Partie 3 INTIME - Ch.18 "Fenêtres insonorisées" (fin)
Durant nos discussions anodines, Mike n'hésite pas à lâcher ses phrases sarcastiques d'un ton doucereux ou à me glisser de temps en temps quelques mots à l'oreille, comme le pari que sa fille va lui réclamer son smartphone dans moins de dix minutes ou qu'Anne-Lise s'est encore loupée avec « le Benoît qu'elle convoite ». Et puis... d'autres phrases, bien sûr. Celles qui me font prendre des couleurs, ce qui n'échappe jamais à ma meilleure pote en face de moi, et donc je me colore encore plus... Pour finir, je me change en œuvre d'art contemporain, au point de même interpeler Jules. Il se fend alors d'un sourire goguenard et j'ai juste envie d'éclater sa face dans son plat.
— J'ai hâte de recevoir ta prochaine lettre, me chuchote mon amant, je me suis déjà inventé tous les statuts de la Terre. Avec ton imagination folle, tout est possible.
— Tu me prêtes des comportements que je n'ai pas, chevroté-je en aparté, je suis très simple dans mes relations.
— Oh oui, la nôtre est si limpide et linéaire, une vraie routine.
Son haussement de sourcils m'agace ou, plutôt, la véracité de ses propos. Je ne suis pas tendue que par sa présence. J'ai peur de la réaction des autres en cas de flagrant délit et d'être houspillée pour aller sur scène. Mike jette un œil à son smartphone, puis son expression devient soucieuse.
— Un problème ?
— Hm ? Non. Ma sœur Anne-Lise aimerait nous rejoindre au karaoké, je peux confirmer qu'elle est la bienvenue ou ça vous dérange ?
— Oh dites oui ! s'écrie Amélie. Ma tante est cool !
— C'est ta sœur ? s'assure Nadia. Ouais, laisse-la nous rejoindre. Elle va chanter ?
— J'sais pas. Je n'ai jamais eu l'idée de me rendre à un karaoké avec elle, avoue Mike avec nonchalance, ce doit être parce que j'ai eu un aperçu de ses fausses notes sous la douche.
Nous sommes plusieurs à rire, mais lui reste un peu sombre sous son sourire en coin de façade. Cinq minutes plus tard, une discrète pression de sa main sur la mienne confirme mes soupçons : il n'est pas à l'aise depuis ce sms.
À la fin du repas, nous nous levons tous, sauf Amélie qui chuchote quelque chose à Mike. Elle se lève dans un tonitruant « Je dois faire pipi ! » et file au fond du restaurant. Mike hausse les épaules.
— Allez-y déjà, je vous rejoindrai avec elle après.
Les autres ne se font pas prier, car c'est l'occasion pour eux de faire leurs retours à chaud sur leur rencontre ou retrouvailles avec Mike. Je sais déjà qu'on va m'interpeler tout le long du chemin et j'en soupire d'avance.
— Eh bien, je n'ai aucune chance ! lâche Juliette.
— De quoi ?
— De flirter avec Mike, précise-t-elle le sourire en coin, il t'accorde tous ses regards doux.
— Ohh, ne joue pas les vierges effarouchées ! s'exclama Nadia. Tu crois que j'ai pas vu son bras dévier vers le tien sous la table ? Tu le sais !
Elles m'encadrent comme des gardes du corps, s'échangeant des sourires complices, leurs pas calqués sur les miens. Et moi ? Moi, comme souvent, je ne dis rien, racrapotée et pleine de rose aux joues. Personne n'a idée de notre accord sur l'issue de cette soirée, à part Nadia. Ils ne se doutent pas qu'il met le paquet maintenant pour influencer ma réponse finale. Mais, bizarrement, je ne veux pas l'évoquer. Même si créer un jardin de plus en plus secret avec Mikaël me fait craindre le pire. Il ne faut pas que je m'attache trop à un homme si dissimulé. Car il dévie des vrais sujets. Et puis... je ne suis pas sûre d'être prête à m'exposer. Physiquement, sentimentalement... Je n'ai vécu sereine qu'après avoir éloigné les tracasseries que causaient les hommes dans ma vie. Et depuis deux mois, la vie n'a plus rien de zen à mes yeux. Il remue trop de choses.
— Tu sais, moi je suis sûre que soit ils ont déjà couché, soit ça va pas tarder, parce que la température du mec, wouuhh, chaud bouillant !
