Partie 3 : INTIME - Ch. 23 Sur le balcon les yeux fermés (1)
Mike :
Je contemple la place en cette fin de journée. Un samedi comme les autres, sans Amélie. Sauf que cette fois, je guette sa venue. Elle se gare près du lac, puis arrive par la droite du cinéma, toujours. Parfois, elle part chez elle, parfois, elle vient chez moi. Chacune de ses venues est ma source de suspense quotidienne. Aujourd'hui, je sais qu'elle doit se préparer et je soupire. Elle voulait profiter d'une soirée réunissant son frère et ses amies pour présenter notre couple de visu. Mais c'est mal barré pour moi. Ils veulent aller dans une petite boîte des environs et, cet après-midi, migraines et raideurs ont été formelles : trop risqué pour moi. Déjà, la musique forte, la longue soirée, le manque d'air frais, les flashes de lumière, tout cela n'aide pas, mais le pire, je le sais, ce sont les gens. Ils ne comprennent pas à quel point un coup de coude ou de pied involontaire me cause des douleurs pour le restant de la soirée. J'espère qu'elle ne sera pas trop déçue. À chaque nouvelle découverte sur mon syndrome, je redoute qu'elle dise « Ça suffit, y en a marre. » Elle n'est pas à l'aise dans ce genre de sortie, en plus. Il faut que j'essaye d'y remédier, sinon elle va passer une mauvaise soirée.
Radio allumée, affalé dans mon sofa, je l'attends. Je fais mon papi, comme dirait ma fille. Je me risque un coup d'œil à mon viseur, quand elle change trois fois de haut. Si seulement je pouvais faire « clic ». Juste une petite photo, rien que pour moi, avec sa belle poitrine, qu'elle avantage avec un push up, tellement sa courbe naturelle la gêne. Oh que j'adorerais éterniser ce moment ! J'imagine qu'elle chantonne. J'imagine ses pensées quand elle lisse sa jupe noire en pivotant devant le miroir ou quand elle affiche une moue perplexe devant son ensemble. J'imagine que je suis tout près d'elle et que son air agacé provoque des imbécilités taquines dans ma bouche.
Soudain, un bruit familier me sort de mes rêveries. Merde ! Je l'ai prise ! Il faut que je l'efface ! Je la sélectionne et... découvre l'image en pouffant. Ses menton et sourcils levés lui donnent un air altier, tandis qu'elle palpe ses seins par-dessus son haut à courtes manches, comme pour en vérifier les rondeurs. Mon sourire s'élargit, je me régale de sa fierté hésitante. « Suis-je jolie ainsi ? Mouais » pourrait être la légende de cette photo. Comme toujours, elle dégage bien des choses, et il n'y a pas de terme plus exact tant il est multiple. Ma petite femme est rêveuse, à un niveau où on ne sait même plus qu'on rêve, elle a l'œil triste et alerte à la fois, elle est expressive à en pleurer de rire ou de compassion, selon le chemin où elle vous mène. Et quand elle vous regarde, elle vous fusille avec un calibre « Que me veux-tu ? », par-dessus des lèvres serrées qui ressemblent à une pomme trop mûre. Je la matte avec vénération, j'étais un Pygmalion esseulé et je viens de trouver ma Galatée. Les photos sont des prétextes pour continuer à l'ausculter du regard sans la mettre mal à l'aise. Elle va sur le balcon malgré la petite pluie du jour et salue dans ma direction, avant de me faire signe qu'elle arrive.
Je vais retrouver ma petite copine durant un bout de soirée et cela fait de moi un homme heureux, envers et contre toutes mes souffrances du jour. Je m'exerce à ouvrir et fermer mes doigts raides, tandis qu'elle court sur la place et entre les flaques. Dans un soupir, je m'efforce de me lever pour sortir de l'armoire une sauce toute faite. Rien que de me baisser, prendre le bocal et le soulever, j'en crève ! Je vois le récipient trembler entre mes paumes. Pas lâcher, pas lâcher ! Poc. Ouf ! Ça, c'est fait. Je prends une casserole et m'aide d'un bec verseur pour la remplir d'eau, déjà en place sur le réchaud.
— Je suis làààà. Tu es prêt ?
Corinne me rejoint. Avant que je ne dise un mot, elle croise mon expression désolée, au-delà de mon sourire.
— Oh... je t'ai connu plus en forme.
— Ouais, c'est... un peu compromis, pour moi, ce soir.
J'allume le gaz, mais elle m'écarte du plan de travail.
— Je vais m'en occuper. Tu n'as pas un médoc pour te soulager ?
