Partie 2 - REELLE - Ch. 11 Entrouvrir les volets (fin)
Plus je tenterai de donner des excuses, plus je paraitrai coupable. On va éviter. Je devine dans mon dos son air déçu, peut-être méfiant aussi. En nous voyant revenir, Amélie lance :
—Y a un dessert, Corinne ?
Des talons claquent derrière moi, vers le coin cuisine.
—Oui, ma belle ! Tu veux savoir ce que c'est, hein ? Tadaaaa !
Amélie se lève et se courbe pour mieux voir dans le petit frigo, puis jette ses bras en l'air.
—Wouhou, de la tarte aux pommes !
Je hoche la tête en retrouvant le sourire : mon ventre à pattes adore les pommes, Corinne a tapé dans le mille. Lorsqu'elle dépose son plat sur la table, je ne retiens pas mon agréable surprise.
—Fait maison, en plus !
L'hôtesse lève fièrement son couteau, telle une baguette, main sur la hanche.
—Avec crème pâtissière !
Ma fille a soudain les yeux aussi brillants qu'un chat devant un bout de poisson.
—Haaan, Corinne, je peux avoir un grand bout ? S'te plaît, s'te plaît s'te plaîîît, ajoute-t-elle d'un ton plaintif.
Corinne me fait découvrir une autre part d'elle : son rire. Aigu, mais pas strident, il emplit la pièce, dans un contraste incroyable avec son naturel posé.
—Ah tu sais amadouer, friponne ! C'est le meilleur des compliments ! Bien sûr que tu peux l'avoir, enfin, si papa est d'accord.
J'opine du chef, adressant un clin d'œil à Amélie qui suit ensuite du regard l'ascension de son sixième de tarte au millimètre près. Corinne sert tout le monde, sauf elle, avant de s'assoir.
—Tu n'en prends pas ? demande Nora.
Corinne rosit un peu. Elle se tortille sur sa chaise, indice de gêne que j'avais déjà remarqué au bistrot.
—Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, 'faut que j'évite de grossir.
Nora lève les yeux au ciel, ce qui en dit long sur l'ancienneté de tels propos. Je reste bien neutre en balayant la scène du regard. Je sais que le sujet pèse lourd.
—Pff, arrête, maugrée Juliette, t'as pas de kilos en trop, t'exagères.
—Dis ça à mon derrière d'éléphant.
J'entends Amélie contenir son petit rire, après la réplique pleine de flegme et de cynisme de Corinne. J'avoue qu'elle prêtait à sourire, mais je suis trop occupé à maintenir vaille que vaille mon attention sur les échanges intéressants. Je soupçonnais déjà la mésestime de ma correspondante envers son joli corps, j'ai envie d'en savoir plus. Beaucoup plus. Si seulement je parvenais à lui prouver sa beauté ! C'était mon job, après tout, de capter le beau en chaque chose, avec un certain angle... Ah ne t'éparpille pas ! Reste concentré !
—Tu devrais vraiment travailler sur toi, dit Nora, c'est pour ça que t'es pas bien même avec tes amis autour de toi, même nous on te gêne dès qu'on te fixe un peu. La preuve.
Elle désigne d'un signe de tête son amie qui est passée d'« un peu rosie » à « rouge pivoine ».
—Noraa, grogne-t-elle entre ses dents, ne me provoque pas là-dessus, où je reprends mon break où je l'avais laissé et Jules t'en voudra.
—Jules est son petit frère, m'explique Juliette pendant qu'elles se toisent, et il peut parfois... blesser sans s'en rendre compte. Ça a énervé Corinne, elle nous a tiré la tête pendant des jours et c'est encore un peu frais...
—C'est bon, il n'a pas besoin de tous les détails, cingle Nora. As-tu de la fratrie, toi, Mike ?
OK. Fin de la discussion, on dévie vers de la badinerie. Je jette un œil à chaque femme, pour m'assurer qu'elles veulent en rester là, avec Corinne qui a viré cramoisi. Elle n'exprime pas sa colère, Nora guette ma réponse comme si de rien n'était et Juliette échange des grimaces avec Amélie. Bien ! Tout le monde s'en carre d'avoir mis Corinne dans cet état, visiblement. Le dédain par habitude, peut-être ? Ah merde... j'ai oublié...
—Peux-tu répéter, Nora ?
—Je demandais si tu avais des frères et sœurs.
—Ah ! Oui, une sœur aînée. Un véritable ange gardien, qui materne même trop.
—Et belle comme une actrice hollywoodienne, soupire Corinne, je l'ai déjà vue de près.
Face à mes yeux ronds de surprise, elle ajoute :
—Oui, en bas de ton immeuble. Je te l'avais déjà dit.
Ouais cocotte, mais ma mémoire me joue des tours, ce soir ! Ce n'est pas grave. Ce qui me frappe, c'est son élan d'envie et de dépit devant la beauté de ma sœur, comme si elle ne l'était pas. Son air maussade sur ses restes de rougeur me prouve que la pilule de Nora n'est toujours pas passée. Dans ce cas, je vais agir. Pourquoi, vu que ça ne me concerne pas vraiment ? Parce que bizarrement, quand ça fout Corinne dans cet état, j'estime que ça me regarde aussi un peu. Qu'elle se laisse ainsi dominer par ses complexes, ça me rend dingue. Corinne relève le cou en sentant mon regard la fixer sous mes paupières plissées. Sa bouche passe de la pomme à la poire avec embarras. Je suis comme figé dans le marbre, durant bien des secondes.
