Partie 2 - REELLE - Ch. 12 Tentures occultantes sur le sujet (1)


Corinne :

Je ferme la porte sur eux et me tourne vers mes amies, encore ébranlée par tout ce qu'il s'est produit ce soir. Je croyais avoir un balourd à recadrer, avec des blagues pourries et une gamine à la moue plutôt triste, mais non. Mike était différent. Oui, il a lâché des blagues, oui il s'est foutu de moi avec la polenta et autres maladresses, mais il a tout livré, relevant ainsi mon défi. Exception faite de sa bourde au supermarché... il faudra que j'y revienne. Et d'autres choses. Mais elles déterraient en lui de telles souffrances que je ne peux lui en vouloir. Je n'ai pas tout dit non plus... Je ne m'y sentais pas prête, pas dans cette relation bizarre. Je l'ai interrogé sur des sujets sensibles, comme convenu, cependant je me suis sentie trop cruelle avec lui. J'ai oublié les photos devant son air ébranlé et sa bouche tremblante. Sa main... si raide et ponctuée de vibrations... que cache-t-il donc de si viscéral ? En tout cas, je dois tenir parole. Il a fait ce que j'ai demandé et je ne peux rompre le contact prochainement sans être malhonnête. « Je... j'ai rien fait de mal, OK ? » Seigneur, il a l'air complètement paumé. Mais avec les paumés, c'est quitte ou double : soit ils acceptent votre aide et retrouvent le chemin avec vous, soit ils vous entrainent dans leur perdition.

—Moi je l'ai trouvé bien ! lâche Juliette. Bon, un peu bizarre, c'est vrai. Qui mettrait de grosses bottines avec une belle chemise ?

Je jette un œil à Nora, dont les bras croisés et l'air sombre en disent long sur son opinion.

—Il cache un truc. En plus, il a des airs de camé.

—T'y vas fort ! Il est propre sur lui et il a l'œil vif, rétorque Juliette.

—Mais allez, Juliette, ouvre les yeux ! Il tremblait tout le temps et il percutait pas une fois sur deux quand on lui demandait un truc ! Je l'ai vu la draguer sur le balcon, et vas-y que je prenne la pose, puis ta main, puis que je fasse semblant de rire. Il ne m'inspire rien de bon ! Pas vrai, Corinne ? T'as eu des réponses ?

Je soupire, sans vraiment vouloir prendre part à l'après-soirée. J'étais occupée de débarrasser la table, songeuse devant le plat de la tarte. Il a eu raison, j'ai aimé déguster mon morceau, même si le contexte m'a rendue muette et mal à l'aise. Ma fierté doit admettre qu'il en a autant découvert sur moi que moi sur lui, ce soir...

—Oui, je l'ai bombardé de questions et il a été franc. Avec des détails tristes, en plus.

« Sauf sur une chose », mais je me garde de le dire. J'ai l'étrange sentiment d'avoir été dans une partie trop intime de lui pour l'exposer.

—Comment peux-tu en être sûre ? Il fait peut-être sa victime pour se dédouaner ! lance Nora.

—Je trouve que vous le jugez un peu vite, ce bougre, déclare Juliette en se servant dans ma boîte à thé. Il s'est montré tout à fait normal et civilisé, et ce n'est pas en une soirée que tu vas te faire une idée de lui, Corinne. Tu devrais essayer de voir comment c'est, chez lui. La tenue, la déco, la gestion des espaces, ça en dit long sur la personne.

Assise, Nora la regarde comme un monstre sorti du placard.

—Mais ça va pas ? Dis-lui de le rejoindre tout de suite au lit, aussi !

—Oh moi s'il me le proposait, je ne dirais pas non, ronronne Juliette.

Mon ricanement est interrompu par la question de Nora.

—Et toi, Corinne ? Tu dirais oui ou non ?

Je veille à leur tourner le dos, sous prétexte de préparer ma tasse. Je n'avais même pas imaginé la possibilité de me glisser sous la couette avec ce farfelu et y songer me fait rosir. Bien que j'aie joué de mes charmes, je n'ai pas le sentiment d'avoir trop feint. C'est vrai qu'il a de beaux traits derrière ses cernes. Ses yeux n'ont pas leur pareil pour captiver, je les ai même revus en rêve avant-hier. Et aujourd'hui, j'ai analysé ses iris dans tous leurs états. J'y ai trouvé de la colère, de la joie, de la tristesse, et même de la culpabilité, contre quelque chose au fond de lui. Il s'est livré, plus encore que je ne l'aurais cru, en a-t-il eu seulement conscience ? J'ai cru lire du désir aussi, mais je ne suis pas stupide, ce ne sont jamais que mes fesses qui intéressent. Ce qui est au-dessus de la ceinture, next ! Et moi ? Moi, je crois que je n'ai plus baisé depuis longtemps, ça doit jouer.

—J'imagine qu'un coup d'un soir ne me ferait pas de mal.

Mon haussement d'épaules fait éclater de rire Juliette.

—Mouais, je ne suis pas sûre que tu sois motivée à te rendre chez lui, se moque Nora, alors y finir nue, je suis sceptique.

—C'est vrai, mais tu sais, je l'ai dragué moi aussi, ce soir, pour le pousser dans ses retranchements. Ça a... plus que marché.

J'ai achevé ma phrase au milieu de mes songes, le regard plongé dans ma tisane. Juliette crie d'une voix suraiguë :

—Quoi, il a essayé de t'embrasser ?

