Partie 2 : Réelle - Ch. 7 Panorama sur la mer (1)



Corinne

Bon, c'est le grand jour. Pour faire original, mon premier problème survient devant la garde-robe. Que vais-je mettre ? C'est un détail non négligeable. Il va certainement interpréter des choses selon mon habillement. Je veux rester en retrait, alors misons sur du sombre, pas trop de frivolité. Cependant, je ne veux pas me ramasser face à lui. Aussi j'opte pour un haut léger avec un col en demi-cercle bien large, qui révèle mes épaules. Un pantalon en fuseau noir pour amincir mes satanées rondeurs, sinon je vais me sentir mal à l'aise et je crains qu'il en joue. Il est hors de question de m'y rendre comme une agnelle dans la gueule d'un loup. Je mets une touche de rouge sur mes lèvres, arrange un peu mes paupières, de quoi paraitre coquette, mais pas aguicheuse.

J'ai enfin rouvert mes rideaux : il va de toute façon me voir de près aujourd'hui, alors bon... Cristie part se balader entre les terrasses, profitant que je laisse la porte entrouverte avant de partir. L'horloge du collège en face sonne dans toute la Grand Place : mince, il est midi ! Faut que je file ! Plus le temps de réfléchir, place à l'action ! Je descends quatre à quatre les escaliers avant de virer serré sur la place principale du centre-ville. J'en viens à prier je ne sais quelle divinité que le Renard ne me voie pas dans cet état. Enfin, Mikaël. Mike. Merde !

J'entre dans le bistrot après avoir repris mon souffle, lisse mon manteau beige le temps de me ressaisir, puis parcours avec inquiétude les tables sombres et la décoration un peu rustique. Je dévisage les gens comme une biche sauvage acculée. Seigneur, ce que je dois paraître grotesque ! Reprends-toi, couillonne ! Je commande un soda au bar, histoire d'habiller ce moment de solitude. À peine ai-je saisi mon verre que mon dos libère un frisson. Je me sens fixée avec insistance et la réaction de ma poitrine ne me laisse pas de doute. La peur et l'excitation se mélangent alors, lentement, je pivote pour jeter un œil au fond de la pièce, où je n'avais pas regardé. Mais là, c'est lui qui me regarde.

Le voilà, le premier visuel ! Il est semblable aux photos de lui que j'ai trouvées hier soir, à l'aide de son nom et sa ville. Tout juste plus âgé. Mes pupilles s'ancrent aux siennes le temps que je le rejoigne, mon verre dans un main, mon sac tenu par l'autre. Je voulais faire bonne impression, mais je dois refléter l'angoisse sous tous les angles, durant la prudente progression. Il avait raison au sujet de ses yeux, aucun euphémisme, ils sont singuliers et captivants. C'est encore plus stupéfiant en vrai, tellement que je prends le temps de les détailler. Il a des traits fins, une barbe brun foncé clairsemée, un teint parcheminé, et ses lèvres ne se sont pas en effet entendues sur leur volume : celle du haut est timide, celle du bas donne envie qu'on la morde. Oh non, je dois me reprendre, c'est un pervers ! je m'assieds devant lui et réussis enfin à retrouver contenance et fierté.

À nous deux, le voyeur ! T'as assorti ton pull en V à tes iris, mais je ne tomberai pas dans le panneau !

* * * * * *

Mike

Je ne tenais plus en place chez moi, alors je suis déjà là. Je craignais trop qu'elle me voie marcher, d'autant que toute cette nervosité et agitation ne rendent pas service à mon corps. Ma kiné m'a un peu grondée vendredi, mais quand j'ai répondu que j'avais un rendez-vous important dimanche qui me préoccupait, elle s'est détendue dans un petit sourire complice. Ça se voit tant que ça, que je suis stressé à cause d'une femme ? Je jette un œil à mon téléphone : midi moins dix. Pas encore là. Bon, pas de panique, elle a dit qu'elle viendrait et m'a l'air trop fière pour se défiler. Au moins, elle mettra un nom et un visage sur son correspondant, j'espère que ça la calmera. Si jamais je me prends une plainte de police, je peux dire adieu aux weekends entiers avec ma fille ! Des pensées gênantes viennent me narguer, tandis que je tapote les doigts sur la table : suis-je seulement inquiet pour mon casier vierge ? Non, bien sûr, la femme sur laquelle j'ai une fixette phénoménale depuis deux mois va se pointer ici dans un instant, aucune raison que je sois nerveux ! Ce n'est pas comme si je n'avais pas eu le moindre rendez-vous galant depuis ma rupture ! Ah si, en fait, c'est le cas...