Nadia, bordel, t'as pas osé ? Juliette et elle s'écroulent de rire, tandis que le propos obscène me sort de mes songes. Juliette croise mon regard une seconde, puis ajoute :
— Corinne aussi, elle chauffe, regardez-moi ces petites bajoues ! Allez, Coco, ne te prends pas la tête, c'est une bonne chose que tu bouges, que tu rencontres...
— Ouais, ça te redonne une vie un peu plus normale, appuie Nadia.
Un bras encadre soudain mes épaules. Je sursaute, mais ce n'est que Jules.
— Eh, les filles, laissez-la un peu. Chérie, t'es en train de provoquer son étouffement, faut qu'elle respire. On a promis.
Surprise par sa subite tendresse, je découvre lesourire sincère de Jules et le lui rends, tel un « merci » spécialfratrie. Puis je soupire pour faire baisser ma tension complètement folle. Enfin,moins folle qu'avec Mike dans les parages. Ce n'est pas plus mal s'il me lâche un peu, ainsi je récupère ma tranquillité d'esprit une courte période. Bien qu'une fois à table, « courte » n'est pas le terme.
— Que fait-il ? s'étonne Juliette.
Jules se penche pour jeter un œil à l'entrée du bistrot karaoké.
— Pas de Mike en vue. Par contre, il y a une belle plante là devant. Aïe !
Sa réflexion lui vaut une claque de Nadia sur son crâne. Il sourit.
— Je te rassure, ma petite souris, elle est trop vieille pour moi. Ah ! Le voilà ! Ehh... il connait la bombe humaine ?
— Retire tes sales yeux de cette bombasse, le menace Nadia.
Je ris, quasi sûre de savoir qui est cette « bombasse ». Un coup d'œil suffit à confirmer mes soupçons.
— C'est Anne-Lise que tu mates, Jules !
Les autres me rejoignent dans mon éclat de rire, sauf le coupable qui rougit de honte. Impossible de nier notre lien de parenté quand il se colore jusqu'aux oreilles.
— Merde, j'étais sur le point de lui dire qu'il avait bon goût en matière de femmes, tu me sauves d'un gros moment de solitude.
On s'esclaffe de plus belle et il se joint cette fois à l'hilarité générale qui nous vaut des regards perplexes de la table d'à côté. Mais aujourd'hui, je m'en moque. Et je sais pourquoi : quelque chose a attiré toute mon attention. J'entends à peine Nadia chambrer Jules et mon rire s'est estompé plus vite que celui de mes amies. Anne-Lise et Mike ne sont pas encore rentrés. Je ne vois que le dos de Mike, mais le visage et les gestes vifs d'Anne-Lise en disent assez long : ça se dispute chez les Renard. Mike ne réagit pas beaucoup, il s'est figé, trop. Quant à Amélie, je la vois soupirer, un air las sur le minois, avant de filer à l'intérieur. Je lui fais signe de venir s'assoir près de moi, tandis qu'elle peine à lever ses yeux du sol. Tout juste assise, elle s'écroule sur la table, la tête blottie dans ses bras croisés. Je l'entends maugréer « Ils font chier », comme si elle veillait à ne pas rendre son juron trop audible. Je me penche pour l'interpeler d'un ton délicat.
— Amélie ? Tout va bien ?
— Ouais.
Autrement dit, « Fiche-moi la paix ». Son épaule repousse d'un mouvement sec ma main, comme si elle chassait une mouche posée dessus. OK... Juliette m'a rien loupé de l'échange, face à nous.
— Eh bien, cocotte, quel changement d'humeur ! Si tu regardais la carte pour te prendre un verre ?
Amélie soupire, mais accepte d'un geste le menu tendu. Cachée derrière, elle marmonne d'une voix discrète :
— Corinne ?
Je croise son regard. Un regard grave, intense, comme son père peut avoir quand il n'a pas envie de plaisanter. Mon petit « oui ? » s'efface devant l'aura de cette petite.
— Ils ont parlé de toi. Tu veux pas devenir sa copine ?
Je m'empourpre sans récupérer de suite ma capacité de parler. Nadia et Jules remarquent ma gêne, mais même Juliette n'aurait rien pu entendre et une part de moi s'en réjouit. Amélie a l'air d'avoir compris que ce sujet n'était pas étalé au grand jour.
— Je... j'ai mes raisons. Ce sont des affaires d'adultes tout ça, profite de ta sortie en famille.
Elle retrouve un léger sourire et se penche pour me glisser à l'oreille :
— Je trouverais ça bien que t'acceptes, juste pour embêter tante Anne-Lise et que papa tire moins souvent la tronche. En général, elle est sympa, mais ce soir, je crois qu'elle a eu des problèmes d'amour.
Magnifique...
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