—Pourquoi me regardes-tu comme ça ? interroge-t-elle d'une faible voix.
Oh bordel, si je la scrute encore, je vais plonger sur ses lèvres pour virer son air misérable ! Je tends les bras vers une assiette vide et le plat. Du bord de la pelle à gâteau, je coupe une part en deux et sert le triangle à Corinne, en posant tout devant elle sans rien lui demander. J'ai un peu mal au bout des doigts après avoir supporter le poids de l'assiette tendue, mais c'est sans regret.
—Maintenant, tu le manges.
—Quoi ? Non ! Les invités sont rois, ils passent avant, j'en ai fait peu, alors...
—Très bien ! la coupé-je. Dans ce cas, disons que les rois t'ordonnent d'avaler ce dessert, ça te va ? T'aimes pas cette sorte de tarte, peut-être ?
—Si, mais...
—Mais quoi ?
Je ne crie pas fort, cependant, mes mains tremblent et serrent fort les couverts, dans un hurlement invisible, sans que je ne me détache de ses yeux effarés. Mes bras accompagnent mes mots, sans se soucier d'un faux mouvement. J'ai le cœur qui palpite et le buste qui frémit de colère, tandis qu'elle blêmit.
—Mais quoi, Corinne ? C'est quoi l'excuse, à part tes... tes chimères ! Ton corps est très bien et il se porte comme un charme, il ne t'oblige en rien à te priver de ce plaisir, alors tu vas arrêter de te restreindre sans raison ! Putain mais tu crois que c'est juste une part de tarte, alors que c'est bien plus que ça ! C'est ton bonheur ressenti à chaque bouchée, ce sont tes papilles qui la goûtent, c'est ta joie de partager le dessert avec nous, c'est le moment où tu t'autorises une douceur et que tu découvres le résultat de tes heures passées en cuisine ! De quel droit tu t'interdis tout ça, Corinne ? Comment crois-tu te faire du bien, ainsi ? Tu ferais mieux de profiter de ces bonnes choses qui passent sous ton nez, au lieu de les laisser filer, parce que tu ne peux jamais prédire si tu pourras encore avoir cette chance demain ! Alors s'il-te-plaît, maintenant, tu vas déguster cette tarte comme si t'allais jeûner toute une semaine après, et on n'y revient plus. Bon appétit.
J'ai eu le temps de déposer une fourchette et une serviette devant elle pendant mon laïus, qui semble avoir tout balayé comme une tornade. Corinne a l'air d'un poisson empaillé la bouche ouverte, Nora fixe le dernier bout dans son assiette, pendant qu'Amé et Juliette affichent leur inquiétude. Ma fille passe sa main sur mon bras, comme dans l'ascenseur. Comme sa mère le faisait, en frottant avec délicatesse. Je croise son expression et évacue, en un soupir, mon coup de jus. Je la remercie d'un petit sourire. Même si elle ne m'a jamais vu au plus bas, elle doit se douter qu'il y a un lien entre mon emportement et ma maladie.
J'entends le cliquetis du métal sur la porcelaine. Soucieux de ne pas reprovoquer son trouble, je veille à ne pas regarder vers Corinne, me contentant de finir ma part. Mais du coin de l'œil, j'ai vu sa main, ralentie par ses pensées, s'emparer de la fourchette et casser un morceau : elle a cédé. J'ai l'impression que cette nana est en plein autodénigrement et ça m'inquiète. Parce que j'en ai connu dans mon boulot, qui s'épuisaient à canaliser une tristesse intense et un dégoût d'elles absolu. Exténué par les émotions fortes et la soirée animée, la digestion aidant, j'annonce notre départ.
À la porte, tandis qu'Amélie finit de saluer, je me plante devant Corinne, que la gêne n'a pas lâchée depuis le dessert. Elle concède à croiser mon regard, avec ses yeux de chien battu. Toutou malheureux aux yeux verts étincelants. Bon ! Faut que je me lance.
—Merci pour le repas et... de m'avoir laissé venir chez toi, Corinne. J'aimerais te rendre la pareille.
—Mike, je ne suis pas sûre de vouloir prendre le risque d'être seule avec toi, surtout chez toi, chuchote-t-elle comme si elle craignait d'être entendue par ses copines.
—Je sais, mais écoute-moi, dis-je tout aussi bas, je voudrais te proposer une expérience qui pourrait t'aider pour... ce problème qu'on te reproche. Mais tu dois me faire confiance.
Son visage s'assombrit, elle affiche sa perplexité avec une telle force que je m'empresse de lui jurer entre quatre yeux :
—Je ne te toucherai pas. Ce n'est pas le sujet, alors éteins ton imagination folle tout de suite.
Mon ton est on ne peut plus sérieux, j'ai bien compris que je passais pour le pervers psychopathe près à lui bondir dessus à la moindre occasion... Bon, elle n'a pas tout à fait tort, néanmoins ce n'est pas à l'ordre du jour, sûrement pas dans le contexte que je découvre, je ne suis pas un bâtard non plus ! Mais, une fois de plus, elle réagit d'une façon imprévisible : elle contient un petit rire, main sur la bouche, les paupières plissées par l'amusement. Quoi, c'est si drôle que ça ? Amélie passe entre nous, sa tâche accomplie. Corinne me répond alors, pressée de clore la discussion :
—Je te répondrai dans ma prochaine lettre ? Il faut que j'y réfléchisse.
—OK. Réfléchis, ça me va. Bonne soirée, Corinne.
Pffiu... ce fut éprouvant !
Prochainement : chap. 12 "Tenture occultantes sur le sujet"
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