Au départ, elle remue un peu du bassin sans décoller ses jambes serrées et ses bras pliés. Ça m'amuse. Elle appréhende son lâcher-prise. Mais maintenant que je sais pourquoi, je ressens une certaine fierté à la voir singer son amie. Juliette les rejoint et, prise en sandwich, Corinne se sent sans doute moins seule dans son épreuve. C'est bien d'avoir un tel entourage ! Je faisais pareil avec Antoine et Yves, avant que l'un se tape ma femme et que l'autre me nie depuis ma maladie. Je regarde s'il me reste des antidouleurs sur ma table de nuit, mais non. Je me rallonge en soupirant de plus belle. D'ordinaire, je vérifie de toujours en prendre, à la place, ce soir, j'ai pris Corinne. Enfin, presque ! Elle chamboule toutes mes habitudes de petit vieux et j'aime ça.
Alors que je sens mes yeux se refermer après avoir regardé cinq fois la danse de Corinne, hésitante et mignonne à la fois, un son m'indique un message reçu sur Messenger. Le frère de Corinne ? Un souci ? J'ouvre et découvre une phrase par-dessus une autre vidéo. « Faut que tu voies ça, Mike ! » OK. Y a mon prénom raccourci dedans, donc, ce n'est pas un spam : je clique et me redresse dans mon lit. Jules apparait, tout sourire, son gros plan cachant la foule en transe et sa voix couvrant le bruit.
— Mec, je sais pas ce que t'as fait à ma sœur, mais putain, merci ! Pour la peine, je veux que tu voies ça, elle sait pas que tu vas regarder et c'est encore meilleur ! Parole d'expert en Corinne Attitude !
Je ris, puis il passe derrière son téléphone et concentre l'image sur Corinne et Nadia. Je reconnais le timbre du chanteur grave, les débuts de basses pensées comme des battements de cœur fou qui vous collent aux tempes. Ma « Sofia » danse sur Alvaro Soler, des petits mouvements bien en rythme. Première surprise ! Puis vient son sourire, ses fesses balancées, son échange de regard avec son amie, et les surprises ne se comptent même plus. Belles comme elle. Je crains le refrain. Non par peur pour elle, mais des émotions que va me générer la vue de son explosion de joie. Il arrive. Elle sourit plus fort et tend les bras. Elle ferme les yeux comme je lui ai dit, prend une zone dépeuplée pour de plus grands gestes, elle... suit mes conseils. Cette vidéo est le plus beau signe de confiance en moi qu'elle m'offre sans savoir. Oh comme cela lui réussit ! Son cul oscille, ses jambes croisent des pas cadencés, avec une fluidité qui n'a rien de pensée. Sa décontraction la rend si agréable que son amie se marre et l'imite, quand elle met son index sur les « Sé que no » ou montre son œil sur « Mira ». Comprends-tu vraiment l'espagnol, aussi, Caty ?
Parce que putain, moi, sans ses beaux yeux, je n'avancerais plus. Je stagnais et enfin je bouge, bouge au creux de mon corps capricieux et emprisonné, je me sens en phase avec ce qu'elle fait ce soir. Sacrée nana, tu casses mes barreaux en brisant tes chaînes et j'aime comme tu te déchaînes. Moi, je te vois comme un ange qui prend son envol sur cette piste. J'espère ne jamais briser tes ailes, te savoir libre et légère me fout un coup au cœur et à présent, il bat sur la musique, au même rythme que toi.
Si seulement elle pouvait me l'assurer... est-ce bien moi qui la rends ainsi ? Elle sautille sur le tempo, clappe ses mains, remue les coudes, la nuque... La chanson cesse et change, alors Jules revient sur l'image en levant le pouce. Sans un mot, il coupe tout, car il n'y a rien de plus à dire. Je suis avec elle. Je sais qu'elle m'a écouté, qu'elle s'amuse, et je souris comme un con.
« Merci Jules. Je dormirai sur mes deux oreilles ce soir, grâce à toi. »
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