Aïe, mes tympans, bon sang !

—Non, ce n'était pas dans ce sens-là. Plus « être sur la même longueur d'onde », tu vois ? Ça m'intrigue.

Nora soupire en comprenant que je n'en ferai qu'à mon idée, même loin de la sienne. Sa tasse atterrit sèchement sur la table.

—Ta curiosité va te jouer de sales tours. À faire la paonne devant lui, j'ai peur que tu y laisses des plumes.

Nous achevons la soirée à parler d'autres choses, comme la rentrée de Jules en deuxième année d'ingénieur civil. C'est vrai que je n'ai pas voulu le revoir depuis fin août, c'est ma mère qui m'a informée de ses résultats et j'ai loupé sa fête de réussite. Il doit m'en vouloir.

Le lendemain, je lui téléphone. J'ai été bien inspirée, car une heure après, notre mère pensait jouer les médiatrices à distance... Toujours un train de retard sur nos vies, elle préfère prendre les rails vers d'autres pays. « Profiter de sa retraite » dit-elle. Entendez « Ne pas rester dans la maison où vécut votre père ». À chaque Noël, elle trouve au moins cinq souvenirs de lui à glisser dans les conversations. Quand elle revient pour Noël.

Jules et moi sommes plus proches depuis son décès, peut-être parce qu'on a mieux passé l'éponge qu'elle et qu'on a envie de mieux profiter du temps ensemble. Ou bien est-ce depuis que Nadia est « total in love » de monsieur Leclerq ? Bref, je ne pouvais pas le laisser moisir plus longtemps.

Et le jour suivant, je découvre une nouvelle lettre non affranchie dans mon courrier. Tiens, pour une fois, je ne devrai pas reposter un courrier le dimanche ! Sur mon canapé, je parcours ses mots, plus apaisée qu'avant. Je sais maintenant qu'il tiendra parole, autant qu'il tient à sa fille.

Salut Caty !

J'espère que je me suis comporté comme tu le voulais et que je t'en ai dit suffisamment plus pour que tu sois rassurée. J'aimerais, à mon tour, te demander une preuve de confiance, s'il te plaît. Parce que si tu crois que ça ne va que dans un sens, tu te trompes ; moi aussi je pars vers l'inconnu avec toi ! Et ne me dis pas que tu ne veux rien savoir de plus, Caty, tu m'as promis la poursuite de nos échanges et ce que j'ai vu sur ton balcon avant que tu ne refermes les rideaux, hier soir, était un aurevoir espiègle, pas un doigt d'honneur, ce que tu aurais fait si tu n'avais plus voulu me voir. J'ai pas raison ?

Mais dans quoi je me suis embarquée moi, quand même, cette relation prend une drôle d'allure ! je savais qu'il me regardait, il savait que je le lui adressais le geste, et ce petit secret avait un côté excitant, comme une cabane où des mômes se retrouveraient sans le dire aux parents. J'ai retrouvé le Mike plus comique et posé. Le Renard.

Alors, lis bien ce que j'écris. Je te propose de venir chez moi, avec la garantie que je ne te toucherai jamais, même d'un seul doigt, sans ton autorisation. Mais pas seulement. Je veux que tu t'habilles dans ta tenue préférée. Qu'une fois chez moi, tu te mettes à l'aise, sachant que dans tous les cas, je ne poserai pas le moindre centimètre carré de ma peau sur la tienne. Nous garderons nos distances pour ton confort. Mais, en échange, tu te prêteras au jeu que je t'expliquerai. Tu en accepteras les consignes et je te donne ma parole que ce ne sera pas dégradant. Je veux voir à quel point tu te fies à moi. Tu pourras le cesser quand tu veux. Promis, ce n'est pas sado-maso, espèce de boîte à idées folles !

Je ne peux réprimer un rire, même s'il se teinte de nervosité. Non mais lui, alors ! Il est d'une audace à toute épreuve !

Je sais qu'à tes yeux, l'idée est juste dingue. Et sache que le moment le sera aussi. Mais on ne fait que ça depuis le début, alors pourquoi arrêter maintenant ? Je préfère que tu aies le lendemain libre pour y réfléchir tranquillement, alors, veux-tu bien venir samedi prochain ? Après ton travail ? Vers 18h30 ce serait bien, mais est-ce trop tôt ?

Renard

PS : je crois que ton amie Nora ne m'aime pas. Elle sait, pas vrai ?

Mon sourire demeure, autour de traits d'inquiétude. Ça m'effraye un peu, mais peut-être obtiendrai-je des éléments contre lui, ainsi ? Il pose son défi juste quand je suis tenue de respecter notre accord. Et cette lettre, d'un ton plus complice que les précédentes... Il ne me parle plus comme à un phénomène inexpliqué sur lequel il voudrait créer une fiche technique, mais comme à une amie. Plus j'y repense, plus je me dis qu'il a rarement eu l'occasion d'aborder les sujets de samedi. Il ne savait pas par quel bout prendre mes questions. Je me remémore son regard, incapable de m'en défaire en dehors du travail, qui m'accapare tout le cerveau. « Je n'ai rien fait de mal, OK ? » Sa main emprisonnant la mienne...

Tout cela me turlupine, je veux en savoir davantage ! À présent que les pluies reviennent et que l'automne s'installe, il me parait plus judicieux de déposer la lettre dans sa boîte le lendemain, avant de partir bosser. Maintenant que je sais où il habite...

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