— Si, mais je ne le prends pas à jeun. Je tiendrai bien jusqu'au repas. Merci, ma petite femme.
Mon rappel la fait sourire, alors je cueille sa joie d'un baiser. Même si je la laisse faire la popotte, je ne peux m'empêcher de prendre sur moi pour mettre la table. Question de fierté. L'amertume des bouchées glissées entre mes lèvres d'infirme me reste encore en mémoire. Si je m'assois ensuite sans plus rien faire, ce n'est pas que pour mes pieds endoloris. Je l'observe fredonner un petit air devant les fourneaux, son joli derrière qui oscille, et ça me fait soupirer de dépit : je raterai ce spectacle.
— Prête pour ta sortie, Corinne ?
— Hmm hmm, acquiesce-t-elle en retournant la viande.
— Sûre ? Tu comptes danser, n'est-ce pas ?
J'émets quelques doutes et je ne vais pas en rester là. Surtout en la voyant se replier sur elle dans un silence soudain. Si elle pense que je ne m'apercevrai de rien sous prétexte qu'elle remue la tambouille, elle rêve ! J'attends qu'elle revienne poser le repas à table et briser son mutisme d'un « Bon appétit ! » phatique, avant de passer à l'offensive.
— À quoi ça te servirait d'aller en boite sans danser ? Tu veux découvrir quel tabouret ballotte le plus ?
— Au départ, je m'étais dit que ta présence m'aiderait à essayer de le faire un peu, pour faire plaisir aux autres, mais maintenant...
Ok, elle s'en remettait à moi. Ce qui signifie que j'ai toutes les cartes en main. Bien ! Abattons nos jeux, donc !
— Il faut que tu le fasses, tu m'entends ? Je ne suis pas un grigri, avec ou sans moi, tu prends les mêmes risques et le même plaisir.
Elle grimace avant de reprendre une bouchée.
— Je ne suis pas sûre que « plaisir » soit le terme approprié. Je dirais plutôt « stress et méfiance ».
Hmm, la déstresser ? J'opte pour mon plan B et vais prendre mon antidouleur pour être sûr qu'il soit efficace à temps. Je sais à quel point mon regard frontal lui fait de l'effet et je fais exprès de récupérer de la semoule au bord de mes lèvres, plusieurs fois durant le repas. Malgré son silence anxieux, elle a au moins dégluti trois fois devant mon petit manège. À peine son assiette achevée tant bien que mal, elle se dérobe.
— Je... je vais me rafraichir un peu avant de partir. Je vais être en retard, il est presque neuf heures du soir et...
Mais je ne la laisse pas atteindre la porte de ma chambre pour filer dans la salle de bain, ma main glissée à sa taille menue l'interrompt. Ma peau brûle sous ce contact et un vertige m'a saisi en me levant précipitamment, mais je m'en fous. Elle a rosi, cela me donne encore plus envie d'elle. Les galipettes sont proscrites ce soir, néanmoins je me sens assez en forme pour mes projets. Espérons que la mesure extrême fonctionne.
— Que fais-tu, Mike ?
Oh, quelle douce petite voix de femme déstabilisée, j'ai toute son attention et mon sourire s'élargit.
— Tu exagères, Corinne, tu as rendez-vous à vingt-deux heures, alors tu es loin d'être en retard. Cela nous laisse même le temps de... discuter.
J'ai soufflé mes mots en la poussant contre le mur. Je l'entraine à peine dans mon mouvement, elle est déjà sous mon emprise et sa respiration devient erratique à ma première caresse. Mon front se colle au sien, je me laisse porter par l'envie jusqu'à saisir ses lèvres à l'aveugle. J'ai son souffle chaud, son odeur, une de ses bouclettes contre ma joue qui me poussent au vice. Mon autre main, aussi arrangée que sa sœur, pétrit délicatement sa hanche. Soudain, alors que mon pouce se glisse sous sa blouse, elle écarte ses lèvres des miennes. Je contiens mon désir dans mon ton rauque :
— Qu'y a-t-il ?
Je perçois son malaise sur son visage, elle s'est crispée d'un coup, quelque chose cloche et elle a intérêt à m'en parler sinon je continue jusqu'à ce qu'elle crache le morceau. On est un couple, maintenant. Et moi, je n'ai plus de secrets pour elle.
— Je... Je n'aime pas... contre un mur, ce...
Elle évite mon regard pour fixer le sol, rouge de gêne. Merde.
— C'est comme ça qu'ils m'avaient coincée... petite.
Et remerde.
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