Putain Mike, tu délires, c'est pas un diner aux chandelles ! Tu dois négocier ta survie socioprofessionnelle. Mais à l'idée de l'avoir face à moi, cette fois, sans la protection de mon objectif, je me sens déglutir. Je ne sais pas si j'ai envie qu'elle soit plus repoussante de près que de loin afin de me défaire de cet intérêt malsain, ou si, plutôt, je l'espère plus belle encore, pour m'étourdir et me faire oublier deux secondes mes orteils qui me torturent.

Il est midi, ça y est. Je bois une gorgée de ma bière pour me détendre et m'occuper les mains, avant qu'elles ne fassent une danse de doigts de nouveau évocatrice. Elle n'est pas là, bordel ! Est-ce volontaire ? Putain, si ça tombe elle a pris peur et elle est chez les flics...

Soudain, une rafale de textile beige envahit l'entrée du troquet et je reconnais les cheveux châtain clair qui bouclent jusqu'à ses épaules. Elle ne m'a pas encore vu, j'en profite pour détailler son visage empreint d'inquiétude et la tenue qu'elle révèle en se déboutonnant. Elle est décidément sexy, mais est-ce aussi involontaire que les autres fois ? Je n'en sais fichtre rien. Je tente de trouver ma réponse dans son attitude. Elle regarde à plusieurs endroits, puis commande au bar. Et c'est là qu'elle m'aperçoit. Je vais enfin savoir de quelle couleur sont ses yeux... Oh, la vache ! De jolies teintes vertes me fixent avec perplexité. Son pas dans ma direction, lent et chaloupé, me rappelle les mannequins dont je m'occupais parfois, quand elles s'entrainaient pour un défilé. Elle a la même bouche entrouverte aux tons éclatants, celle qu'on hésite à trouver surprise ou immuable. Plus elle s'approche, plus je dois mordre ma joue pour ne pas crisper des zones plus visibles.

D'abord intimidée, elle semble changer d'idée une fois assise. Ses bras se croisent loin de la table sans une poignée de main. Non mais, Mikaël, t'espérais pas non plus qu'elle te fasse la bise ? Tu l'espionnes depuis des semaines ! Je ne peux m'empêcher de parcourir les détails auxquels je n'avais pas eu droit, comme le léger bleu caché au centre de la verdure dans ses iris.

—Vous êtes bien Mikaël Renard, n'est-ce pas ? lance la voix claire qu'il me plait de découvrir. Qui vit à coté de ce bistrot ?

Un peu surpris, je lui réponds sans cesser d'observer ses variations oculaires sous son regard noir.

—Euh, exact, comment avez-vous trouvé mon nom et mon a... ? Vous saviez ? Depuis le début, vous... ?

—Non, sinon croyez-moi, je serais venue plus tôt que ça tambouriner à votre porte. Ou celle des flics. Au choix. Que regardez-vous ?

Je déglutis ; entre sa menace et le sympathique détail au bord de son sein, je ne peux garder ma salive plus longtemps en bouche.

—Vous avez un joli grain de beauté. À cet endroit, c'est si singulier, je n'ai pas pu m'empêcher de... Désolé, marmonné-je, gêné.

Je dévie le cou, qui a dû rosir, pour lire le menu, l'air de rien. Ce qui ne la retient pas.

—Charmant, j'imagine que ça fait partie de vos délires pervers, reluquer les poitrines des inconnues.

Impossible de retenir mon sourire en coin quand je redresse le dos afin de la contempler.

—Vous me connaissez bien mal. Je suis du genre fidèle et peu volage.

Elle grimace. OK, pas convaincue.

—Moui, c'est sûrement pour ça que vous vous amusez avec ma personne sous le nez de votre femme, cingle-t-elle.

Je me retiens de ricaner. Elle est sérieuse, furieuse même ! Aurais-je affaire à une mère Vertu ? En tout cas, elle délire autant que dans ses lettres.

—Ma femme ?

Mon incrédulité ne fait qu'accroître mon amusement devant cette conversation absurde.

—Oh, ne faites pas semblant, Renard ! Je l'ai vue entrer chez vous le weekend dernier et plusieurs fois cette semaine, en matinée, avant que je n'aille bosser !

Alors là, sa mine revêche et sa bouche ronde fâchée m'achèvent. J'éclate de rire, tout en faisant signe au serveur.

—Oh merde, vous parlez d'Anne-Lise ? C'est ma sœur, Caty ! Au fait, puis-je connaitre votre prénom, maintenant que vous avez le mien ?

Elle se renfrogne, boudeuse comme une Amélie privée de sortie chez ses amis. Je soutiens son regard, ose un étirement de lèvres amical...

—Corinne, grogne-t-elle.

Ah ben voilà, quand même !

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